La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition critique/1872/Introduction/Voyages

De Wicri Chanson de Roland

Les voyages de la légende

Chanson de Roland (1872) Gautier, I, page 120.jpg[cxix]


XIV. — les voyages de la légende

Chanson de Roland (1872) Gautier, I, page 121.jpg[cxx] Il faut que l’ingrate Europe en prenne son parti : nous possédions toute une littérature quand elle savait lire à peine. Oui, la France avait ses odes, ses épopées, ses drames, alors que les nations voisines, si orgueilleuses aujourd’hui, n’attachaient encore de prix qu’à la brutalité militaire et aux coups de lance. Nous étions une grande race poétique, quand la plupart des autres peuples n’étaient encore que de petites races militaires et nomades. Et ce n’était pas encore assez de gloire pour nos pères : leur poésie fut de celles qui ont des ailes, qui voyagent. Si belle que fût la France, cette poésie au vigoureux essor ne consentit pas à y demeurer enfermée : elle prit son vol et fit le tour de l’Europe. L’Allemagne, l’Italie, l’Espagne l’ont vue et admirée. Elle a chanté devant tous ces peuples, et ils ont gardé le souvenir de ces chants qu’ils ont traduits dans toutes leurs langues. C’est ainsi que nos Chansons de geste, c’est ainsi que des poëmes français, consacrés à des héros français, ont inspiré toutes les littératures de l’Europe. Mais, parmi nos vieux poëmes, il n’en est pas dont la popularité à l’étranger ait égalé celle du Roland...

En Allemagne

L’Allemagne prétend que Charlemagne lui appartient et n’a rien de français : cette inadmissible prétention n’est pas justifiée par l’histoire littéraire. C’est nous, Franks, qui avons gardé le souvenir vivant du grand Empereur ; c’est nous qui lui avons fait une popularité immortelle ; c’est nous qui l’avons aimé et chanté : donc il nous appartient, donc il est à nous. Si subtile que soit l’érudition allemande, elle n’a pu, avant le xiie siècle, avant l’introduction de nos romans français, rien découvrir en Allemagne qui ressemblât à un chant, à une épopée populaire dont Charlemagne fût le héros. Les deux mille vers de la Kaisercronik[1], qui sont consacrés au fils de Pépin, ne sont pas une œuvre épique. Elle renferme quelques légendes singulières et qu’on ne retrouve pas ailleurs ; mais il est douteux qu’elle soit antérieure à l’invasion victorieuse des traditions françaises.

En réalité, le plus ancien poëme allemand qui ait uniquement Chanson de Roland (1872) Gautier, I, page 122.jpg[cxxi] Charlemagne et Roland pour objet, c’est le Ruolandes Liet du curé Conrad. Or, le Ruolandes Liet[2] n’est qu’une traduction de la Chanson de Roland, et une traduction souvent littérale.

Les critiques, d’ailleurs, ne sont d’accord ni sur la patrie du curé Conrad, ni sur l’époque où il écrivit sa célèbre traduction. Wilhelm Grimm, qui l’a publiée, avait d’abord proposé les années 1173-1177 ; mais plus tard il avoua « que le style de l’ouvrage lui assignait une date plus reculée[3] ». M. Gaston Paris se prononce en faveur de cette dernière opinion. « Conrad, dit-il, écrivit vers le milieu du xiie siècle, » et il lui donne pour patrie la Bavière ou la Souabe. Le vieux traducteur allemand ne cherche pas, du reste, à cacher qu’il traduit et que l’original de son poëme est français. Mais, par malheur, il l’avait d’abord traduit en latin. Le latin prête à la religiosité. Un clerc, faisant passer en latin notre vieille Chanson, devait de toute nécessité lui donner je ne sais quel air religieux, quelle tournure mystique. C’est, en effet, ce qui arriva. Et tel est le caractère dominant du Ruolandes Liet. Le curé Conrad s’est bien gardé de rien changer à la lettre du modèle qu’il avait sous les yeux, et qui se rapprochait beaucoup de notre texte d’Oxford ; mais il s’est donné toute liberté quant à l’esprit. Il débute par une belle invocation « à Dieu très-puissant et très-bon »[4], et, dans tout le cours de la Chanson, il christianise tout ce qu’il touche. Ce n’est pas, sans doute, la petite dévotion superstitieuse et étroite de la chronique de Turpin ; non, c’est la large, forte et mystique piété allemande. La beauté est absente de l’œuvre apocryphe du faux Turpin, mais non pas Chanson de Roland (1872) Gautier, I, page 123.jpg[cxxij] du Roland allemand, qui est majestueux et grave[5]. Toutefois nous n’oublierons pas que, le jour où les Allemands voulurent un chant populaire sur Charlemagne, ils furent obligés de l’emprunter à la France. C’est un prince allemand[6] qui commanda le Ruolandes Liet à Conrad. S’il y avait eu dès lors un poëme germain sur le grand empereur, l’œuvre de Conrad eût été inutile.

Chose singulière ! les imitations allemandes de nos vieux poëmes passèrent à peu près par les mêmes phases, par les mêmes transformations que nos Chansons de geste elles-mêmes. Si le Ruolandes Liet répond au Roland que nous allons publier, le Karl du Stricker[7] est l’équivalent très-exact de nos remaniements, de nos refazimenti du xiiie siècle. C’est l’œuvre d’un rajeunisseur qui vivait vers 1230, et le mot stricker ne veut probablement pas dire autre chose que « rapsode » ou « arrangeur ». N’allons pas croire, cependant, d’après ce dernier mot, que l’auteur du Karl ait connu et imité nos poëmes français. Point : il a travaillé presque toujours sur le poëme de Conrad, Chanson de Roland (1872) Gautier, I, page 124.jpg[cxxiij] comme nos remanieurs sur le texte d’Oxford[8]. Il a d’ailleurs traduit son original avec grâce, mais sans chaleur. Le modèle était vivant ; la traduction est assez élégante… pour être morte. Malgré tout, il n’était pas impossible d’écrire encore quelque chose de plus plat. Vers le commencement du xive siècle, l’auteur du Karl Meinet[9] a fait entrer dans cette vaste compilation un autre remaniement du Roncevaux. D’après quel modèle écrivait-il ? D’après le Ruolandes Liet, s’il faut en croire M. G. Paris ; mais, si l’on adopte l’opinion de M. Bartsch, d’après certain remaniement du poëme de Conrad qui appartiendrait au xiiie siècle et ne serait point parvenu jusqu’à nous. La question est délicate. Mais un fait qui est au-dessus de toute discussion, c’est la popularité très-éclatante et très-profonde de notre légende de Roland, qui, durant l’espace d’un siècle ou deux, a donné lieu à trois œuvres capitales en Allemagne, et ces trois œuvres sont plus ou moins directement d’origine française. Elles sont sorties de notre vieux poëme, semblables à ces ruisseaux qui coulent en Allemagne, mais sortent d’une source française.

Jusqu’à présent, c’est de notre Chanson elle-même que nous avons constaté la gloire ; mais voici une autre preuve de la célébrité de notre héros. Ce sont ces nombreuses statues qui, dans quarante ou cinquante villes de la basse Saxe, se voient au milieu de la place publique, qui représentent un chevalier en armes et sont désignées sous le nom de Rolandssaülen ou « colonnes de Roland ». On a déjà écrit sur ces monuments singuliers vingt Dissertations[10], que dis-je ? vingt volumes entiers. Chanson de Roland (1872) Gautier, I, page 125.jpg[cxxiv]

M. Hugo Meyer, dont nous avons déjà signalé plus haut les hardiesses étranges, ne craint pas d’affirmer que ce sont très-probablement les colonnes d’Irminsul, détruites par le Christianisme[11]. Un autre érudit (mais français, celui-là) allègue l’usage où furent les Germains (?) d’ériger dans leurs plaids des statues de rois et de héros : « C’était un signe de juridiction indépendante. » M. Génin, avec son bon sens mêlé de malice et de pénétration, prétend que ces statues ont été appelées des Rolands parce qu’elles étaient colossales, et que le peuple, au lieu de dire : « Un géant, » disait : « Un Roland. » Il me semble que M. G. Paris a dit toute la vérité lorsqu’il a fait observer qu’il n’y a pas d’identité réelle entre ces statues et Roland ; qu’en effet, ce nom de Rolandssaülen n’est donné nulle part à ces colonnes avant la fin du Moyen âge ; que ces monuments représentent un personnage symbolique ; qu’il suffit, enfin, que les statues en question aient représenté un guerrier armé pour qu’on y ait reconnu Roland à l’époque où ce nom fut si profondément populaire ; que cette assimilation a d’abord été faite en une seule ville, et que ce nom de Rolandssaülen a, comme une contagion, gagné toutes les villes voisines. Voilà qui est sagement raisonné. Donc, ces statues, par là même qu’elles ne représentent pas réellement notre Roland, attestent sa popularité. Pour bien d’autres statues, c’est tout le contraire. Chanson de Roland (1872) Gautier, I, page 126.jpg[cxxv]

C’est ainsi qu’en Allemagne la gloire de Roland a conservé tout son éclat, bien longtemps après le Moyen âge. La Renaissance, en effet, n’a pas eu, de l’autre côté du Rhin, la détestable influence qu’elle a conquise parmi nous. Elle n’a pas inspiré aux Allemands du xvie siècle cet injuste mépris pour tous les siècles chrétiens, ce dédain sans raison pour toute littérature et pour toute poésie autres que celle de la Grèce et de Rome. Encore aujourd’hui Roland, notre Roland n’est pas oublié là-bas. Ce n’est point ici le lieu de parler des beaux travaux d’érudition qui lui ont été consacrés. Qu’il nous suffise de dire qu’un Allemand, M. Hertz, a fait récemment[12], de notre vieux poëme, l’objet d’une traduction qui est à la fois scientifique et agréable, exacte et poétique. D’un autre côté, M. Simrock s’est proposé de répandre dans le peuple, sous la forme de contes attrayants, un certain nombre de nos légendes épiques[13]. Noble pensée, et qui n’était encore venue à aucun de ceux qui travaillent en France pour les ouvriers et pour les enfants ! Par malheur, il est de ces légendes allemandes qui ne sont pas empruntées à notre tradition épique, et dont la note est absolument fausse. Telle est celle qui représente le neveu de Charlemagne survivant à Roncevaux et venant habiter, sur les bords du Rhin, la terre qui est encore aujourd’hui connue sous le nom de Rolandseck. C’est là que Roland s’occupe, durant tout le reste de ses jours..., à regarder de loin le couvent de Nonnenwerth où s’est enfermée sa fiancée Hildegonde qui l’a cru mort[14]. Hélas ! hélas ! voyez-vous Roland, transformé, sur ses vieux ans, en je ne sais quel jeune premier, blond, sentimental et rêvassier ? Il vaudrait peut-être mieux oublier tout à fait une légende que de la travestir et de la dénaturer à ce point...

Aux Pays-Bas

Puisque nous sommes en Allemagne, suivons notre légende voyageuse tout près de là : pénétrons avec elle dans ces pays néerlandais, dont la langue, après tout, n’est qu’un dialecte allemand. Chanson de Roland (1872) Gautier, I, page 127.jpg[cxxvi]

Là encore notre légende a traversé les mêmes phases que dans le pays même où elle était née. Le texte primitif de la Chanson de Roland, celui que nous éditons aujourd’hui, a été reproduit assez exactement et parfois même résumé (la chose est assez rare) en deux fragments, qu’a publiés M. Bormans[15]. Les deux autres fragments[16], publiés par le même érudit[17], se rapportent à nos remaniements. C’est ce qu’a nettement démontré M. G. Paris[18] contre les prétentions ultra-belges de M. Bormans. Un petit livre néerlandais du xvie siècle, la Bataille de Roncevaux[19], répond fort exactement aux versions en prose de nos manuscrits et de nos incunables. Seulement, cette œuvre, qui fut très-profondément populaire, est mêlée de poésie et de vers, et l’influence du faux Turpin s’y fait sentir en même temps que celle de notre vieux poëme. Tel a été le destin du Roland aux Pays-Bas. Nous constaterons bientôt qu’il a subi, en Italie et en Espagne, des péripéties analogues. Et c’est peut-être le cas de faire ici remarquer par avance combien cette popularité universelle de notre Roland chez tous les peuples, sous tous les cieux et par tous les climats, est contraire à cette méchante doctrine de Taine sur l’influence presque absolue de Chanson de Roland (1872) Gautier, I, page 128.jpg[cxxvij] la Race, du Climat et du Tempérament. La donnée philosophique de notre légende est partout la même. Sans doute, elle a été modifiée par l’Italien et l’Espagnol d’une autre façon que par l’Allemand et le Scandinave ; mais, malgré tout, c’est toujours la même légende et la même idée ; c’est la même mort héroïque de Roland pour son pays et pour sa foi. Donc, il y a, dans toute littérature, quelque chose d’universel, quelque chose d’humain qui domine tous les accidents, qui persiste à travers tous les siècles, sous tous les degrés de latitude, parmi toutes les races, toujours et partout. La mort de Roland fera battre le cœur d’un Indien ou d’un Arabe, comme elle fait battre le nôtre. La Race et le Tempérament ne sont qu’un accident dominé par l’homme et surtout par Dieu. Telle est la moralité qu’il faut tirer de ces voyages de notre Épopée nationale...

En Islande et au Danemark

Notre légende ne craint pas le froid. Elle prend hardiment son vol vers le nord, et la voilà qui passe la grande mer. Et où va-t-elle ainsi ? En Islande. Oui, la gloire de Roland a pénétré jusque-là, et elle y a fait halte pendant plusieurs siècles. La Karlamagnus’s Saga[20] est une vaste compilation empruntée à nos meilleures Chansons de geste. C’est presque une traduction. L’auteur islandais fait entrer dans son œuvre un certain nombre de nos vieux poëmes, dont quelques-uns ne sont point parvenus jusqu’à nous dans leur langue originale. On peut juger par là de la popularité de notre épopée chez des peuples qui étaient si longtemps demeurés étrangers à la civilisation chrétienne. Mais M. Gaston Paris fait remarquer avec raison que cette popularité n’était pas de longue date, et qu’elle fut surtout l’œuvre d’un roi intelligent, Haquin V. C’est pendant son règne (1217-1263) que furent sans doute composées ces Sagas, empruntées à nos romans, Rollants rimur[21], Feraguts rimur[22] et tant d’autres[23]. Mais c’est à cette époque surtout qu’il convient de faire remonter la Karlamagnus’s Saga. Cette œuvre, inconnue en France avant les travaux de M. G. Paris, se divise en dix branches : notre Roncevaux forme la huitième. Jusqu’à la mort de Roland, le compilateur islandais ne fait que suivre très-servilement le texte primitif de notre Chanson, d’après un manuscrit fort semblable à celui d’Oxford. Mais, à cet endroit de son récit, il a trouvé sans doute que le modèle français devenait un peu long, et il l’a vigoureusement abrégé. En cinq

pages, il a résumé toute la seconde moitié de notre poëme[24]. C’est un coup d’État fort regrettable[25].

Nous parlions tout à l’heure de cette Bibliothèque bleue qui répand encore dans nos campagnes, à tant de milliers d’exemplaires, nos Romans défigurés, mais encore tout remplis de la gloire de Charlemagne et de Roland. Eh bien ! il existe, il circule en Danemark une œuvre toute semblable, c’est la Keiser Karl-Magnus’s Kronike. Un auteur inconnu (ce n’est point Pedersen, comme on l’a cru longtemps[26]) a eu l’idée, au quinzième siècle, de résumer la Karlamagnus’s Saga, en s’aidant de la traduction de quelques autres poëmes français. Rien n’égale la vogue de ce petit livre, dont une édition nouvelle vient de paraître à Copenhague[27] et qui, jadis imité de l’islandais, a été tout récemment traduit en cette langue. En vérité, il faut aimer ces humbles petits livres qui répandent notre gloire en des pays si éloignés de la France. Quelles ne doivent pas être la joie et la fierté du Français qui, s’arrêtant devant la boutique d’un libraire à Reykiavik, y voit en montre la Kronike om Kaiser Karlmagnus, et qui entend le nom de Roland sur les lèvres d’un paysan islandais[28] !

En Angleterre

L’Angleterre aussi a eu son Roland. Un poëte anglais du xiiie siècle a essayé de combiner, avec certains emprunts faits à

la Chronique de Turpin, un modèle français qui ne se rapportait pas à la plus ancienne version de notre poëme[29]. Du reste, les manuscrits français du Roland qui ont existé en Angleterre, prouvent que notre légende y était connue, y était aimée. Ajoutons que notre Conqueste du grand roi Charlemaigne a été traduite en anglais sous le titre de The lyf of Charles the Great. Cette traduction sortit, le 18 juin 1485, des presses de Caxton ; mais les critiques anglais se sont trompés en la considérant comme une œuvre originale dont Caxton lui-même aurait été l’auteur[30]. Trop de patriotisme peut quelquefois nuire à la vérité.

Autres régions européennes

Et maintenant redescendons vers le midi, en traversant la Pologne, la Hongrie, la Russie, l’Orient. Nous n’y entendrons point, par malheur, beaucoup d’échos de notre légende. Je ne pense pas que la Pologne ait connu ce Roland qu’elle aurait si bien compris et aimé. Une traduction de notre vieux poëme a été récemment publiée à Varsovie ; mais c’est une œuvre artistique plutôt que populaire[31]. Matthias Corvin, d’après son biographe[32], oubliait le boire et le manger pour écouter les chants où était célébré le neveu de Charlemagne : il se levait alors plein d’enthousiasme et faisait de grands gestes comme s’il avait dix mille ennemis devant lui et une armée à sa suite. Je consens à ce que Depping ait entendu chanter, par des paysans de la Sibérie, un chant populaire calqué sur la célèbre romance espagnole : Chanson de Roland (1872) Gautier, I, page 132.jpg[cxxxj] Mala la visteis, Franceses, — La caza de Roncesvalles[33] ; mais je voudrais en être plus sûr. Les Grecs du Bas-Empire étaient moins faits encore que les Sibériens pour l’intelligence de notre poésie nationale. Une allusion à la mort de Roland, qu’on a découverte à grand’peine dans le De rebus Turcicis de Laonicus Chalcondylas : voilà tout ce que nous trouvons chez cette race en perpétuelle décadence[34]. C’est peu. Quant à ce bon ermite turc, qui montra à Thévenot l’épée et le tombeau de Roland à Burse, en Natolie, je n’ai jamais pu me persuader que ce fût un véritable ermite… et un vrai Turc[35]. Prétendre que Roland est mort musulman, me paraît une plaisanterie qui dépasse de beaucoup la gaieté musulmane. Vite, quittons ce pays ingrat et embarquons-nous pour l’Italie…

En Italie

C’est en Italie que l’histoire de notre légende a traversé le plus de phases régulières ; c’est en Italie qu’elle les a le plus régulièrement traversées... Tout d’abord les traditions sur Charlemagne et Roland ne s’y répandent qu’oralement. La popularité de nos héros n’existe encore que sur les lèvres italiennes. Mais bientôt les monuments figurés, les pierres vont parler. On connaît ces statues de Roland et d’Olivier, qui sont grossièrement sculptées sur le portail de la cathédrale de Vérone[36]. Et Génin a cité avant nous cette inscription encastrée dans le mur de la cathédrale de Nepi : « L’an du Seigneur 1131, les chevaliers et consuls de Nepi se sont liés par serment. Si l’un d’eux veut rompre notre association, qu’il meure de la mort infâme de Ganelon[37]. »

Chanson de Roland (1872) Gautier, I, page 133.jpg[cxxxij] L’Italie alors (le fait est attesté par de précieux textes que Muratori a recueillis), toute l’Italie est parcourue, à l’égal de la France, par les « jongleurs de gestes[38] ». Ils s’arrêtent sur les places de ces belles villes, toutes entourées de grands palais féodaux ; ils font retentir leurs vielles et chantent les héros français, Olivier, Roland, Charlemagne. La foule s’entasse autour d’eux, frémissante. Des héros italiens on ne sonne mot. La France et ses chevaliers suffisent alors, et suffisent largement à alimenter l’enthousiasme de toute l’Europe. Mais ce n’est là que la première période de cette curieuse histoire de notre légende en Italie. Il faut en venir à des preuves littéraires, à des documents écrits. La France (écoutez bien ceci) va faire ici plus qu’elle n’a fait nulle part ailleurs. Elle ne va pas seulement prêter ses traditions épiques à une nation étrangère : elle va lui imposer sa langue. Voici l’époque de ces Romans franco-italiens dont on a déjà tant parlé. J’entends par là ces poëmes écrits en un français plus ou moins grossièrement italianisé, tels que le Roland de Venise[39] ; tels aussi que la Prise

de Pampelune[40], Aspremont[41], certaines parties de l’Entrée en Espagne[42] ; tels enfin que cette compilation sur Charlemagne[43] à laquelle appartiennent Beuves d’Hantone, les Enfances Charlemagne, les Enfances Roland, les Enfances Ogier et le Macaire publié par MM. Guessard et Mussafia[44]. Il faut toutefois nous expliquer nettement sur ces Chansons, qui d’ailleurs ne sont italianisées ni au même degré, ni de la même façon l’une que l’autre. On a prétendu que la langue de ces poëmes était un dialecte spécial à l’usage de l’Italie du Nord : nous avons essayé longuement de démontrer le contraire, et avons cru prouver jusqu’à l’évidence que des vers tels que les suivants : « Davanti li roi fu la raïna mené, — E fu vestua d’una porpora roé. — Sa faça, que sol eser bel e coloré, — Or est venua palida e descoloré[45] ; que de tels vers, disons-nous, sont des vers français

indignement défigurés par l’ignorance d’un scribe italien. Ce n’est point là une langue originale : c’est du français écorché par un Italien qui veut à toute force se faire comprendre de ses compatriotes. C’est un baragouin, et non pas un dialecte. Lisez le premier vers venu du Roland de Venise, et vous en arriverez aisément aux mêmes conclusions. Il résulte de là qu’en somme, et moyennant quelques corrections, le français était compris des habitants de l’Italie du Nord, ou, tout au moins, des lettrés. D’où vient donc cet étrange orgueil des Italiens, qui prétendent encore aujourd’hui à être les pères de toutes les littératures de l’Europe ? « Rien n’existait avant nous, rien que la barbarie et les ténèbres. » Voilà ce que nous avons nous-mêmes entendu cent fois en Italie, et nous nous rappelons encore les clameurs formidables qui éclatèrent, en 1856, contre notre Lamartine, lorsqu’il essaya de critiquer le génie du Dante. Nous fûmes, à cette occasion, très-vertement traités de « peuple sauvage et ingrat ». De nos Chansons de geste, les Italiens ne soufflent mot ; ni de notre langue française qu’ils ont parlée et écrite ; ni de notre littérature française qu’ils ont imitée, empruntée, aimée et applaudie quelques cents ans avant la Divine Comédie. Où est l’ingratitude ?

L’Italie, d’ailleurs, ne se borna pas à faire un succès à nos Chansons françaises plus ou moins italianisées. Leur popularité exigea davantage. Il fallut les traduire en véritable italien, et c’est ce que firent, vers le milieu du xive siècle, les compilateurs des Reali di Francia[46]. Cette fois, c’est à la prose qu’on eut recours. Le huitième livre (encore inédit) des Reali est intitulé : la Spagna ; il est tout entier consacré à la grande expédition d’Espagne et à Roncevaux. Suivant M. Gaston Paris (qui n’a pu d’ailleurs étudier que les rubriques de l’œuvre italienne), l’auteur de cette branche des Reali se serait borné d’abord à imiter de fort près la Prise de Pampelune. Mais nous savons en outre que l’auteur de l’Entrée en Espagne, Nicolas de Padoue, avait composé un Roncevaux : c’est fort probablement ce Roncevaux qui est reproduit en substance dans le huitième livre des Reali. Or, si le second poëme de Nicolas de Padoue ressemblait à sa première œuvre, il devait renfermer des fragments considérables de nos poëmes français, ou, pour parler plus exactement, de certains remaniements qui avaient pour base la Chronique de Turpin. Quoi qu’il en soit, il est facile de voir la large place qu’occupe notre épopée nationale, et en

Modèle:Tiret2 notre Roland, dans la littérature italienne, même après le règne de Dante. Les Italiens ont commencé par écouter nos légendes et se les graver dans la mémoire ; puis, ils nous ont pris nos poëmes tout faits ; puis, ils les ont traduits en prose. Ils ne s’arrêteront pas là.

Ces romans en prose, ces Reali, eurent un éclatant succès qu’attestent éloquemment un grand nombre de manuscrits et d’éditions imprimées. Mais les Italiens n’étaient pas faits pour aimer longtemps de telles fictions dépouillées de l’harmonie et de la couleur poétiques. On éprouva de bonne heure le besoin très-vif de mettre en vers les Reali, et en particulier la Spagna. Sostegno di Zanobi se chargea volontiers de cette dernière besogne, à laquelle il apporta, d’ailleurs, plus de bonne volonté que de verve originale. Son poëme, la Spagna istoriata[47], est un calque des Reali, ou plutôt de Nicolas de Padoue. Qu’importe ? Un grand pas vient d’être fait : il existe enfin un poëme épique en vers italiens. Ce poëme, malgré sa médiocrité, ouvre toute une ère nouvelle. Il va, comme l’a si bien dit M. G. Paris, « être le prototype de l’Épopée italienne. » À tout le moins, c’est son point de départ[48].

D’autres poëtes vont venir, mais vigoureux et originaux. Ils regarderont autour d’eux : ils chercheront un sujet, un héros d’épopée. La Spagna frappera leurs oreilles et leurs yeux. « Roland ! s’écrieront-ils, il n’y a que Roland ! » Et Pulci écrira son Morgante maggiore[49], et Boiardo, son Orlando innamorato}} Chanson de Roland (1872) Gautier, I, page 138.jpg[cxxxvij] [50], et l’Arétin, son Orlandino[51], et l’Arioste, son Orlando furioso[52]. Toujours Roland, partout Roland ! Ah ! je le

sais, ce ne sont plus là de véritables Épopées populaires et spontanées. Les amours ardentes, les voluptés lascives, les petites jalousies, le grand style ruisselant et coloré de l’Arioste ne ressemblent plus guère à la simplicité mâle et à la farouche chasteté de notre Roland. Mais enfin, ce sont là nos héros ; et l’Arioste eût en vain cherché des héros italiens dont la célébrité fût comparable à la gloire de notre Charlemagne et de son neveu. Pulci, lui, prétendait se moquer de la chevalerie et narguer les chevaliers ; mais, arrivé à la mort de Roland, ce railleur n’y tient plus. Il se sent soudain une grande âme qu’il veut en vain étouffer, et il pleure magnifiquement, il éclate en larmes sublimes[53]. Quant aux médiocres successeurs de ce grand

poëte, quant aux auteurs de la Rotta de Roncesvalle et de la Vita e Morte d’Orlando[54], ils n’ont à nos yeux qu’un mérite : celui de prouver par leurs œuvres la persistance, l’opiniâtre et indestructible persistance de la légende de Roland. En l807[55] il se trouvait encore un poëte pour rimer des octaves sur la mort de Roland[56]. En 1807 ! En Italie ! C’est sur ce fait qu’on peut terminer l’histoire de notre légende dans le pays de l’Arioste et du Tasse…

Donc, après que l’Italie eut avidement écouté nos traditions épiques, que l’écriture n’avait pas encore fixées ; après que des jongleurs lui eurent chanté nos propres poëmes plus ou moins italianisés ; après qu’on eut réduit nos Chansons de geste en prose italienne ; après que des poëtes italiens eurent traduit cette prose en vers de leur pays ; après ces quatre époques que nous avons essayé de déterminer nettement, une cinquième époque s’ouvrit. Il parut en Italie tout un groupe de génies vigoureux, beaux chanteurs et beaux coloristes, un peu railleurs et dont les larmes étaient mêlées de sourires : Boiardo, l’Arétin, Pulci, et surtout l’Arioste qui fit école et dont les derniers élèves ont écrit je ne sais quelles platitudes rolandiennes jusqu’au commencement du siècle où nous vivons. Il ne nous reste plus qu’à demander à l’Italie quelque reconnaissance pour nos poëtes du moyen âge, et, à défaut de reconnaissance, un peu de justice.

En Espagne

Passons en Espagne, et saluons tout d’abord ce boulevard sublime de la chrétienté contre l’islamisme, ce glorieux

Modèle:Tiret2 des nations chrétiennes. Nous n’avons pas à nous occuper ici de la légende du Cid[57], sinon pour répéter avec le dernier éditeur français de ce beau Chant national : « Le poëme du Cid est du milieu du xiie siècle. Plusieurs critiques le font plus moderne : aucun ne lui a assigné une date antérieure. Or, à la même époque où parut ce premier monument de la littérature espagnole, nous avions déjà, nous, Français, non pas seulement une œuvre isolée, mais toute une littérature. » Et M. Paulin Paris ajoute, avec raison, que le Cid fut composé sur le modèle des Chansons de geste françaises[58]. Sur l’antériorité du Roland, les avis ne sont plus partagés : tous les érudits sont d’accord.

Il n’est pas moins certain que l’Espagne fut de fort bonne heure sillonnée par des jongleurs[59], qui avaient la bouche pleine des noms de Charlemagne et de Roland, et qui racontaient à la française cette légende si française. Mais de très-bonne heure une réaction se fit contre ces récits trop glorieux pour la France, trop oublieux du nom espagnol. La passion s’en mêla ; la jalousie nationale éclata. De là tout un autre groupe, non pas de légendes ou de traditions, mais de récits ou plutôt d’imaginations espagnoles : « Comment ! Charlemagne aurait eu l’audace de faire des conquêtes au delà de nos Pyrénées, sur le noble sol de l’Espagne ! Et voilà ce que nous chantent nos jongleurs ! Nous leur donnons un énergique démenti ; nous protestons contre leurs fables, et allons rétablir la vérité.

À Charlemagne et à Roland nous allons opposer un héros tout espagnol et qui les vaincra. » Ainsi raisonna l’Espagne des xiie siècle- et xiiie siècles. Rodrigue de Tolède[60] fut l’un des premiers à donner un corps à ces protestations trop aveuglément patriotiques. Il raconte, dans sa Chronica Hispaniæ[61], que Roland fut défait à Roncevaux par Bernard del Carpio. Et le voilà, ce héros tout imaginaire qu’on ne craint pas d’opposer à notre héros historique. Alfonse X[62] ira plus loin dans sa Cronica general. Ce roi catholique ne rougira pas de représenter Bernard del Carpio comme l’allié du roi Marsile et des Musulmans. Donc les Espagnols auraient été, avec les païens, les auteurs de ce guet-apens dressé contre une nation sœur, contre un peuple et un roi très-chrétiens ! Il est vrai que, pour raccommoder les choses et effacer un peu l’odieux de ce vilain conte, Alfonse X suppose une seconde expédition de Charles en Espagne qui, du moins, aurait été victorieuse, et tout se termine par l’élévation de Bernard del Carpio au trône d’Italie. C’est le roi des Franks qui prend ce traître par la main et lui met cette couronne sur la tête… Tel est le Roncevaux[63] espagnol. C’est ingénieux peut-être, mais à coup sûr méprisable. Aussi cette version ne réussit-elle qu’à moitié dans le pays même qui avait le plus intérêt à l’adopter. Sans nous y arrêter plus longtemps, nous entrons ici dans la troisième période de cette histoire. C’est celle des Romances[64]. Il sera toujours difficile de

préciser l’époque à laquelle elles furent primitivement composées. Si nous n’en possédons pas aujourd’hui dont la forme soit antérieure au xve siècle, il est très-certain que quelques-unes, par leur fond, peuvent remonter deux siècles plus haut. Eh bien ! c’est parmi ces Romances que l’on va saisir en flagrant délit les divergences des Espagnols au sujet de Roncevaux. Il est, en effet, deux classes bien distinctes de Romances : celles qui sont espagnoles, et celles qui sont françaises d’inspiration. Les premières, comme le Mala la visteis, Franceses, appartiennent au

même courant d’opinion que la Cronica general ; les autres sont sorties de nos Chansons de geste plus ou moins exactement comprises et imitées. À vrai dire, je crois que ce dernier courant finit par l’emporter. L’Espagne aussi a sa Bibliothèque bleue, et son livre le plus populaire, c’est l’Historia de Carlomagno, de Nicolas del Piemonte, qui a conservé depuis 1528 jusqu’à nos jours toute sa fraîcheur, toute sa vogue. Or, qu’est-ce que l’Historia del emperador Carlomagno y de los doce Pares de Francia ? Une traduction pure et simple de notre Conqueste du grant Charlemaine des Espaignes, ou, pour parler plus net, de notre Fierabras auquel on a joint quelques chapitres sur Roncevaux, empruntés au Faux Turpin. Cette traduction espagnole fut elle-même traduite en portugais, et ornée, au xviiie siècle, de deux Suites également portugaises[65], où il n’est plus question de Roncevaux ni de Roland. Bref, la tradition française triomphait dans toute la Péninsule. Les « huit Romances » de Juan Jose Lopez[66] ne sont encore, au xviie siècle (?), qu’un résumé poétique de notre éternel Fierabras. Comme on le voit, le sol de l’Espagne et les oreilles des Espagnols étaient bien préparés pour accueillir tout ce qui chantait la gloire de Roland, et cela bien avant Juan Jose Lopez et ses romances. Lorsque la célébrité de la nouvelle école des poëtes italiens, lorsque la renommée de Boiardo et de l’Arioste franchit la mer et parvint en Espagne, il se trouva une foule de poëtes espagnols pour traduire l’Orlando innamorato et l’Orlando furioso. Ces traductions pullulèrent[67], et l’on entendit partout retentir le nom

de notre héros, qui, déjà habillé à l’italienne, devint bientôt méconnaissable sous le déguisement des traductions espagnoles. Mais tout ce bruit allait cesser[68]. La grosse voix railleuse de Cervantes allait bientôt gourmander tous les fabricants de romans plus ou moins chevaleresques. En 1605, parut la première partie de Don Quichotte[69]. Nous aimerions ce livre, s’il n’avait pas tué la véritable Chevalerie en même temps que la fausse, s’il n’avait pas déshonoré la légende de notre Roland en même temps que celle d’Artus. Malgré la foule de ses admirateurs, nous regardons Don Quichotte comme un livre dont l’influence a été détestable. Il a plu à Victor Hugo de ranger Cervantes parmi les quatorze grands génies de l’humanité. Jamais l’auteur d’une parodie ne méritera tant de gloire. Et nous protestons !

Mais voici que nous avons parcouru toute l’Europe. Partis de France par le Rhin, nous voici par les Pyrenées revenus en France. Avons-nous besoin de dire qu’en France tout est plein de Roland ? Les trouvères et les troubadours n’ont que ce nom aux lèvres, et la Poésie lyrique ne le chante pas moins ardemment que l’Épopée. Les romans de toutes les autres Gestes lui rendent le même hommage, et l’auteur inconnu de la Bataille

Loquifer[70] place notre héros, auprès d’Artus, de Perceval et de Gauvain, dans les délices élyséens de la fameuse île d’Avallon. Ce nom, ce souvenir de Roland, fait en quelque manière partie de la vie publique de nos pères. Toutes les fois que la France est vaincue on n’entend que ce cri : « Ah ! si Roland était là ! » Lorsque Raoul de Caen[71] veut rendre hommage à Robert, comte de Flandre et à Hugues le Grand, il s’écrie : Rolandum dicas Oliveriumque renatos. Et l’on connaît cette histoire mise assez méchamment sur le compte du roi Jean, qui se plaignait de ses chevaliers et à qui l’on aurait insolemment répondu : Non defuturos Rolandos si adsint Caroli. Le mot n’était pas nouveau : Adam de la Halle l’avait déjà prononcé au siècle précédent, et l’auteur de la Vie du monde lui avait donné sa forme définitive, lorsqu’il avait dit : Se Charles fust en France, encore i fust Rolans. Paris aimait particulièrement le souvenir du neveu de Charlemagne : on lui attribuait (sans aucun fondement) la fondation de l’église Saint-Marceau[72]. Le voyageur trouvait dans nos rues, dans nos maisons, partout, le nom et l’image de notre héros. C’étaient les enseignes, c’étaient les vitraux[73], c’étaient les jongleurs de gestes qui, au xve siècle encore, chantaient Roncevaux aux grandes fêtes de l’année ; c’étaient ces livres populaires et ces grossières images dont nous avons parlé. Bref, la gloire de Roland était à son apogée. Mais, hélas ! l’heure de l’oubli et de l’ingratitude allait bientôt sonner.

Voici la Renaissance : notre légende va mourir.


Notes explicitées


  1. La Kaisercronik a été publiée en 1849, par Massmann, à Quedlinburg, (3 vol.) ═ V. sur cette œuvre, dont quelques traits ne se trouvent nulle part ailleurs, notre note du v. 96, et surtout l’Histoire poétique de Charlemagne (p. 278). Nous avons eu lieu, dans le cours de ce chapitre, de nous reporter souvent au livre de M. Gaston Paris.
  2. Le Ruolandes Liet a été publié en 1838, à Gœttingue, par W. Grimm, in-8o.
  3. G. Paris, Histoire poétique de Charlemagne, p. 121.
  4. « Créateur de toutes choses, Empereur de tous les rois, Maître souverain, apprends-moi toi-même la parole ; envoie à ma bouche ta sainte science pour que j’évite le mensonge et que je n’écrive que la vérité. Je veux dire comment Charles, l’Empereur, conquit le royaume de Dieu. » (Ruolandes Liet, vers 1-11.)
  5. Nous avons déjà emprunté à M. G. Paris la traduction d’un passage du Ruolandes Liet, qui est tout à fait caractéristique et que nous prions notre lecteur de vouloir bien comparer à la strophe lxxxvi de notre vieux poëme. Le contraste est éclatant. Il s’agit d’Olivier, qui invite Roland à sonner de son cor… : « Le noble Roland parla, il leva sa main : « Si cela ne t’était pas pénible, cher compagnon, je te jurerais par serment que je ne sonnerai point de mon cor. Il n’y a pas tant de païens que ce ne soit pourtant leur dernier jour. Je te le dis en vérité : ils sont jugés devant Dieu, et ainsi se purifieront par le sang des martyrs du Seigneur (?). Plaise à Dieu que je sois digne de mériter ce nom, je m’y soumettrais volontiers. Qu’il est né heureusement celui que Dieu a choisi pour mourir dans son service ! Il lui donne comme salaire le Royaume du ciel. Pour ces vilains païens je ne veux pas sonner mon cor. Ils croiraient que nous avons peur ou que nous avons besoin de secours contre eux, et ce sont les pires gens du monde. Je donnerai aujourd’hui leur chair en pâture aux corbeaux, et leur joie sera vite passée. Dieu veut ici montrer ses merveilles, et la bonne Durandal fera voir sa vertu. »
  6. Henri le Lion (1173-1177), ou son père (1139).
  7. Le Karl, du Stricker, a été publié en 1857, à Quedlinburg, par M. Bartsch. — L’illustre F. Wolf en avait fait une bonne analyse, accompagnée d’extraits, qui parut dans la première édition du Roland, par Fr. Michel.
  8. Sauf cependant dans son Introduction où il raconte, d’après des traditions orales, l’enfance et la jeunesse de Charlemagne.
  9. Le Karl Meinet a été publié en 1858 par Ad. Keller, et M. Bartsch en a fait, trois ans plus tard, l’objet d’un travail considérable : Ueber Karl Meinet, ein Beitrag zur Karlsage, von Karl Bartsch, Nürnberg, in-8o, 1861.
  10. Voici une Bibliographie abrégée des travaux dont les « Rolandssaülen » ont été l’objet : « a. Joh. Gryphiander, De Weichbildis saxonicis, sive colossis Rulandinis urbium quarumdam Saxonicarum, commentarius historico-juridicus, Argentorati, 1666, Modèle:In-4o. — b. J. F. Rhetius, Disputatio jur. publ. de Statuis Rolandinis in urbibus et vicis quibusdam Germaniæ, etc. (fin du xviie siècle), in-Modèle:4o. — c. J. H. Eggeling, De Statuis Ruhlandicis (Dissert. miscellan. Germaniæ antiquitatum quinta), sans lieu, 1700. — d. Second Voyage littéraire de deux religieux bénédictins (p. 250, sur la statue de Roland à Stadtberg), 1724. — e. J. F. Pfeffinger, Corpus juris publici (t. II, lib. I, tit. xviii, § 15, p. 822-827), Francf. ad Mœnum, 1754, in-Modèle:4o. — f. Encyclopédie de d’Alembert et Diderot, au mot Roland. — g. Fr. Michel, la Chanson de Roland, première édition, 1837, in-Modèle:8o, p. 213. — h. F. Génin, la Chanson de Roland, 1851, in-Modèle:8o (Introduction, p. 22). — i. Zœpfl, Die Rolandssaülen, 1861. — j. Dr Hugo Meyer, Abhandlung über Roland, Brême, 1868. — k. G. Paris, Article de la Revue critique du 11 février 1870, sur l’œuvre du Dr Meyer.
  11. « Il existe des piliers ou colonnes tout analogues appelées Tiodute ou colonnes de Tio (le même qu’Irmin). Or Rodo n’est qu’un surnom de Tio ou d’Irmin. Donc, ce sont les « piliers d’Irmin » qui ont persévéré sous le nom de Rolandssaülen. » Tel est le résumé de la doctrine de M. Hugo Meyer.
  12. Das Rolandslied, das älteste französische Epos, ubersetzt von Dr Wilhelm Hertz. Stuttgart, 1861, in-8o.
  13. Kerlingisches Heldenbuch, Francfort, 1855.
  14. Contes allemands, imités de Hebel et de Simrock, par N. Martin. Paris, Hachette, 1867.
  15. Les fragments L. et H., xiiie siècle. Nous avons traduit pour la première fois, dans nos Épopées françaises (t. II, p. 415), une partie du texte de Looz. Nous ne jugeons pas utile d’en traduire ici un autre passage. La version flamande manque de toute originalité. Si elle est plus brève que notre vieux poëme, c’est qu’elle en est un abrégé.
  16. Les fragments R. et B., xive siècle.
  17. La Chanson de Roncevaux, fragments d’anciennes rédactions thioises, avec une Introduction et des remarques, par J. H. Bormans, Bruxelles, 1865, in-8o.
  18. Bibliothèque de l’École des Chartes, mars, avril 1865, t. XXVI, p. 384 et suivantes.
  19. Hier beghint den droeflijcken strijt opten berch van den Roncevale in Spaengien gheseiet, daer Roelant end Olivier metten fleur van Kerstenryck verslagen waren, 1576. Le Privilége est de 1552. V. G. Paris, l. I., p. 137. ═ Toutes ces œuvres néerlandaises manquent de caractère littéraire : c’est ce qui nous décide à n’en traduire aucune.
  20. Voir la note expliciciiée : Karlamagnus’s Saga.
  21. Ms. de la Bibl. de Stockholm, Modèle:N°22 et Modèle:N°1.
  22. Ms. de la même Bibliothèque, Modèle:N°7.
  23. V. Geoffroy, Notices et extraits de manuscrits concernant l’histoire ou la littérature de la France, qui sont conservés en Suède, Danemark et Norwége. (Paris, 1855.)
  24. La Karlamagnus’s Saga fut traduite en suédois ; mais nous ne possédons de cette translation que les branches viii et ix. Or la huitième est précisément Roncevaux. (V. Rietz, Scriptores Suecici medii œvi, t. iv, Lund, 1842 et années suivantes.)
  25. Pour se donner une idée littéraire de la Karlamagnus’s Saga et de la Keiser Karl-Magnus’s Kronike, v. la note du v. 4002.
  26. V. Pedersens Skrifter, édit. Brandt, 1856. ═ Pedersen n’a fait que réviser un texte antérieur, et nous en possédons un du xve siècle.
  27. Keiser Karl-Magnus’s Kronike, édit. Elberling, Copenhague, 1867, in-18. ═ C’est d’après cette édition que le texte danois a été, par nos soins, traduit pour la première fois en français, et nous offrons plus loin cette traduction à l’attention de notre lecteur. Déjà la Kaiser Karl-Magnus’s Kronike avait été, en 1827, publiée à Copenhague (Dansk og norsk national-vörk, etc.).
  28. Le goût des études sur nos vieilles Chansons est encore très-vivant en Danemark. En 1860, il a paru à Copenhague tout un traité sur la Chanson de Roland que nous avons entre les mains : Rolandskvadet, etc. L’auteur est C. Rosenberg.
  29. V. des fragments du Roland anglais dans l’édition de la Chanson de Roland, de F. Michel, pp. 279-284. ═ Cf. Meyer, Bibliothèque de l’École des Chartes, t. XXVIII, p. 309 ; Épopées françaises, t. I, p. 415.
  30. C’est ce qu’a démontré G. Paris, Histoire poétique de Charlemagne, p. 157 : « Le seul nom d’Henri Bolomyer, chanoine de Lausanne, suffit pour nous faire voir que Caxton avait simplement traduit, et, comme il le dit lui-même, réduit en anglais le livre de la Conqueste de Charlemaigne ou de Fierabras, dont la Préface est, en effet, adressée à maistre Henri Bolomyer, chanoine de Lausanne. »
  31. Cette traduction, signée de Mme Duchinska (M. Pruszak), est en vers blancs, quelquefois rimés. Elle a paru en janvier 1866 dans la Bibliothèque de Varsovie.
  32. Galeoti Martii Narniensis, De Dictis et factis Matthiæ regis, cap. xii. — Scriptores rerum Hungaricarum, ed. Joanne G. Schwanduero, Vindobonæ, 1746-1748, t. I, p. 543.
  33. De Puymaigre, les Vieux Auteurs castillans, II, 323.
  34. Λαονιϰοῦ Χαλϰοϰονδούλου Αθηναίου ἀπόδειξις ἱστορίων δέϰα. (Parisiis, e typ. regia, 1650, in-fo.) Le Chroniqueur admet (p. 45-46) la fable de Roland « mourant de soif ».
  35. Thévenot en ses Voyages. Cf. Moreri, au mot Burse.
  36. On a contesté cette attribution. Mais, alors même que le mot Durindarda aurait été écrit après coup sur l’épée d’un de ces deux chevaliers, cette addition serait encore une preuve de la popularité de notre héros.
  37. Lebas, Recueil d’inscriptions, 5e cahier, p. 191, cité par Génin, I. l., Introduction, p. xxi. ═ Cf. la fameuse inscription de Spello, que nous avons citée plus haut.
  38. Les textes suivants attestent la popularité de ces jongleurs qui, entre vingt autres héros, chantaient surtout Roland. Transportons-nous, durant le xiiie siècle, à Milan : nous y entendrons retentir les noms d’Olivier et de son ami, l’immortel neveu de Charles. « Cantabant histriones de Rolando et Oliverio. » (Muratori, Antiquitates italicœ, Dissertatio xxix, t. II, col. 844.) Et la foule se presse à tel point autour de ces chanteurs populaires qu’il faut, en 1288, défendre aux cantatores Francigenarum de s’arrêter sur les places de Bologne, où ils deviennent le centre d’attroupements trop épais et dangereux pour la sécurité publique : « Ut cantatores Francigenarum in plateis ad cantandum omnino morari non possint. » (Muratori, l. I.) Or, ces Francigenæ, qu’étaient-ils, sinon Charlemagne et son neveu ? « Malgré tout, ajoute M. G. Paris, le goût du peuple pour ces rapsodes ne se refroidit pas : il était encore aussi vif au xve siècle qu’au xiiie siècle-, comme nous le montre une historiette racontée par le Pogge. Il s’agit d’un honnête bourgeois milanais qui, ayant entendu un de ces gens qui chantent au peuple les gestes des héros (qui gesta heroum ad plebem, decantant) raconter la mort de Roland, rentre chez lui plongé dans une telle douleur, que sa femme et ses proches ne peuvent qu’à grand’peine l’en consoler. » (Fac. 81, édit. de Jean Petit, Paris, 1511.)
  39. Il s’agit ici du texte qui, parmi les Manuscrits français de la Bibliothèque Saint-Marc, porte le Modèle:N°iv. — Quant au Modèle:N°vii, il renferme au autre Roland ; mais c’est un remaniement dont la langue n’est pas italianisée.
  40. Manuscrits français de la Bibliothèque de Saint-Marc, Modèle:N°v. Ce texte a été publié de par M. Mussafia. (Vienne, 1864, in-8o.)
  41. B. N. 1598, et Manuscrits français de la Bibliothèque de Saint-Marc, Modèle:N°iv et vi.
  42. Bibliothèque de Saint-Marc, Manuscrits français, Modèle:N°xxi. Nous avons publié une Analyse complète de cette compilation et des Extraits importants (un millier de vers environ).
  43. Bibliothèque de Saint-Marc, Manuscrits français, Modèle:N°xiii.
  44. F. Guessard, Macaire, dans le Recueil des anciens poëtes de la France, t. IX, 1864. — Ad. Mussafia, à Vienne, en 1864 (en même temps et dans le même volume que la Prise de Pampelune).
  45. Ces vers sont extraits de Macaire et peuvent servir de type ; mais en voici du Roland de Venise, auxquels s’appliquent les mêmes observations : A nostri infanti fara trençer le teste. — Assa e meio che il la via perde, — Che no perdamo clere Spagne la belle. Et, plus loin : Ses aste e fraita et son escu detrencié ; — De soa bocla non a que meço pié ; — E son oberg ronpu et desmaié — E de s’espée sanglant n’oit l’aschié. — El vient del’ camp ô li culpi fu fié : — Deus ! qual baron se il fu cristié ! — Al roi Marsilio l’oit dit et contié. — Molt altament il comença à crié : — Bon roi de Spagna, ô esforç civalcié. (Cf. le couplet cxiv-cxv de notre texte.) Ce n’est pas là, encore un coup, une langue ni un dialecte particulier. Certains vers sont brutalement copiés sur le texte français, ainsi que la plupart des mots dans les autres vers. Puis, à côté de ces éléments servilement empruntés au texte français, il est certains vocables qu’on a grossièrement cherché à revêtir d’une apparence italienne : bocla, meço, Marsilio, Spagna, etc. D’autres mots enfin ne représentent que certains accidents de prononciation italienne, comme Çarlemaine, çent, çance, çamai, vençeç, etc. Ce qui prouve bien d’ailleurs que nous n’avons pas affaire ici à un langage spécial, c’est que tantôt nous trouvons les formes françaises soe, vie, meç, cent, bataille, etc., et tantôt, quelques vers plus loin, les formes italianisées : soa, via, meço, cento, bataila, etc. Il y a d’autant moins à répondre à ces arguments véritablement décisifs que M. G. Paris lui-même, auteur de cette hypothèse d’une langue romano-lombarde, a écrit les lignes suivantes : « Il suffit, dit-il, de citer le Trésor de Brunetto Latini, la Chronique vénitienne de Martino da Canale, les Voyages de Marc Pol, les œuvres de Rusticien de Pise, pour prouver que le français était la langue littéraire du nord de l’Italie vers la fin du xiiie siècle. » (Histoire poétique du Charlemagne, p. 163.)
  46. On peut dire, dans l’état actuel de la science, que les Reali se composent de quinze ou seize livres. Ils furent composés vers 1350, et fort Modèle:Tiret2 par un ou plusieurs auteurs lombards. Chose singulière, les six premiers, consacrés à des traditions relativement récentes et de médiocre importance, ont eu la plus brillante destinée. Ils furent imprimés dès 1491, à Modène ; puis, en 1496, à Florence ; puis, réimprimés avec fureur dans toutes les villes « typographiques » d’Italie, et notamment onze fois à Venise, oui, à Venise seulement, avant la fin du xvie siècle. Melzi a donné très-exactement le détail de toutes ces éditions. (Bibliografia dei romanzi e poemi cavallereschi italiani. Milan, éditions de 1829, 1838, etc.) Quoi qu’il en soit, il faut considérer les Reali, et en particulier ces six premiers livres, comme l’équivalent de nos remaniements en prose, lesquels, comme on le sait, suivaient d’assez près nos romans en vers. ═ Les six premiers livres des Reali correspondent à nos romans de Floovant, (I, II), Octavien (III), Beuves d’Hantone (IV et V), Berte au grand pied et les Enfances Charlemagne (VI). Jusqu’à l’année 1835, on ne connut des Reali que ce qui précède. Un célèbre historien allemand, M. Ranke, découvrit alors trois livres qui font suite aux précédents, et étaient restés inédits : c’étaient l’Aspramonte, qui répond, en effet, à notre Aspremont ; la Spagna (Entrée en Espagne, Prise de Pampelune, Roncevaux), et la Secunda Spagna (Anseïs de Carthage). ═ Mais là ne se terminait pas la grande compilation en prose italienne du xive siècle. Les six ou sept livres des Nerbonesi la complétaient, et les Nerbonesi représentent notre cycle de Guillaume-au-court-nez (surtout les Enfances Guillaume, le Couronnement Looys, Aliscans et Foulques de Candie). « On regarde ces livres comme perdus, » disait en 1865 M. G. Paris, dans son Histoire poétique de Charlemagne (p. 190). Il se trompait : nous en possédons au moins cinq manuscrits à Florence, que nous avons minutieusement énumérés, décrits et mis à profit pour le troisième volume de nos Épopées françaises (p. 31 et suivantes).
  47. Le Libro chiamato la Spagna fut écrit au xive siècle. Suivant G. Paris, Sostegno di Zanobi écrit directement d’après les poëmes français, « qu’il suit jusque dans les détails. » (l. I, p. 192.) On trouve des fragments de la Spagna istoriata à la fin du Roland de Fr. Michel (1re édition). Imprimée pour la première fois en 1487 à Bologne, elle fut réimprimée à Venise en 1488, 1514, 1534, 1557, 1564, et à Milan en 1512 et 1519. Ce fut un grand succès.
  48. Il convient de citer, comme appartenant de loin à la même famille que la Spagna, l’Innamoramento di Milone d’Anglante e di Berta, poëme toscan des premières années du xvie siècle (Milan, 1529 ; Venise, 1548) ; et surtout la Rotta de Roncesvalle (Florence, s. d., puis 1590 ; Sienne, 1607, etc.).
  49. La première édition est de 1485 (Venise).
  50. M. G. Paris, (l. I, p. 198) rapproche le Mambriano, œuvre de Francesco Bello, de l’Orlando innamorato dont la première édition parut à Venise en 1486.
  51. Sans date : « Stampato nella stampa pel maestro della stampa dentri de la citta, in casa e non defuora, nel mille… vallo cercha. »
  52. Voir la note expliciciiée : Orlando furioso
  53. Pulci, Morgante maggiore, ch. xxvi, str. 152, 153 :

    Modèle:VersRolandOrlando ficcò in terra Durlindana ;
    Poi l’abracciò, e dicea : « Fammi degno,
    Signor, chi’o riconosca la via piana.
    Questa sia in luogo di quel santo legno,
    Dove pati la giusta carne umana ;
    Si che il cielo e la terra ne fè segno.
    E non sanza altro misterio gridasti :
    Eli, Eli ! tanto martir portasti. »

    Modèle:VersRolandCosi tutto serafico al ciel fisso,
    Una cosa parea trasfigurata,
    E che parlasse col suo crocifisso.
    O dolce fine ! O anima ben nata !
    O santo vecchio ! O ben nel mondo visso !
    E finalmente, la testa inclinata,
    Prese la terra, come gil fu detto,
    E l’anima ispirò del casto petto…

  54. Nous avons cité ailleurs la plupart des œuvres qui sortirent de la trop nombreuse école poétique de Boiardo et de l’Arioste ; nous avons signalé (Épopées françaises, II, pp. 404, 405) les Remaniements de l’Orlando innamorato par Domenichi (1545) et par Berni (1541) ; sa Continuation par Agostini (1506-1528) ; les Suites de l’Orlando furioso dues à Pescatore (1548-1551) et à Pauluecio (1543) ; l’Antafor de Barosia (1519) ; la Dragha d’Orlando (1525 et 1527) ; les Prime emprese del c. Orlando par Dolce (1572) ; la Gran Ballaglia dal gigante Malossa fatta con Orlando (1567 et 1575) ; la Rotta de Roncesvalle, que nous venons de nommer ; le Di Orlando santo vita e morte con venti mile cristiani uccisi in Roscivalli, cavata del Catalogo de’ santi (1597), et enfin l’Orlando d’Ercole Oldoïno (1595).
  55. En 1795, Fed. Asinari avait publié son Dell’ira d’Orlando.
  56. La Morte di Orlando, Ottave d’Ermolao Barbaro.
  57. Damas Hinard, Le Poëme du Cid, Introduction, p. lv.
  58. Étude sur les Chansons de gestes, Correspondant, année 1864, p. 733.
  59. Alfonse X, en sa Cronica general, parle souvent des cantares de gesta et des juglares, et il en parle au sujet de légendes évidemment empruntées à nos vieux poëmes (V. G. Paris, l. I, p. 204). Quant à notre légende de Roland, elle avait pénétré en Espagne tout au moins dès le xiie siècle. « La preuve, dit l’auteur de l’Histoire poétique de Charlemagne, se trouve dans un poëme latin composé à la louange du roi Modèle:Roi, peu de temps après la mort de ce prince (1157). L’auteur, louant un guerrier, dit de lui : « S’il avait vécu au temps de Roland, et qu’il fût le troisième avec lui et Olivier, la nation des Sarrasins serait sous le joug des Français. » (Florez, Espana Sagrada, XXI, 405.)
    Tempore Roldani si tertius Alvarus esset, etc.
  60. Il mourut en 1247.
  61. Rodericus Toletanus, Rerum in Hispania gestarum Chronica, lib. IV, cap. x et xi.
  62. De 1252 à 1284.
  63. V. la Cronica general, éd. de Valladolid, 1604, fo 32, et 115 vo.
  64. M. Francisque Michel a publié les romances suivantes : Un gallardo pelerin (Roland, 1re éd., p. 245). — En los canpos de Alvenlosa (p. 246). — Cuando de Francia partimes (p. 249). — Per muchas partes (p. 250). — En Paris esta dona Alda (p. 251). — Mala la visteis, Franceses (p. 253) ; puis, les romances de Bernart del Carpio (pp. 259-275). ═ Dans sa Silva de Romances viegos (1831), J. Grimm avait, cinq ou six ans plus tôt, publié ces trois romances sur Durandal : Por el rastro de la sangre que Durandarte dexava… — O Belerma, o Belerma, por mi… — Durandarte, Durandarte, buen cavallero provado… » (V. dans Primavera y flor de
    Modèle:Tiret2 de F. Wolf et C. Hoffmann, le t. I, 26-47 et le t. II, 313 : Domingo era de ramos, etc. — Cf. le Romancero d’Aug. Durant, II, pp. 229-243, et le Romancero general, I, p. 261). ═ Il faut lire dans les Vieux auteurs castillans du comte de Puymaigre (II, pp. 323-325), le chapitre très-intéressant sur les Romances du cycle carolingien. Nous lui avons déjà emprunté (Épopées françaises, II, p. 417) la traduction de la romance : En Paris esta dona Alda, que notre lecteur voudra sans doute rapprocher du récit touchant de la mort d’Aude, dans notre vieille Chanson française : « A Paris est doña Alda, la fiancée de don Roland. Trois cents dames sont avec elle pour l’accompagner. Toutes portent mêmes chaussures, toutes mangent à une même table, toutes mangent du même pain à l’exception de doña Alda, qui est supérieure à toutes. Cent dames filent de l’or, cent tissent de la soie, cent touchent des instruments pour réjouir doña Alda. Au son des instruments, doña Alda s’est endormie. Elle a fait un songe, un songe douloureux. Elle se réveille toute troublée et avec une épouvante très-grande. Elle pousse de tels cris qu’on les entend par la ville. Alors parlèrent ses demoiselles ; écoutez bien ce qu’elles dirent. « Qu’est-ce que cela, Madame ? Qui vous a fait mal ? — « J’ai fait un songe, Demoiselles, qui me donne un grand chagrin. Je me voyais sur une hauteur, dans un lieu désert. Sur les montagnes fort élevées, je vis voler un autour ; derrière lui venait un aiglon qui le serrait de près. L’autour, avec crainte, se mit sous ma jupe ; l’aiglon, avec colère, l’en tira. Il le plumait avec ses serres, il le perçait avec son bec. » Alors parla sa camériste ; vous écouterez bien ce qu’elle dira : « Ce songe, Madame, je veux vous l’expliquer. L’autour est votre fiancé, qui vient d’outre-mer ; l’aigle, c’est vous, avec laquelle il a à se marier ; la montagne, c’est l’église où l’on doit vous unir. — S’il en est ainsi, ma camériste, j’entends te bien récompenser. » Le lendemain matin on apporta une lettre écrite en dedans et en dehors, écrite avec du sang. Elle disait que son Roland était mort à la bataille de Roncevaux. » — Nous citions à la suite de cette romance une traduction du Domingo era de ramos et renvoyions notre lecteur au Per muchas partes que le P. Tailhan a traduit (Études religieuses, VIII, p. 41), et où l’on voit Roland tomber mort à Roncevaux, mort de douleur, dès qu’il aperçoit le visage désespéré de son oncle Charlemagne.
  65. Segunda parte (1737) par Jeronimo Moreira. — Terceira parte (1745), par Alexandro Caetano Gomez Flaviense.
  66. Romances de Charlemagne et des douze Pairs de France, qui contiennent les combats d’Olivier et de Fierabras, les amours de Florippe et de Guy de Bourgogne avec beaucoup d’autres aventures, amours et guerres. On y rapporte aussi la bataille de Roncevaux, la mort de Roland et d’autres pairs de France, le tout suivant l’Histoire de Charlemagne et la Chronique de l’archevêque Turpin. (Cf. le Romancero d’Aug. Durant, II, p. 229-243, le Romancero general, I, 267 et les Vieux Auteurs castillans, de M. de Puymaigre, II, p. 327).
  67. Des traductions de l’Orlando innamorato, de Boiardo, parurent à Séville en 1545, 1549, 1550 (sous ce titre : Espejos de cavallerias) ; à Lerida en 1578 (par Martin Abarca) ; à Alcala en 1577 ; à Tolède en 1581 (par Francesco Garrido de Villena). L’Orlando furioso fut traduit par Fernando de Alcazer (Tolède, 1510) ; par D. Jeron. de Urrea (Anvers, 1549) ; par Nic. Espinosa (Saragosse, 1555) ; par Diego Basquez de Contreras (Madrid, 1585), etc. (V. nos Épopées françaises, II, 403.)
  68. M. Fr. Michel a donné, dans la 1re édition de son Roland (p. 276), la liste de toutes les pièces de théâtre espagnoles où il est question de Roland. L’Épopée ne chantait pas moins vivement notre héros. V. l’Espana defendida, poema heroyco de Christoval Suarez de Figueroa (Madrid, 1612), et El Bernardo o Victoria de Roncesvalles, poema heroyco del doctor don Bernardo de Balbvena, etc. (Madrid, 1624), etc.
  69. C’est surtout contre les Romans d’aventure ou de la Table-Ronde que Don Quichotte fut écrit. Cependant Cervantes s’attaque plus d’une fois aux souvenirs de notre vieux poëme : « Quant au traître Ganelon, notre gentilhomme (don Quichotte) eût donné de très-bon cœur sa servante, et sa nièce par-dessus le marché, pour lui pouvoir donner cent coups de pied dans le ventre. » (Ch. i.)
  70. Dans la première édition de son Roland (p. 207-209), M. Fr. Michel a cité un certain nombre de passages de nos troubadours et de nos trouvères qui se rapportent au neveu de Charlemagne.
  71. Radulfus Cadomensis, Gesta Tancredi in expeditione Jherosolymitana ; Recueil des Historiens des Croisades, Paris, 1866, p. 627.
  72. « Cette église a été fondée par Roland, neveu de Charlemagne, qui y fit beaucoup de biens en donnant de grands priviléges aux Chanoines qui la servaient ». (Histoire et Recherches des Antiquités de la ville de Paris, par M. Henri Sauval, I, 432.) Cette même fable est adoptée par le P. Giry, minime, auteur d’une Vie des Saints très-connue.
  73. Tel est le vitrail de Charlemagne à la cathédrale de Chartres. Nous reproduirons, dans nos Notes et Variantes, le médaillon qui représente Roland fendant le rocher.