La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition critique/1872/Introduction/Remaniements

De Wicri Chanson de Roland

Les remaniements


xii. — d’un second outrage que reçut le roland
les remaniements


Les Épopées nationales de tous les peuples, ces chants primitifs et presque barbares, subissent la loi commune : ils vieillissent. Il arrive un jour où cette poésie simple n’est plus suffisamment comprise. Tantôt c’est la langue ou la versification de ces vieux poëmes qui paraît décidément trop grossière ; tantôt ce sont leurs idées qui ne semblent plus assez délicates. Cependant on les aime encore, et l’on ne parle pas de les abandonner. Si l’on pouvait seulement les corriger ! Si l’on pouvait polir ce langage trop âpre, adoucir ces vers trop rudes, civiliser enfin ces idées trop sauvages ! Voilà ce que l’on pense, voilà ce que l’on dit, mais d’abord tout bas. Puis, un jour, le grand mot est lâché : « Il faut les rajeunir. » Et il se trouve toujours quelques poëtes de rencontre, charmants d’ailleurs et bien intentionnés, pour tenter cette ingrate besogne. C’est alors que les Iliades sont remises sur le métier ; c’est alors qu’on s’imagine les transformer, en les déformant. On leur enlève tous leurs angles, on les rabote, on les vernit. Les voilà élégantes, hélas ! les voilà à la mode, et ces augustes vieillesses sont couvertes d’oripeaux. C’est le destin, et la Chanson de Roland a dû passer par là.

Notre vieux poëme a donc été remanié, lui aussi. Il a été livré aux « rajeunisseurs ». Mais ce désastre était inévitable, et il faut accorder aux rajeunisseurs trop outragés le bénéfice des circonstances atténuantes.

Comme toutes nos Chansons primitives, le Roland avait été fait pour être chanté, et non pour être lu. Le poëte n’avait pensé qu’aux oreilles, et non point aux yeux. De là ces assonances primitives dont nous avons parlé plus haut, ces assonances par la dernière voyelle accentuée, dont savent encore aujourd’hui se contenter les illettrés de nos campagnes. Cette versification était à l’adresse d’une nation qui ne lisait pas. Le XIe siècle s’y

complut ; le xiie siècle- ne s’y déplut pas trop. Mais voici le XIIIe siècle- : tout change. Le nombre des lettrés augmente. On veut bien encore écouter, mais on lit. Les assonances ne suffisent plus ; la rime devient nécessaire, la rime qui s’empare de toute la dernière syllabe, la rime qui est une assonance perfectionnée et, disons le mot, une « assonance pour les yeux ».

Voilà le point de départ nécessaire de tous nos rajeunisseurs, voilà la raison d’être, voilà l’origine de tous les remaniements de nos Épopées, et, en particulier, de notre Roland. C’est là le point capital qu’il faut mettre en lumière. Tout est sorti de là. Dès que le plus ancien des rajeunisseurs eut, pour la première fois, touché à une assonance de Roland pour la transformer en rime, ce jour-là même tout fut perdu. Cette seule modification en entraîna cent autres, et toute la physionomie de notre vieille Épopée fut irrémédiablement changée. Nous allons le démontrer.

Le rajeunisseur est à l’œuvre… Il ouvre le vieux poëme, et en lit toute la première laisse : « Comment ! voici magne, dit-il, qui rime avec fraindre, et ateignet avec enaimet : c’est intolérable, et presque scandaleux. Mes lecteurs ne veulent plus de ces consonances ridicules, et mes auditeurs eux-mêmes sont devenus moins faciles. Allons, allons, je vais faire rimer en aigne tous les vers de ce couplet. » Et il le fait. Il y va même d’un tel train qu’il écrit treize vers au lieu de neuf. Mais ce résultat est loin de lui déplaire : « Passons, dit-il, au deuxième couplet. » Et il le lit dans le petit manuscrit qu’il a sous les yeux, et où est le texte original. « Hem ! hem ! ajoute ici notre homme en se grattant la tête, que ferais-je bien de ces rimes en uce, umbre, unte, umpe, etc. etc. ? Vais-je choisir entre elles la plus commode, ainsi que je l’ai fait pour le premier couplet ? Mais la plus commode, hélas ! me paraît fort incommode. Bast ! je vais faire un coup d’état et changer toutes les assonances de ce second couplet. Cette laisse sera en er. En er, c’est si facile ! » Et il écrit bravement ses vingt vers au lieu de quatorze. Là-dessus, il se frotte les mains et paraît fort content de lui.

C’est ainsi qu’il procède à l’égard de toutes les autres laisses. Il change entièrement le système des assonances pour les strophes iv, vii, x, xii, qui lui paraissent absolument intransformables. Il se contente, aux couplets iii, v, vi, viii, ix et xi, de perfectionner l’assonance et de la transformer en rime rigoureuse, ou, comme on le disait alors, léonine. Et tel est son premier travail, qui maintenant est nettement défini. Il porte sur des couplets entiers et consiste « à en changer toutes les assonances, tantôt en les remplaçant par un système de rimes toutes nouvelles, tantôt en conservant la voyelle sonore qui reliait entre elles les assonances de toute une laisse antique, mais en faisant désormais suivre cette voyelle par la même consonne[1]. » Cette besogne ne laisse pas d’être quelquefois ennuyeuse. Aussi notre rajeunisseur n’est-il pas médiocrement impatienté. Son mécontentement va en grandissant ; il éclate aux couplets lxxvii et lxxviii[2]. Là il se trouve en présence d’assonances difficiles : « Bah ! dit-il, je m’en vais

les transcrire telles qu’elles sont dans mon vieux manuscrit : honni soit qui mal y pense ! »

Et voilà sans doute pourquoi, dans certains remaniements du Roland[3], nous pouvons lire çà et là un certain nombre de couplets primitifs. Heureuse faute, et à laquelle nous devons plus d’un précieux fragment de la version originale !

Le premier travail du remanieur portait sur le couplet épique ; le second a seulement le vers pour objet… Donc le rajeunisseur vient d’adopter, pour toute une strophe de son remaniement, une rime qui se rapproche plus ou moins des assonances du texte original. C’est bien ; mais il faut maintenant qu’il reprenne en sous-œuvre tous les vers de l’ancien couplet, et il faut qu’il les refasse ou tout au moins qu’il les modifie un par un, pour leur donner la rime voulue. Si, par exemple, il a pour son premier couplet adopté une rime en aigne, comment pourrait-il laisser dans son refazimento un vers tel que le suivant : Mur ne citet n’i est fremés à fraindre[4] ? Il lui faut le refaire et l’adapter à la rime qu’il a choisie. Le rajeunisseur alors se frappe le front, et, tout inspiré, enfante le vers suivant : Ne mur tant aut qu’à la terre n’enfraigne[5].

De même, un peu plus loin, il ne peut tolérer, en cette même strophe, les deux vers suivants : Li reis Marsilies la tient ki Dieu n’enaimet, — Mahumet sert e Apolin recleimet[6]. Tout cela est à changer. Allons, vite, deux rimes en aigne. Les voici : Là est Marsille qui la loi Dieu n’endaigne. — Mahomet sert, mot fait folle gaaigne[7]. « Peuh ! direz-vous, que c’est chevillé, que c’est plat ! » Il est vrai ; mais les rimes sont si riches !

Que d’exemples nous pourrions citer[8] ! Presque toujours

le remaniement est inférieur au texte original : il s’y fallait attendre. Voici que, pour un couplet nouveau en ie, il faut modifier le texte primitif : Si vengez cels que li fels fist ocire[9]. Le remanieur n’hésite pas, et produit cette insigne cheville : Si vengez cels cui joie il a fenie[10]. Voilà qu’il s’agit de faire entrer dans une laisse en a ce vers très-simple : Li reis Marsilies est mult mis enemis[11]. Rien de plus aisé : Marsilions ainc gaires ne nos ama[12]. Au lieu de : Cunseill d’orguill n’est dreiz que à plus munt[13], nous aurons cette platitude : Conseil d’orguel ne vaut mie un boton[14]. Certains couplets sont ainsi modifiés fort exactement vers par vers, sans additions réelles ni suppressions aucunes… Mais notre lecteur a maintenant la clef de ce système, et pourrait au besoin se faire lui-même rajeunisseur de Chansons de geste. Encore un coup, tout vient de la rime, que l’on préfére à l’assonance.

Toutefois, la besogne n’est pas toujours aussi simple, et l’on ne peut pas toujours remplacer aisément un vers assonancé par un vers, par un seul vers rimé. Le remanieur, en ce cas qui est assez fréquent, ne craint pas de se dévouer et, plein de zèle, met deux vers et même trois à la place d’un seul. C’est là son troisième travail, qui lui est, comme le précédent, commandé par une nécessité impérieuse. Il s’agit, par exemple, de traduire, dans un nouveau couplet en a, ce vers du texte original : Voet par ostages, ço dist li Sarrazins[15]. En un vers, la chose est difficile, presque impossible. Le rajeunisseur n’est pas long à prendre son parti, et nous offre ces deux vers : Dist li Païens : « Sire, ben le fera — Par bons ostages que il vos enverra[16]. » Autre exemple, et ils abondent. Nous lisons ce vers

dans la version d’Oxford : Li Empereres se fait balz e liez[17], et il faut absolument le faire entrer dans une tirade en ier. Deux vers sont rigoureusement indispensables : Li Empereres qui Francs doit justicier — Lez fu et bauz et tuit si chevalier[18]. Avec une telle méthode[19], le poëme risque fort d’être doublé ; mais cet accident n’effrayait point les rajeunisseurs du xiiie siècle, ni même (chose plus étonnante) leurs lecteurs.

Une fois en si beau chemin, les rajeunisseurs ne s’arrêtèrent plus. Ils se donnèrent très-volontairement, très-gratuitement une « quatrième tâche ». Oui, alors même qu’ils n’y étaient nullement contraints, ils remplacèrent un vers de l’original par deux ou trois vers de la copie. Voici un vers d’Oxford : Bels fu li vespres, et li soleilz fut cler[20]. Il serait aisé d’en trouver l’équivalent en autant de syllabes. Mais pourquoi se gêner ? Deux vers valent toujours mieux qu’un. Ainsi raisonne le

Modèle:Tiret2, et il écrit : Beaus fut li jors, si prist à decliner — Et li solaus se prist à esconser[21]. Dès que l’on se permet de fabriquer sans aucun besoin deux vers au lieu d’un, il n’y a pas de raison pour n’en point fabriquer trois. Au lieu de : Er main sedeit l’Emperere suz l’umbre[22], on écrira hardiment : Li Emperere esteit en mi un pré — Desoz un pin menuement ramé, — Por la calor qui est grans en esté[23]. Voyez-vous le poëme qui s’allonge, s’allonge, s’allonge. Et comprenez-vous la raison de ces formidables allongements ?

Un travail plus utile — et c’est le cinquième qui occupe nos rajeunisseurs — consiste à modifier un hémistiche (ou quelques mots seulement) dans un vers du texte primitif. Mais encore faudrait-il s’entendre sur le sens de cette dernière expression. À notre sens, il n’y a jamais eu deux exemplaires absolument semblables d’une version originale. Dans les manuscrits même qui renferment une même rédaction, il y a des variantes de détail, et elles sont très-nombreuses[24]. Certains textes étaient

peut-être écrits sous la dictée d’un jongleur qui savait le poëme par cœur et le modifiait involontairement[25]. Mais, outre ces changements inhérents à la nature de nos Chansons, il en est d’autres qui sont dus aux remanieurs. Tout d’abord, ils ne se font aucun scrupule de changer les noms d’hommes et les noms de lieu. Au lieu de Butentrot[26], le rajeunisseur n’hésitera point à écrire Butancor[27] ; et au lieu de Commibles[28], Merinde[29]. D’autres vocables seront tout à fait supprimés, parce qu’ils n’ont pas, dans l’esprit du refaiseur, la même importance qu’aux yeux du vieux poëte : tel est Saint Michel du Péril[30]. D’autres corrections, plus logiques encore, sont celles qui sont justifiées par l’histoire. Laon n’avait plus d’importance au temps où nos refazimenti furent composés : on le remplaça par Paris[31]. D’autres fois le rajeunisseur est obligé de remplacer certains mots qui déjà sans doute étaient devenus archaïques ou qui n’étaient plus compris de son temps.

Au lieu de : Un algier tint[32], il écrira : Il tint un dard[33] ; et au lieu de : Od vos caables[34], il dira : O vos engiens[35]. D’autres fois encore, ce sont certaines tournures grammaticales qu’il est obligé de modifier, parce sans doute qu’elles ne sont plus admises. Le poëte antique avait écrit : Par cels de France voelt-il del tut errer[36] ; le nouveau se croit obligé d’écrire : Par cels de France voloit tot jor esrer[37]. Certaines fautes, enfin, lui semblent plus graves. Geoffroi d’Anjou était désigné, dans le texte d’Oxford, sous le nom de roi gonfanuner[38] ; notre remanieur s’empresse de lui retirer cette royauté et remet notre Angevin à sa place : Geofroy d’Anjou, qui est gonfanonier[39]. Ce rajeunisseur avait le sentiment de la justice..., à moins cependant qu’il ne fût un peu courtisan.

Si l’on veut bien se représenter la nature des cinq premiers travaux du remanieur, on se persuadera aisément qu’ayant pris tant de libertés, il devait naturellement en prendre beaucoup d’autres, ou, pour mieux dire, les prendre toutes. C’est ce qu’il fit. Il lui arriva tout d’abord de faire des ratures hardies dans l’œuvre de son devancier ; il supprima des vers, puis des couplets entiers. Quelques-uns des vers ainsi dédaignés et omis étaient coupables d’absurdité[40] ; plus souvent l’assonance y était rebelle à la rime[41] et ne voulait pas aisément se laisser transformer. D’autres fois ce sont des oublis, des omissions sans excuse[42]. Il y a, toutes proportions gardées, plus de laisses supprimées que de vers omis. Parfois deux couplets du texte original sont fondus en un seul[43]. Est-ce par scrupule littéraire que le rajeunisseur a omis la laisse de notre vieille rédaction où l’on décrit avec trop de réalisme les cérémonies mortuaires, l’embaumement des corps, etc.[44] ? À coup sûr, des strophes très-importantes ont été passées par pure négligence[45], et ce qui le prouve bien, c’est que tous les remanieurs ne sont pas coupables de la même omission : on trouve dans le texte

de Versailles telle laisse omise dans le texte de Paris[46]. Ils sont plus excusables, ces auteurs de nos refazimenti, de ne pas avoir, par une crainte salutaire de l’ennui et du bâillement, imposé à leurs lecteurs cette longue énumération des trente corps de l’armée païenne, que nous devons subir dans le texte de la Bodléienne[47] : il nous suffit parfaitement d’en connaître dix. Un de nos remanieurs a été plus radical : il a supprimé d’un trait tout l’épisode de Baligant. Trop de zèle.

Mais s’il est utile, s’il est doux de supprimer parfois, il est bien plus doux encore d’ajouter au texte que l’on remanie. Un rajeunisseur (passez-moi le mot) est avant tout un délayeur : sa fonction est d’être long. Nos remanieurs n’ont point manqué à ce devoir. Ils ont farci nos anciens couplets de vers absolument inutiles et qui n’étaient aucunement dans l’original. Les Prières[48] et les Saluts[49] prirent, en particulier, un développement regrettable… Mais il est plus facile d’ajouter bravement un ou plusieurs couplets qu’un ou deux vers par-ci par-là : c’est ce que nos rimailleurs savaient bien, et ils agirent en conséquence. Une seule strophe[50] du texte original se


Halt sunt li pui e mult halt les arbres.
Quatre perruns i ad luisant de marbre.
Sur l’erbe verte li quens Rollanz se pasmet
Uns Sarrazins tute veie l’esguardet ,
Si se feinst mort, si gist entre les altres,
De l’ sanc luat sun cors e sun visage ;
Met sei en piez e de curre s’astet ;
Bels fut e forz e de grant vasselage ;
Par sun orgoill cumencet mortel rage,
Rollant saisit e sun cors e ses armes
E dist un mot ; « Vencut est li niés Carles.
« Iceste espée porterai en Arabe. »
En cel tireres li quens s’aperçut alques.

Ço sent Rollanz que s’espée li tolt,
Tient l’olifan que unkes perdre ne volt,
Si l’ fiert en l’ elme ki gemmet fut à or,
Fruisset l’acer e la teste e les os,
Amsdous les oilz de l’ chef li ad mis fors,
Jus à ses piez si l’ ad tresturnet mort ;
Après li dit : « Culvert païen, cum fus unkes si os
« Que me saisis ne à dreit ne à tort ?
« Ne l’orrat hume ne t’en tienget por fol.
« Fenduz en est mis olifans el’ gros ;
« Ça juz en est li cristals e li ors. »

Ço sent Rollanz la veüe a perdue :
Met sei sur piez, quanqu’il poet s’esvertuet.

Modèle:D

Modèle:Tiret2 plus d’une fois en deux couplets du texte remanié[51] ; même on ira jusqu’à écrire deux fois la même laisse[52]. Mais foin de la timidité ! les rajeunisseurs auront plus d’audace. Là

où le poëme primitif nous disait en quelques mots : « Les douze Pairs se revêtent de leurs armures, » notre remanieur, qui flaire une excellente occasion d’être long, consacre hardiment douze strophes à nous montrer les douze héros se disposant, l’un après l’autre, à la grande bataille[53]... Encore, encore un pas. Les nouveaux poëtes souderont tant bien que mal, dans un texte du Roland, tout un épisode emprunté à un autre cycle, et c’est celui de la prise de Narbonne[54]. Mais ce n’est pas encore là le terme de leurs exploits ; ce ne sont pas leurs colonnes d’Hercule : ils vont se mettre à trouver, eux aussi. Ils vont se frapper le front, exciter leur imagination, et l’un d’eux trouvera ces épisodes assez vulgaires (répétés par tou

les autres) des deux fuites de Ganelon et de l’interminable entretien de la belle Aude avec la mère de Roland[55]. Puis, il fera mourir en vingt couplets cette fiancée héroïque qui mourait si bien dans le texte primitif ; si bien et en si peu de vers !

Les derniers travaux de nos remanieurs ne peuvent rien offrir qui soit désormais de nature à nous étonner. Après avoir tant ajouté, il n’est pas prodigieux qu’ils jugent utile de « rédiger à nouveau » certaines parties de l’ancien texte. Oui, ils ne tiendront plus aucun compte ni des couplets, ni des vers antiques. Ils ne jetteront plus les yeux sur le manuscrit original : ils raconteront, à leur façon, certains épisodes dont les grandes lignes seulement sont gravées dans leur mémoire. Ainsi procèderont-ils pour le jugement de Ganelon[56]. Même ils adopteront des vers d’une autre mesure, et voici (mais pour cet épisode seulement) le vers alexandrin qui pénètre enfin dans notre Chanson trop remaniée et mal rajeunie[57]. Tous les manuscrits cependant ne reproduisent point partout ces dodécasyllabes un peu lourds, et nous plaçons plus bas, sous les yeux de notre lecteur, le curieux spécimen du même couplet que l’un de nos textes nous offre en décasyllabes, et l’autre en alexandrins[58]. Il y a là en germe tout

« un Traité sur la manière de donner à un vers deux syllabes de plus… sans lui ajouter d’ailleurs la moindre idée nouvelle. »

Il ne reste plus désormais qu’à modifier l’esprit général de nos vieux poëmes, et c’est à quoi nos remanieurs s’entendent merveilleusement. Dans la Chanson de Roland, telle qu’on la pourra lire ci-après, c’était l’esprit du xie siècle qui frémissait : dans nos refazimenti, c’est celui du xiiie siècle-. Nos héros étaient chrétiens dans le texte primitif ; ils sont pieux dans le texte rajeuni, et seraient volontiers mystiques. On ne voyait, dans l’antique version, que passer une fois ou deux, avec une chaste rapidité, la figure austère de la femme, et Roland ne songeait pas à Aude une seule fois durant toute sa longue et sublime agonie. Dans nos rajeunissements, tout au contraire, la femme et l’amour reprennent ou plutôt usurpent une large place. Les âmes y sont moins mâles. Tout s’alanguit, s’attiédit, s’effémine. La guerre n’est plus le seul mobile, ni la pensée unique. Le coup de lance bien donné ou bien reçu n’est plus le seul idéal. Ce

n’est plus l’esprit des croisades populaires et enthousiastes, comme le fut celle de 1095 : c’est le temps de ces croisades à moitié politiques et auxquelles il faut un peu contraindre les meilleurs barons chrétiens. Rome est moins aimée, et l’oriflamme de Saint-Denis fait oublier l’enseigne de Saint-Pierre. Charlemagne est déjà loin ; Philippe le Bel approche. La Royauté, plus puissante, est cependant moins respectée. La taille du grand Empereur est rapetissée : ce n’est plus un géant de quinze pieds qui domine tous les autres héros du poëme et dont la gloire n’est pas effacée par celle même de Roland. Les subtilités d’une théologie médiocre remplacent les élans vigoureux d’une piété militaire. L’auteur se fait voir davantage dans ces œuvres trop personnelles. Plus de proportions ; point de style, avec plus de prétentions. Des formules, des chevilles, et, comme nous le dirions aujourd’hui, des « clichés » insupportables. Ces remaniements[59], nous les abandonnons volontiers à ceux qui

nous accusent de trop aimer notre vieille poésie religieuse et nationale. De ces œuvres de rhéteurs ennuyeux, la Patrie et Dieu sont absents. Nous ne descendrons pas à les admirer.

Mais, autant ces remaniements sont méprisables aux yeux de l’artiste et du poëte, autant ils ont d’intérêt aux yeux de l’érudit. On ne les a pas suffisamment tenus en estime ; on n’en a pas fait assez usage. C’est qu’en effet quelques-uns d’entre eux renferment un certain nombre de vers et de couplets antiques, qui nous sont ou seront très-précieux pour l’établissement du texte primitif[60]. Quelquefois, comme nous l’avons dit, les laisses originales sont insérées dans le remaniement par un rajeunisseur paresseux et qui veut s’éviter la peine de les refaire. Mais quelquefois aussi, à côté de la strophe ancienne, nous avons la strophe rajeunie, et rien n’est plus curieux que la comparaison de ces deux rédactions[61]. Il arrive plus souvent encore qu’un

remanieur a conservé l’antique rédaction, et qu’un autre l’a remplacée par une version nouvelle[62]. Mais telle n’est point encore la plus grande utilité de nos remaniements.

Notre texte d’Oxford est médiocre. On y surprend à tout instant le scribe en flagrant délit de négligence et d’oubli. Il a omis des vers et même des couplets entiers. Comment retrouver ces vers et ces laisses oubliés ? Comment combler ces lacunes ?

C’est ici que les rajeunisseurs se présentent à nous, leurs manuscrits à la main, en nous disant : Tolle, lege. Les lacunes, toutes les lacunes du texte d’Oxford sont comblées par nos refazimenti[63], et il est possible de reconstruire avec eux le texte primitif dans toute son intégrité. Sans doute, il y faudra des soins délicats ; sans doute, il sera nécessaire de ramener ces textes au dialecte original. Mais enfin la chose est possible, et nous l’avons entreprise. Nous avons restitué tous les vers, tous les

couplets qui nous semblaient omis. C’est le manuscrit de Paris qui nous a été le plus précieux, et, ensuite, celui de Versailles. Mais il n’est pas impossible de tirer aussi quelques bonnes variantes des manuscrits de Lyon et de Venise. Aucun n’est à négliger[64].

Quelques fragments d’une belle statue avaient été jetés çà et là : nous avons voulu les recueillir et avons essayé de refaire la statue aussi complète, aussi belle, aussi radieuse que dans sa splendeur première. Y aurons-nous réussi ?


  1. Nous ferons mieux saisir ce que nous venons d’exposer en citant, comparativement et en détail, les assonances des premiers couplets d’Oxford et les rimes des premières laisses de Versailles. La première strophe d’Oxford était en an féminin (aindre, eimet, agne, aigne) : le remanieur a choisi cette dernière assonance, et tous ses vers se terminent en aigne. La seconde tirade était en u féminin dans la version primitive (uge, umbre, ulchet) ; le rajeunisseur n’a pas voulu de cette assonance très-difficile et, comme nous l’avons dit, a pris le parti d’adopter la rime si commode en er. Mais, par malheur, dans la rédaction de la Bodléienne, la troisième laisse était en er, en, et, etc. Qu’à cela ne tienne : le rédacteur du remaniement a rimé son troisième couplet en ier. Au lieu de l’assonance en e féminin de la quatrième strophe d’Oxford (estre, elet, ere), il a choisi la rime en ez. Il s’affectionne d’ailleurs à ces rimes aisées. Il rime en er son cinquième et en ez son sixième couplet, qui, dans Oxford, étaient, l’un en et, eu, er, ez, et l’autre en ei, eill. L’assonance de la septième strophe, qui, dans la première version, était en i féminin (il(i)es, mises, etc.), est devenue dans la rédaction remaniée, une rime en ois. Au lieu des assonances en ent, er, ien, iers (8e strophe du texte original), en er, ed, eu (9e couplet), en in, is, ir, if (10e), en er, ef, et (11e) en ir, il, in, is (12e), en age, arles, etc (13e), en ie, ire, imes (14e) et en un, unc, um (15e), le rajeunisseur a successivement adopté les rimes en ier, er, a, er, iz, ez, ie et on. Il est inutile de pousser plus loin ce parallèle.
  2. Il n’a changé au second que deux assonances par trop « scandaleuses » ; au lieu de suffraite, il a écrit soferte, et perte au lieu de perdre.
  3. C’est le texte de Paris qui a conservé le plus de ces couplets de la première rédaction. On n’y trouve pas moins de vingt laisses féminines qui ont été empruntées en totalité au texte primitif (ce sont celles qui, dans l’édition de F. Michel, portent les nos 205, 237, 240, 241, 243, 255, 259, 260, 264, 308, 314, 317, 318, 320, 321, 322, 324, 326, 327, 328. Elles correspondent aux couplets de texte d’Oxford, qui, dans l’édition de Th. Muller, sont précédés des nos 159, 189, 190, 192, 206, 211, 212, 217, 253, 258, 261, 262, 264, 265, 266, 268, 270, 271, 272). Quatre autres strophes féminines n’ont été copiées qu’en partie sur la version originale : les 186e, 219e, 248e, 286e, sans parler ici d’un certain nombre de vers antiques qui çà et là ont été conservés intacts. — Les anciennes laisses masculines reproduites d’après le texte primitif apparaissent plus rarement dans la version de Paris : ce sont les nos 189, 257, 258, 262, 307, 312, 313, 315, 323, 325, 329 (Oxford, 147, 209, 210, 214, 252, 256, 257, 259, 267, 269, 273), et en partie les strophes 196 et 250. Pour la tirade 157, il y a doute. — On voit, d’après cette statistique, de quelle ressource un tel remaniement peut être, même pour un éditeur du texte primitif. (Cf. dans le remaniement de Versailles les laisses 77, 78, etc. etc.)
  4. Oxford, v, 5.
  5. Versailles, v, 6.
  6. Oxford, v, 7, 8.
  7. Versailles, v, 8 et 9.
  8. Au lieu de : Ne ben ne mal ne respunt sun nevuld (Oxf. v, 216), Versailles porte : Toz coiz se tint, ne dist ne o ne non. (v. 257). ═ Au lieu de : De cez paroles que vos avez ci dit, — En quel mesure en purrai estre fiz (v. 145-146), on lit dans le même remaniement : De ceste couse que il mandée m’a — Com faitement m’en asicurera (v. 171, 172). ═ Au lieu de Là siet li Reis ki dulce France tient (v. 116), le même texte rajeuni nous offre : S’asist li reis qui France a à bailler (v. 132). ═ Tandis que la version d’Oxford nous donne : Meillor vassal n’aveit en la curt nul (231), l’auteur du refazimento de Versailles est contraint par sa rime en uz de reconstruire ce vers tout autrement : Mieudres vassaus ne fu en cort veüz (v. 272). ═ De même, pour le vers 229 du texte de la Bodléienne : Laissum les fols, as sages nus tenuns, qui a été modifié ainsi qu’il suit : Laist on le fou, aus sages se teigne on (v. 269 du ms. de Versailles). ═ On comparera au même titre les vers suivants de la version primitive : En la citet n’en est remés paien — Ne seit ocis u devient chrestien (v. 101, 102) et ceux-ci de la version remaniée : Les Sarrasins a fait toz detrencher, — S’il ne vost croire et faire baptiser (Versailles, 117, 118). ═ Le même besoin absolu, la même nécessité de changer les assonances en rimes, a motivé les changements suivants : As quatre esturs lor est avenut ben ; — Li quint après lor est pesant e gref (Oxf., v, 1,686, 1,687). Ces vers reçoivent une autre forme dans le texte de Versailles : A quatre estors se puent bien aider ; — Li quins après fut mot à redoter. ═ Au lieu de : L’Emperere en tent ses mains vers Deu (Oxf., 137), on lit, dans le même manuscrit que nous prenons pour type : Ot le li rois, soi prist à merveiller (v. 165). ═ Au lieu de : E as eschecs li plus saive e li veill (Oxf., 112), le rajeunisseur a écrit : Et auquant d’els joent à l’escachier (v. 128) ; et, au lieu de : Car m’eslisez un barun de ma marche (v. 275), il a, à cause de la rime en age, imaginé le vers suivant qui est certainement plus plat : Ensegniez moi un home de bernage (v. 326) etc., etc. ═ Nous avons cité dans nos Épopées françaises (I, p. 290, 291) une foule d’autres exemples tirés du Roland. Nous tenons à répéter que ces modifications vers par vers sont toutes nécessitées par les besoins de la rime.
  9. Oxford, v. 213.
  10. Versailles, v. 254.
  11. Oxford, v. 144.
  12. Versailles, v. 170.
  13. Oxford, v. 228.
  14. Versailles, v. 268.
  15. Oxford, v. 145.
  16. Versailles, v. 173-174.
  17. Oxford, v. 96.
  18. Versailles, v. 111-112.
  19. Ici encore, nous pourrions multiplier les exemples. C’est par une suite de la même nécessité qu’au lieu de : Ço set hom ben, n’ai cure de manace (Oxf., v. 293), le remanieur du texte de Versailles a écrit, a dû écrire : Vos savez bien, et si est veritez, — Ainc per menace ne fui trop esfréez (v. 411, 412). Et, plus loin, au lieu de ces deux vers : Ço dist Marsilie : « Carles li emperere — Mort m’ad mes homes, ma terre deguastée (v. 2,755, 2,756), » les trois suivants : Ce dit Marsile : « Oiez raison membrée, — Karle de France a mot sa gent menée, — Morz a mes homes et ma terre guastée. » ═ Cf. également le texte primitif : E prenent sei ambesdous por loitier, — Mais ço ne set quels abat ne quels chiet (v. 2552, 2553) avec celui de Versailles : A bras se prenent, mot fut Karle blicez, — Luitient et sachent, mais ne sui aaisiez — De nommer vus qi i remest haitiez. ═ D’autres fois, la nécessité d’un tel changement n’est pas rigoureusement absolue ; mais il y a pour le rajeunisseur plus de facilité à employer deux vers au lieu d’un, et il n’hésite pas à le faire. C’est ce qui explique pourquoi, au lieu de : Turpins de Reins en est levez del renc, — E dist al Rei : « Laisez ester vos Francs (v. 264, 265), » le remanieur a écrit : Turpins de Reins, li proz et li valanz, — Devant le Roi est venuz toz erranz. — Il li escrie à sa voiz qui fugranz — « Droiz emperere, laisez-en toz voz janz. » (Versailles, v. 309-3l2.) Cf le vers d’Oxford : Si li Reis voelt, prez sui por vus le face (v. 295) avec ceux du même rajeunissement : Se li Rois velt, j’en sui toz aprestez ; — Je irai là, et voz ci remanrez. (Versailles, 414, 415, etc. etc.)
  20. Oxford, v. 157.
  21. Versailles, v. 185, 186.
  22. Oxford, v. 383.
  23. Versailles, v. 569-571. Nous avons cité dans nos Épopées françaises (I, 291, 292), d’autres exemples de ce procédé à l’usage des rajeunisseurs. On peut y joindre les suivants. Tandis que le texte d’Oxford dit très-simplement : Si receverat la nostre lei plus salve ; — Chrestiens ert, de mei tendrat ses marches (v. 189, 190), on lit dans le texte de Versailles : Crestiens ert batisez et levez ; — Jontes ses mains fera les comans Dé, — De nus tenra Espaigne en quietez. (V. 226-228.) ═ Cf. ce vers de la version primitive : Respunt li Reis : « Vos estes saives hom (v. 248), » avec les deux suivants de la version rajeunie : Li Emperere en hauce le menton. — Après, li dit : « Mot estes saives hon. » (Versailles, v. 290, 291.) ═ Rapprochez également de ce vers du texte d’Oxford : Francs chevalers, dist li emperere Carles (v. 274), ces trois vers du même remaniement : Li Emperere se dresse en son estage ; — Grant ot le cors et mot fier vasselage : — « Seignor français, entendez mon corage (Versailles, v. 323-325). » Etc. etc.
  24. On se convaincra facilement de cette vérité si l’on veut bien comparer attentivement, avec notre texte de la Bodléienne, les trente couplets d’une version antique qui ont été conservés intacts dans le manuscrit de Paris. Nous donnons ici, comme point de comparaison, la laisse ccxliii de ce dernier texte que l’on rapprochera de notre couplet cxcii : Grans est li os de cette gent adverse : — Vers Saragosse ont acoilli lor voie ; — Au roi Modèle:Tiret2 est venue nouvelle — Que Baliganz est entré en sa terre : — Son ost amaine, ainz ne fu veü telle. — XVII. Roi environ, la chaellent. — Or gart Dex Karla et la voire paterne : — Bataille auront e dolirouse et pesme, etc. etc.
  25. Ne faut-il pas considérer comme des « variantes de dictée » les vers suivants empruntés aux couplets primitifs du texte de Paris : « Morz est mis niés ki tant soloit conquerre (couplet cclx), et : Encontre moi leveront cil lor testes (couplet cclxi), que l’on peut rapprocher des vers correspondants de notre texte d’Oxford : Morz est Rolant, ki tant me fist cunquerre (v. 2,920). Encuntre mei revelerunt li Seisne (2,921), etc.
  26. Oxford, v. 3,220.
  27. Paris, v. 10,008 de l’édition F. Michel, où par malheur le numérotage est faux.
  28. Oxford, v. 198.
  29. Versailles, v. 209. Il ne faut pas d’ailleurs oublier que, dans l’esprit de nos poëtes et surtout de nos rajeunisseurs, la plupart des noms propres étaient, de droit, abandonnés à la fantaisie, au caprice des auteurs. Comparez, à ce point de vue, les couplets v d’Oxford et de Versailles.
  30. Versailles, couplet ix, etc.
  31. C’est ainsi que, dans l’oraison funèbre de Roland, « Laon » (texte d’Oxford) est remplacé par « Paris » (texte de Paris). ═ Dans le remaniement de Versailles, au lieu de ce vers du texte original : Carles sera ad Ais à sa capele (v. 52), on lit les deux suivants : Challes à Ais et ses riches barnez — Ou à Estampes ou à Paris delez (v. 63, 64).
  32. Oxford, v. 439.
  33. Versailles, v. 442.
  34. Oxford, v. 237.
  35. Versailles, v. 278.
  36. Oxford, v. 167.
  37. Versailles, v. 198.
  38. Gefreid d’Anjou, le rei gunfanuner. Oxford, v. 107.
  39. Versailles, v. 123. Quelques autres changements de nos rajeunisseurs sont mieux motivés. Parfois ils trouvent obscur le texte de leur devancier, et essaient de le rendre plus lucide. Au lieu de ce vers amphibologique : Dient paien : « De ço avum nus assez (Oxf., v. 77), » ils écrivent ce vers plat, mais clair : Dient païen : « Bien s’en doit hom pener. » (Versailles, v. 87.) ═ D’autres fois les remanieurs atténuent à dessein la pensée du vieux poëte. Dans le texte d’Oxford, Blancandrin craint que Marsile n’en soit un jour réduit « à mendeier » (v. 46). Cette hyperbole paraît excessive au rajeunisseur, qui écrit plus simplement : Que nos sofrons d’Espaigne cel dangier (Versailles, v. 58), etc. ═ Mais, en général, les corrections de nos remanieurs sont maladroites : il est aisé de voir que, trop souvent, ils n’ont pas compris les beautés de leur modèle. À la place de ces vers de notre texte d’Oxford qui peignent si bien le caractère de nos deux héros : Rollanz est proz e Oliver est sage : — Ambedui unt merveillus vasselage (v. 1,093, 1,094), le très-médiocre auteur du remaniement de Paris met les deux suivants, qui sont d’une extraordinaire insignifiance : Rollans fu pros, et Olivers li bers. — Paringal furent et compagnon et per (couplet ci). Et ailleurs, que de contre-sens ! Au lieu de : Li duze per mar i serunt jugez (Oxf., v. 262), le rajeunisseur du texte de Versailles (ou le scribe) écrit bravement : Des douze per mar serez jugiez (v. 307). Au lieu de : E si ’n averez, ço quid, de plus gentilz (Oxf., v. 150), le même remanieur écrit : Jà plus gentis de lui un soul n’en a (Versailles, v. 177, etc). La liste de ces sottises serait trop longue.
  40. Tel est le fameux vers si embrouillé : Puis, si li dites, il n’en irat, se m’creit (Oxf., v. 2,753), qui est omis dans le remaniement de Paris. Cf. le v. 156 du texte primitif qui est également passé dans celui de Versailles.
  41. En voici un exemple frappant. Le texte primitif porte ces vers : Li Empereres en tint sun chef enclin ;De sa parole ne fut mie hastifs ; — Sa custume est qu’il parolet à leisir (v. 139-141). Le second vers a été passé par le rajeunisseur du texte de Versailles, qui n’a pu le faire entrer dans un couplet en a.
  42. Seignurs baruns, qui i purruns enveier — Al Sarrazin ki Sarraguce tient (Oxf., 252, 253). Le second vers, qui cependant est très-utile, a été omis par le remanieur (Versailles, v. 295).
  43. Les laisses du texte d’Oxford cc et cci ont été fondues en un seul couplet de Paris, le ccli.
  44. Strophe ccxvi d’Oxford.
  45. Tels sont les couplets du texte d’Oxford cxciii où l’on raconte l’arrivée de Baligant en Espagne, et xlvii où Marsile fait jurer Ganelon sur les reliques de son épée ; etc. L’un est omis par le rajeunisseur du texte de Paris, l’autre est passé dans le remaniement de Versailles. — Cf. la laisse ccviii, omise dans Paris, etc. etc.
  46. La strophe lii est omise dans Versailles, mais non pas dans Venise (ms. VII) ; le couplet cxciii n’est pas dans Paris, mais il est dans le plus récent des deux manuscrits de Venise, etc.
  47. Couplets ccxxxvii d’Oxford et cclxxxiv de Paris. Il faut rappeler ici et nous dirons tout à l’heure que tout l’épisode de Baligant est omis dans le texte de Lyon. (Voir la note du v. 3,680.)
  48. On peut citer comme type le couplet lxxxiii de Paris (p. 164 de l’édition F. Michel).
  49. Voir, comme exemple, la laisse ix du texte de Versailles. Le vrai poëte, qui est l’auteur du texte d’Oxford, s’était contenté de dire : « Salvet seiez de Deu, — Le Glorius que devez aürer (v. 123, 124). » Cette brièveté ne fait pas l’affaire du rajeunisseur, qui se laisse aller aux six vers suivants : Beau sire roi, cil Dex vos puist garder, — Qui fist le ciel et la terre et la mer, — En ceste crois laissa son cors pener — Et el sepoucre cocher et repouser, — Et au tiers jor de mort resusciter — Por cils qu’il volt ensemble o lui mener (vers 152-148). Cf., dans le même manuscrit, les vers 641-650.
  50. Nous avons à donner des exemples de ces additions de vers et de couplets : A. Vers ajoutés à la version primitive… Quand Ganelon prend congé de Charles et part en ambassade à Saragosse, le texte d’Oxford dit très-simplement : La veïsez tant chevaler plorer (v. 349). Le rajeunisseur en a pris prétexte pour ajouter tout un petit développement… fort inutile : Là fut por lui maint chevalier troblez, — Tant poing detors et tant chevel tirez. — Tresc’ à cel jor fu mot bien honorez, — A cort de roi et serviz et loez : — Par cels estoit riches cons apelez. — Plorent et crient chascun de ses casés, etc. (Versailles, v. 531-536). ═ Quelques vers plus haut, Ganelon dit à son beau-fils, Dist à Rollant : « Tut fol, pur quei t’esrages (v. 286). » Une telle brièveté ne fait pas l’affaire du remanieur, qui ajoute là sept vers d’un seul coup : Dist à Rollant : « Con es ores desvez ! — Dedens ton cors est entrez li Maufez. — François ont droit, se par els es blasmez : — Car mot les as travailliez et penez — Et chascun jor de lor armes lassez. - Mar te croira Challes, nostre avoez, — Et ton corage qui est desmesurez. — Tu li tols moi et des autres assez. » (Versailles, v. 395-402) ═ Dès la première laisse de son remaniement, le même auteur s’est permis de faire une addition de quatre vers (quatre sur douze !). Après avoir dit que Charles avait conquis l’Espagne jusque la mer alteigne, il ajoute cette platitude : En meint estor fut veüe s’enseigne (v. 4). Et à la fin du couplet il soude ces trois autres vers non moins superflus : Car il n’a hom qu’à lui servir se faigne — Fors Guenelon que il tint por engeigne. — Jamais n’est jor que li Rois ne s’en pleigne (Versailles, v. 11-13). ═ À la fin des laisses, ces additions sont d’ailleurs assez fréquentes, et le remanieur a le champ plus libre là qu’ailleurs. La fin du second couplet est encore ornée, dans le texte de Versailles, d’inutilités qui tiennent trop de place. Il s’agit de Blancandrin, que l’auteur du texte primitif s’était contenté de nommer, et auquel notre rajeunisseur ne craint pas de consacrer ces deux vers d’une vulgarité prodigieuse : En tot le mont, si com orez nomer, — N’en verez hom tant sage mesager. (Versailles, v. 32, 33.) Nous pourrions trop aisément multiplier ces citations. (Cf. les vers 98-100, 336-337, 344-348, etc. etc.) ═ B. Couplets entiers ajoutés au texte original. Il importe toujours d’étudier de fort près les laisses qui ne sont pas dans la version d’Oxford et qui se trouvent dans les remaniements. Ce sont parfois des couplets qui appartenaient au texte original et qui ont été omis par le scribe très-négligent auquel nous devons le manuscrit de la Bodléienne. Mais souvent aussi, ce sont des additions évidentes. Tel est le cas de la strophe xxii du texte de Versailles que nous pourrions citer comme un exemple frappant. Il s’agit de Ganelon, qui se plaint d’être envoyé près du roi Marsile et s’écrie : « J’irai, mais je suis bien assuré d’y mourir. » Le rajeunisseur ajoute ici un couplet tout entier où l’on voit Charles traiter Ganelon de cuvert et de felon, ce qui est tout à fait contraire à la légende primitive, d’après laquelle « Ganelon serait jusque-là demeuré pur de toute trahison ». Puis, dans cette même laisse destinée à accentuer sottement la méchanceté de notre traître, on l’entend menacer Roland d’un coup de « son espée forbie », s’il le rencontre en « bataille fornie ». Olivier alors se jette sur le beau-père de son ami Roland, et le veut tuer sans autre forme de procès. Rien de tout cela n’était dans le texte primitif. ═ Un couplet non moins inutilement ajouté, et qui peut encore servir de type, est le ccvie de Paris (Éd. F. Michel, p. 230)… Dans la version de la Bodléienne, quelques vers seulement sont consacrés à la mort de Malprime, fils de Baligant, qui meurt sous les coups terribles du duc Naimes. Or, dans le texte de Paris, cet épisode est développé en quatre couplets (ccxcix-cccii), et c’est Ogier qui est ici l’adversaire de Malprime. Le Danois d’ailleurs ne tue pas son jeune adversaire, et, quelques strophes plus loin, notre rajeunisseur reproduit textuellement le passage de l’ancienne rédaction où le fils de Baligant reçoit enfin le coup mortel de la main du duc Naimes. Ces quatre laisses, qui nous semblent évidemment ajoutées, ne se trouvent pas dans tous les remaniements : elles sont dans le texte de Paris et manquent dans celui de Venise VII. Ce n’est pas le seul fait de ce genre que nous pourrions citer, et nous le signalons à l’attention du lecteur. ═ Parmi ces nombreuses additions de couplets, il faut encore signaler celle des laisses lxxxiii-xcvi dont nous aurons lieu de reparler, cxlvii, clvii-clix, etc. ═ Quant aux couplets des rédactions rajeunies qui comblent heureusement certaines lacunes du texte original, on en trouvera l’indication exacte dans nos Notes et variantes.
  51. Le couplet d’Oxford ccxliii a été développé en deux laisses du texte de Paris (ccxc, ccxci). À la strophe ccxxiii de la rédaction primitive correspondent les deux couplets cclxxix-cclxxx du même remaniement. Les strophes clxi, clxii et clxiii de ce même texte rajeuni répondent également à un seul couplet de l’ancienne version (cxxviii), etc.
  52. C’est le cas, à peu de chose près, des laisses cxxxiv et ccxxxvii, ccxxxvi et ccxxxviii du texte de Paris. Cette distraction n’est pas dans le remaniement de Venise VII.
  53. Paris, strophes lxxxiii-xcvi.
  54. Venise IV, folio 88, ro, 2e col. et ss.
  55. Texte de Paris, couplets cccxxxviii-cccxcix ; en tout, près de quatorze cents vers.
  56. Texte de Paris, couplets cccciii et suiv. de l’éd. Fr. Michel.
  57. Cette série d’alexandrins commence régulièrement, dans le texte de Paris, au couplet ccccxxxii : Pynabiax s’agenoille et Thierris se leva (mais il y avait déjà quelques alexandrins dans les deux laisses précédentes), et se termine au couplet ccccxl. C’est un peu plus de cent vers. Tous les remaniements les reproduisent, à peu de chose près, et sauf la curieuse exception que nous signalerons dans la note suivante. ═ La dernière ou les deux dernières laisses du poëme sont aussi en dodécasyllabes dans la plupart de nos textes rajeunis...
    Pinabels dist : « Vos parlerez tot al. »
    Lors s’entrelaissent parmi le fons d’un val ;
    Granz couz se donent es escuz cominal,
    Qu’il [e]n abatent [et] l’azur [et] l’esmal,
    Desqu’à l’auberc qui furent contreval,
    Et à lor lances dont li fers fu d’açal.
    Amdui furent fors et prou… li vassal.

    Thierris est sor Ferrant, li dammoisiaus loial,
    Prinst l’escu par l’enarme et broche le cheval,
    Et dist à Pinabel : « Je vos deffi, vassal :
    « Quand vers moi deffendez le traïtor mortal,
    « Se Deu plaist et je vif, je vos metrai à mal. »
    Et respont Pinabiaus : « Ansoiz ira tout al. »
    Lors laissent corre tout le pendant d’un val ;
    Grans cops se donnent enz(?)escus à cristal,
    Qu’il en ont abatu tout l’azur contreval ;
    Les lances peçoièrent, outre vont li cheval.
    Bien se tiennent andui, moult sont preu li vassal.

    Il reste à savoir lequel de ces deux couplets également plats est l’original de l’autre. Je serais porté à croire que les alexandrins ont précédé les décasyllabes et que l’auteur de ces derniers a procédé par suppression. Ce qui le prouverait, c’est notamment le troisième vers, qui est faux dans Venise VII, et qui, dans le manuscrit de Lyon, nous apparaît sous sa vraie forme : Pynabel en apele à loi de bon vassal, etc. etc.

  58. Voici les deux laisses en question. Les décasyllabes appartiennent au manuscrit de Venise no VII ; les alexandrins au texte de Paris :
    Terris monta qui ot le cuer loial,
    L’escu embrace, si broce le cheval.
    Pinabel apelle à loi de mal vasal :
    « Vasal, dist-il, nos somes en igal.
    « Vers moi defendez le trahitor mortal. »
  59. Rien ne donnera mieux l’idée de nos Remaniements que d’en lire un fragment de quelque importance. Voici, traduites pour la première fois, les dernières laisses du texte de Paris… « Charles dit à ses barons : « Je veux ici, seigneurs, vous faire une prière au nom de Dieu. — Condamnez Ganelon à quelque mort horrible — Et ordonnez, je vous en supplie, que le traître meure sur-le-champ. » — Girart le guerrier prit alors la parole, — Girart de Viane, l’oncle d’Olivier : « — Par ma foi, Sire, je m’en vais vous donner un bon conseil. — Vos terres sont très-vastes, très-étendues. — Faites lier Ganelon avec deux grosses cordes, — Et qu’on le mène à travers votre domaine, comme un vilain ours ; — Qu’il y soit rudement déchiré à coups de fouets — Et, lorsqu’il sera arrivé au lieu fixé d’avance, — Faites-lui tout d’abord arracher deux membres du corps. — Puis, qu’on le dépèce membre par membre ». — « Voilà, répondit Charles, un terrible jugement. — Mais c’est trop de longueurs, et je n’en veux point. »
    « Par ma foi, Sire, s’écrie Beuves le vaillant, — Je vais vous proposer un plus horrible supplice. — Qu’on fasse un grand feu d’aubépines — Et qu’on y jette le misérable, — Si bien qu’en présence de tous les vôtres — Il meure d’une merveilleuse et horrible façon. » — « Grand Dieu ! dit Charles, c’est un rude supplice, — Et nous le choisirons… si nous n’en trouvons pas de plus dur. »
    C’est le tour de Salomon de Bretagne : — « Nous avons, dit-il, imaginé une mort plus âpre encore. — Faites venir un ours et un lion — Et livrez-leur le comte Ganelon. — Ils se chargeront de son supplice et le tueront très-horriblement. — Il ne restera de lui ni chair, ni graisse, ni os. — Tel est le sort que méritent tous les traîtres. » — « Bien dit, s’écrie l’Empereur : Salomon a bien parlé. — Mais, à mon gré, c’est encore trop de lenteurs. »
    « Sire Empereur, dit Ogier le vassal, — J’ai trouvé quelque chose de plus affreux. — Qu’on jette Ganelon au fond de cette tour — Où ne pénètre point la clarté du soleil. — Il sera là, tout seul, avec les bêtes qui sortiront de terre — Et qui, de toutes parts, à droite et à gauche, — Viendront l’assaillir et lui feront grand mal. — Que, pour tout l’or du monde, on ne lui donne ni à boire ni à manger. — Quelle honte, quel supplice ! Puis, on l’amènera devant le palais principal — Et on lui permettra de manger, à votre beau festin, — Des mets assaisonnés de poivre et de sel. — Mais qu’on ne lui donne rien à boire, ni eau, ni vin. — Et alors, dans une épouvantable angoisse, — Il mourra de soif, tout comme Roland à Roncevaux. » — « L’admirable idée ! dit Charles. — Mais je ne veux pas que ce traître pénètre ainsi chez moi. — Seigneurs, ajoute l’Empereur, francs chevaliers loyaux, — Ce supplice m’irait bien, mais j’en sais un qui est plus douloureux encore. — Qu’on attache Ganelon à la queue de plusieurs chevaux, et qu’il soit écartelé. — Oui, que mes comtes et mes vassaux aillent là-haut, — Que mes barons sortent tous, et ils vont assister au supplice du Traître. » À ces mots, prévôts et sénéchaux s’emparent de Ganelon.
    Charles le roi a fait publier son ban : — « Que tous s’en aillent en dehors de la cité. » — L’Empereur lui-même est monté en selle sur une mule — Et s’en est rapidement allé. — Les bourgeois sont là, qui désirent vivement assister à ce spectacle. — Suivant le commandement de Charles, — On traîne Ganelon hors de la ville — Et tous y sont allés après lui. — Voilà ce que l’on fait du traître. — On y a conduit aussi de bons chevaux, — Quatre fortes juments qui, en vérité, — Sont sauvages et cruelles. — Charlemagne ordonne — Qu’un garçon monte sur chacune d’elles. — Aux quatre queues on a noué les pieds et les mains de Ganelon. — Puis, les quatre cavaliers éperonnent leurs montures. — Dieu ! voyez, voyez la sueur couler sur le visage du misérable. — « Maudite, peut-il se dire, maudite l’heure où je suis né ! » — Un tel châtiment est juste, puisque Ganelon a trahi les barons — Dont la douce France est orpheline. — Les cavaliers ont la bonne idée — De faire aller leurs quatre chevaux de tous les côtés — Pour que l’infâme meure plus horriblement. — Que vous dirai-je enfin ? Ils l’ont tant et tant écartelé — Que l’âme s’en va, et les diables l’emportent. — Charles le voit, et il en remercie Dieu en son cœur : — « Soyez béni, mon Dieu, dit le Roi, — Puisque j’ai pu venger le très-sage Roland, — Olivier et les douze Pairs. »
    « Barons, dit Charles, tous mes vœux sont accomplis, — Puisqu’il est mort, celui qui m’a ravi tout mon orgueil. — C’est lui qui m’a enlevé Roland et Olivier, en qui j’aimais tant à me reposer. — C’est lui aussi qui a perdu les douze Pairs, — Et jamais plus je ne les reverrai de ma vie. . . . . . . . »
    Le texte de Paris, que nous venons de traduire, se termine par ces trois vers qui se rapportent aux douze Pairs et ne sont point sans obscurité : Par eulx conquis Jone et Tyre et Marsoil. — J’ai laissé la columbe et l’escharboucle à foil. — Bien le peut-on véoir jusques el val de Doil. Mais, comme on le voit, le texte de Paris est incomplet. Les manuscrits de Venise VII, Versailles et Lyon sont plus développés en ce dernier épisode. Sur le supplice de Ganelon, on y voit le duc Naimes prendre encore la parole, et nous assistons plus loin au départ de tous les barons de Charlemagne, qui s’en retournent chacun en son pays : Français preignent congé du Roi moult bonement (Lyon). Quand Karles fu en la salle montez (Versailles). Quand Ganelon fut à destrer livré (Venise VII).
  60. V. la note 1 de la page xcii. Il ne faut pas oublier que l’on peut trouver, dans les remaniements, non-seulement des couplets entiers, mais aussi des vers empruntés çà et là à une version primitive. Ainsi, nous lisons, dans le couplet xi du texte de la Bodléienne, ces deux vers : El grant verger li Reis fait tendre un tref ; — Li Emperere est par matin levet. Ce passage est plus développé dans le texte de Versailles, et je ne serais pas éloigné de croire que ce remaniement contient ici plus d’un trait de la rédaction primitive : El grant vergier a fait son tref lever — Et l’aigle d’or sus el pomel fermer, — Vers Saragoce en fet le chief torner. — Ce senefie ne s’en voudra aler, — Iloc au jor se voudra osteler. — Li Empereres, etc. (Versailles, v. 190-195). Nous pourrions citer vingt autres passages analogues.
  61. Nous signalerons, comme de très-précieux exemples, les couplets antiques ccxxxvii et ccxl, qui nous ont été conservés intacts dans le texte de Paris, et qui néanmoins ont été remaniés sur une autre rime dans les laisses nouvelles ccxxxviii et ccxxxix. Mais nous mettrons ici sous les yeux du lecteur les couplets cciv et ccv du même remaniement. L’un est la laisse antique scrupuleusement conservée ; l’autre est le rajeunissement de cet ancien couplet. A. Couplet antique : Dient Paien : « L’Emperere repaire ; — De ceuls de France poez oïr les graisles. — Se Karles vient, duel i auronz et perde. — Se Rollans vit, nostre guerre est nouvelle. — Perdue avons Espaingne, la grant terre. » — Lors se rassemblent la pute gent adverse, — III. C des mieudres qui el champ porent iestre. — A Rollant font I assaut fort et pesme. — Il se defant com chevaliers honestes — Et lor decope et les bras et les testes. (Paris, laisse ccv.) ═ B. Couplet nouveau. Quant Paien oient le son des olyfans, — Dist l’uns à l’autre : « Karles est repairans. — De ceuls de France oiez les cors sonnans. — Se Rollans vient, nostre painne est moult grans. — Perdu avons d’Espagne touz les pans. » — Plus de C. M. de tous les miex vaillans — Sont assamblé as vers elmes luisans. — Molt fièrement fu assaillis Rollans. — Or a li Cuens endroit lui grans ahans. — Cil le regart qui sur touz est puissans ! — A Durandart, dont li brans est tranchans, — A fait tel place des cuivers mescreans, — Que les javelles en gisent par les champs (Paris, laisse cciv). Dans notre note du v. 2,115 nous avons comparé au premier de ces deux couplets le texte de Venise VII : l’auteur de ce dernier remaniement n’a pas conservé le couplet antique à côté de la laisse rajeunie ; mais il l’a remanié autrement, et sur une rime en aire.
  62. Lire, dans la note précédente, les couplets cciv et ccv du texte de Paris, et les comparer au texte de Venise que nous avons donné dans notre note du v. 2,115.
  63. V. nos Notes et variantes où nous avons tenté d’utiliser tous les textes remaniés au profit de notre texte antique.
  64. Dans notre note 1 de la p. xlv, nous avons donné la liste exacte de tous nos remaniements.