La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition critique/1872/Introduction/Le XIXe siècle, suite

De Wicri Chanson de Roland
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Avant propos

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L'article


XVII. — suite du précédent

L’œuvre capitale de cette seconde période est l’édition de la Chanson de Roland, que M. F. Michel donna en 1837. Mais nous ne sommes encore qu’en 1832 et, avant cette publication d’une importance si considérable, il s’écoulera cinq années pleines de faits, pleines d’œuvres. Les quelques pages de l’élève de l’École normale avaient eu de l’écho, et l’on en parla longtemps dans le petit cénacle des érudits qui s’étaient voués à l’étude du Moyen âge. M. F. Michel consacra à la Dissertation de M. Monin un Examen critique[1], où il signalait, avec quelque hésitation, l’existence du manuscrit d’Oxford. M. Saint-Marc-Girardin en fit le sujet de quatre articles dans le Journal des Débats, qui avait alors une si grande autorité littéraire. Le maître lui-même parla, et le maître alors c’était Raynouard. Dans le Journal des Savants de juillet 1832[2], il étudia l’élément historique de la légende de Roland, et traita la grande question des Cantilènes. Le jeune auteur de la Dissertation, ému de tant de critiques qui étaient en même temps des hommages, s’exécuta de bonne grâce et publia immédiatement quatre pages de Corrections et additions. Comme on le voit, la vie reprenait possession de nos romans oubliés. Un professeur aimé, vif, spirituel, éloquent, vint plaider leur cause en bons termes devant un auditoire d’élite : Fauriel entreprit de débrouiller les origines de notre Épopée. Par malheur, la science n’était pas encore assez avancée pour qu’on pût faire un bon travail d’ensemble. Fauriel fut ingénieux : il entrevit, il devina souvent la vérité ; mais il ne put la voir, la révéler tout entière. Les quelques lignes qu’il donna à Roland dans la deuxième de ses leçons[3], sont de tout point insuffisantes. Mais enfin l’attention publique était en éveil : autour de la légende de Roland, il se faisait un bruit qui ressemblait presque à une popularité nouvelle : on admettait que la France avait possédé jadis des poëmes nombreux, auxquels tout le monde ne refusait plus le nom d’Épopées. Fauriel n’avait point parlé en vain : A. W. Schlegel discuta les idées du brillant professeur dans une série d’articles auxquels un journal politique fit le meilleur accueil[4] ; car la presse quotidienne prenait de plus en plus une part active à cette lutte. Mais le meilleur travail sur la matière était l’œuvre d’un Allemand, à qui nous devons d’ailleurs tant d’excellents livres sur la littérature du Moyen âge. Dès l’année 1833, F. Wolf[5] parla de la Chanson de Roland, comme beaucoup de Français ne savent pas en parler en 1870. Il s’agissait toujours de nos Remaniements. Mais déjà, ô bonheur ! on était sur la trace du texte original, et ce sera le grand honneur de M. F. Michel d’avoir vaillamment suivi cette piste. Vingt travaux, d’ailleurs, le tenaient en haleine. Un débat intéressant s’élevait, en France, sur la versification de nos vieux poëmes, et Raynouard[6] cherchait à réfuter les idées de l’abbé de la Rue sur la rythmique de la Chanson de Roland. Cette fois, c’était bien notre version primitive qui était en jeu, et, en effet, l’abbé de la Rue en avait publié presque involontairement quelques couplets. Même il avait prononcé le nom de « Turold » et déclaré que la famille de ce poëte était normande[7]. Le poëte lui-même figure, disait-il, sur la tapisserie de Bayeux. Deux ans après, paraissait le tome xviii de l’Histoire littéraire[8], où M. Amaury Duval consacrait à « Turold, auteur du Roman de Roncevaux », un très-médiocre article, mais où du moins il avait le mérite d’appeler « épopée » notre Chanson. Épopée ! c’était presque un blasphème, et les classiques, les purs, durent se voiler la face. M. F. Michel, qui a eu le tort de ne pas suivre assez exactement le mouvement de la science en Allemagne, ne pouvait cependant ignorer que le célèbre Gervinus parlait longuement du Ruolandes Liet dans son Histoire de la poésie nationale en Allemagne[9]. À coup sûr, il ne demeurait pas étranger à la fameuse polémique sur ce fameux chant d’Altabiscar qui est l’œuvre d’un faussaire très-spirituel, mais enfin d’un faussaire[10]. Tout encourageait M. F. Michel. Le goût du public s’attachait décidément à ces études. Le libraire Silvestre réimprimait ou plutôt reproduisait presque servilement l’édition gothique de la Chronique de Turpin, translatée en français[11]. Dans ses Invasions des Sarrazins en France[12], M. Reynaud émettait, au sujet de Roncevaux, cette très-ingénieuse hypothèse « que les Sarrazins avaient fort bien pu prendre part au combat où périt Roland ». Avec une verdeur et un entrain juvéniles, M. Paulin Paris commençait la publication de ses Manuscrits français de la Bibliothèque du Roi[13], œuvre où il est aisé de constater aujourd’hui plus d’une erreur de détail, mais qui était bien faite pour éveiller la curiosité et donner quelques dévots de plus au culte trop longtemps délaissé de notre poésie du Moyen âge. La Belgique elle-même ne se mettait point en retard. M. de Reiffenberg nous offrait bravement son édition du Philippe Mouskes[14], livre énorme, mal fait, indigeste, touffu, obscur, et où les pièces justificatives ont plus de valeur que l’œuvre principale. Mais malgré tout, que de richesses ! On y trouve une nouvelle édition de la Chronique de Turpin et des extraits de la Chronique de Tournai ; on y peut lire enfin les rubriques des Conquestes de Charlemagne, par David Aubert, et cette compilation importante du xve siècle n’était pas encore connue dans le monde savant. Puis, dans son Introduction du tome II, M. de Reiffenberg étudie longuement la légende de Roland, de Ganelon, d’Olivier et de tous nos héros épiques. Ah ! si ce grand travailleur avait eu plus de sens critique et une cervelle mieux ordonnée ! C’est le Francisque Michel de la Belgique. Quoi qu’il en soit et comme nous venons de le dire, le Francisque Michel de la France se trouvait, en 1835 et 1836, fort encouragé dans ses travaux sur le Roland. Un homme éminent, et dont on trouve le nom mêlé à tant de grandes choses, M. Guizot, comprit toute l’importance de notre Chanson et désira la voir publiée en son texte original. Il donna une mission à M. F. Michel. Ces missions littéraires, on en a singulièrement abusé, et elles sont à peu près devenues ridicules. Aucune ne fut plus utile que celle de M. Francisque Michel en 1835. Il s’installa à la Bodléienne d’Oxford, plaça devant lui le fameux manuscrit 23 du fonds Digby, copia notre vieux poëme, et, moins de deux ans plus tard, fit paraître la première édition de notre grande Épopée nationale. Grâces en soient rendues à Dieu, dont la Providence s’étend aux études littéraires : c’est un Français qui eut cette gloire et non pas un Allemand !

Cette première édition[15], il est aujourd’hui trop facile de la critiquer, après trente-trois ans de nouvelles recherches et de travaux approfondis dus aux savants de toute l’Europe. Il est aisé sans doute d’y relever des erreurs de lecture, de restitution, de critique. Mais je dirai bien haut qu’elle mérite le respect, et il y aurait de l’ingratitude à ne pas lui rendre justice. Elle est d’ailleurs beaucoup plus soignée que les dernières œuvres de M. F. Michel. Dans une longue Préface, l’auteur essaie de montrer quels sont les fondements historiques de la légende ; puis, il fait une utile revue de travaux dont elle a été l’objet, réfute l’abbé de la Rue, discute la question du chant que Taillefer

entonna à la bataille d’Hastings, et, après des considérations sur les Chansons de geste, expose le plan de son édition. Alors il nous offre le précieux texte de la Chanson, divisé par laisses. L’édition est complétée par un Glossaire et un Index trop succincts, mais où l’on trouve plus d’une indication importante, et par la publication d’un certain nombre « de textes anglais, latins, allemands, italiens et espagnols relatifs à notre légende ». Cette seule partie du travail de M. F. Michel atteste une véritable largeur de vues qui n’était pas commune à cette époque. Je ne tairai pas un détail : l’éditeur offre à ses lecteurs un fac-simile assez exact du manuscrit d’Oxford. C’était leur donner le moyen de contrôler la date de ce manuscrit ; c’était aussi leur faire connaître le vêtement grossier sous lequel notre épopée nationale est parvenue jusqu’à nous. Quelle n’est pas la joie des érudits, lorsqu’ils contemplent le plus ancien manuscrit de l’Iliade ? Loin de nous la pensée de comparer ici les deux œuvres ! Mais enfin, à la vue du texte de la Bodléienne, les Français ne peuvent-ils pas éprouver une joie légitime ?

La vulgarisation

À la période d’invention[16]succède ici la période vulgarisation.

Elle est surtout caractérisée par un livre qui fut publié plus de treize ans après celui de M. F. Michel, par le Roland de M. F. Génin. Mais il ne faudrait pas croire qu’entre ces deux œuvres, rien de décisif n’ait été publié sur nos vieux poëmes de mieux en mieux connus, de plus en plus aimés. Le grand pas venait d’être fait : on possédait enfin le texte imprimé de notre Chanson, et l’on n’avait plus à craindre que les discussions scientifiques restassent à jamais dans ce vague qui leur est si fatal. En 1838, M. Ampère[17], pour sujet de son cours au Collége de France, choisit « la Poésie épique du Moyen âge ». Dix ans plus tôt, on n’aurait pas toléré un tel titre, qui eût passé pour un paradoxe ou un scandale. M. Chabaille[18] avait déjà essayé de vulgariser tout ce qui avait été jusque-là découvert sur nos Épopées chevaleresques.

En Allemagne, on faisait mieux encore : on publiait de nouveaux textes. Le Ruolandes Liet était édité par W. Grimm[19], le Ruolandes Liet à travers lequel on peut voir notre Roland, comme on voit l’eau à travers un cristal. Un an plus tard, Bekker écrivait, pour l’Académie de Berlin, son « Mémoire sur les manuscrits français de la Bibliothèque de Saint-Marc[20] », et rencontrait sur son chemin deux Roland d’une valeur bien inégale. Cependant M. Mazuy entreprenait, en France, la comparaison de l’Arioste avec nos Romans chevaleresques[21]. C’était un heureux essai, d’art et de littérature comparées. Bref, les esprits étaient assez bien disposés pour que le Roland de ce pauvre M. Creuzé de Lesser n’obtînt, en 1839, qu’un succès de fou rire[22]. On s’intéressait davantage aux travaux si longtemps attendus de M. Bourdillon : le livre parut enfin, et même, au lieu d’un livre, il en parut deux qui ne répondirent pas à l’attente générale. Loin d’être au courant des travaux de son temps, M. Bourdillon s’était singulièrement attardé. Véritablement amoureux d’un Remaniement qu’il regarda toujours comme le meilleur texte de notre poëme, il ne put même pas se résoudre à le publier exactement, et se permit des arrangements, des coupures, des changements. C’est ce qu’il appela modestement : Roncisvals mis en lumière[23]. Quant à sa traduction[24], c’est une série de notes fausses, ou, pour mieux parler, elle n’a qu’une note, et elle est fausse. Combien plus ils faisaient avancer la science, ces bibliographes allemands, Græsse d’une part[25] et Ideler de l’autre[26], qui, dans une seule et même année, firent paraître sur le Roland des Notices où l’on trouvait déjà tant d’indications utiles et ignorées des Français. D’un autre côté, M. Keller, dans son Romwart[27], publiait très-incorrectement de très-précieux extraits des Manuscrits de Venise. Notre malheur, en France, était de vouloir vulgariser la science avant qu’elle fût faite. Tel est le défaut de M. Charles Lenormant dans son Cours d’histoire moderne[28] ; telle est surtout l’erreur de M. Delécluze, qui publia, en 1845, deux volumes sur Roland et la Chevalerie[29], dont le premier est tout à fait ridicule. Par bonheur, le second n’est qu’une traduction de notre Roland. Traduire notre vieux poëme, c’était le meilleur moyen de le bien vulgariser, et il faut remercier M. Delécluze d’être le premier entré dans cette voie. D’ailleurs, il y eut alors un temps d’arrêt dans le mouvement en faveur de notre Épopée nationale. Un article fort remarqué de M. Littré sur la « poésie homérique et l’ancienne poésie française » nous conduit jusqu’à la révolution de 1848, qui, comme toutes les révolutions, ne fut pas d’abord très-favorable à la science[30]. Cependant, au milieu de la bagarre, M. F. Wey achevait placidement son livre sur les Révolutions du langage en France[31], qui renfermait tout un essai sur la Chanson de Roland[32]. L’Allemagne, qui n’avait pas échappé à la tourmente, continuait plus tranquillement encore de travailler sur les sources, et Massmann éditait, en 1849, la Kaisercronik du xiie siècle[33], où l’on trouve toute une Histoire légendaire de notre Charlemagne. Enfin parut ce livre si critiqué, mais si vivant, de Génin[34]. C’était en 1850, et c’est de cette année que date en France la nouvelle, la vraie popularité de notre Chanson.

Il n’est pourtant pas sans défauts, ce livre qui fut si influent. La critique relève aujourd’hui de grosses erreurs dans cette Introduction, sur laquelle Génin a tant compté pour entraîner l’opinion. Le texte, meilleur sans doute que celui de Michel, n’a pas été contrôlé sur le manuscrit original. À côté d’une restitution heureuse, on peut y signaler bien des hypothèses sans fondement et dont l’édition de Th. Muller a facilement démontré la fausseté. La traduction est pire encore et l’on se demande avec stupéfaction quelle raison a pu déterminer M. Génin, un homme d’esprit, un homme de sens, à traduire un poëme du xie siècle dans la langue du xvie siècle. Mystère ! Les notes sont souvent inutiles et pédantes. Pas de Glossaire. Voilà bien des critiques, et

qui sont justes. Quelle est donc la qualité d’ordre supérieur qui pourra racheter tous ces défauts ? L’enthousiasme, la foi. M. Génin a cru à Roland ; il s’est passionné pour la beauté de cette Iliade dédaignée ; il a aimé le vieux poëme ; il a voulu qu’on l’aimât ; il a été dévoré de la belle folie du prosélytisme. Voilà ce qui communique tant de chaleur à sa Préface, tant de charme à ses notes, tant de vie à sa traduction. Ajoutez à cela que Génin était Français jusqu’au bout des ongles, que sa pensée était nette, que son style était clair. Il n’en fallait pas tant pour émouvoir les esprits. Une polémique très-vive s’engagea sur-le-champ. MM. Guessard[35], P. Paris[36] et Magnin[37] y prirent une part active. Il se fit une grande dépense d’esprit, mais plus encore d’enthousiasme et d’amour. Un second vulgarisateur parut alors, qui voulut condenser le travail de Génin. L’excellente analyse de M. Vitet peut passer à bon droit pour une traduction : la Revue des Deux Mondes, qui la publia, fit connaître Roland dans l’univers entier[38]. Que dis-je ? connaître. Jusque-là notre chanson n’avait été que connue[39] : désormais elle fut aimée.

Editions populaires

Le livre de Génin ne clôt pas cette période de vulgarisation dont nous écrivons l’histoire. La science de nos Épopées se glissa ou plutôt pénétra jusque dans les livres élémentaires et « à l’usage des gens du monde ». Pendant que P. Paris, dans le tome xxii de l’Histoire littéraire[40], analysait scientifiquement toutes nos Chansons de geste, un universitaire (qui l’eût espéré ? qui le croirait ?) citait, dans une Histoire de la Littérature française, de longs fragments de notre Roland qu’il ne craignait pas d’admirer très-haut[41]. M. Littré écrivait, deux ans après, son article sur la Poésie épique dans la société féodale[42], et M. Charles Nisard, dans son Histoire des livres populaires[43], étudiait pittoresquement les dernières transformations de la légende de Roland, les Conquestes du grant Charlemagne et Galien le restauré. Collin de Plancy mettait à la portée des enfants la fable de Berte aux grands pieds et quelques autres traditions carlovingiennes[44] : avec un peu plus de travail, il fût devenu notre Simrock. Vers le même temps, Henri Martin, dans la quatrième édition de son Histoire de France, accusait de féodalisme tous les poëmes de notre cycle, et ne consentait à faire d’exception que pour l’auteur du Roland : « Ce fut là, disait-il, le seul chantre de la France[45]. » En l’année 1855-1856, M. Paulin Paris, avant de monter dans sa chaire du Collége de France, distribuait à ses auditeurs un fascicule où étaient imprimés quelque cents vers du Roncevaux de Paris ; il les expliqua très-intelligemment, et ce fut tout le sujet de son cours. Cependant M. Geoffroy était revenu de son voyage dans les bibliothèques de Danemark, de Suède et de Norwége ; il en rapportait une belle liste de Sagas consacrées à nos héros français, et qui étaient de vraies traductions de nos poëmes[46]. L’Allemagne, qu’on accuse parfois de n’être pas assez vulgarisatrice, nous donna, en cette même année 1855, un exemple dont nous ne savons guère profiter. Je parlais de Simrock tout à l’heure : c’est alors qu’il publia une nouvelle édition de son beau livre : Kerlingisches Heldenbuch[47], que lisent avec amour tous les enfants d’outre-Rhin. Déjà les frères Grimm n’avaient pas cru déroger en écrivant leurs Traditions allemandes[48] pour les ignorants, les enfants et les femmes. Quand viendra le temps où les hommes de science et les hommes d’esprit consentiront, en France, à suivre de si hauts exemples ? Jusqu’à quand laisserons-nous à la sottise et à la médiocrité le privilége de faire l’éducation de nos filles et de former virilement l’âme de nos garçons ? Petits livres bêtes, jusqu’à quand règnerez-vous ?

Malgré tout, la lumière continuait à se faire parmi nous, et la France ne montrait pas trop d’inconstance dans son amour si nouveau pour ses vieilles épopées. Mais, par malheur, le succès de toute entreprise, même littéraire, exige en France l’intervention de l’État, et nous ne touchons pas encore à cette ère de décentralisation que nous avons toujours souhaitée et attendue. Donc, l’État dut s’occuper de nos épopées. Il se trouva fort heureusement que nous eûmes affaire à un ministre intelligent et épris des choses du Moyen âge. M. H. Fortoul eut le coup d’œil assez juste pour voir que la publication de nos textes poétiques était encore le desideratum le plus urgent de la science. Il décréta la publication de toute notre poésie du moyen âge, et confia à M. Guessard la direction de ce Recueil gigantesque. Le raille qui voudra ! M. Fortoul n’avait pas eu, suivant nous, une conception trop vaste. La mort fit avorter ce projet, comme elle a tué tant d’autres choses, encore plus grandes, et qui restent grandes quand même. Les soixante volumes rêvés par M. Fortoul, et dont notre Roland eût été l’incomparable frontispice, se sont changés en cette intéressante collection des Anciens poëtes de la France[49], qui doit tant à l’érudition et à la méthode de M. Guessard, mais où Roland n’a pu encore trouver sa place. Cependant les Allemands ne se croyaient pas droit au repos : au moment où l’on imprimait, en France, les premières feuilles d’Aspremont[50], M. Bartsch éditait le Karl du Stricker[51], qu’il importe de comparer au Ruolandes Liet dont il est le remaniement. L’année suivante, M. Ad. Keller publiait le Karl-Meinet, cette compilation très-médiocre du xive siècle, qui donna lieu, en 1861, à un excellent travail de M. Bartsch[52]. Ainsi, l’Allemagne avait déjà publié, il y a dix ans, les trois œuvres capitales qui ont caractérisé, dans le Moyen âge allemand, les trois périodes, les trois phases de l’histoire de notre légende. Les érudits français se tournaient plus volontiers vers l’Espagne. M. Damas Hinard, dans sa préface du Cid[53], comparaît la versification du Roland à celle du vieux poëme espagnol ; M. Baret écrivait, dans l’Art en province, sa Dissertation sur les analogies du Cid avec notre vieille Chanson[54]. D’un autre côté, M. Gachet se servait fréquemment du texte de la Bodléienne pour expliquer, dans son Glossaire que la mort interrompit, les mots difficiles du Chevalier au Cygne, que M. de Reiffenberg avait trop rapidement publié[55]. C’est à cette époque enfin

que nous analysions longuement l’Entrée en Espagne, ce poëme si discuté et qui comble, dans la légende de Roland, une si vaste lacune[56]. Partout, partout, on travaillait à vulgariser notre Épopée nationale. Un Danois, M. Rosenberg, faisait de notre vieux poëme le sujet de tout un livre, où il étudiait Roland dans l’histoire et dans la tradition, où il exposait les lois de la rhythmique dans notre vieux poëme, où il abordait enfin toutes les questions que nous avons traitées plus haut[57]. Un Suédois, M. Unger, donnait une excellente édition de la Karlamagnus’s Saga, dont la huitième branche est une traduction ou un résumé de Roland[58]. Un Allemand, M. Hertz[59], traduisait scientifiquement la Chanson du xie siècle en iambiques libres ; un autre, M. Zoepfl, reprenait l’immortelle question des Rolandssaülen[60]. En France, nous étions moins heureux. M. d’Héricault, dans une excellente brochure sur l’Épopée française[61], assignait à notre roman sa vraie place ; ses théories sur les origines germaniques de nos Chansons étaient vivement combattues par M. Paul Meyer[62]. Mais que dire du roman de M. Assolant : la Mort de Roland[63] ? Et de la traduction de M. Jonain[64] ? Ce M. Jonain n’était pas peu hardi : il annonçait modestement la traduction en vers de Job, Virgile, Pétrarque, Burns et Camoëns. Rien n’égale la platitude burlesque de ses vers, qu’il a écrits, hélas ! moins d’après le texte original que d’après la traduction de M. Génin. En voulez-vous un spécimen :


Ganelon part : sous la feuille gentille
D’un olivier peu duisant aux dangers,
En bref délai, du Sarrazin Marsille,
Dans leur attente, il joint les messagers !!!


Tout est de cette force. Il n’est véritablement dans le livre de M. Jonain qu’une page intéressante : c’est la lettre du poëte Mistral, écrivant à notre traducteur que « la Chanson de Roland se chante encore, mais en provençal, dans les Basses et Hautes-Alpes ». Mais, comme on le sait, notre légende avait été plus loin : elle avait franchi les Pyrénées. Un érudit français nous fit alors assister à ses voyages en Espagne, et publia la traduction des principales Romances dont Roland fut le sujet[65]. Sans tant voyager, M. François Saint-Maur visitait pieusement en 1862 le champ de bataille de Roncevaux, et écrivait ses impressions de pèlerinage[66]. De Roncevaux où mourut Roland, à Vienne qui fut le théâtre de ses premiers exploits, la transition est facile. Victor Hugo, dans sa Légende des siècles[67], n’eut pas la hardiesse d’aborder la grande mort de notre héros ; mais il traduisit en vers incomparables les couplets de Girars de Viane consacrés à la lutte de Roland et d’Olivier. C’était donner une popularité nouvelle à la plus française de toutes les légendes, au plus français de tous les héros.

Sur la scène de l'opéra

Deux ans plus tard Mermet (pourquoi n’était-ce pas Gounod ?) jeta sur la scène de l’Opéra un Roland à Roncevaux, dont il avait emprunté le livret tantôt à notre vieille chanson, tantôt aux poëmes italiens, et d’autres fois, hélas ! à sa propre imagination et aux traditions… de l’Opéra[68]. La musique, je l’avoue, n’était guèrequ’une série de pas redoublés réussis et de bonne facture ; les paroles étaient médiocres et plus que médiocres. Mais enfin un grand exemple était donné, et il était prouvé que nous pouvions avoir un théâtre véritablement national. Vienne un grand musicien, qui s’éprenne de ce sujet, et nous aurons une œuvre aussi belle que Faust. Mais, au nom de l’art tant de fois outragé, que le librettiste se borne à traduire et à dramatiser notre vieux poëme. Arrière toutes les médiocrités italiennes ! arrière toutes les imaginations modernes !


Notes de l'introduction

  1. Examen critique de la Dissertation de M. H. Monin sur le Roman de Roncevaux, par Fr. Michel, Paris, Silvestre, 1832. — Avait paru d’abord dans le Cabinet de lecture.
  2. Modèle:No de Juillet 1832.
  3. De l’origine de l’Épopée chevaleresque au Moyen âge, dans la Revue des Deux Mondes, Modèle:N°du 15 septembre 1832.
  4. Étude sur le travail de Fauriel, intitulé : Origine de l’Épopée chevaleresque, par A. W. Schlegel. Journal des Débats, des 22 octobre, 14 novembre, 31 décembre 1833, et 21 janvier 1834.
  5. Über die neuesten Leistungen der Franzosen für die Herausgabe ihrer Nationalheldengedichte. Wien, 1833, in-8o.
  6. Journal des Savants, Modèle:N°de juillet 1833.
  7. L’abbé de la Rue, Essais historiques sur les bardes, les jongleurs et les trouvères anglo-normands, 1834.
  8. En 1835.
  9. Geschichte der poetischen Nationallitteratur der Deutschen. Leipzig, 1835, in-8, t. I, pp. 146-152.
  10. V. sur le « Chant des Escualdunacs », le Dictionnaire de la conversation et de la lecture, t. XIII, p. 25, et surtout le Journal de l’Institut historique, 1835, Paris, t. I, pp. 176-179. L’auteur de ce dernier article était M. E. de Montglave. Il avait vu une copie du chant d’Altabiscar chez l’ex-ministre Garat, qui la tenait du grenadier Latour-d’Auvergne, qui la tenait lui-même du Prieur d’un des couvents de Saint-Sébastien. Le manuscrit, disait-on, appartenait à la fin du xiie siècle- ou au commencement du xiiie siècle. C’est à M. Bladé que revient surtout l’honneur d’avoir découvert cette fraude.
  11. 1835, Modèle:In-4o.
  12. En 1836.
  13. 1836-1848, sept volumes in-8o.
  14. Chronique rimée de Philippe Mouskes, publiée par le baron de Reiffenberg, Bruxelles, 1836, 1838 ; Supplément en 1845. — 3 volumes Modèle:In-4o, dans la Collection des Chroniques belges.
  15. La Chanson de Roland ou de Roncevaux, du xiie siècle, publiée pour la première fois d’après le manuscrit de la bibliothèque Bodléienne d’Oxford, par Fr. Michel, Paris, 1837, in-8o. Le titre porte bien cette date de « 1837 » ; mais les bonnes feuilles en furent sans doute distribuées dès 1836, et peut-être même à la fin de 1835. C’est ainsi du moins que nous expliquons la date de l’article de M. Raynouard sur l’édition de Fr. Michel, qui parut, en février 1836, dans le Journal des Savants, et d’un autre article publié, en 1836, dans le Bulletin du Bibliophile.
  16. La poésie cependant continuait glorieusement son rôle initiateur. Si l’on veut connaître comment l’École romantique a compris notre légende, et en quoi elle diffère ici de M. de Tressan ou de la Gaule poétique, il faut lire le Cor, d’Alfred de Vigny, dont nous devons au moins citer quelques strophes :
    J’aime le son du cor le soir, au fond des bois

    ...Âmes des chevaliers, revenez-vous encor ?
    Est-ce vous qui parlez avec la voix du cor ?
    Roncevaux ! Roncevaux ! dans ta sombre vallée,
    L’ombre du grand Roland n’est donc pas consolée !

    ...Tranquilles cependant, Charlemagne et ses preux
    Descendaient la montagne et se parlaient entre eux.
    À l’horizon déjà, par leurs eaux signalées,
    De Luz et d’Argelès se montraient les vallées.

    L’armée applaudissait. Le luth du troubadour
    S’accordait, pour chanter les saules de l’Adour ;
    Le vin français coulait dans la coupe étrangère ;
    Le soldat, en riant, parlait à la bergère.

    Roland gardait les monts ; tous passaient sans effroi...

    ...Deux éclairs ont relui ; puis, deux autres encor.
    Ici l’on entendit le son lointain du cor.
    L’Empereur étonné, se jetant en arrière,
    Suspend du destrier la marche aventurière...

    « Entendez-vous ? dit-il. — Oui, ce sont des pasteurs
    « Rappelant les troupeaux épars sur les hauteurs,
    « Répondit l’Archevêque, ou la voix étouffée
    « Du nain vert Oberon qui parle avec la Fée. »

    Et l’Empereur poursuit ; mais son front soucieux
    Est plus sombre et plus noir que l’orage des cieux.
    Il craint la trahison, et, tandis qu’il y songe,
    Le cor éclate et meurt, renaît et se prolonge...

    « Malheur ! c’est mon neveu ! Malheur ! car si Roland
    « Appelle à son secours, ce doit être en mourant.
    « Arrière, chevaliers, repassons la montagne.
    « Tremble encor sous nos pieds, sol trompeur de l’Espagne.

    ...Dieu ! que le son du cor est triste au fond des bois !
    Cette pièce est ainsi datée par son auteur : « Écrit à Pau en 1835. » Mais elle ne parut qu’en 1838, dans les Poëmes antiques et modernes. (Chez Delloye, in-8o, p. 273 et ss.)
  17. Cours de M. Ampère sur la Poésie épique du moyen âge. (Revue française, août 1838, t. VIII, pp. 93-119.) ═ L’année suivante, commença la publication de l’Histoire littéraire de la France avant le xiie siècle (4 vol. in-8o), œuvre de vulgarisation assez brillante, mais qui a été trop dépassée pour être encore d’une lecture utile.
  18. Épopées chevaleresques, par A. Chabaille. (Revue française, t. III, 1er décembre 1837, pp. 342-361.)
  19. Ruolandes Liet, herausgegeben von Wilhelm Grimm. Göttingen, 1838.
  20. En 1838, parut, à Paris, le Rapport de M. Michel à M. le Ministre de l’Instruction publique sur les anciens monuments de l’histoire et de la littérature de la France qui sont conservés dans les Bibliothèques de l’Angleterre et de l’Écosse, Modèle:In-4o.
  21. Introduction et Notice sur les romans chevaleresques, les traditions orientales, les chroniques et les chants des trouvères et des troubadours comparés à l’Arioste, par M. A. Mazuy, traducteur de l’Arioste. Paris, 1838.
  22. La Chevalerie ou les Histoires du Moyen âge, composées de la Table-Ronde, Amadis, Roland, poëmes sur les trois familles de la Chevalerie romanesque, par A. Creuzé de Lesser. Paris, 1839. (La première édition avait paru en 1815.) ═ Roland, poëme imité de l’Arioste, Boiardo, Pulci, Berni, Fortiguerra, etc. etc., ne renferme pas moins de 40 chants et de 54,000 vers.
  23. Roncisvals mis en lumière, par J.-L. Bourdillon. Lyon et Paris, 1841, in-12. ═ Cf. les Observations de Génin, en son édition de Roland, p. cvii.
  24. Le Poëme de Roncevaux, traduit par J.-L. Bourdillon. Paris, Lyon et Paris, 1840, in-12.
  25. Die grossen Sagenkreise des Mittelalters, etc. von Dr Johann Georg Theodor Grässe, Dresden, 1842, in-8o. La bibliographie du Roland se trouve aux pp. 293-301 et 311-326.
  26. Geschichte der altfranzösischen Nationallitteratur, p. 93. C’est une partie du Handbuch der französischen Sprache und Litteratur, von L. Ideler und. H. Nolte,… bearbeitet von Julius Ludwig Ideler. Berlin, 1842, in-8o.
  27. Romwart, Beiträge zur Kunde mittelalticher Dichtung aus italienischen Bibliotheken, von Adalbert Keller. Manheim, 1844, in-8o.
  28. Paris, 1844-1845, in-8o. ═ V. la IIe partie, p. 347 et ss.
  29. Paris, 1845, 2 vol. in-8o, chez J. Labitte. ═ Cf. un article de M. Magnin sur le livre de M. Delécluze, dans la Revue des Deux Mondes, du 15 juin 1846.
  30. Revue des Deux Mondes, 1er juillet 1847. (Article reproduit au t. I de l’Histoire de la langue française, p. 307 et ss.) Ce qu’il y a de plus original dans cette étude, c’est la traduction, par M. Littré, de tout le premier chant de l’Iliade en vers français des xii-xiiie siècles. ═ Cf. un essai de ce genre dans nos Épopées (I, 116).
  31. Histoire des révolutions du langage en France, par F. Wey. Paris, 1848, in-8o.
  32. Aux pp. 130-147.
  33. Quedlinburg, 1849, 3 vol. in-8o.
  34. La Chanson de Roland, poëme de Theroulde, texte critique accompagné d’une traduction et de notes, par F. Génin. Paris, Imprimerie nationale, 1850, 1 vol. in-8o. ═ La traduction parut à part dans la Revue de Paris ; puis, dans un volume spécial, sous ce titre : Roncevaux, poëme de Theroulde, composé vers le milieu du xiie siècle, traduction nouvelle de M. Génin. Paris, 1852, in-8o.
  35. Lettre sur les variantes de la Chanson de Roland, adressée d’Oxford, le 30 avril 1851, à M. Léon de Bastard, par Fr. Guessard, p. 16, in-8o. ═ Il paraît bien démontré que Génin n’a jamais vu de ses yeux le texte d’Oxford.
  36. La Chanson de Roland, Critique de l’édition de M. F. Génin, par P. Paris. (Bibliothèque de l’École des Chartes, C. ii, pp. 287 et 393.)
  37. Journal des Savants, septembre et décembre 1852 (pp. 541 et 766) et mars 1853. La presse hebdomadaire et quotidienne se mêla aussi à cette lutte. (V. l’Illustration du 19 avril 1851, pp. 250, 251, et du 2 août de la même année, p. 70 ; la République du 11 avril 1851, l’Univers, etc.)
  38. Modèle:No du 1er juin 1852. L’analyse de M. Vitet fut résumée dans l’Histoire de France de Bordier et Charton. V. le mot Roland aux Tables du Magasin Pittoresque.
  39. C’est en 1851 que parut la première édition du Roland de M. Th. Müller : La Chanson de Roland berichtigt und mit einem Glossar versehen nebst Beiträgen zur Geschichte der französischen Sprache, von Dr Th. Müller, Assessor der philosophischen Facultät zu Göttingen (erste Abtheilung). Göttingen, Verlag der Dieterich’schen Buchhandlung, 1851, in-8o.
  40. En 1852.
  41. Demogeot, éditions de 1852 et 1857.
  42. Revue des Deux Mondes, 1er juillet 1854. ═ Cet article a été réimprimé dans l’Histoire de la langue française, t. I, p. 256.
  43. Paris, Amyot, 1854, 2 vol. in-8o.
  44. J’ai sous les yeux la 7e édition, qui est sortie des presses de la Société de Saint-Victor.
  45. La première-seconde édition avait été commencée en 1833 et fut achevée en 1836. La troisième fut mise sous presse en 1837, et ne fut terminée qu’en 1534. La quatrième fut exécutée entre les années 1855-1860.
  46. Notices et extraits de manuscrits concernant l’histoire et la littérature de la France, qui sont conservés en Suède, en Danemark et en Norwége, par M. Geoffroy, Paris, in-8o, 1855. (Archives des Missions.)
  47. À Francfort-sur-le-Mein.
  48. V. les Traditions allemandes des frères Grimm, traduites par M. Theil, en 1838. Paris, Levasseur, 2 vol. in-8o.
  49. Le Décret impérial ordonnant la publication d’un « Recueil des anciens poëtes de la France » est du 12 février 1856.
  50. Ce fascicule, imprimé en 1856, n’a pas été livré au public. Quelques exemplaires servent à l’enseignement de l’École des Chartes.
  51. Quedlinburg, 1857.
  52. Ueber Karl-Meinet. Ein Beitrag zur Karlsage. Nurnberg, 1861, in-8°.
  53. Le Poëme du Cid, Texte espagnol, accompagné d’une Traduction française, de Notes, d’un Vocabulaire et d’une Introduction, par Damas Hinard. Paris, Impr. impériale, 1858. ═, V. à la page xlii de l’Introduction l’utile digression de l’auteur sur la versification de nos vieux poëmes et, à la page xli, la comparaison du Cid avec Roland, etc.
  54. Du Poëme du Cid dans ses analogies avec la Chanson de Roland. (L’Art en province, Modèle:N°de juin 1858.)
  55. Le Chevalier au Cygne, Glossaire, par E. Gachet. Bruxelles, Hayez, 1859. Ce bon travail, où Roland est très-souvent cité, fut achevé par une autre main.
  56. Bibliothèque de l’École des chartes, 4e serie, t. IV, 1858. A paru à part chez Techener. ═ Peu de temps auparavant, M. Guessard avait publié, dans le même Recueil, une analyse du Charlemagne de Venise (Ms. xiii de la Bibliothèque Saint-Marc).
  57. Rolandskvadet et normannisk heltedigt dets oprindelse og historiske Betydning, par C. Rosenberg, chez F. Hegel, à Copenhague, 1860, in-8o.
  58. Karlamagnus’s Saga. Christiania, Jensen, 1868, in-8o.
  59. Das Rolandslied. Das älteste französische Epos. Uebersetzt von Dr Wilhelm Hertz. Stuttgart, Cottá’scher Verlag, 1861, in-8o.
  60. Die Rolandssaüle, 1861.
  61. Essai sur l’origine de l’Épopée française et sur son histoire au Moyen âge, par Ch. d’Héricault. C’est le tirage à part d’un article de la Revue des Sociétés savantes. Paris, 1859, in-8o.
  62. Bibliothèque de l’École des Chartes, 1861.
  63. La Mort de Roland, fantaisie épique, 1860.
  64. Roland, poëme héroïque de Theroulde, trouvère du xie siècle, traduit en vers français par Jonain, sur le texte et la version en prose de F. Génin. Paris, J. Tardieu et Chamerot, 1861.
  65. Les Vieux Auteurs castillans, par le comte Th. de Puymaigre. Paris, Didier, 1862.
  66. Cinq jours d’un Parisien dans la Navarre Espagnole, par M. François Saint-Maur. Pau, Vignancour, 1862.
  67. V. Le Mariage de Roland (p. 65 de l’édition in-18 de Hachette, en 1862). ═ Cf., p. 71, Aymerillot, où le grand poëte s’est heureusement inspiré du début de notre Aimeri de Narbonne. Il nous y représente Charlemagne arrivant de Roncevaux et pleurant la mort de son neveu. L’imitation est exacte, la note juste :

    Charlemagne, empereur à la barbe fleurie,
    Revient d’Espagne. Il a le cœur triste, il s’écrie :
    Roncevaux ! Roncevaux ! Ô traître Ganelon ! »
    Car son neveu Roland est mort dans ce vallon,
    Avec les douze Pairs et toute son armée...
    Il pleure. L’Empereur pleure de la souffrance
    D’avoir perdu ses preux, ses douze Pairs de France,
    Ses meilleurs chevaliers qui n’étaient jamais las,
    Et son neveu Roland, et la bataille, hélas !

    Et surtout de songer, lui, vainqueur des Espagnes,
    Qu’on fera des chansons dans toutes ces montagnes
    Sur ces guerriers tombés devant des paysans,
    Et qu’on en parlera pendant quatre cents ans…

  68. 1 L’œuvre de Mermet repose sur ces deux données qui sont également fausses : 1o Roland a fait « vœu de ne pas aimer », de ne pas « donner son cœur », et, s’il meurt à Roncevaux, c’est qu’il a manqué à son vœu en aimant la belle Alde. Sa mort est donc un châtiment céleste, et non pas un martyre sublime. — 2o Alde, qui est une orpheline, est sur le point d’épouser malgré elle le comte Ganelon, quand soudain apparaît Roland, qui provoque en duel le « chevalier félon » et empêche ce mariage forcé. De là l’implacable haine de Ganelon contre Roland qu’il livre à l’émir de Saragosse. ═ Il est vraiment déplorable qu’on ait eu recours, en un tel sujet, à de telles imaginations, et M. Mermet est d’autant moins excusable qu’il a connu notre vieux poëme et l’a parfois imité d’assez près. (V. notamment la belle allocution de Turpin aux chevaliers français, pp. 56, 57 de l’éd. Michel Lévy, en 1865.) ═ Quant au « Chant de Roland », c’est une platitude littéraire qui se complique d’une platitude musicale. Toutefois, nous le citons ici, pour donner à nos lecteurs une idée complète de toutes les formes qu’a reçues notre légende :

    CHANSON DE ROLAND
    Dans les combats, soldats de France,
    Des preux chantez le plus vaillant.
    Tout fuit quand il brandit sa lance,
    Chantez, Français, chantez Roland.

    J’entends au loin, dans les campagnes
    Perçant les bois et les montagnes,
    Des ennemis glaçant le cœur,
    Son cor d’ivoire au son vainqueur.

    Là-bas, dans la plaine sanglante,
    Brille une épée étincelante,
    Rouge comme un soleil couchant :
    C’est Durendal au dur tranchant.

    Dans les combats, soldats de France, etc.
    (Roland à Roncevaux, éd. M. Lévy, p. 12.)

Voir aussi