La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition critique/1872/Introduction/Turpin

De Wicri Chanson de Roland

La chronique de Turpin


XI. — du premier outrage que reçut la légende de roland
la chronique de Turpin


« Le mieux est l’ennemi du bien. » C’est un adage que l’on peut appliquer fort exactement à l’œuvre singulière dont nous

allons parler. L’auteur de la Chronique de Turpin[1] était sans doute animé des meilleures intentions à l’égard de notre légende nationale et de Roland, notre héros. Il connaissait très-probablement notre vieux poëme et l’aimait ; mais il ne sut pas s’en contenter. Ce clerc, ce moine, n’a pas trouvé que notre chanson fût assez profondément théologique et cléricale, et il a voulu lui donner ce qui lui manquait. De là ce récit étrange assaisonné d’un peu d’histoire, de beaucoup de traditions et aussi, par malheur, des propres imaginations de l’auteur ; de là cette chronique qui a les allures d’un Traité de dévotion, et dont chaque alinéa est accompagné d’une Moralité symbolique et mystique ; de là, enfin, cette narration affadie qui a eu un si prodigieux succès et si peu mérité durant tout le moyen âge ; qui a trouvé, hélas ! des copistes et des imitateurs sans nombre ; qui a contribué à faire oublier ou mépriser notre Épopée française, et qui surtout a le tort, irréparable à nos yeux, d’avoir dénaturé les traits du plus national de nos héros. « Le mieux est l’ennemi du bien. » Roland était chrétien : on en a fait un scolastique, et on a cru bien faire. Le voilà qui raisonne, pérore, symbolise et subtilise : combien je l’aimais mieux donnant de grands coups d’épée, qui sont bien plus opportuns et bien plus utiles ! Le voilà qui récite le traité de Trinitate : je le préfèrerais dans la mêlée, les bras rouges de sang. Le voilà qui prie en deux pages ; il me plaisait davantage priant en deux mots, comme un soldat, et tendant naïvement à Dieu le gant de sa main droite. C’était un soldat, et le type du soldat chrétien : le faux Turpin en a fait un marguillier. En vérité, cette œuvre a été funeste ; elle a abaissé le niveau des âmes ; elle a diminué la somme de virilité qui était parmi nous ; elle a fait triompher l’apocryphe et le médiocre : elle est de tout point condamnable et mauvaise[2].

À quelle époque a été écrit ce livre malsain et sans beauté ? Quel en est l’auteur, et dans quelles circonstances a-t-il été composé ? Ce sont des problèmes ardus, et que les érudits de

France et d’Allemagne ont longuement discutés. Nous allons préciser l’état actuel de la science.

Dans une Dissertation antérieure[3] nous avons essayé de déterminer, d’après ses éléments intrinsèques, la date du faux Turpin… Le mot Lotharingia qui s’y rencontre nous atteste que la Chronique est postérieure à 855 et même à 901. C’est bien ; mais il faut aller plus loin. Flodoard, qui est l’auteur bien connu d’une Histoire de l’Église de Reims, ne connaît pas notre récit apocryphe : donc, ce récit est au moins postérieur à l’année 966, qui est celle où Flodoard mourut : et nous voici déjà à la fin du xie siècle. C’est bien, c’est mieux ; mais descendons

encore. Deux vers, insérés dans le premier Supplément de la Chronique[4], portent les traces évidentes de la versification latine des xie siècle- et xiie siècles[5]. Puis, au chapitre xviii, il est question de la « terre du Portugais ». Ce dernier mot n’ayant pas été rencontré jusqu’ici dans un document antérieur à 1069, il faut croire que notre chronique elle-même n’est pas de beaucoup antérieure à cette date, ou qu’elle est plus récente ; et nous voilà parvenus à la seconde moitié du xie siècle. Nous respirons maintenant plus à l’aise ; car déjà sans doute la Chanson de Roland est écrite, et le faux Turpin, qui d’ailleurs parle très-nettement des Chansons de geste[6], nous apparaît visiblement comme un imitateur, comme un copiste.

Cependant ne nous désespérons pas, et allons plus avant. Une lettre de Geoffroy, prieur du Vigeois, nous montre, en 1180, un exemplaire du faux Turpin entre les mains d’un clerc français ; mais l’exemplaire est déjà tout usé et à moitié effacé par le temps… Dans cette fameuse compilation que l’empereur Barberousse fit écrire pour préparer la canonisation de Charlemagne, tout le Faux Turpin est entré, et c’est un des éléments le plus considérables du Recueil. Or, nous connaissons la date de cette compilation : elle est de 1165. Donc, l’œuvre attribuée à Turpin est antérieure à 1165. Or, nous venons d’établir tout à l’heure qu’elle est postérieure à la première moitié, aux deux premiers tiers du xie siècle

Telles étaient nos conclusions, et nous ajoutions : « C’est entre 1060 et 1160 que nous placerons la rédaction de la chronique du faux Turpin. Pour mieux dire, elle appartient, suivant nous, à la fin du onzième siècle, ou plutôt au commencement du douzième. »

Mais, au moment même où nous écrivions les lignes précédentes, M. G. Paris, dans son De pseudo Turpino[7], faisait faire à la science un pas plus large et décisif. Sa Dissertation est, jusqu’à ce jour, le dernier mot sur la question. Elle peut passer, d’ailleurs, pour un bon spécimen de la critique moderne. Et c’est à ce titre aussi que nous allons la résumer.

Le principal mérite du jeune érudit est d’avoir nettement distingué, dans la Chronique du faux Turpin, deux parties qui ne sont ni du même temps, ni du même esprit, ni du même auteur. Il ne sera plus permis désormais de confondre les cinq premiers Chapitres avec les suivants...

Il est aisé de se convaincre que le premier de nos deux auteurs connaît l’Espagne de visu, et même un peu les choses musulmanes, tandis que le second emprunte servilement à nos poëmes ses noms de lieux et ses noms d’hommes. L’un n’a jamais eu l’intention de se faire passer pour Turpin, et, s’il nomme le trop fameux Archevêque, c’est une seule fois, et à la troisième personne ; l’autre, au contraire, dit perpétuellement, et non sans impudence : « Moi, Turpin, j’ai fait et dit telle ou telle chose. » L’un est une âme sincère, l’autre un fourbe. Le premier ne cite que Charlemagne parmi les Français ; le second a tout un arsenal de héros qui sont, pour la plupart, ceux de nos Chansons de geste. L’un ne cherche qu’à étendre la gloire de l’apôtre saint Jacques : c’est là son principal, son unique objectif, sa pensée fixe, son but, sa vie. Pour le second, le culte de saint Jacques est plus que secondaire (sauf toutefois en un chapitre qui est visiblement d’une autre main). L’un raconte pour prouver ; l’autre pour raconter, et son principal souci est de divertir ses lecteurs. Si l’on veut bien en outre relire les cinq premiers Chapitres, on verra qu’ils forment par eux-mêmes un tout merveilleusement complet, et se terminant très-logiquement par le retour en France de l’empereur Charles qui a comblé de bienfaits le pèlerinage et l’église de Saint-

Jacques. Le Roi n’était venu qu’à cette intention ; une fois sa tâche remplie, il se retire, et le Chroniqueur se tait.

Il ne reste plus à l’érudition de nos jours qu’à fixer l’époque où écrivait l’auteur de ces premiers chapitres ; où vivait cet historien crédule, mais de bonne foi. Or nous possédons ici un précieux élément de critique. Pendant les dernières années du xie siècle ou au commencement du xiie siècle-, les moines de Compostelle Muñio Alfonse, Hugues et Girart écrivirent la fameuse Historia Compostellana. Ils y racontent longuement l’histoire de l’invention des reliques de saint Jacques… « Pendant la domination des Sarrazins, ce trésor avait été caché aux regards des profanes. Un miracle en indiqua la place à l’évêque Théodemir ; le roi Alfonse les visita et bâtit en leur honneur un sanctuaire modeste ; puis, ce fut le tour de Charlemagne, qui obtint du pape Léon de beaux priviléges pour l’église de Saint-Jacques ; l’évêque d’Iria devait désormais habiter cette église, etc. etc. » Tel est le très-célèbre récit de l’Historia Compostellana, qui peut passer pour la « version officielle », émanée de l’église de Compostelle elle-même. Or, nos cinq premiers chapitres renferment un récit notablement différent de celui-là. Donc, ils sont antérieurs. Car, quel est le chroniqueur, quel est l’Espagnol qui, après la publication de l’Historia Compostellana, aurait osé se mettre ainsi en désaccord avec elle ? M. G. Paris conclut en fixant, au milieu du xie siècle, la rédaction de la première partie du Faux Turpin. Nous adoptons volontiers cette conclusion.

Il était plus difficile de critiquer et de dater les autres chapitres, les seuls d’ailleurs qui se rapportent directement à notre légende. Tout d’abord, il est évident que l’auteur est Français. La plupart des manuscrits de la Chronique renferment sur saint Denis des interpolations qui ne se pourraient comprendre de la part d’un Espagnol. Mais, à n’examiner que le texte le plus ancien, l’ignorance des choses espagnoles, la connaissance des héros, des lieux et des poëmes français, la dévotion à saint Denis, le peu de place laissé à saint Jacques, tout concourt à prouver la nationalité de notre chroniqueur.

Mais à quelle époque vivait-il ?

Voici qu’il nous parle quelque part de « Chanoines réguliers vêtus de blanc[8] ». Or ces Chanoines, comme l’a observé l’abbé Lebeuf, n’existaient pas avant la fin du xie siècle. Précisons davantage. — Certaines dissertations sur la Trinité, très-verbeuses et fort déplacées dans une Chronique, ne se comprennent pas si on ne les rapporte aux erreurs de Roscelin[9]. Or, ces erreurs furent condamnées en 1092. Donc, l’auteur serait un Français qui appartiendrait tout au moins aux dernières années du xie siècle. C’est encore bien vague.

Le Chapitre xxx va peut-être nous éclairer plus vivement. Nous y lisons que Turpin vint à Vienne se reposer des blessures qu’il avait reçues en Espagne. À Vienne ? C’est étrange. Et le second Supplément (de la même main que les derniers chapitres) ajoute que Turpin fut enseveli dans la même ville : « Quelques-uns de nos clercs lui donnèrent une sépulture glorieuse. Quidam ex clericis nostris. » C’est clair : l’auteur était un Viennois. Il est possible qu’il ait été moine de Saint-André ; mais il nous semble que ce dernier fait n’est pas encore entouré de ses preuves, et que M. G. Paris a trop aisément accepté le témoignage de G. Alard.

Or, le siége de Vienne, au commencement du xiie siècle, était occupé par un évêque de grand mérite, Gui de Bourgogne, qui devait plus tard être élu pape et régner sous le nom de Callixte II. Gui (notez ce fait capital) était frère de Raimond, comte de Galice et fit lui-même un pèlerinage à Compostelle[10]. Voici, voici que nous approchons de la vérité. Donc, Gui de Bourgogne,

archevêque de Vienne, avait, à raison de son frère, un intérêt visible à favoriser Compostelle et à répandre le culte de saint Jacques. Si donc un Viennois a pu écrire la Chronique de Turpin, c’est sous ce pontificat, ou jamais. Il est en outre bien probable, et même presque certain, qu’un tel livre n’a été écrit par un Viennois qu’après le voyage de l’archevêque à Compostelle. Or ce voyage eut lieu en 1108, et Gui cessa, en 1119, d’être archevêque de Vienne. C’est donc entre les années 1109 et 1119 qu’il faut placer la rédaction des vingt-sept derniers chapitres du Faux Turpin.

« C’est fort bien, dit ici le lecteur ; mais il me reste à comprendre comment les cinq premiers chapitres ont été soudés aux vingt-sept derniers pour ne former désormais qu’une seule et même œuvre, dont la popularité fut universelle. » Une hypothèse de M. Gaston Paris répond à cette dernière question et suffit à tout expliquer… Le second auteur du Faux Turpin aura sans doute accompagné son archevêque à Compostelle en 1108 : il y aura trouvé les cinq premiers chapitres qui formaient alors une œuvre à part, les aura emportés avec lui et leur aura donné la suite, le complément que l’on connaît. Cette soudure fut une fraude nouvelle[11] ; mais, en fait de délicatesse littéraire, il ne faut pas être trop exigeant envers un auteur qui a bien l’audace de se faire passer pour l’archevêque Turpin, mort 250 ans avant lui !

Tel est l’auteur, telle est la date de ces vingt-sept chapitres qui peuvent être considérés comme une Histoire de Charlemagne et de Roland, et qui sont connus dans le monde entier. Cette œuvre, où se fait si vivement sentir l’influence de notre vieux poëme, a exercé elle-même sur nos Chansons épiques une

influence considérable. Elle a balancé la popularité de notre Roland, qu’elle imite si platement. Tous les documents littéraires du moyen âge, qui sont consacrés à la gloire du neveu de Charlemagne, se divisent en deux grandes familles, suivant qu’ils reproduisent les fables du Faux Turpin[12] ou la légende de notre Épopée. Cette parodie de notre poëme a fait un mal immense, et nous avons été, par cela même, forcé d’en parler longuement[13].

Roland n’avait pas besoin de cette œuvre cléricale[14] pour

occuper une grande place dans l’Église. Il a été longtemps révéré comme un martyr. Son nom se trouve en plusieurs Martyrologes, et les Bollandistes ont dû s’en occuper à deux reprises[15]. Ils l’ont avec raison rejeté du nombre des Saints, mais en éprouvant un certain regret d’être contraints à cette sévérité. Après avoir justement flétri les fables du faux Turpin, ils s’écrient : « Nous serions heureux de posséder sur Roland des documents plus sûrs : Nos certiora libenter acciperemus. » C’est une bonne parole de critique chrétien, et nous la répétons volontiers après les Bollandistes.

Notes de l'introduction

  1. Ou, pour parler plus exactement, l’auteur des chapitres vi-xxxii.
  2. On trouvera le résumé complet de la « Chronique de Turpin », à la note du v. 96. Mais, pour donner une idée exacte de cette œuvre qui a eu une si singulière fortune, le mieux est encore d’en citer un fragment considérable. C’est ce que nous ferons, d’ailleurs, pour tous les documents littéraires où la légende de Roland tient une place importante. On pourra comparer à la première et à la seconde partie de notre Chanson le chapitre suivant du « faux Turpin » qui est le xxie et dont nous allons offrir à notre lecteur une traduction nouvelle. Le titre de ce chapitre est le suivant : « De proditione Ganalonis et de bello Runciævallis et de passione pugnatorum Christi. » En ce temps-là, après que Charles le Grand eut conquis toute l’Espagne pour la plus grande gloire de Dieu et le plus grand honneur de saint Jacques, il passa par l’Espagne et y séjourna avec ses armées. Or, il y avait alors à Saragosse deux rois sarrazins, l’un nommé Marsire et l’autre Beligand : ils étaient frères et avaient été envoyés en Espagne par l’Émir de Babylone en Perse. Ces deux rois avaient fait leur soumission à Charles et lui obéissaient volontiers en toutes choses ; mais c’était de l’hypocrisie. Le Roi des Franks leur manda par Ganelon qu’ils eussent à recevoir le baptême, ou à lui faire passer leur tribut. Ils lui envoyèrent trente chevaux chargés d’or, d’argent et de toutes les richesses de l’Espagne, quarante autres sommiers chargés d’un vin très-doux et très-pur, lequel était destiné aux chevaliers, avec mille belles Sarrazines. Pour Ganelon, il en reçut, pour leur livrer les chevaliers français, vingt chevaux chargés d’or, d’argent et de soie. Il fit avec eux ce marché et accepta cet argent. Et c’est après avoir bel et bien conclu ce pacte infâme avec eux que Ganelon revint vers Charles. Il lui remit les richesses que les deux rois de Saragosse avaient envoyées à l’Empereur : « Marsire, lui dit-il, veut devenir chrétien et se dispose à venir vous trouver en France pour y recevoir le baptême et pour tenir de vous toute l’Espagne en fief. » Les vieux chevaliers n’acceptèrent qu’un seul de ces dons et ne touchèrent point aux Sarrazines. Cependant Charles, plein de confiance dans les paroles de Ganelon, s’apprêtait à passer les défilés, les « ports » de Sizer, et à revenir en France. Il prit alors conseil de Ganelon et ordonna sur ce, à ceux qu’il aimait le plus, à Roland, son neveu, comte de Blaives et du Maine et à Olivier, comte de Gennes, de former à Roncevaux l’Arrière-garde de l’armée avec les vieux chevaliers et vingt mille chrétiens, jusqu’à ce que lui, Charles, eût passé les ports de Sizer avec le reste de l’armée. C’est ce qui fut fait. Mais les nuits précédentes, un certain nombre de Français s’étaient enivrés de vin sarrazin et s’étaient rendus coupables de fornication avec les païennes, voire même avec des chrétiennes venues de France. C’est par là qu’ils méritèrent la mort. Que dirais-je de plus ? Tandis que Charles passait les défilés avec vingt mille chrétiens, avec Turpin et Ganelon ; tandis que les autres faisaient l’arrière-garde, Marsire et Beligand, avec cinquante mille Sarrazins, sortirent au petit jour des bois et des montagnes, où, d’après le conseil de Ganelon, ils s’étaient cachés pendant deux jours et deux nuits. Là, ils se divisèrent en deux troupes. Un premier corps de vingt mille païens se jeta sur les derrières de notre armée ; mais les nôtres revinrent à la charge contre les Sarrazins, et, après un assaut qui dura depuis le matin jusqu’à tierce, les tuèrent tous. Pas un de ces vingt mille païens n’échappa. Comme les nôtres étaient las et épuisés d’une telle bataille, ils furent, sans avoir eu le temps de respirer, attaqués par trente mille autres Sarrazins qui les frappèrent depuis le plus vieux jusqu’au plus jeune. Des vingt mille chrétiens, il n’en resta pas un. Les uns furent frappés par les lances païennes ; les autres périrent sous l’épieu, les autres eurent la tête coupée par l’épée, d’autres furent tranchés par la hache, d’autres percés par les dards et les flèches, d’autres écorchés vifs par les couteaux, d’autres brûlés par le feu, d’autres enfin pendus aux arbres. Là périrent tous les poignéors, tous les chevaliers, à l’exception de Roland, de Baudouin, de Turpin, de Thierry et de Ganelon. Baudouin et Thierry, s’étant cachés dans les bois, parvinrent à s’échapper. Les Sarrazins alors se retirèrent une lieue plus loin. ═ Nota. On peut ici se demander pourquoi Dieu permit la mort de ceux-là mêmes qui ne s’étaient pas rendus coupables d’impureté avec les femmes. S’il ne leur accorda pas de revoir leur patrie, c’est qu’il ne voulait pas qu’ils y commissent de plus grands péchés. Et, en raison de tous leurs mérites et labeurs passés, il leur donna, par le martyre, la couronne du céleste Royaume. Quant à ceux qui avaient été impurs, il permit leur mort pour effacer leur péché dans le sang répandu, dans le martyre. Ce ne sont pas leurs mérites que le Dieu très-clément a voulu récompenser ; mais enfin ils ont confessé son Nom avant de mourir ; mais ils ont fait l’aveu de leurs fautes ; mais, malgré leurs impuretés, ils sont morts pour Jésus-Christ. Ce fait nous montre aussi jusqu’à l’évidence combien la compagnie des femmes est funeste à ceux qui marchent aux combats. Quelques princes de ce monde, Darius et Antoine, ont été à la guerre accompagnés de leurs femmes : ils ont succombé tous les deux, l’un sous les coups d’Alexandre, l’autre sous ceux d’Octavien-Auguste…
  3. Cette Dissertation, que nous allons résumer très-exactement, est dans nos Épopées françaises, au t. I, pp. 68-89.
  4. Suivant M. G. Paris, ce premier Supplément est de la même main que les chapitres VI-XXXII.
  5. Voici ces deux vers : Qui legis hoc carmen Turpino posce juvamen, Ut pietate Dei subveniatur ei.
  6. « Ogerius, dux Daciæ… De hoc canitur in cantilena usque in hodiernum diem, quia innumera fecit mirabilia. » (Cap. xi.)
  7. En 1865, chez Franck, in-8o. — C’était une thèse latine pour le Doctorat ès lettres. Nous allons en donner l’analyse.
  8. Cap. xiii : Quosdam, canonicali habitu albo indutos. Et, plus loin (cap. xxix), il s’agit de l’église de Blaye, où Charles… canonicos regulares intromiserat.
  9. Chap. xvii. On les retrouve dans l’Entrée en Espagne, sous une forme plus populaire.
  10. Le fameux chapitre sur saint Jacques (c’est le xixe), qui fait disparate dans l’œuvre de notre second auteur, mais qui est d’une doctrine absolument conforme à celle de l’Historia Compostellana, fut probablement remis tout fait à notre Viennois par les moines de Compostelle. Toutefois, ce n’est qu’une hypothèse.
  11. Le nom de Turpin, qui se trouvait au chapitre iii, a sans doute suggéré au Viennois l’idée de cette fraude. Il s’est dit peut-être en parlant de l’auteur espagnol de nos cinq premiers chapitres : « Comment ! il ne parle de Turpin qu’une seule fois, tandis que nos légendes et nos poëmes nationaux en parlent si longuement ! Mon prédécesseur a été incomplet : je vais le compléter. » Et, alors qu’il commettait un faux, il s’est fait accroire à lui-même qu’il « comblait une lacune ».
  12. Voir, à la note du v. 96, l’énumération complète de ces œuvres qui se sont inspirées du Faux Turpin.
  13. La Chronique de Turpin a été mise en vers latins. Cette traduction, c’est le Karolellus en 2,100 vers, œuvre de la fin du xiie siècle. Il ne faut point la confondre avec le Karolinus, ce poëme historique sur Charlemagne que Gilles de Colonna composa pour l’éducation de Modèle:Roi et où quelques traits seulement sont légendaires. (Pour le Karolellus, v. F. Michel, première édition de la Chanson de Roland, p. 224.)
  14. Les manuscrits de la Chronique de Turpin sont très-nombreux : M. Potthast en énumère environ cinquante dans sa Bibliotheca historica medii ævi ; M. G. Paris en a vu vingt à la Bibliothèque Nationale (N. D. 133, S.-Germain, 465, 1,046, 1,306 ; Fr., 124 ; S.-Victor, 574 ; Lat., 3,550, 3,632, 3,708, 4,895 A, 4,998, 5,697, 5,925, 5,943 B, 6,041 A, 6,187, 6,188, 6,189, 7,531, 5,452.) Les deux meilleurs, à ses yeux, sont le ms. de N. D. 133 qui est aussi le plus ancien, et celui du Fonds latin 6,187. Ils ne sont pas interpolés comme les autres. ═ La Chronique de Turpin a été publiée pour la première fois à Francfort, en 1566, par Simon Schard : Germanicarum rerum quatuor vetustiores Chronographi. Reuber en a donné une seconde édition à Francfort, en 1584. Il en parut une 3e édition à Hanovre, en 1619. La quatrième est celle de Ciampi (1822), et la cinquième celle de M. de Reiffemberg qui s’est borné à reproduire, sans aucune critique, le texte de Reuber à la suite de sa Chronique de Philippe Mouskes (II, p. 489 et ss). ═ Nous devons à M. G. Paris, dans son De pseudo Turpino, une liste enfin raisonnée et exacte de différentes traductions des faux Turpin. La première est celle de Nicolas de Senlis (B. N. fr. 124 et 5,714), qui fut offerte à la fin du xiie siècle au comte de Saint-Pol, Hugues de Champ-d’Avesne, ou plutôt à sa femme Yolande. Cette traduction est effroyablement interpolée par un auteur saintongeais. Elle a été imprimée à Paris, en 1527. Une seconde « translation » est celle de maître Jean. Elle est plus connue sous le nom de Michel de Harnes, et fut composée sous le patronage de Renaud, comte de Boulogne-sur-Mer, en 1206. Le plus ancien manuscrit est le fr. 2,464 de la B. N. (Cf. les mss. de la B. N. fr. 1,444, 906, 573, 834, 1,621 ; de l’Arsenal B. L. F. 90 ; du British Museum, Bibl. du Roi, 4, cxi, 53.) La troisième traduction, qui est un modèle d’élégance et de fidélité, est l’œuvre d’un anonyme qui écrivait dans les vingt premières années du xiiie siècle. (B. N. fr. 1850.) Anonyme aussi est la quatrième traduction. (B. N. fr. 2,137), qui est diffuse et médiocre : elle appartient à la seconde moitié du xiiie siècle. Il existe au British Museum une cinquième traduction, laquelle est en dialecte anglo-normand et appartient au milieu du même siècle. Enfin, dans les Chroniques de saint Denis, on a inséré une sixième translation du faux Turpin. Ce n’est pas ici le lieu de parler des derniers chapitres de la Conqueste du grant roi Charlemagne, qui contiennent des fragments ou un résumé de notre Chronique traduite en méchant français. (Cf. aussi l’édition in-4o gothique, imprimée en 1527 par Regnault Chaudière, de la « Cronique et histoire faicte et composée par révérend père en Dieu, Turpin, archevêque de Reins, l’ung des pairs de France, » etc.)
  15. Au 31 mai : « Rolandus, comes Cenomanensis, aliique primæ nobilitatis equites Galliæ, traduntur tempore Caroli magni in Pyrenæis saltibus a Saracenis : quos inter pios recenset Saussayus. (Acta sanctorum Maii, t. VII.) ═ Au 16 juin, parmi les Prætermissi : « Rolandus, filius Milonis..., martyr sanctus indicatus a Joanne Welde in Fastis Westphalicis. De eo millia fabulatur Tulpinus. Nos certiora libenter acciperemus. » (Acta sanctorum Junii, t. IV.) ═ Cf. le Martyrologe de du Saussay, (Paris, Cramoisy, 1637, p. 319) : « Eadem die (tertia maii), in Vasconia, Rolandus comes Cenomanensis aliique primæ nobilitatis Galliæ equites, subjugata Navarra Cæsaraugustaque ab Saracenorum jugo liberata, quum victores ad Carolum magnum redirent, cum exercitu in saltibus Pyrenæis intercepti, pro Christo adversus impios pugnantes, glorioso agone succubuerunt. » — Cf. aussi Molanus : « In Galliis, Rolandi, comitis Cenomanensis, Oliverii et sociorum qui, juxta Pampelonam sub Pyrenæis montibus pro Christo pugnantes, Carolo magno imperante, occubuerunt. » — Sur les « reliques » et les tombeaux de Roland, v. Fr. Michel, 1Modèle:Re édition du Roland, p. 212 et 213, et Génin, Introduction, p. xxiii-xxiv.