La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition critique/1872/Introduction/Romans

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Les romans en prose


XIII. — d’un troisième outrage subi par le roland
— les romans en prose


Il faut se défier des hommes et des siècles qui n’aiment pas la poésie et lui préfèrent la prose. Sans beaux vers, pas de grande époque littéraire. Les XIVe siècle- et XVe siècles, qui n’ont pas aimé nos vieux poëmes et se sont passionnés pour les romans en prose, sont, à tous égards, des siècles de décadence.

C’est depuis l’avénement des Valois que cette décadence a commencé ; mais elle est surtout la marque du XVe siècle. L’extrême médiocrité des remaniements que subirent le Roland et toutes nos autres Chansons a singulièrement contribué à l’engouement universel pour les rédactions en prose. Il faut d’ailleurs bien se persuader que nos premiers romans en prose ont été, en général, calqués sur nos derniers romans en vers dont ils reproduisent servilement toutes les péripéties, toute l’action et les insupportables longueurs. La plupart de ces mêmes Romans en prose seront un jour reproduits par l’imprimerie, sans autre modification importante que celle de leur langue. Puis, ils entreront dans la Bibliothèque bleue

sous ces mêmes habits, avec ce même air, et ils y sont encore aujourd’hui. Prenez entre vos mains et mettez sous vos yeux un poëme du xive siècle, tel par exemple que le remaniement d’Ogier le Danois en vers alexandrins ; puis, un manuscrit en prose du xve siècle et un incunable[1] de 1520 ; et enfin, un de ces petits livres grossiers de la Collection de Troyes : vous serez frappé de la ressemblance qui existe entre tous ces types. C’est assez dire que l’histoire des Romans en prose se divise en trois périodes : celle des Manuscrits, celle des Incunables, celle enfin de la « Bibliothèque bleue », qui s’est prolongée jusqu’à nos jours et durera plus longtemps que nous…

Donc, les hommes du xive siècle s’ennuyèrent un jour de leurs longs et fades refazimenti en vers de dix et surtout de douze syllabes. Notre légende de Roland n’avait échappé à aucun déshonneur… Le plus médiocre de tous les rimailleurs s’en empara et la fit entrer un jour dans une vaste compilation sur la vie et les exploits de Charlemagne. J’ai nommé Girart d’Amiens et son poëme de commande, ce Charlemagne[2] où il

serait mathématiquement impossible de découvrir un beau vers. Ce pauvre lettré n’eut pas même l’idée de se servir de notre vieille chanson et de nos premiers remaniements. Il traduisit, en lourds alexandrins, la Chronique de Turpin, et se montra fort satisfait de cette audace. Philippe Mouskes n’avait guère été moins plat dans sa « Chronique », où il avait rimé, en petits vers sans force et sans couleur, une légende de Roncevaux, tantôt empruntée aux textes latins, tantôt à nos remaniements[3].

Étant donnés des poëmes tels que ceux de Mouskes et surtout de Girart, on devait nécessairement aboutir à nos Romans en prose. À de si mauvais vers, le public de ce temps-là déclara nettement qu’il préférait la prose, si médiocre qu’elle pût être. Or, c’est un maître heureux que le public. À peine exprime-t-il un désir littéraire, qu’il se trouve toujours cent lettrés pour le satisfaire. Dès le xive siècle, d’aimables gens s’offrirent à contenter les lecteurs dégoûtés de la poésie. Et vite, « afin que plusieurs y prissent plaisir, ils se mirent à translater tous nos Romans de rimes en prose. » Tels sont les propres termes dont les nouveaux romanciers se servent pour désigner leur méchante besogne, et ils ne méritent guère, en effet, que le nom de traducteurs.

C’est ainsi qu’après avoir été maladroitement imitée et cléricalisée dans la Chronique du Faux Turpin ; après avoir été affadie et délayée par les auteurs de nos remaniements ; après

avoir été en proie à la médiocrité mortelle d’un Philippe Mouskes et d’un Girart d’Amiens, la légende de Roland dut subir cette nouvelle honte d’être dépouillée de son vêtement poétique et condamnée à la prose. Et quelle prose !

Six fois au moins elle fut travestie de la sorte ; et notez bien que nous ne parlons pas ici des traductions littérales du Turpin, parmi lesquelles on peut placer les Chroniques de Saint-Denys[4]. D’ailleurs, il n’a jamais existé, à notre connaissance, d’œuvre particulière en prose, portant le titre de Roland, et uniquement consacrée à cette nouvelle diffusion de notre légende. Non ; cet honneur qu’obtint Fierabras, notre vieux poëme ne l’obtint pas. Six fois notre légende fut insérée dans le corps d’une autre compilation ou d’un autre roman : dans Galien[5], dans les

Modèle:Tiret2 de Charlemagne, de David Aubert[6], et, beaucoup plus tard, dans Morgant le Géant[7] ; dans Charlemagne et Anséis[8], dans Fierabras[9] et dans Guerin de Montglane[10]. Or

les trois dernières de ces œuvres, sans traduire littéralement le Faux Turpin, se sont presque uniquement inspirées de son esprit, et lui ont emprunté la plupart de leurs péripéties et presque tous les faits de ce grand drame de Roncevaux… Pauvre légende ! En vérité, l’on n’est pas plus malheureux.

Nous pensons avoir eu le bonheur de découvrir jadis la version primitive de Galien, qui appartient au xve siècle, mais qui, dans les Incunables et la Bibliothèque bleue, a reçu plus tard d’étranges développements. L’auteur inconnu de cette platitude connaissait le fameux Voyage à Jérusalem, et eut tout juste assez d’imagination pour en écrire la suite. Son héros n’est autre que le fils bâtard d’Olivier et de Jacqueline, fille de l’empereur de Constantinople. Ce malheureux Galien apprend un jour le secret de sa naissance, qu’on lui avait soigneusement caché : « Mon père ! dit-il, je veux voir mon père ! » Il se met

vaillamment en chemin, parcourt le monde, traverse mille aventures et, malgré mille obstacles, parvient à retrouver Olivier… sur le champ de bataille de Roncevaux, où l’ami de Roland est sur le point d’expirer. De là, notre prosateur prend l’occasion de narrer la grande bataille, la trahison de Ganelon et le reste. Dans les Incunables et la Bibliothèque bleue, on ira jusqu’à raconter longuement le jugement et l’écartellement du traître. Ce très-médiocre roman a eu un singulier destin : sa popularité a survécu, elle survit encore à celle de notre vieux poëme et de la plupart de nos Chansons de geste. Et, encore aujourd’hui, c’est l’un des trois ou quatre livres de la Bibliothèque bleue qui circulent dans nos campagnes. C’est surtout par Galien le restauré que nos paysans connaissent Roncevaux et Roland ; c’est par cette caricature qu’ils connaissent une des plus grandes figures de la légende et de l’histoire. Voilà cependant ce qu’il y a de plus original dans tous nos Romans en prose où Roland tient quelque place. David Aubert rapporte, d’après les sources latines, les commencements de la grande expédition d’Espagne ; mais, à partir de la trahison de Ganelon, il ne fait guère que traduire ou plutôt délayer les remaniements de notre vieux poëme. Dans le Fierabras ou la Conqueste du grant roi Charlemaine des Espaignes, le translateur, après avoir traduit le Miroir historial et développé Fierabras, consacre rapidement quelques chapitres à la défaite de Roncevaux, et se contente d’y résumer le Faux Turpin. La première partie du Charlemagne et Anséis, que nous avons été le premier à mettre en lumière, n’est encore qu’une traduction assez pâle de ce document apocryphe, et, dans les deux derniers chapitres de Guerin de Montglane, on n’est également remonté qu’aux sources latines. Hélas !

Et voilà tout ce que la légende de Roland a obtenu de nos romanciers des xve siècle- et xvie siècles. Roland a été moins heureux que les quatre fils Aimon et Huon de Bordeaux. Ceux-là, du moins, ont attaché leurs noms à des œuvres populaires qui leur sont uniquement consacrées. Mais avoir commencé par la Chanson de Roland, et finir par Galien !

Néanmoins elles nous sont encore chères ces pauvres œuvres d’une décadence qui dure encore. Nous n’ouvrons pas sans quelque émotion ces manuscrits où sont renfermés les Romans en prose du xve siècle. Il en est de magnifiques et qui sont destinés aux collections des princes et des nobles : les miniatures y éclatent ; le texte, disposé sur deux colonnes, est d’une écriture anguleuse et longue, mais très-soignée. Il en existe aussi de plébéiens, sur un papier épais et gras, mal écrits nullement illustrés, sans lumière et sans beauté. Je leur préfère ces Romans incunables qui, depuis le Fierabras de 1478, se sont multipliés à l’infini parmi des populations qui étaient véritablement avides de la lecture de nos vieilles Chansons plus ou moins « transformées ». Vous les connaissez, ces plaquettes des xve siècle- et xvie siècles, avec leurs titres rouges et noirs, leurs vignettes plus que naïves, l’indication finale du libraire qui les vend et de l’enseigne de sa boutique ; leur date par le jour et l’année, leurs briefves recollections par chapitres et leur écriture gothique, qui va bientôt, hélas ! être remplacée par la vulgarité des lettres romaines. La plupart de ces caractères ont persisté dans la « Bibliothèque bleue ». La Bibliothèque bleue, qu’on le sache bien, n’est que la continuation fort exacte des Romans en prose manuscrits et incunables. Dès le xviie siècle, c’est à Troyes qu’elle a sa manufacture centrale. Et néanmoins, après avoir rendu justice aux Oudot, on ne saurait oublier, sans quelque ingratitude, les éditions des Costé de Rouen et des Rigaud de Lyon. Salut ! salut ! pauvres vieux livres dédaignés qui portez encore aujourd’hui, en 1871, l’estampille de « Garnier, imprimeur-libraire, rue du Temple, à Troyes » ! Salut ! laideurs vénérables ! Salut ! derniers vestiges de notre Épopée nationale, dernières œuvres qui me parlez de mon Roland ! Votre vieux papier laid et gris ne m’effraie point : il m’enchante. Vos caractères trente fois usés me plaisent davantage que les plus purs elzéviriens. Vos gravures, dignes des Mohicans et des Peaux-Rouges, me ravissent délicieusement, et je m’oublie à les contempler…

Les caractères intimes de ces œuvres médiocres seraient de nature à me décourager davantage[11]. Nos translateurs n’ont rien compris au modèle qu’ils traduisaient, et leur translation est, d’un bout à l’autre, une note fausse qui fait grincer les dents, un contre-sens qui met l’esprit en rage. Ces clercs du XVe siècle étaient de pauvres esprits, et qui surtout n’ont jamais eu le sens de la poésie populaire. Ils ont soigneusement étouffé tout l’élément héroïque de nos vieux poëmes ; ils ont mis leur éteignoir sur ce feu splendide ; ils ont costumé Charlemagne et les douze Pairs à la mode de leur temps et les ont transformés en beaux seigneurs bourguignons de 1450. Nos héros, à leur école, deviennent galants, et, qui pis est, pédants. La foi rude de notre Roland primitif, qui déjà s’était transformée en piété verbeuse dans nos remaniements du XIIIe siècle, devient ici une sorte de rage théologique. Des impuretés plus ou moins voilées se mêlent étrangement à des considérations symboliques et mystiques. Encore un coup, tout s’allonge, tout se décolore, tout languit, tout s’éteint. Ce qui avait commencé par l’héroïsme finit par l’élégance. Les éditeurs de la Bibliothèque bleue enlèvent à chacune de leurs éditions nouvelles quelque trait ancien de plus, quelque vieux mot, quelque vigueur[12]. En comparaison de ces platitudes, la Chronique de

Turpin paraît un chef-d’œuvre de poésie spontanée, populaire, primitive, sublime. Je ne puis mieux exprimer ma pensée sur les Romans en prose. Elle est sévère.


  1. V. la comparaison de ces textes dans les Épopées françaises, I, 309-312.
  2. Girart d’Amiens reçut de Charles de Valois, frère de Philippe le Bel, la commande d’un poëme sur Charlemagne. C’était dans le premier quart du xive siècle. Il se mit à l’œuvre, s’entoura de quelques-uns de nos vieux poëmes (Enfances Charlemagne, Ogier le Danois, Aubri le Bourgoinz), mais surtout plaça devant lui la Chronique de Turpin, et se mit à traduire, en vers de douze syllabes, épais et plats, ces documents de valeur si diverse. Son œuvre, qu’un seul manuscrit nous a conservée (B. N. 778, xive siècle), se divise en trois livres. Dans le premier, qui est presque tout entier légendaire, Girart raconte d’après les Enfances Charlemagne les premières années de son héros jusqu’au moment où il parvint à reconquérir son royaume usurpé par les bâtards de Pepin (fo 22 vo — 69 vo). ═ Le second livre est presque tout entier historique, et Girart y délaye Éginhart (fo 70-109). Mais le poëte de Charles de Valois regrette bientôt d’avoir fait une si large part à l’histoire, et, dès la fin de ce second livre (fo 110-124), résume les Enfances Ogier et raconte à sa manière le prétendu voyage de Charles à Jérusalem et à Constantinople. Le seul manuscrit de son poëme présente ici une lacune plus ou moins considérable. ═ Le troisième livre n’est guère (fo 125-168) qu’une méchante translation de la Chronique de Turpin, et c’est par là qu’il ne mérite même pas d’être cité.
  3. C’est vers le milieu du xiiie siècle que Philippe Mouskes écrivit sa « Cronique rimée », où il se propose, comme il le dit, de mettre en rime toute l’estoire et la lignie des reis de France. Il commence à la guerre de Troie son récit où Charlemagne tient plus tard une place considérable, (v. 2,356-12,132, près de dix mille vers). Le chroniqueur-poëte y raconte très-longuement Roncevaux et toute l’expédition d’Espagne (v. 6,598-9,557). La base de toute cette narration est la chronique de Turpin. Mais en même temps Philippe Mouskes a sous les yeux un des remaniements de notre vieux poëme, et lui emprunte plus d’un trait. C’est ce que prouve notamment le récit de la fuite de Ganelon (v. 9,466 et ss.), qui n’est pas dans Turpin et se trouve, au contraire, dans tous nos « rajeunissements ». Tout le travail de Philippe Mouskes consiste donc à combiner entre eux et à traduire tour à tour ces deux textes, le faux Turpin et le Roncevaux français du xiiie siècle. À cette seconde source il emprunte encore « la jalousie de Ganelon contre Roland, lorsque notre héros fait choisir son beau-père par Charlemagne comme ambassadeur auprès du roi Marsile (v. 6,620-6,672) ; les entretiens de Ganelon avec Blancandrin, et sa trahison (v. 6,673-6,697) ; l’épisode du cor (v. 6,892-6,911, 7,144-7,153, 7,500-7,530) et quelques traits de la mort de Roland ». Tout le reste est dérobe à Turpin, ou misérablement amplifié. C’est ainsi que Naimes et Ogier assistent si la bataille où meurt Roland, et le Danois y meurt aussi (v. 7,640-7,690) ; Olivier est écorché entre quatre pieux, comme dans Turpin (v. 7,270-7,279) ; Roland enfin n’a pas la gloire de rendre son dernier soupir dans cet admirable délaissement, dans cette solitude absolue où notre vieux poëte nous le montre : il faut ici, comme dans la légende latine, que son frère Baudouin et son écuyer Thierry nous gâtent cette belle mort en y assistant (v. 7,964 et ss. et 8,262 et ss). Il est bien entendu d’ailleurs que Roland meurt de soif (v. 8,205). Plus tard, quand Charles vengera son neveu sur les païens, il reconnaîtra les cadavres français sur le champ de bataille aux aubépines que Dieu fera miraculeusement sortir du corps de ces martyrs (v. 8,618-8,621)… Voilà les sources auxquelles est remonté Philippe Mouskes, voilà les éléments de son œuvre. Si maintenant on veut la connaître littéralement, il suffira de lire, dans l’édition de M. de Reiffenberg, les adieux de Roland à son épée, à son cor, à Charlemagne, à ses Pairs. Il n’est rien de si pâteux, et personne n’a jamais été si bavard. Qu’on en juge par le fragment suivant, que nous traduisons pour nos lecteurs : « Roland regretta son cheval — Qu’il avait sous lui dans la vallée ; — Et je veux vous le raconter — Comme l’histoire me le dit : « — Cheval de prix, cheval hardi, cheval terrible, cheval d’élite. — Quel est celui qui désormais te montera, — Soit en tournoi, soit en bataille ? — On était sur toi plus tranquille — Que dans une tour à triples murs. — Qui serviras-tu maintenant, Veillantif ? — Et, quand je meurs, que vas-tu devenir ? — Dieu ! si tu tombes au pouvoir d’un païen ou d’un traître, — Comme mon âme sera dolente et triste ! » — Roland, ensuite, regrette son cor : — « Eh ! cor d’ivoire, si bien orné d’or, — Bel et bon cor, d’un si beau son, — Plein de tant de mélodie, — Qui te sonnera désormais — Soit en paix, soit en guerre ? — Si tu tombes aux mains d’un lâche ou d’un méchant, — Mon âme deviendra folle de douleur. » — Puis, il regrette Charlemagne, — Son oncle Charlemagne, comme vous allez l’entendre : — « Ô roi hardi, roi large et preux, — Le plus vaillant qu’on ait jamais vu, — Où trouveras-tu maintenant des conseillers — Pour la paix ou pour la guerre, — Quand les douze Pairs sont morts, — Trahis par l’infâme Ganelon ? » — Après quoi, il se prit à regretter la France. « — Terre plantureuse et franche, dit-il, — Terre riche en prés, en bois et en rivières, — En vins et en bons chevaliers, — En belles jeunes filles et belles dames, C’est grand deuil, c’est grand dommage de vous perdre. — Et voilà que vous allez rester veuve — De votre gent loyale et hardie ! » — Et Roland alors se mit à regretter — Tous ses compagnons, un à un, par leurs noms. — Mais c’est par Olivier qu’il commença… » (v. 8,032-8,072.)
  4. Nous avons énuméré toutes ces traductions dans la note 3 de la p. lxxxvii.
  5. Il a très-probablement existé une version en vers de Galien. C’est du moins ce que nous donne à entendre le Prologue de la version en prose : « J’ai translaté, dit l’auteur, ce roman de rimes en prose. » Toutefois, je ne pense pas que ce Galien en vers ait été antérieur au xive siècle, ou aux dernières années du xiiie siècle- : il était sans doute en alexandrins. ═ Il y a quelques années, on ne connaissait encore ce roman que par les incunables, lorsque nous eûmes l’occasion d’en découvrir une rédaction manuscrite à la Bibliothèque de l’Arsenal (B. L. F, 226, xve siècle- s.). Nous en donnons plus loin, dans notre texte, une analyse très-succincte et qui suffit à notre sujet ; mais nous l’avons plus longuement résumé dans nos Épopées françaises (t. II, pp. 283, 284). ═ Cette œuvre où l’on avait délayé le poëme du xive siècle, fut elle-même délayée dans une nouvelle rédaction beaucoup plus développée et ornée de plus merveilleuses aventures, qui reçut de très-bonne heure les honneurs de l’impression. C’est dans ces éditions incunables qu’apparaît pour la première fois le mot rhetoré ou restauré. La plus ancienne est de 1500, chez Vérard, à Paris ; il en parut une en 1521, chez Trepperel ; une autre à Lyon, chez Nourry, en 1525 ; d’autres à Paris, en 1527 et 1550, etc. ═ Galien fut un des premiers Romans qui passa dans la « Bibliothèque bleue » de Troyes, chez Oudot (1606, 1622). Même succès pendant tout le xviie siècle- et tout le xviiie siècle, et les éditions de Galien restauré se multiplient de plus en plus : elles sortent surtout de Troyes et de Montbéliard. ═ Encore aujourd’hui, ce livre n’est pas sans jouir de quelque réputation parmi le peuple des campagnes. Outre une édition récente de Deckherr, à Montbéliard, nous signalerons celle qui semble avoir le plus de lecteurs. C’est un in-Modèle:4o en gros papier gris-bleuâtre, qui porte d’ailleurs le même titre que les précédents : Histoire des nobles prouesses et vaillances de Gallien restauré, fils du noble Olivier le Marquis et de la belle Jacqueline, fille du roi Hugon, empereur de Constantinople (à Troyes, chez Jean Garnier, imprimeur-libraire, rue du Temple, avec permission). V. sur ces dernières éditions, l’Histoire des livres populaires, de Ch. Nisard, 2e éd., t. II, p. 475 et ss.
  6. Les Conquestes de Charlemagne, de David Aubert, sont datées de 1458. Elles n’étaient point connues avant que M. de Reiffenberg en eût publié les rubriques dans le t. I de son Philippe Mouskes, pp. 484, 485. (Barrois, Modèle:N°2,222 de sa Bibliothèque protypographique). Le manuscrit appartient à la Bibliothèque de Bourgogne. C’est un remaniement en prose de nos remaniements en vers.
  7. C’est le Morgante maggiore de Pulci, dont une traduction telle quelle, ou une imitation, parut dès 1519 à Paris, chez Jehan Petit, Regnault Chauldière et Michel Lenoir, sous le titre de : Morgant le Géant. ═ En 1530, nouvelle édition chez Alain Lotran : S’ensuit l’histoire de Morgan le Géant, lequel avec ses freres persecuta toujours les crestiens et serviteurs de Dieu ; mais finalement furent ces deux frères occis par le comte Rollant. Et le tiers fut crestien, qui depuis ayda moult à augmenter la saincte foy catholique. ═ Vers 1615 parut une seconde partie contenant la trahison de Ganelon et la mort de Roland. Rien de français dans une telle œuvre. Et par conséquent rien de traditionnel, rien d’antique.
  8. C’est une compilation en prose conservée dans le ms. 214 des B. L. F. à la Bibliothèque de l’Arsenal (xve siècle- s.). Cette compilation, à laquelle nous avons dû donner un titre, se divise fort naturellement en deux parties. La première est une imitation servile de la Chronique de Turpin ; la seconde est un remaniement en prose de cet Anséis de Carthage qui est une de nos dernières chansons de geste, par la date et par le mérite. (V. dans nos Épopées françaises, II, pp. 417, 418, notre traduction de la « Mort de Roland » d’après le Charlemagne et Anséis. Cf. le même ouvrage, t. I, pp. 488, 500 et 501.)
  9. Le Roman de Fierabras le Geant, tel est le titre que porte la première édition du Roman en prose : elle est de 1478 (Genève) et, parmi nos Romans, nous n’en connaissons aucun qui ait été imprimé antérieurement à cette date. ═ L’œuvre devint tout aussitôt populaire. Elle comprenait dès lors, avons-nous dit ailleurs : « 1o Quelques chapitres fabuleux sur Clovis et les ancêtres de Charles (I, § 1) ; 2o le portrait de Charlemagne d’après Turpin (I, § 2) ; 3o La traduction de la légende latine du xie siècle relative au Voyage de Jérusalem (I § 3) ; 4o l’ancien roman de Fierabras, qui, à lui seul, forme presque toute la substance du Recueil (II, § 1, 2, 3) ; 5o l’Entrée en Espagne, la guerre contre Agoland, le combat de Roland et de Ferragus, la trahison et la mort de Ganelon, le tout très-abrégé et d’après la Chronique de Turpin (III, § 1, 2, 3). » Tout ce qui précède le roman de Fierabras avait été emprunté directement au Miroir historial de Vincent de Beauvais. ═ Comme on le voit, il y avait là presque toute une « Histoire poétique de Charlemagne ». Les éditeurs de ce temps-là le comprirent et résolurent, pour attirer les acheteurs, de donner un titre pompeux à ce singulier Recueil. Dès l’édition de 1498 (Lyon), nous lisons sur la première page de l’ancien Fierabras : « La Conqueste du grant roi Charlemaine des Espaignes et les vaillances des douze pers de France. » Après plusieurs modifications de détail (éd. de 1501, 1520, 1536, etc), le titre, qui fut définitivement adopté, fut encore plus attirant et solennel, et, après toutes les éditions des Costé de Rouen, des Oudot et des Garnier de Troyes, et des Deckherr de Montbéliard, c’est encore, à peu de chose près, celui que nous lisons en tête de ces grossiers petits livres qui font la joie de nos campagnes : « La Conqueste du grant roy Charlemagne des Espagnes avec les faictz et gestes des douze pers de France et du grant Fierabras et le combat faict par lui contre le petit Olivier, lequel le vainquit. Et des trois freres qui firent les neuf épées dont Fierabras en avoit trois pour combattre contre ses ennemis, comme vous pourrez voir cy-après. » ═ Dans toutes ces éditions des xvie siècle--xixe siècles, les quinze derniers chapitres ne sont qu’un méchant résumé du faux Turpin.
  10. V. l’édition incunable de Guerin de Montglane, de Jean Bonfons, sans date, etc. etc. ═ Rien n’est plus faux que ce titre. Il s’agit en réalité d’un Recueil correspondant aux romans d’Ernaut de Beaulande, de Renier de Gennes, de Girart de Viane, et se terminant par un récit de Roncevaux. Les trois premières parties se trouvent sous ce même titre dans un ms. de la Bibliothèque de l’Arsenal (B. L. F., 226, xve siècle- s.). Tel est le prototype de tous les Guerin de Monglane incunables.
  11. Certains Romans en prose comblent heureusement les lacunes des Romans en vers ; mais ce fait n’est pas applicable à la légende de Roland.
  12. Pour donner une idée de nos derniers Romans en prose, nous allons citer un chapitre de Gallien restauré, que l’on pourra facilement comparer avec le passage correspondant de notre vieux poëme : « Comme le roi Marsille mena à Roncevaux quatre cens mille Turcs contre les douze Pairs de France, à cause de la trahison qu’il avoit faite avec Ganelon. — Pendant que Charlemagne et le duc Naimes étoient à parler des douze Pairs, le traître Ganelon, qui les avoit vendus au roi Marsille, les détournoit toujours d’aller à leur secours par son faux langage, à cause des deniers qu’il avoit reçus. Le roi Marsille se prépara et mena avec lui quatre cent mille païens pour en aller faire l’expédition. Ce n’étoit que trop ; car les troupes du roi Charlemagne n’étoient que vingt mille. Hélas ! traître Ganelon, quel déplaisir t’avoit fait Roland, qui étoit ton bon et loyal ami ? Que t’a fait ce noble Olivier, son compagnon ? Que t’a fait le bon archevêque Turpin et tous les autres ? Certes, il falloit être aussi méchant que tu l’es pour faire une telle action ! Ô noble Charlemagne, si tu eusses su la trahison, tu eusses tôt mis remède. Le roi Marsille exploita tant qu’il arriva à Roncevaux. Quand Olivier vit tant