La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition critique/1872/Introduction/Versification

De Wicri Chanson de Roland
< La Chanson de Roland‎ | Léon Gautier‎ | Édition critique‎ | 1872‎ | Introduction
Révision datée du 20 juillet 2022 à 15:13 par Jacques Ducloy (discussion | contributions) (De la versification du Roland)

De la versification du Roland


VII. — de la versification du roland


La Chanson de Roland, comme nos plus anciens poëmes[1], est écrite en vers décasyllabiques. Elle en renferme quatre mille[2] ; mais le manuscrit, comme nous l’avons dit, présente d’assez nombreuses lacunes. Nous avons dû, pour les combler, ajouter au texte d’Oxford environ deux cents vers. C’était donc un poëme de 4,200 vers. Et telle est, croyons-nous, la proportion moyenne de nos premières Chansons.

Il y a deux espèces de décasyllabes : l’un (qui est celui du Girart de Roussillon provençal et d’une partie de notre Aiol et Mirabel), a sa césure après la sixième syllabe sonore[3]. L’autre a son repos après la quatrième syllabe accentuée. Ce dernier vers est celui de la Chanson de saint Alexis ; c’est aussi celui de notre Roland et de tous nos autres poëmes.

À la fin du premier comme du second hémistiche, les syllabes muettes ne comptent point : Damnes Deu pere n’en laiser hunir France. Sont assimilés à l’e muet les e non accentués qui sont suivis d’un s, d’un t, d’un nt : « Li empereres est par matin levez. — Iço vus mandet reis Marsilies libers. — Il n’en est dreit que paien te baillisent[4]. Il est à regretter qu’on n’ait pas

Modèle:Tiret2 dans notre versification moderne ces heureuses libertés de l’ancienne rhythmique.

La seule lettre qui s’élide, en règle générale, c’est l’e, et

encore cette élision est-elle laissée à la volonté du poëte et n’est-elle pas constante. Nos pères n’avaient pas l’oreille si délicate aux hiatus, et il en est de très-doux qu’ils supportaient volontiers...

Ces vers ainsi scandés sont distribués en un certain nombre de couplets que l’on appelle laisses. Toute laisse, comme on l’a dit avec justesse, forme une division naturelle du récit. Dans



Voir aussi

Sources
  • Il faut en excepter le Voyage à Jérusalem (xiie siècle- s.) qui est en alexandrins, et surtout l’Alexandre d’Albéric de Besançon dont il nous reste un fragment (xie siècle- s.) en vers de huit syllabes. (Romanische Inedita auf italianischen Bibliotheken, gesammelt von Paul Heyse, Berlin, 1856, pp. 3-6, et Barstch, Chrestomathie de l’ancien français, pp. 26-28.)
  • Le nombre exact est 4,002.
  • Se je suis povres hom, — Dex a assés
    Qui le ciel et la terre — a à garder.
    Quand Dameldeu vaura, — j’arai assés, etc. (Aiol el Mirabel.)

  • Nous allons, pour plus de simplicité, publier ici, sous la forme d’un « Traité de la versification des Chansons de geste », toutes les Notes complémentaires de ce Chapitre. Il est bien entendu que nous choisirons uniquement nos exemples dans le Roland. ═ Chap. i. Du vers épique. — 1o Le vers de la Chanson de Roland est le décasyllabe, avec pause après la quatrième syllabe accentuée. — 2o L’e non accentué, soit seul, soit accompagné d’un s, d’un t ou d’un ent, ne compte ni à la fin du premier hémistiche, ni à la fin du vers : « Josqu’à la tere si chevoel li balient (v. 976). Ceignent espées de l’acer vianeis (v. 997). — 3o Dans le corps d’un vers, l’e muet, qui termine un mot, a généralement devant une consonne la valeur d’une syllabe : En dulce France en perdreie mun los (v. 1054). La sue mort li vait mult angoissant (v. 2232). Il en est de même de l’ent : Dient Franceis : Dehet ait ki s’en fuit (v. 1047). — 4o Dans les mots tels que Marsilies et milie, où la syllabe accentuée est la pénultième, la dernière syllabe ne compte ni à la fin de l’hémistiche, ni à la fin du vers, et l’on procède absolument comme s’il y avait Marsiles et mile : « Li reis Marsilies la lient, ki Deu n’en aimet (v. 7). — E sunt ensemble plus de cinquante milie (v. 1919). Il en est de même devant une consonne : A icest mot tel .c. milie s’en vunt (v. 1911). — 5o Des mots tels que mar et cum prennent à volonté un e final devant une consonne, pour les besoins de la versification et quand il faut au vers une syllabe de plus : Li empereres tant mare vus nurrit (v. 1860). Ben me le guarde si cume tel felun (v. 1819). — 6o Quelques alexandrins se sont glissés parmi les décasyllabes du Roland : Oliver est muntez desur un pui altur (v. 1017). Cunquerrat li les teres d’ici qu’en Orient (v. 1693). Il est parfois assez facile de les réduire à leur compte normal : Oliver est muntez desur un pui, etc. ═ Chap II. De l’élision. — 1o Deux principes dominent ici toute la matière : le premier, c’est qu’à fort peu d’exceptions près, l’e muet est la seule voyelle qui s’élide ; le second, c’est que l’e muet lui-même ne s’élide qu’à volonté, ad libitum. — 2o L’a ne s’élide point : Vint tres qu’a els, sis prist à castier (v. 17). La u cist furent, des altres i out bien (v. 108), etc. — 3o L’i ne s’élide point : N’i ad paien ki un sul mot respundet (v. 22). E si i furent e Gerin e Gerers (v. 107). Li empereres ki Franceis nos laisat (v. 1,114), etc. Il convient cependant de noter quelques exceptions. Le sujet masculin de l’article, li, s’élide assez souvent : Dist lun à l’altre : « E car nos enfuiuns. » — 4o L’o ne s’élide point. Nous avons dit ailleurs (Épopées françaises, I, pp. 206, 207) que, dans les mots ço et jo, l’o n’est réellement qu’une notation de l’e. — 5o L’u ne s’élide point : U altrement ne valt .IIII. deners (v. 1,880). Il en est de même de l’ui : Cum il einz pout, del pui est avalet (v. 1,037). — 6o Quant à l’e, il s’élide souvent, tant dans les monosyllabes que dans les autres mots : Oliver sent qu’il est a mort naffret (1965). D’ici qu’as denz menuz (1956). De doel murrai s’altre ne m’i ocit (1867). Cumpainz Rollanz, l’olifan car sunez, — Si l’orrat Carles, ferat l’ost returner (1059, 1060). Ensembl’od els li quens Rollant i vint (v. 175). Demurent trop, n’i poedent estre à tens (v. 1,841). — 7o Mais on trouve des exemples tout aussi nombreux de non-élision dans tous les cas : Noz Modèle:Tiret2 que oümes tanz chers (v. 2,178). Oliver sent que à mort est ferut (v. 1,952). Ces vestemenz entresque as chars vives (1,613), etc. — 8o Les règles précédentes s’appliquent également à l’e muet suivi du t étymologique. Tantôt il s’élide, et tantôt non : De noz Franceis m’i semblet aveir mult poi (v. 1,050). Pois est muntez, entret en sun veiage (v. 660). Li quens Rollanz apelet Oliver (v. 1,671). Guardet aval e si guardet amunt (v. 2,235). — 9o On ne peut pas considérer comme une élision ordinaire la perte de l’e initial pour le mot en, dans un cas comme le suivant qui est très-fréquent : « Si’n deit hom perdre e del quir e del peil (v. 1,012). — 10o En un grand nombre de cas, les voyelles muettes disparaissent, au milieu des mots, devant des consonnes. Et ce fait se produit sinon dans l’écriture, au moins dans la prononciation. Averat ne compte jamais que pour deux syllabes. Et les vers suivants ne sont pas faux : durement en hall si recleimet sa culpe (v. 2,014). Si receverez la lei de chrestiens (v. 38). Rumput est li temple por ço que il cornat (v. 2,102). Cuntre le soleill reluisent cil adub (v. 1,808). Si me guarisez e de mort e de hunte (v. 21). Ja est-co Rollanz ki tant vos soelt amer (v. 2,001). Pour rétablir la mesure exacte du vers, il faut prononcer : Durment, recevrez, l’temples, cuntre l’soleil, etc. ═ Chap. III. Du couplet épique. 1o Le Couplet (appelé encore laisse ou vers) est en moyenne, dans le Roland, composé de quinze vers. Nous avons dit qu’il commence ex abrupto et forme une division naturelle du récit. — 2o Le lien qui réunit entre eux tous les vers d’un même couplet, c’est l’Assonance qui, dans le Roland comme dans tous nos anciens poëmes, n’atteint que la dernière voyelle accentuée. — 3o Sont dits féminins les couplets dont tous les vers se terminent soit par un e muet, soit par cet e suivi d’un t, d’un s ou d’un nt. Les autres laisses sont dites masculines. — 4o Nous avons relevé une à une, sans en excepter une seule, toutes les assonances du Roland. Tous les couplets de notre vieux poëme appartiennent à une des vingt-cinq séries que nous allons énumérer : a masculin, ai masculin, an masculin ; a féminin, an et ain féminin ; e et é masculin, è masculin, ei masculin, en masculin, è féminin, e et é féminin (mixte), e et è féminin, ei féminin, en féminin ; — i masculin, i féminin. — o masculin, oe masculin, o féminin ; — u masculin, un masculin, u et un (mixte), u féminin, un féminin, u et un féminin (mixte) ; — 5o Nous allons donner, pour chacune de ces vingt-cinq familles de couplets, le « Dictionnaire complet des assonnances du Roland : » I. Couplets en a masculin (au nombre de huit): a, ab, ad, al alt, alz, alzt, ar, ard, arn, art, arz, as, ast, at, az. (On y rencontre par exception et très-rarement, aill, ais, ait et amps.) — II. Couplets en ai masculin (au nombre de trois) : ai, ais, (eis), ait, aist, (est), aiz. (On y a admis, comme dans les laisses en e masculin, el, elz, er, erf, et ailleurs on y trouve une fois ant.) — III. Couplets en an masculin (au nombre de trente et un): amp, an, anc, ancs, and, ans, ant, anz. — Aignz, ains, ainz. — Enc, ens, ent, enz (en très-faibles proportions). — IV. Couplets en a féminin (au nombre de vingt-cinq) : abe, able, ables, abre, ace, acent, aces, acet, acle, afes, affret, afle, age, ages, albe, alchent, alchet, ale, alge, algent, alges, alles, alne, alques, alse, alte, altes, altet, altre, altres, alve, arbe, arbres, arche, arches, arde, arded, ardent, ardes, ardet, arge, arges, arget, ar(i)gnent, arment, armes, arte, arted, artre, ascle, asme, asmet, asquent, asse, assent, asset, aste, astes, astet, astre, astres, ates, atre, azes. On y rencontre aussi, mais à titre d’exception, aiel, aigne, ailet, aille, aillet, aire, aive, alie, anste, ante, et même ecent, erent et ele. — V. Couplets en an, ain féminin (au nombre de douze) : agne, agnes, aigne, aignes, (eignet), aimet, (eimet), aindre, ainet, an(i)e, ambe, ambent, ambes, ambre, ames, amples, ance, ances, anche, anches, ande, andent, andes, andet, andre, andres, ane, ange, angle, angles, anme, anste. (Il faut remarquer que le premier couplet est plus strictement en ain.) — VI. Couplets en e et é masculin (au nombre de quarante-cinq. Ce sont les plus nombreux) : ed, (ied), ef, efs, el, (iel), els, (iels), elz, (ielz), eill, eillz, eilz, en, ens, ent, (ien, iens, ient), er, ers, ert, (ier, iers, iert), (ies), et, (iet), eu, eus, ez, (iez). Comme on le voit, les laisses en ier ne sont pas, dans le Roland, distinctes de celles en er. — VII. Couplets en è masculins (au nombre de trois) : el, els, elt, (ain), er (comme enfer et fer), erc, erf, ers, ert, ès, (ais), èt, (ait), (aiz). — VIII. Couplets en ei masculins (au nombre de douze) : ei, eid, eil, eill, eilt, eilz, eir, eirs, eis, eit, eiz. — IX. Couplets en en masculin (au nombre de sept. Distincts de ceux en an, en ce que l’en y domine en très-fortes proportions) : en, (an), enc, end, (and), ens, ent, (ant), enz, einz, (anz). — X. Couplets en é féminins (sept) : ée, ées, ere, erent, eres. — XI. Couplets en é et e mixtes, féminins (trois) : ebre, ede, ée, ées, eles, einet, ercet, ere, erent, eres, estrent, event. — XII. Couplets en e et è féminins (dix-sept) : ecces, edme, ele, elent, eles, elet, elmes, erbe, erce, erdent, erdet, erdre, ere, (aire), erge, erges, ermes, erne, ernent, ernes, erse, erte, ertre, ertres, (aisles, eisles), esme, esmes, esne, (eisne), esque, este, estes, estre, ete, etre, ette, (aite, aites, aitet), erve. — XIII. Couplets en ei féminins (un seul) : eie, eient, eignent, eigre, eille, einent, einte, eire, eiset, eistre. (Par erreur, erte.) — XIV. Couplets en en, ein féminins (sept) : emble, emblent, emblet, embres, emmes, emples, empres, ence, (ance), ences, (ances), encet, endent, endre, enges, eigne, eine, eintes, ense, ente, entent, entes, entet, entre, entres, — XV. Couplets en i masculins (dix-neuf) : i, id, if, ifs, ign, il, ill, ils, ilz, in, inc, ins, int, ir, irs, is, ist, it, ix, iz. — XVI. Couplets en i féminins (vingt et un) : ibles, ice, ices, iches, yd(e)les, ie, ient, ies, iet, ifes, ige,