La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition populaire/1895/Partie 1/Ambassade Ganelon

De Wicri Chanson de Roland
Fig. 12. — Ganelon met la main à son épée, et on tire la longueur de deux doigts. (Vers 443, 444.) (Composition de Perat.)

 

L'ambassade et le crime de Ganelon

 

Ganelon arrive à Cordres où il rencontre Marsile. Ganelon, qui veut sauver sa vie autant que sa cause, propose un marché à Marsile. Ganelon se débrouillera pour que Roland commande l'arrière-garde, afin qu'une attaque puisse tuer Roland.

Les couplets (laisses)
Notes de l'article

Les couplets (laisses)

XXX

Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 75.jpg
 
O. => XXVIII
Voilà Ganelon qui chevauche sous de hauts oliviers...
Il a rejoint les messagers sarrasins :
Blancandrin, pour l’attendre, avait ralenti sa marche.
Tous deux commencent l’entretien, tous deux y sont habiles :
 370  « Quel homme merveilleux que ce Charles ! s’écrie Blancandrin.
« Il a conquis la Calabre et la Pouille ;
Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 76.jpg
« Constantinople et la vaste Saxe :
« Il a passé la mer salée, afin de mettre la main sur l’Angleterre,
« Et il en a conquis le tribut pour saint Pierre.
« Mais pourquoi vient-il nous poursuivre chez nous ?
 375 « — Telle est sa volonté, dit Ganelon,
« Et il n’y aura jamais d’homme qui soit de taille à lutter contre lui. »

XXXI

O. => XXIX
« Quels vaillants hommes que les Français ! » dit Blancandrin :
« Mais vos comtes et vos ducs font très grand tort
« A leur seigneur, quand ils lui donnent tel conseil ;
380   « Ils perdent Charles, et en perdent bien d'autres avec lui.
« — Je n'en sais vraiment pas un, » dit Ganelon,
« qui mérite ce blâme,
« Pas un , si ce n'est Roland ; et il n'en tirera que de la honte.
Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 77.jpg
« L'autre jour encore, l'Empereur était assis à l'ombre.
« Son neveu vint devant lui. vêtu de sa broigne :
385   « C'était près de Carcassonne, où il avait fait riche butin.
« Dans sa main il tenait une pomme vermeille :
« Tenez, beau sire, » dit-il à son oncle,
« Voici les couronnes de tous les rois que je mets à vos pieds. »
« Tant d'orgueil devrait bien trouver son châtiment.
390   « Chaque jour il s'expose à la mort.
« Que quelqu'un le tue : nous n'aurons la paix qu'à ce prix. » Aoi.

XXXII

O. => XXX
« Ce Roland, » dit Blancandrin, « est bien cruel
« De vouloir faire crier merci à tous les peuples,
« Et mettre ainsi la main sur toutes les terres !
395   « Mais, pour une telle entreprise, sur quelle gent compte -t- il?
« — Sur les Français, » répond Ganelon.
« Ils l'aiment tant, qu'ils ne lui feront jamais défaut.
« Il ne leur refuse ni or ni argent
« Ni destriers, ni mules, ni soie, ni armures;
400   « A l'Empereur lui-même il en donne autant que Charles en désire.
« Il conquerra le monde jusqu'à l'Orient. Aoi.

XXXIII

Le Sarrasin jette un regard sur Ganelon;
Il lui trouve belle mine, mais regard de félon.
Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 78.jpg
En ce moment Ganelon a un tremblemant dans tout le corps,
Et Blancandrin lui adresse aussitôt ce discours :
« Entendez-moi bien, » lui dit-il.
« Voulez-vous vous venger de Roland?
« Eh bien ! par Mahomet, livrez-le-nous,
« Le roi Marsile est plein de courtoisie,
« Et il vous abandonnera volontiers ses trésors. »
Guenes l'entend, et baisse le menton. Aoi.

XXXIV

O. => XXXI
Ils ont tant chevauché, Ganelon et Blancandrin,
Qu'ils ont fini par s'engager mutuellement leur foi
Pour chercher le moyen de faire périr Roland.
405   Ils ont tant chevauché par voies et par chemins,
Qu'ils arrivent à Saragosse. Ils descendent sous un if.
A l'ombre d'un pin il y a un trône
Enveloppé de soie d'Alexandrie.
C'est là qu'est assis le roi maître de toute l'Espagne.
410   Vingt mille Sarrasins sont autour de lui ;
Mais on n'entend, parmi eux, sonner ni tinter un seul mot,
Tant ils désirent apprendre des nouvelles.
Voici venir Ganelon et Blancandrin. Aoi.

XXXV

 
O. => XXXII
Devant Marsile s’avance Blancandrin,
 415  Qui par le poing tient le comte Ganelon :
« Salut, » dit-il, « au nom de Mahomet
Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 79.jpg
« Et d'Apollon, dont nous observons la loi.
« Nous avons fait votre message à Charles.
« Il a levé ses deux mains vers le ciel,
  420   « A rendu grâces à son Dieu, et point n'a fait d'autre réponse ;
« Mais il vous envoie un de ses nobles barons,
« Qui est un très puissant homme de France.
« C'est par lui que vous saurez si vous aurez la paix ou non.
« — Qu'il parle, » dit Marsile, « nous l'écouterons. »     Aoi.

XXXVI

425  
O. => XXXIII
Ganelon cependant prend son temps pour réfléchir,
Et commence à parler avec un grand art.
Comme celui qui très bien le sait faire :
« Salut, » dit-il au Roi, « salut au nom de Dieu,
De Dieu le glorieux que nous devons adorer.
430   « Voici ce que vous mande Charlemagne le baron :
Vous recevrez la sainte loi chrétienne,
Et Charles vous daignera laisser en fief la moitié de l'Espagne.
« L'autre moitié sera pour Roland, le baron.
« (L'orgueilleux compagnon que vous aurez là !)
Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 80.jpg
« Si vous ne voulez point de cet accord,
« Sous Saragosse il ira mettre le siège :
« Vous serez pris, vous serez garrotté de force,
435   « Et l'on vous conduira à Aix, siège de l'Empire.
« Un jugement y finira vos jours,
« Et vous y mourrez dans la vilenie, dans la honte.»
Le roi Marsile fut alors saisi de frémissement :
Il tenait à la main une flèche empennée d'or ;
440   II en veut frapper Ganelon ; mais par bonheur on le retient. Aoi.

XXXVII

O. => XXXIV
Le roi Marsile a changé de couleur
Et brandit dans sa main le bois de la flèche.
Ganelon le voit, met la main à son épée ,
Et en tire du fourreau la longueur de deux doigts :
445  [NDLR 1] « Epée, » lui dit-il, a vous êtes claire et belle.
« Tant que je vous porterai à la cour de ce roi,
« L'Empereur de France ne dira pas
« Que je serai mort tout seul au pays étranger.
« Mais, avant ma mort, les meilleurs vous auront payée de leur sang.
450   « — Défaisons la mêlée, » s'écrient les Sarrasins. Aoi.

XXXVIII

O. => XXXV
Les meilleurs des païens ont tant prié Marsile,
Que sur son trône il s'est enfin rassis.
Et le Calife : « Vous nous mettiez, » dit-il, « en vilain cas,
Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 81.jpg
« Quand vous vouliez frapper le Français.
455   « II fallait l'écouter et l'entendre.
« — Sire, » dit Ganelon, «" je veux bien souffrir cet affront :
« Mais oncques je ne consentirais pour tout l'or que Dieu lit,
« Ni pour tous les trésors qui sont en ce pays,
« A ne pas dire, si l'on m'en laisse le loisir,
460   « Le message que Charles, le roi très puissant,
« Vous mande à vous, son ennemi mortel. »
Ganelon était vêtu d'un manteau de zibeline,
Couvert de soie d'Alexandrie.
Il le jette à terre, et Blancandrin le reçoit;
465   Mais, quant à son épée, point ne la veut quitter :
En son poing droit la tient par le pommeau d'or.
« Voilà, » disent les païens, « voilà un noble baron! » Aoi.

XXXIX

O. => XXXVI
Ganelon s'est approché du Roi :
Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 82.jpg
« Vous vous emportez à tort, » lui a-t-il dit :
470   « Celui qui tient la France, Charlemagne, vous mande
« Que vous ayez à recevoir la loi chrétienne,
« Et il vous donnera en fief la moitié de l'Espagne.
« Quant à l'autre moitié, elle est pour son neveu Roland.
« (L'orgueilleux compagnon que vous aurez là ! )
475   « Si vous ne voulez pas accepter cet accord,
« Charles viendra vous assiéger dans Saragosse.
« Vous serez pris, vous serez garrotté de force,
« Et mené droit à Aix, siège de l'Empire.
« Pour vous pas de destrier ni de palefroi ;
480   « Pas de mulet ni de mule où l'on vous laisse chevaucher.
« On vous jettera sur un méchant cheval de charge ;
« Et un jugement vous condamnera à perdre la tête.
« Voici la lettre que vous envoie notre Empereur. »
Il la remet au païen dans le poing droit. Aoi.

XL

O. => XXXVII
485   Marsile était savant, était lettré,
Et avait été aux écoles de la loi païenne.
Il brise le sceau, il en fait choir la cire,
Jette un regard sur la lettre, et voit tout ce qui est écrit :
Il pleure des yeux, tire sa barbe blanche,
Se lève, et, d'une voix retentissante :
« Écoulez, seigneurs, quelle folie.
« Celui qui a la France en son pouvoir, Charles, me mande
« De me souvenir de la colère et de la grande douleur,
490   « C'est-à-dire de Basan et de son frère Basile,
« Dont j'ai pris les têtes aux monts de Haltoïe.
« Si je veux racheter la vie de mon corps,
« Il me faut lui envoyer le Calife, mon oncle,
Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 83.jpg
« Autrement il ne m'aimera plus. »
Pas un païen n'ose dire un seul mot,
495   Et seul, après Marsile, son fils prend la parole :
« Ganelon a parlé follement, » dit-il au Roi.
« Son langage mérite la mort.
« Livrez-le-moi, j'en ferai justice. »
Ganelon l'entend, brandit son épée,
500   Et contre la tige du pin va s'adosser. Aoi.

XLI (??)

A Saragosse voilà donc un grand émoi.
Or il y avait un noble combattant,
Fils d'un aumaçour et qui était puissant.
A son seigneur il parle très sagement :
« Beau sire roi, pas de crainte,
« Voyez Ganelon, voyez le traître, comme il a changé de visage. » ;  Aoi

XLII

Le roi Marsile s'en est alors allé dans son verger ;
Il n'y emmène que les meilleurs de ses hommes.
Blancandrin, au poil chenu, y vient avec eux
Ainsi que Jurfaleu, son fils et son héritier.
505   Le Calife y vient aussi, qui est l'oncle de Marsile et son fidèle ami.
« Appelez le Français, » dit Blancandrin.
« Il m'a engagé sa foi pour notre cause.
« — Amenez-le, » dit le Roi.
Blancandrin est allé prendre Ganelon aux doigts, par la main droite;
510   II l'amène au verger près do Marsile,
Et c'est alors qu'ils préparent la trahison infâme. Aoi.

XLIII

« Beau sire Ganelon, » a dit le roi Marsile,
« Je fis preuve de folie avec vous,
« Quand, par colère, je voulus vous frapper.
515   « Mais avec ces peaux de martre je vous en fais réparation :
« Elles viennent d'être ouvrées et achevées aujourd'hui même,
« Et valent en or plus de cinq cents livres.
« Vous les aurez sur-le-champ, et c'est vraiment une belle amende. »
Au cou de Ganelon Marsile les attache.
« Je ne les refuse point, » répond Ganelon,
« Et que Dieu, s'il lui plait, vous en récompense lui-même ! » Aoi.

XLIV

520   « Ganelon, » dit Marsile, « sachez en vérité
« Que j'ai le désir de vous aimer très vivement.
« Notre conseil doit rester secret,
« Et je voudrais vous entendre parler de Charlemagne.
« Il est bien vieux, n'est-ce pas? et a usé son temps.
« Il a, je pense, plus de deux cents ans.
525   « Il a promené son corps par tant et tant de terres !
« Il a reçu tant de coups sur son écu à boucle !
« Il a réduit à mendier tant de puissants rois !
« Quand donc sera-t-il las de guerroyer ainsi ?
« Il devrait bien se reposer à Aix.
« — Non, » répond Ganelon, «. ce n'est point là Charlemagne.
530   « Tous ceux qui le voient et le connaissent,
« Tous vous diront que l'Empereur est un vrai baron.
« Je ne saurais assez l'admirer, assez le louer devant vous,
« Car il n'y a nulle part plus d'honneur ni plus de bonté.
« Qui pourrait donner une idée de ce que vaut Charlemagne ?
535   « Dieu l'a illuminé d'une telle vertu !
« Non, j'aimerais mieux mourir que de quitter son baronnage. » Aoi.

XLV

En vérité, » dit le païen, « je suis tout émerveillé
« A la vue de Charlemagne, qui est si vieux et si chenu.
« Il a bien, je crois, deux cents ans et plus.
540   « Il a peiné son corps par tant de royaumes !
« Il a reçu tant de coups de lance et d'épieu !
« Il a réduit à mendier tant de rois puissants !
« Quand donc sera-t-il las de guerroyer ainsi?
« — Ah ! » répond Ganelon, « ce n'est certes pas tant que vivra son neveu :
545   « Sous la chape des deux il n'y a pas un baron de sa taille :
« Son compagnon Olivier est aussi plein de prouesse.
« Les douze Pairs, qui sont tant aimés de Charlemagne,
« Font l'avant-garde à la tête de vingt mille chevaliers.
« Charlemagne peut être tranquille, et ne craint aucun homme. » Aoi.

XLVI

550   « Je suis tout émerveillé, » dit le Sarrasin,
« A la vue de Charlemagne qui est chenu et blanc.
« Il a bien, je crois, deux cents ans passés.
« Il a marché en conquérant par tant de terres !
« Il a reçu tant de coups de bons épieux tranchants !
555   « Il a vaincu en bataille et mis à mort tant de rois puissants !
« Quand donc sera-t-il las de guerroyer ainsi?
« — Ce ne sera certes pas, » dit Ganelon, « tant que vivra Roland ;
« Il n'est tel baron d'ici en Orient ;
« Son compagnon Olivier est aussi plein de valeur.
560   « Les douze Pairs, que Charles aime tant,
« Font l'avant -garde, à la tête de vingt mille Francs.
« Charles peut être tranquille, et ne craint nul homme vivant. » Aoi.

XLVII

« Beau sire Ganelon, » dit le roi Marsile,
« Mon peuple est le plus beau qu'on puisse voir.
565   « Je puis avoir quatre cent mille chevaliers
« Pour engager la lutte avec Charlemagne et ses Français.
« — Ce n'est pas encore cette fois, » répond Ganelon, « que vous le vaincrez,
« Et vous y perdrez des milliers de vos païens.
« Laissez cette folie, et tenez-vous à la sagesse :
570   « Donnez tant d'argent à l'Empereur,
« Que les Français en soient tout émerveillés,
« Au prix de vingt otages que vous lui enverrez,
« Le roi Charles s'en retournera en douce France
« Et derrière lui laissera son arrière-garde ;
575   « Je crois bien que son neveu Roland en fera partie,
« Avec olivier le preux et le courtois.
« Si vous m'en voulez croire, les deux comtes sont morts.
« Charles, par là, verra tomber son grand orgueil
« Et n'aura plus envie de jamais vous combattre. » Aoi.

XLVIII

580   « Beau sire Ganelon, » dit le roi Marsile,
« Gomment m'y prendrai-je pour tuer Roland?
« — Je saurai bien vous le dire, » répond Ganelon.
« Le roi sera aux meilleurs défilés de Cizre,
« Et derrière lui aura placé son arrière-garde.
585   « Là sera son neveu, le puissant comte Roland,
« Et Olivier, en qui il a tant de confiance ;
« Vingt mille Français y seront avec eux.
« Pour vous, seigneur, assemblez votre grande armée.
« Lancez sur eux cent mille de vos païens
« Qui engagent contre eux une première bataille ;
590   « La gent de France y sera cruellement blessée;
« Je ne dis pas que les vôtres n'y soient mis en pièces.
« Mais livrez-leur un second combat :
« Roland ne pourra se tirer de l'un et de l'autre.
« Vous aurez fait par là belle chevalerie,
595   « Et n'aurez plus de guerre en toute votre vie. » Aoi.

XLIX

« Faire mourir Roland là -bas,
« Ce serait oter à l'Empereur le bras droit de son corps.
« Adieu les merveilleuses armées de France!
« Charles désormais n'assemblerait plus de telles forces ,
« Il ne porterait plus au front couronne d'or,
600   Et toute l'Espagne resterait en repos, »
Quand Marsile entend Ganelon, il le baise au cou;
Puis il commence à ouvrir ses trésors. Aoi.

L

Marsile alors : « Pourquoi de plus longs discours?
« Il n'est pas de bon conseiller, si l'on n'en est point sûr :
605   « Jurez-moi, sans plus tarder, jurez-moi sa mort.
« Jurez-moi que je le trouverai à l'arrière-garde,
« Et je vous promettrai en revanche, sur ma loi,
« Que je l'y combattrai si je l'y trouve. »
Et Ganelon : « Qu'il soit fait, » répondit-il, « selon votre volonté! »
Et voilà que, sur les reliques de son épée Murgleis,
Il jure la trahison. La forfaiture est accomplie. Aoi.

LI

Un fauteuil d'ivoire était là;
Sous un olivier, sur un écu blanc,
610   Marsile y fait porter un livre
Où est écrite la loi de Mahomet et de Tervagan.
Le Sarrasin espagnol y jure son serment :
« Si, dans l'arrière-garde de Charlemagne, il trouve Roland ,
« Il le combattra avec toute son armée.
615   «S'il le peut, Roland y mourra.
« Et les douze Pairs sont condamnés à mort. »
Et Ganelon : « Puisse notre traité réussir ! » Aoi.

LII

Voici venir un païen du nom de Valdabrun;
C'est lui qui, pour la chevalerie, fut le parrain du roi Marsile :
Clair et riant, a dit à Ganelon :
620   Prenez mon épée : aucun homme n'en a de meilleure ;
« Le pommeau et la poignée valent plus de mille mangons ;
« Je vous la donne par amitié, beau sire;
« Mais aidez-nous contre Roland le baron
« Et faites que nous puissions le trouver à l'arrière-garde.
« — Ainsi sera-t-il, » répond le comte Ganelon,
« Et je vous garantis que nous les combattrons,
« Et je vous promets que nous les tuerons. »
Tous les deux se baisent à la joue et au menton. Aoi.

LIII

Voici venir un païen, Climborin,
Qui, clair et riant, a dit à Ganelon :
« Prenez mon heaume : oneques n'en vis de meilleur.
« Une escarboucle y brille au-dessus du nasal.
630   « Mais aidez-nous contre Roland le marquis,
« Et donnez-nous le moyen de le déshonorer.
« — Ainsi sera-t-il fait, » répond Ganelon.
Puis ils se baisent à la joue et sur la bouche. Aoi.

LIV

Voici venir la reine Bramimonde :
635   « Sire, » dit-elle à Ganelon, « je vous aime grandement ;
« Car mon seigneur et tous ses hommes ont pour vous grande estime.
« Je veux à votre femme envoyer deux bracelets;
« Ce ne sont qu'améthystes , rubis et or :
« Ils valent plus, à eux seuls, que tous les trésors de Rome;
640   « Et certes votre empereur n'en vit jamais de pareils.
« Pas un jour ne se passera sans que je vous fasse nouveaux présents.
« — Nous sommes à votre service, » lui répond Ganelon.
Il prend les bracelets; dans sa botte il les serre. Aoi.

LV

Le roi Marsile appelle son trésorier Mauduit :

« As-tu disposé les présents que je destine à Charles?
« — Oui, Sire, ils sont tout prêts, répond le trésorier.
645   « Sept cents chameaux sont là, chargés d'or et d'argent,
« Et vingt otages, des plus nobles qui soient sous le ciel, »
Le roi s'est approché de Guenes
Et l'a serré tendrement entre ses bras.
Puis : « Je vous dois bien aimer, lui dit-il.
« Il ne passera plus de jour où je ne vous donne de mes trésors,
« Si vous m'aidez contre Roland le baron »
Et Guenes de lui répondre : « Il ne faut point me mettre en retard. » Aoi.

LVI

Marsile tient Ganelon par l'épaule :
« Tu es très vaillant, » lui dit-il, « et très sage;
« Mais au nom de cette loi qui est la meilleure aux yeux des chrétiens,
650   « Ne t'avise point de changer de sentiment pour nous.
« Je te donnerai largement de mes trésors :
« Dix mulets chargés de l'or le plus fin d'Arabie ;
« Et chaque année je te ferai pareil présent.
« Cependant prends les clefs de cette vaste cité,
655   « Et présente de ma part tous ces trésors à Charles,
« Avec vingt otages que tu lui laisseras;
« Mais fais placer Roland à l'arrière-garde.
« Si je le puis trouver aux défilés et aux passages,
« C'est une bataille à mort que je lui livrerai.
« — M'est avis que je tarde trop, » s'écrie Ganelon.
660   Alors il monte à cheval, et entre en son voyage... Aoi.


LVII

O. => LIII
L'empereur Charles approche de son royaume :
Le voilà arrivé à la cité de Valtierra,
Que jadis le comte Roland a prise et ruinée.
Et depuis ce jour-là elle fut cent ans déserte.
665   C'est là que le roi attend des nouvelles de Ganelon,
Et Je tribut d'Espagne , la grande terre.
Or, un matin, à l'aube, quand le jour jette sa première clarté,
Le comte Ganelon arrive au campement. Aoi.

LVIII

Le jour est beau, le soleil clair.
L'Empereur s'est levé de grand matin,
670   A entendu messe et matines,
Puis est venu se placer sur l'herbe verte, devant sa tente.
Roland y fut, avec Olivier le preux,
Et le duc Naimes, et mille autres.
C'est là que vient Ganelon, le félon, le parjure,
675   Et que très perfidement il prend la parole :
« Salut au nom de Dieu, » dit-il au roi.
« Voici les clefs de Saragosse que je vous apporte,
« Et voilà de grands trésors
« Avec vingt otages : faites-les bien garder.
680   « Le vaillant roi Marsile vous mande encore
« De ne point le blâmer, si je ne vous amène point le Calife.
« J'ai vu, vu de mes yeux, trois cent mille hommes armés,
« Le haubert au dos, le heaume d'acier en tête,
« Et au côté l'épée au pommeau d'or niellé,
685   « Qui se sont embarqués avec le Calife sur la mer.
« Ils quittaient le pays de Marsile, à cause de la foi chrétienne
« Qu'ils ne veulent ni recevoir ni garder.
« Mais, avant qu'ils eussent navigué quatre lieues,
« Ils ont été surpris par le vent et la tempête.
690   « Tous sont noyés, et plus jamais ne les reverrez.
« Si le Calife eût été vivant, je vous l'eusse amené.
« Quant au roi païen, Sire, tenez pour assuré
« Qu'avant ce premier mois passé
« Il vous suivra au royaume de France
695   « Et y recevra la loi chrétienne;
« II y deviendra, mains jointes, votre vassal
« Et tiendra de vous le royaume d'Espagne.
« — Grâces en soient rendues à Dieu, » s'écrie le Roi.
« Vous avez bien agi, Ganelon, et en serez bien récompensé. »
700   On fait alors sonner mille clairons de l'armée :
Les Francs lèvent le camp , chargent leurs sommiers,
Et tous s'acheminent vers France la douce... Aoi.




Notes originales

372. Sur l'Angleterre

Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 75.jpg

372.↑ Sur l'Angleterre, etc Ces deux vers méritent de fixer l'attention des critiques. Ils prouvent que l'auteur du Roland avait des raisons toutes spéciales pour se préoccuper de l'Angleterre. A coup sur, s'il n'y habitait pas, il n'était pas étranger à la race des conquérants de 1066.

Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 76.jpg

373. Il en a conquis le tribut pour saint Pierre

373.↑ Il en a conquis le tribut pour saint Pierre. C'est une allusion évidente au Denier de saint Pierre. Offa, roi de Mercie († 796), en fut le véritable instituteur. Comme il attribuait ses victoires au Prince des apôtres, il lui promit, en son nom et en celui de ses successeurs, un tribut annuel de trois cents marcs. Éthelwoff, père d'Alfred, renouvela la promesse d'Offa, pendant son séjour à Rome en 855. Alfred lui-même, dès qu'il eut soumis les Danois, envoya le tribu annuel rétabli par son père, et sous le règne d'Edouard (900-924) on parlait du Denier de saint Pierre comme d'une contribution régulière. C'est donc à tort que notre poète attribue à Charles cette institution célèbre ; mais, touchant la date originelle, il ne se trompe point,

384. Broigne

384.↑ La broigne, dans notre poème, est absolument le même vêtement que le haubert.

Chanson de Roland (1895) Gautier p 76 f1.png

La broigne était, à l'origine, une tunique de peau ou d'étoffe de plusieurs doubles, sur laquelle on cousait des plaques métalliques, des bandes de fer nu des anneaux. C'est ce dont la figure ci-contre pourra donner une idée.

Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 77.jpg

Quand la tunique de peau ou d'étoffe est recouverte de mailles de fer entrelacées, c'est le haubert. Voir G. Demay, le Costume de guerre et d'apparat au moyen âge, 1875, p. 131. Le sceau que nous reproduisons ici est celui de Gui de Laval, 1105.

399. Soie

399.↑ Soie, dans l'original : palie. Nous possédons (sans vouloir ici remonter plus haut) des textes du Ve siècle, où le mot pallium a le sens de « tapisserie » ou « tapis ». Dans les plus anciens monuments de notre langue, et en particulier dans nos premières Chansons de geste palie signifie une étoffe do prix et, plus exactement, une étoffe de soie,

408. Soie d'Alexandrie

Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 78.jpg

408.↑ Soie d'Alexandrie dans l'original : polie alexandrin. La ville du monde la plus renommée pour ses étoffes de prix était Alexandrie.

« Ses palies ou pailes sont devenus un lieu commun de nos Romans, où ils sont nommés à chaque vers. »

Et ces mentions ne sont pas moins fréquentes dans les écrivains arabes,

« Alexandrie était en réalité l'entrepôt des marchandises de l'Orient et de l'Occident, le marché principal où venaient s'approvisionner les gros négociants du moyen âge. Les pâlies furent jusqu'au XVe siècle le principal objet de ce commerce. »
(Fr. Michel, Recherches sur le commerce, la fabrication et l'usage des étoffes de soie, d'or et d'argent, I. p. 279.)

Il convient d'ajouter qu'Alexandrie recevait, par les caravanes, des étoffes de la Perse et de l'Inde.

431. Vous recevrez

431.↑ Vous recevrez, etc. L'insolence est le caractère particulier de tous les ambassadeurs de nos Chansons. On peut rapprocher de ce discours de Ganelon le fameux discours de Lohier au duc Beuves d'Aigremonl , qui se lit au commencement de Renaus de Montauban : c'est un type.

«Le Dieu qui fit la terre, le ciel et la rosée, le chaud, le froid et la mer salée, puisse ce Dieu sauver Charles, roi de la terre honorée, et toute sa maison qui est vaillante et sage ! Et puisse ce même Dieu confondre le duc Beuves, avec toute sa chevalerie que je vois ici assemblée!... Si tu ne consens point à servir Charles, sache que tu seras pendu au haut d'un arbre ramé, comme un voleur. Et peu s'en faut que je ne le tue ici même de mon épée d'acier. »
(Édit. Michelant, pp. 14 et 15)

439. Une flèche

439.↑ Une flèche, le texte porte atgier (cf. v. 2075). L'étymologie de ce mot est anglo-saxonne : ategar est le nom du javelot saxon, et l'on ne trouve, en réalité, ce mot que dans les textes d'origine anglaise. (Florent de Worchester ; Guillaume de Malmesbury, De gest. Angl., cap. XII, Hoveden. Cf. le Gloss. anglo-saxon de Somner; Hallivvell, au mot Algere, et surtout Ducange au mot Ategar.)

Le texte de Florent de Worchester est des plus précieux :

« In manu sinistra clypeum cum urnbonibus aureis et clavis deauratis ; in dextera lanceam auream quœ lingua Anglorum hategar nuncupatur»

C'est tout à fait notre atgier ki d'or fut empenez.

Cette étymologie est des plus importantes : comme ce mot n'a jamais été usité qu'en Angleterre, il semble raisonnable de conclure que le poème où il se trouve a été écrit en Angleterre.

465. Quant à son épée

465.↑ Quant à son épée. L'épée, qui est l'arme chevaleresque par excellence , présente quatre parties :

Chanson de Roland Gautier 1895 page 81 fig 1.png
  • 1° la lame, qui est à gouttière;
  • 2° le helz ou les quillons, lesquels sont droits ou recourbés vers la pointe ;
Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 81 fig 2.png
  • 3° la poignée, qui est grêle et étroite;
Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 81 fig 3.png
  • 4° le pommeau, qui est creux et sert de reliquaire.

Voir notre Éclaircissement III. sur le costume de guerre, et les figures ci-contre d'après neuf sceaux des XIe - XIIe siècles.

500. Lacune comblée

500.↑ Lacune comblée. Voir la note du vers 330[NDLR 2].

504. Jurfaleu

504.↑ Jurfaleu meurt à Roncevaux, de la main de Roland. Cf. le vers 1904.

524. Deux cents ans

524.↑ Deux cents ans . Un autre de nos poètes donne à Charlemagne plus de deux cents ans : c'est l'auteur de Gaydon ; mais il ne faut pas oublier que cette Chanson n'a rien de traditionnel : « Il y a deux cents ans passés que je fus fait chevalier, dit l'Empereur, et depuis lors je n'ai pas conquis moins de trente-deux royaumes. » (Édit. S. Luce, v. 10252-10255.) L'auteur de Huon de Bordeaux est plus modeste et se contente de faire de Charles un centenaire. Toutes nos Chansons s'accordent à représenter le grand roi sous les traits d'un vieillard « à la barbe fleurie ».

526. Son écu à boucle

526.↑ Son écu à boucle. L'écu, c'est le bouclier chevaleresque.

Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 84 fig 1.png

Il peut couvrir un homme debout, depuis la tête jus- qu'aux pieds. Il est en bois cambré, couvert d'un cuir plus ou moins orné et peint,

« le tout solidement relié par une armature de bandes de métal qu'on faisait concourir à son ornementation. »

Il est muni d'enarmes ou d'anses dans lesquelles le chevalier passe le bras, et d'une guige par laquelle il le suspend à son cou durant la marche. Au milieu de l'écu est une proéminence, « une saillie de métal, nommée boucle , d'où partent des rayons fleuronnés. »

Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 85 fig 1.png

De là sans doute le mot : escut peint à flurs. Nous plaçons ici sous les yeux de nos lecteurs deux écus empruntés à deux sceaux du XIIe siècle, et pour donna une idée de la manière dont se portait l'écu, nous reproduisons intégralement le sceau de Guillaume II . comte de Nevers (1140).

Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 85 fig 2.png

527. Tant de puissants rois

527.↑ Tant de puissants rois. Nos Chansons donnent à Charles un cortège de rois :

«  Un jour, à Pâques , fut le roi à Paris...
— Le gentil roi, qui fut si aimable,
— Tint cour plénière, large et merveilleuse...
— Ce jour-là à sa table il y eut dix-sept rois,
— Trente évêques, un patriarche,
— El mille clercs vêtus de belles chapes...
-Jugez par là du nombre des autres.
(Ogier le danois, vers 3482 et suivants)

Cf. le beau début d'Aspremont.

541. Lance et épieu

551.↑ Lance et épieu. La lance chevaleresque se compose de deux parties :

Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 86 fig 1.png
1° le bois, le fût ou la hanste, très haute , et qui le plus souvent est en bois de frêne ;
2° le fer, qui est d'acier bruni, en losange, quelquefois triangulaire. Les fers du Poitou et de Bordeaux semblent avoir été particulièrement célèbres. (G. Demay, le Costume de guerre et d'apparat , p. 39.)

Au liant de la lance est attaché le gonfanon ou l'enseigne , qui presque toujours est à trois langues ou à trois pans.

Le mot sepiet, dans le Roland, a partout le même sens que le mot lance.

Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 86 fig 2.png

Voir ci -dessus le sceau de Thibaut IV, comte de Blois (1138), et celui de Galeran, comte de Meulan (1105).

583. Cizre

583.↑ Cizre. C'est, comme M. P. Raymond l'a démontré, la région même qui touche à Roncevaux et qui s'appelle encore du nom de Cize.

621. Dans le pommeau

621.↑ Dans le pommeau. le texte porte Entre les helz. Pour les helz, qui sont sans doute les « quillons » et pour le pommeau, voyez, dans nos éditions précédentes, l'Éclaircissement sur le costume de guerre.

Le texte de Versailles est précieux :

- Entre le heut et le pont qui est en son,
— De l'or d'Espaigne vaut dis mille mangons.

Il est connu que les mangons sont une sorte de monnaie (voir Ducange au mol Mancusa) mais le sens est d'ailleurs assez difficile à établir. S'agirait-il d'une épée dans le pommeau de laquelle on aurait mis des pièces d'or? C'est ce que semblerait indiquer le vers 1027 :

Il li dunat s'espée e mil manguns.
Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 90 fig 1.png

Mais, à coup sur, le pommeau n'était susceptible que de recevoir un petit nombre de ces pièces. Il n'y avait donc là que l'équivalent ou la valeur de nulle mangons.

626. Et tous les deux se baisent

626.↑ Et tous les deux se baisent. Le baiser sur la bouche était l'un des rites de l'hommage rendu par le vassal au suzerain. Le vassal mettait ses mains dans celles du seigneur, et le baisait sur les lèvres. C'est ce qu'on appelait devoir « bouche et mains » Cf. le v. 626!

Nous n'avons, tout au plus, affaire ici qu'à une parodie de l'hommage.

629. Heaume

629.↑ Le heaume est cette partie de l'armure qui est destinée à protéger la tête du chevalier (concurremment avec le capuchon de mailles). A l'époque de la composition du Roland, le heaume se compose généralement d'une calotte de fer, d'un cercle et d'un nasal qui couvre le nez. Voir la figure ci-contre, qui reproduit le sceau de Matthieu, comte de Beaumont- sur-Oise, 1177.

Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 90 fig 2.png

642. Sa botte

642.↑ Sa botte ; le texte porte: Hoese. Dans la Chanson d'Aspremont, Naimes après avoir coupé la patte d'un griffon, met l'en sa hoese, monstrera la Karlon. Le diminutif houseau nous est resté longtemps.

662. Valterne

662.↑ Valterne.[NDLR 3] suivant le manuscrit d'Oxford. Il s'agit évidemment de Valtierra, petite ville espagnole qui se trouve presque à égale distance de Saragosse et de la vallée de Roncevaux.

669. L'Empereur s'est levé de grand matin

669.↑ L'Empereur s'est levé de grand matin Nous avons raconté ailleurs une « journée de Charlemagne ». (Épopées françaises , 2e édition, III, pp. 121-133.)

Son sommeil ne ressemblait pas à celui des autres hommes : un ange était toujours à son chevet. (Roland, v. 2528.) La Chronique du faux Turpin rapporte << qu'autour de son lit, chaque nuit , cent vingt forts orthodoxes étaient placés pour le garder, l'épée nue d'une main, et, de l'autre, un flambeau ardent ». (Cap. xx.)

Toutes nos Chansons sont unanimes à le représenter, dès son lever, occupé à prier Dieu dans quelque église, à y entendre pieusement la messe et les matines. A l'offertoire, Charles ne manque jamais de s'avancer au pied de l'autel et de faire à l'église une offrande digne de lui : Nostre empereres s'est vestuz et chauciez; — Messes et Ma- tines vait oïr au monstier. — (Amis etAmiles, 233-234. Cf. Macaire, 308- 315, etc.) Dès que l'office est terminé, Charles va d'ordinaire en un grand ver- ger avec tousses barons ; il s'assoit sous un pin, el le Conseil commence, à moins toutefois que ce ne soit jour de Cour plénière et qu'un ambassadeur sarrasin ne vienne alors jeter devant le roi frank le défi solennel de quelque roi arabe. (Aspremont, édit. Guessard, p. 3 el suiv.)

Les Cours plénières de Charles ne sont autre chu-,' cjue les anciens champs de mars » et « champs de mai ». C'est là que l'Empereur se montre dans toute sa gloire, et c'est là surtout que les yeux de nos pères aimaient à le contempler. Charles est alors entoure'! d'une couronne de rois , de patriarches , d'évêques, de ducs et de comtes. Tous les yeux sont fixés sur lui. Les rois, assis au pied de son faldesteuil, se chargent de traduire la pensée universelle , et font monter jusqu'à son trône un hosanna qui est sur les lèvres de tous. « Sire, font -ils, écoutez, s'il vous plaît; — II n'y a terre sous le ciel, si vous le vou- lez, qui ne fût conquise à la pointe de nos lances. » (Aspremont, Bibl. nat. fr. 2495, f» 670. Cf. la note du vers 527.) = M;iis voici l'heure du repas, qui est servi dans la grande salle du palais principal. Sur des tréteaux mobiles est dressée la table immense, couverte de nappes. On « corne l'eau » : on sonne du cor pour appeler les invités el les avertir d'avoir à se laver les mains avant le repas. Lorsque Charlemagne arrive, les vins sont déjà sur la table, et on les a essayés. Ce sont les damoiseaux qui servent les illustres convives; les da- moiseaux, c'est-à-dire « les jeunes nobles qui ne sont pas encore chevaliers ». Les jours de cour plénière il y en a cent, au repas royal, qui sont vêtus d'her- mine et de vair, tous fils de comtes ou princes. Les barons, couverts de soie et d'or, prennent place sur des fauteuils; derrière Charlemagne plusieurs rois se tiennent debout : « Li rois Burnos le jor servi do vin ; — De l'eseuelle Drues i Poitevin; — Rois Salemons tint le jor le bacin. » (Aspremont, Bibl. nat. fr. 2495, f° 711.) Sur la table on voit étinceler sept cents coupes d'argent et d'or, et l'un de nos épiques veut bien nous apprendre que « Charlemagne les conquit outre Rhin quand il occit le païen Guitalin ». (Aspremont , Bibl. nat. IV. 2495, f? 67-71.— Cf. Ogier, v. 3502- 3506.)

Si le Conseil ou la Cour avait eu lieu avant le repas, le reste de la journée n'est plus consacré qu'au plai- sir. C'est alors que les chevaliers , assis sur le satin blanc, se mettent à jouer aux tables ou aux échecs : Charlemagne les regarde du haut de son trône. (Ro- land, v. 109-116), ou se jette avec ardeur dans quelque partie de chasse. (Girars de Viane, Jehan de Lanseon, etc.) A vraiment parler, sa journée est finie. Il revient bientôt à son palais ou dans sa tente, et s'endort sous la garde de l'ange Gabriel. (Cf. les v. 316 et suiv.)

683. Le haubert au dos

683.↑ Le haubert (v. la note du v. 384, sur la brunie) est le vêtement de mailles, la chemise de maille, laquelle descend jusqu'au-des-sous du genou, et qui est fendue sur le devant et le derrière, de manière à former culotte.

« Plus rare d'abord que la brunie ou broigne, d'une difficulté plus grande de fabrication, le haubert devait être porté seulement par les grands personnages, par les chefs. Il avail sur la broigne l'avantage de mieux protéger le corps, que ses mailles entrelacées couvraient d'un réseau continu, impénétrable à la lance. Aussi la broigne est-elle délaissée vers le milieu du xn e siècle, tandis que le haubert se perfectionne et persiste à ce point que nous le verrons encore en usage au milieu du xiv e siècle. » (Le Costume de guerre et d'apparat d'après les sceaux du moyen âge, par Germain Demay, p. 7 et 8.)

Voir les figures ci-contre, dont l'une reproduit le sceau de la ville de Soissons au xn e siècle, et dont l'autre est empruntée à la célèbre tapisserie de Bayeux (fin du XI e siècle; planche IX du Vetera Monumenta).


Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 95 fig1.jpg
Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 95 fig2.jpg

Facsimilés

Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 75.jpg Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 76.jpg Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 77.jpg Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 78.jpg Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 79.jpg
Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 80.jpg Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 81.jpg Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 82.jpg Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 83.jpg Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 84.jpg
Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 85.jpg Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 86.jpg Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 87.jpg Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 88.jpg
Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 89.jpg Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 90.jpg Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 91.jpg Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 92.jpg
Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 93.jpg Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 94.jpg Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 95.jpg

Voir aussi

Notes de le rédaction
  1. Les numéros de vers ont été visiblement oubliés par Léon Gautier. Ils ont été ici ajoutés.
  2. L'ouvrage initial contient ici 318. Or la note visée est celle du vers 330. Nous avons donc modifié le texte pour pointer sur la bonne note.
  3. Le manuscrit d'Oxford contient en faitGlaine. Voir la note du vers 662 dans l'édition critique de 1872.