Le Palais ducal de Nancy (1852) Lepage, 5

De Wicri Nancy

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Le
Palais ducal
de Nancy
1624-1675
(pages 101 à 122)

Cette page introduit la première partie du cinquième chapitre d'un livre écrit par Henri Lepage en 1852 : Le Palais ducal de Nancy.

 
Le Palais ducal de Nancy
Vers le texte original

Texte original

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V

1608 - 1675.

Puisque j'ai prononcé le nom de Jacques Callot, je dois peut-être, avant d'aller plus loin, dire quelques mots d'une œuvre exécutée par cet artiste, et qui, par le sujet qu'elle traite, se rattache intimement à l'histoire du Palais Ducal. Je veux parler de la vue du Parterre, dédiée à la Duchesse de Lorraine, et portant la date du 15 octobre 1625 (1). Cette gravure représente ce qu'on appelait le parterre d'en bas, et le jardin du bastion des Dames, communiquant l'un à l'autre par la magnifique rampe décorée de statues. On y voit que le premier parterre était séparé de la seconde cour du Palais par un mur à hauteur d'appui, et qu'on y arrivait par un large escalier, de quelques marches seulement. L'artiste a animé son paysage par une foule de personnages de toute espèce, et il l'a embelli en plaçant, à droite et à gauche, des bâtiments, pièces d'eau, bosquets, etc., qui n'ont jamais existé que dans son imagination. Il nous l'apprend, du reste, lui-même, dans ces vers tracés au bas de son estampe, et adressés à la Duchesse :


  (1) Au haut de cette gravure sont les armes de Lorraine , supportées par un aigle éployé ; autour flotte une banderolle, sur laquelle on lit : PARTERRE DU PALAIS DE NANCY, TAILLÉ EN EAU FORTE ET DEDIÉ A MADAME LA DUCHESSE DE LORRAINE. L'aigle est posé sur une autre banderolle portant ces mots, en plus petits caractères : Par Jacque Callot son treshu: seri et sujett le 15 doct. 1625. Enfin, tout au bas de la gravure, à droite, on lit : Jac. Callot excudit Nanceii, et au milieu : Israël Silvestre ex. cum privil. Regis.


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Ce dessein façonné des honneurs des printemps,
Eniolivé d'obietz de divers passetemps ;
C'est nostre aage, Madame, où les douceurs encloses
Nous sont autant de fleurs, ou Rosiers precieux
Qui pousseront sans fin des doux-flairantes roses
Dont l'odeur aggréra aux hommes et aux Cieux.

En 1625, divers travaux furent exécutés « au quartier du neuf bâtiment, du côté de la Neuve Rue ; » on fit « tout à neuf un pont de pierre sur le bord des fossés de la ville, derrière la Court, là où était un vieil pont de bois ruiné ; » on démonta « les trois maistres poteaux de la lanterne de l'horloge, trois croix de Bourgogne qui étaient entre deux, six espieux en haut avec six en bas, » etc., et l'on mit de nouvelles pièces de bois de chêne à la place de celles qui étaient pourries ; enfin, plusieurs ouvriers furent employés pour le service du duc, en l'hôtel de Salm, « pour la chambre qu'il avait ordonné y être faite pour mettre ses titres. »

Dans les derniers jours de l'année 1625, Charles IV, en faveur de qui le prince François venait d'abdiquer, fit son entrée dans sa capitale, après avoir passé sous un arc de triomphe qu'on lui avait dressé entre le Sorupt et Nancy, et dont Charles Chuppin avait peint les décorations (1). Les réjouissances commencèrent aussitôt à la cour du nouveau duc, où accoururent (1626) une foule de dames et de gentilshommes


  (1) On trouve, dans les comptes du Receveur du domaine de Nancy pour 1625, la mention d'une somme payée à plusieurs charpentiers, « pour la chapelle faite entre la ville et la maison de Solrup, le jour de l'entrée de S. A. » — « A Me Charles Chuppin, peintre, 80 fr. pour avoir peint ladite chapelle de rouge et parsemé les pilastres, piedestalles, corniches et dosme au dessus d'alerions d'argent, croix de Lorraine, doubles C et couronne d'or.... » n


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aussi avides de plaisirs que d'intrigues. Les premiers qui arrivèrent furent le prince de Florence, Mme de la Valette, M. et Mme de Marillac, le duc et la duchesse de Chevreuse. Cbarles IV les fêta tour à tour au château de Sorupt et dans son Palais, où l'on avait fait à la haie diverses réparations (1).

L'année suivante, l'affluence de nobles étrangers fut bien plus grande encore à la cour du duc de Lorraine : on y vit, en même temps, les ambassadeurs du pape, de l'électeur de Cologne, du roi d'Angleterre, de l'archiduc d'Autriche, du duc de Mantoue[NC 1], du prince de la Petite-Pierre, du comte Palatin, de la reine-mère de France, etc. Charles IV résolut d'offrir à ces illustres hôtes un spectacle qui leur donnât une haute idée de sa magnificence. C'est à cet effet qu'eut lieu, au mois de février, dans la salle Neuve (2), la plus


  (1) La dépense de ces réparations s'éleva, en 1626, à la somme de 8,485 fr. 8 g. 2 d.

  (2) On a prétendu que le combat à la barrière eut lieu dans la GaI crie des Cerfs, et que c'est cette dernière qui est représentée dans deux des planches de Callot qui accompagnent le récit de ce combat. C'est là une erreur sur laquelle les notes suivantes ne peuvent laisser aucun doute : u A Drouin, sculpteur, cent francs pour reffectionner une grande figure et asscurer l'autre qui est de part et d'autre de la cheminée de la grande salle du costé des Cordeliers. — A Claude Jean, cordier, 26 fr. 9 gros, pour avoir fourni du cordeau pour les chandeliers de la Neuve salle, pendant le combat de la barriere. — A Claude Meuginot, tourneur, 6 fr. 8 gros, pour huit grandes polies de bois à mettre contre la traverse de la Neuve salle pour pendre les huit grands chandeliers. >

Je me borne à ces mentions, auxquelles je pourrais en ajouter beaucoup d'autres. Toutes les notes que j'ai reproduites prouvent, jusqu'à la dernière évidence, qu'aucune représentation n'eut jamais lien dans la Galerie des Cerfs, mais dans la salle Neuve et dans la salle St.Georges, qui étaient moins longues, mais plus larges que la Galerie, et, par conséquent, bien plus propres à recevoir des gradins pour les spectateurs, tout en laissant une place suffisante aux acteurs.


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vaste et la plus splendide du Palais, le fameux combat qui fut chanté par un poète contemporain (1), et dont les machines furent peintes par Deruet et gravées par Callot (2). Le prince de Phalsbourg, M. de Macey, les sieurs de Vroncourt, Tillon et Marimont, M. de Coulongc, le duc de Calabre, le comte de Brionne, le prince Henri de Lorraine, le marquis de Moy et Charles IV lui-même, prirent part à ce combat, pour lequel on dépensa des sommes considérables (3).

Ces réjouissances furent troublées par un triste événement, qui fut comme le présage des malheurs qui allaient fondre sur la Lorraine: le feu prit tout-à-coup dans la partie des bâtiments du Palais avoisinant la collégiale St.-Georges; voici ce que raconte, à ce sujet, un témoin oculaire (4): « L'incendie arrivé en ce tems-là à Nancy, dans le palais du


  (1) Combat à la barrière, faict en cour de Lorraine, le i& febvrier en l'année présente d627. Représenté par les Discours et Poésie du sieur Henry Humbert. Enrichy des figures du sieur Jacque Callot, et par luy mesme. Dedié à Madame la Duchesse de Cheuvreuse.

  (2) Au sieur Callot la somme de cent fr. pour avoir fait toutes les graveures des machines servant au combat de barricre de S. A. — A Claude Desrué, peintre, mille fr. pour avoir peinct les machines de diverses inventions et desseings que S. A. a fait faire pour servir au combat à pied qu'elle fit faire au mois de fevrier de cette année. (Comptes du Trésorier général pour 1627.)

  (3) Un chapitre des mêmes comptes est consacré à la u dépense extraordinaire faite en l'hôtel de S. A. n Cette dépense s'éleva à la somme de 37,756 fr. 5 gros 3 deniers.

  (4) Les justes et veritables Eloges de la Maison de Lorraine, par le R. P. DonaL, ïiercelin, confesseur du duc Charles IV. Sis. infolio, sur papier, écriture du XVIIIe siècle (bibliothèque publique d'Epinal, armoire 2, n° 145). Ce volume appartenait à D. Culmet, qui y a joint plusieurs noies marginales.


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duc, fut bientôt estimé le pronostique de la funeste et grande guerre qui arriva depuis. Il arriva par le moyen d'une chandelle allumée et attachée à un petit cabinet de planches par le mari de la lavandière de la duchesse douairière. Tout le bâtiment neuf du duc de Vaudémont, le jeu de paume et autres parties du palais de la (1) de la Carrière, furent entièrement brûlés , les cloches de St Georges fondues, et on eut peine de sauver le trésor de l'État et celui de la Chambre des Comptes.

» Le feu était si étendu et la flamme montait si haut, qu'elle rendait loin de la ville une très grande clarté, jusqu'au milieu de la nuit. Tous les habitans des villages voisins coururent pour le secours, mais les portes ne leur furent pas ouvertes, les gardes y furent doublées, les officiers de l'arsenal commandés de s'y rendre par la garde de l'artillerie et des poudres; les compagnies des bourgeois armées et mises ez principales avenues de la ville, tandis que les autres, avec les religieux du couvent, sauvaient ce qu'ils pouvaient de la furie du feu, travaillaient à l'éteindre et empêchaient qu'il ne poussât plus loin. Il en vola pourtant des flammes jusqu'au clocher de St Epvre, et comme elles commençaient à y faire dégât, on appréhenda pour toutes les rues voisines et même pour toute la Ville Vieille. Mais un laquais du marquis d'IIaraucourt monta en haut et fut assez heureux pour les éteindre.

» Le duc était cependant dans la Carrière, en robe de chambre et entouré de gardes et de la noblesse qui était pour lors en cour , et toutes les princesses s'enfuyaient à pied à la


  (1) Quoique le manuscrit que je viens de citer soit d'une très-belle écriture, il est évident que plusieurs mois y ont été mal copiés , notamment celui que j'ai remplacé par des points, ct qui n'offre aucune espèce de sens.


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Ville Neuve, et suivant le St Sacrement qu'on portait en procession par les rues, pour apaiser le Ciel. »

Plusieurs personnes furent blessées pendant ce désastre , * entre autres le nommé Roch Lallement, jardinier de l'Hôtel. On s'était empressé d'enlever les objets précieux qui se trouvaient dans les bâtiments voisins du théâtre de l'incendie: les tableaux de la galerie des Peintures furent transportés à la hâte dans les galetas de l'hôtel de Salm, puis conduits dans la maison de Deruet, sans doute pour que cet artiste y fit les restaurations dont ils avaient besoin; enfin, dans le but de parer à un accident du même genre, on fit remettre en état les seilles de cuir, les échelles et les haches qui étaient placées dans une des fourrières du Palais.

Toutes les parties de cet édifice, situées dans les environs du jeu de paume , furent plus ou moins endommagées, notamment les appartements du duc et de la duchesse, la galerie des Peintures et la salle des Assises (sans doute la salle St.Georges), qui y communiquait; une petite salle joignant le Rond, fut brûlée, et les verrières de ce dernier brisées, le feu en ayant fait fondre le plomb.

Charles IV prit des mesures pour faire disparaître au plus tôt les traces de l'incendie; il affecta (1628) aux réparations les plus urgentes une somme de 1,275 francs, produit de la vente de 1,100 sacs de blé de la recette de Nancy. Claude Richier, maître maçon, refit les corniches de pierre de taille qui étaient sur la galerie de la salle du côlé du jardin; le verrier Jean Martin remit du plomb neuf à seize grandes croisées du Rond, lesquelles étaient toutes rompues; maître Aulbin, briquier et blanchisseur, arrasa le dessus des murailles brûlées de la salle St.-Georges; on refit à neuf « le bâtiment et hallage à mettre les orangers et autres arbres au derrière du château; » Guillaume François et le sieur Dardemie,


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tous deux ingénieurs flamands, travaillaient, celui-ci à la réparation des fontaines; le premier, à « la structure d'une machine à retirer les eaux, érigée sous l'une des arcades de la galerie donnant sur le jardin; » enfin, le peintre Nicolas Chuppin peignait les plafonds de la sallette du duc et de celle de la duchesse et les enrichissait d'alérions, de croix de Lorraine, de Jérusalem et de filets d'or et d'argent (1).

Les travaux exécutés au Palais, à cette époque, le furent, sans doute, sous la direction d'un nommé Jacques Bugeau , maître maçon et architecte, demeurant à Nancy, à qui Charles IV avait fait faire « certains dessins des portes de la Ville Neuve. »

En 1629, on ressouda le plafond de la lanterne du Rond , on rabilla les cheminées au quartier des Ambassadeurs, et une somme de 300 francs fut payée à Georgin, maître maçon, « pour avoir démoli le premier étage de la galerie des Peintures, jusqu'au-dessus des croisées de ladite galerie; un des deux derniers étages du neuf bâtiment qui regarde sur le jeu de paume, jusqu'au bas des barres de portes; les deux derniers étages du quartier là où logeait M6r le duc; avoir mis bas les galeries de pierres de taille qui étaient du côté du parterre, et mis la taille en provenant au-devant de la galerie de Bellange. » Cette galerie est probablement la salle Neuve du quartier neuf, que cet artiste avait décorée, et à laquelle on avait donné son nom, ainsi qu'à la Galerie des Cerfs,


  (1) La quittance de Nicolas Chuppin porte qu'il a reçu cent francs M pour les deux planchers, les avoir peints en couleur brune obscure dorée et argentée tant en allerion que croix de Lorraine, Jérusalem et des fillets d'or et d'argent, iceux planchers à la sallette de S. A., aussi celle de Madame au dessus de la sallette de S. A., avec les ventilions aussi peints en cwileur brune et doré de fin or. n


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qui est souvent appelée la salle des Cerfs de Bellange (1).

Quoique la pesle commençât à sévir dans plusieurs villages de la Lorraine, et menaçât Nancy, les fêtes n'en continuaient pas moins à la cour de Charles IV, où se trouvait toujours Mme de Chevrcuse. Il y eut, dans le courant de 1629, un nouveau combat à la barrière dans la Grande salle, un carrousel et un ballet, dont Claude Deruet fut encore chargé de peindre les machines.

L'année suivante, et à l'occasion de l'arrivée de Gaston d'Orléans, frère du Roi, de nouvelles et brillantes fêtes furent données au Palais. Etrange contraste avec la désolation qui régnait de toutes parts! Des carrousels et des courses de bagues et à chevaux dessanglés eurent lieu sur la Carrière et dans la cour du Château, où l'on tira un feu d'artifice, qui avait été préparé par Gabriel Geoffroy, « faiseur de feux artificiels, » demeurant à Nancy. En même temps on continuait à réparer les bâtiments qui portaient encore les traces de l'incendie de 1627: Nicolas Chuppin peignait « en brun rouge » les landrages, balustres et supports de la galerie que l'on avait faite , allant du quartier du duc au jardin (2); Jean Martin, verrier de l'hôtel, posait des carreaux peints au


  (1) On voit figurer, à cette époque, à coté de Bellange, Le Clerc (Jean), u chevalier de St.-Marc, peintre de Msr; n Martin Colletti et Jean Capchon, peintres à Nancy; Claude Simonin, sculpteur à la VilleNeuve; Antoine Richard, peintre et doreur; le graveur Jean Racle; Jean Valdor, u illumineur et graveur en taille douce; n l'architecte Toussaint Marchai, qui dirigeait les travaux de n l'étang à truites ti que le duc taisait construire dans le val St.-Barthelémy, près de Champigneules ; enfin, le peintre verrier Jean Martin restaurait les vitraux du chœur des Cordeliers, et Callot gravait et faisait imprimer a les tables généalogiques de la maison de Lorraine. n

  (2) Cette galerie avait 200 balustres qui avaient été faits par Claude Messirc, lourneur à Nancy.


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cabinet de Son Altesse; on faisait une fausse galerie de planches là où était la salle des Peintures , qui avait été brûlée; enfin, des estrades furent dressées dans la salle St.-Gcorgcs pour la tenue des Etats, et des ventilions mis à la « salle où l'on tire des armes. »

En 1G32 , un nommé Jean-Baptiste Landry, peintre, fut chargé d'entretenir les peintures de la galerie allant au jardin; on remit, dans la bibliothèque du Château, les livres appartenant au duc, et qui avaient été transportés à l'hôtel de Salin lors de l'incendie; le sieur Jean-Baptiste (Battisa Andrei), peintre et concierge en l'hôtel de Malle , nettoya , réfectionna et remit en état toutes les peintures de la salle Neuve et de celle au-dessus. Diverses réparations furent faites à la galerie allant aux Cordeliers, au quartier de M. le Cardinal, dans la chambre des Suisses, et dans celle « où loge celui qui enseigne à danser les pages. »

En 1G33, on couvrit à neuf la toiture de la carrière couverte, et Jean Cheveneau fit différentes peintures au cabinet de Madame et à la salletle de Son Altesse (1), « à l'arrivée du Boi à Nancy. »

Pendant le temps dont je viens de parler, de graves événements politiques s'étaient accomplis : l'imprudence de Charles IV, autant que la haine de Bichelieu contre ce prince, avaient attiré sur la Lorraine les armes de la France. Nancy était assiégé, et le duc, ne pouvant espérer conserver cette


  (1) Payé 56 fr. à Jean Cheveneau, peintre demeurant à Nancy, pour avoir peint les portes, chassis des feneslres, aumaire, lamhry et Iraveure du cahinct de Madame, que l'on a fait joindant un grand cabinet, peinct les balustes et treillys de la galerie par où l'on y va.

Au même, a U fr. pour avoir argenté six croisées pour mettre à la salle de S. George, la sallette de S. A. et en celle de Madame, à l'arrivée du roi à Nancy. (Comptes du Receveur du domaine de Nancy pour 1635.)


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ville, à la défense de laquelle il n'avait point pourvu, signait le traité de Charmes et remettait pour quatre ans sa capitale entre les mains du Roi.

Louis XIII y fit son entrée solennelle, le 25 septembre 1633, accompagné de ses officiers de guerre et des principaux seigneurs de sa cour; mais il ne voulut pas loger au Palais Ducal, ni même entrer dans la Ville-Vieille, « pour sûreté de sa personne. » Il descendit à la Ville-Neuve, dans la maison du sieur Rousselot, laquelle avait été disposée à la hâte pour le recevoir. Le Roi ne resta que trois ou quatre jours à Nancy, et quitta cette ville, avec la Reine, pour retourner à Paris, laissant le maréchal de la Force en Lorraine avec une armée de 20,000 hommes, et après avoir institué M. le duc de Brassac gouverneur de la capitale.

Quoique Charles IV eût conservé le droit d'y tenir sa cour, la douleur de n'en être plus le maître, l'empêcha d'y demeurer longtemps. Au bout de quelques semaines, il se retira à Mirecourt, puis, de là, à Besançon, abandonnant la conduite de ses Etats au Cardinal, son frère (49 janvier 1634). Les circonstances politiques forcèrent bientôt ce dernier à renoncer à sa dignité ecclésiastique, et il épousa, à Lunéville, la princesse Claude, seconde fille du duc Henri IL Ce mariage, qui contrariait les projets de Richelieu, était à peine accompli, que le maréchal de la Force crut devoir arrêter les nouveaux époux ; il les fit conduire sous sûre garde au Château de Nancy, ainsi que la duchesse Nicole et la princesse de Phalsbourg.

Le Palais Ducal avait bien changé de destination : ce n'était plus alors cette résidence princière où les prédécesseurs de Charles IV s'étaient vus entourés d'une cour' aussi nombreuse que brillante; comme au temps, de triste mémoire"', où le duc de Bourgogne trônait dans la demeure de nos souverains,


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ce Palais était maintenant gardé par des soldats étrangers; un gouverneur nommé par la France, habitait ses salles d'honneur, tandis que les princes et les princesses de la maison de Lorraine étaient retenus prisonniers dans leurs appartements. Le duc Nicolas-François et son épouse résolurent de se soustraire à cette intolérable situation. La duchesse Claude parvint à sortir du Palais sous le costume d'un page, la veille du 1er avril 1634, et, le lendemain, le duc s'échappa par une porte donnant sur l'escalier du Rond, laquelle, depuis cinquante ans n'avait pas été ouverte. Peu de temps après, la princesse de Phalsbourg fut assez heureuse pour pouvoir également s'évader du Palais, à l'aide d'un stratagème. Quant à la duchesse Nicole, elle demanda et obtint de se retirer à la cour de France.

Lorsqu'en 1641, Charles IV eut signé le traité de "St.Germain, que son peu de durée fit appeler la Petite-Paix, on avait espéré que ce prince pourrait rentrer dans sa capitale, et l'on avait même, pour célébrer son retour, préparé les dessins des arcs de triomphe sous lesquels il devait passer. C'est même à cette occasion (1) que Deruet grava la vue du Palais, que j'ai eu plus d'une fois occasion de ciler, et qui est, à coup sûr, la page la plus intéressante de l'histoire de ce monument (2).


  (1) Voir ce que dit à ce sujet M. Beaupré dans ses Recherches sur les commencements et les progrès de l'Imprimerie en Lorraine.

  (2) Au haut de la planche de Deruet, se voit une large draperie tombant des deux côtés, dans le milieu de laquelle est l'écu de Lorraine, supporté par un aigle éployé posé sur une banderolle flottante qui porte ces Irois mots : Le Palais Ducal. Au bas de la gravure, dans un cartouche, sont aussi les mots : A Son Altesse. Enfin, ajoute M. Beaupré, au-dessus de cette planche, on lit, en caractères d'imprimerie, parfaitement semblables à ceux qui ont été employés pour le texte du Triomphe de Charles IV (dont je parlerai plus loin), trois stances évidemment composées pour entrer dans ce livre. En voici quelques vers:

Grand Prince c'est assez soubs un ciel étranger
Faire toujours d'un camp une demeure errante,
Revenes, c'est assez loger
Soubs le pavillon et la tente.
Il faut vous reposer de vos travaux guerriers
A l'ombrage de vos lauriers.
Ce superbe palais, ce pompeux logement
Où régnoient la justice et la magnificence,
Reprendra tout son ornement
De l'éclat de votre présence.




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Dans le cours des vingt et une premières années qui suivirent l'occupation de Nancy par les troupes françaises, c'està-dire de 1G33 à 1G54, le Palais Ducal, privé de ses princes et de la brillante noblesse qui formait leur cour, ne se peupla plus de ces chefs-d'œuvre des arts dont se plaisaient à l'enrichir Charles III et Henri II; c'est à peine si les intendants chargés de l'administration financière du pays , consacrèrent quelques sommes à la réparation des bâtiments qui menaçaient ruine, ou à l'entretien des toitures (1).


  (1) En 1633, on pava le devant de la grande porte, on cimenta la tour du Trésor , et l'on mit des vitres neuves à la Galerie des Cerfs. — En 1635 , on fit quatre prisons au Palais. — En 1640 , on répara les trois arcades sous la galerie de pierre du côté de l'Horloge, ainsi que la plupart des toitures, qui menaçaient ruine. — En 1641, on refit la H porte qui sort de la Court pour entrer dans la ruelle des Cordeliers; n on raccommoda la couverture de cuivre rouge qui était sur le Trésor , et on y posa n un couvre avec cyment destrempé en l'huille; n on refit la toiture u des douze assiettes de la galerie qui va au Rond; n enfin, on conduisit à Pont-à-Mousson la magnifique table d'argent qui ornait la Galerie des Cerfs. Dans les années suivantes, des réparations furent faites à la toiture de cette galerie et à celle du Trésor (1645); à la salle St.-Georges, an pavillon où logeait le sieur Jean Callot, concierge de l'hôtel ( 1644); au quartier des ambassadeurs, du côté du vivier (1643), et à la galerie de bois au-dessus de l'orangerie du jardin (1646).


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C'est en 1654 seulement que les travaux recommencèrent, et que le Palais put se croire revenu aux temps de son ancienne splendeur. Des peintres, des sculpteurs, des doreurs, furent employés, sous la direction de Deruet, à décorer la « chambre principale, l'alcôve y érigée et le cabinet joignant. * Ces appartements étaient ceux qu'occupait le maréchal de la Ferté Senneterre, gouverneur de Lorraine, et on y déploya tant de magniûcence, que sa chambre prit, dès cette époque, le nom de chambre dorée. Les dorures avaient été faites par Thiébaut Convelle, Jean Biaise, Jean Grégoire et Gaspard Colliquet (1); les peintures par Antoine Lhcrnette, Jean Callot, David Prot et Jean Bonnart (2); Charles Chassel avait


  (1) A Tbiébault Convelle, maistre doreur, et à Jean Biaise, son compagnon, 780 fr. pour u argenter avec argent fin tous les panneaux du lambris de la chambre de l'allecauve, comme aussy argenter et vernir en couleur d'or toutes les mollures et corniches haultes et basses qui s'y trouveront avec les portes des deux costés.... n — Aux mêmes et à Jean Grégoire, S60 fr. u pour les dorures, lambrissages et fournitures qu'il convenoit faire au cabinet aupres de la chambre principale du Chasteau, en laquelle est erigée l'allecauve, jusques au plat fond, n Plus, 300 fr. pour u des cadres en compartiment taillés tout à neuf audit plat fond pour mettre aux carreaux entre les poultres, tous taillés en feuillages et le tout doré en couleur d'or d'argent verny, avec une neuve poultre pour faire la division desdits compartiuiens, ct neuf culs de lampes pour mectre à l'entour dudit cabinet, tout taillés en feuillages aussy dorés. « — A Gaspard Colliquet, maistre fourbisseur, 18 fr. 6 gros u pour avoir doré les boutons et attaches des vitres et la clef d'une des portes de la chambre de ladite allecauve. n

  (2) A Antoine Lhernette, peintre, 200 fr. pour, entre autres choses, u avoir grisé le tour de la chambre de Mer le maréchal de dessous les tapisseries... Et pour les ventillons des deux croisées, avoir doré des tilets partout où il s'est trouve estre necessaire, d'or de ducat, et aussi toutes les fareilles tant desdits ventilions que. les chassis des fenestres... Au même 20 fr. « pour avoir peint et grisé la cheminée d'une grande chambre à l'entrée de l'alcauve, proche la galerie qui va au jardin, ■■ — A Jean Callot, heraut d'armes et concierge du chateau, 80 fr. H pour quelques ouvrages de peintures en detrempe et paysages au nombre de douze, qu'il a faits en une chambre voisine à celle qui est dorée, et servent d'embellissement à ladite chambre au dessus des tapisseries. n — A David Prot, Lhernette et Jean Bonnart, peintres , 400 fr. « pour avoir fait et appliqué les fleurs et roses qui sont sur le lambris de la chambre principale du chateau , et verdi la porte de ladite chambre. n


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sculpté, pour les cheminées, des figures de Vénus et de Cupidon (1); Antoine Grata y avait posé des pavés de marbre et de marqueterie (2); les menuisiers Antoine Roy et Claude Gerdolle avaient fait les lambris, qui étaient de sept pieds de haut et enrichis de « molures en forme de petit cadre dans chaque carreau. » Mais la majeure partie des ouvrages de peinture fut exécutée par Deruet, qui, sans compter une foule de figures de fantaisie, représenta, sur les panneaux,


  (1) A Charles Chasse), sculpteur, 525 fr. pour u une Venus posée sur la cheminée de la chambre principale du palais dans une coquille avec deux pigeons au dessus et deux Cupidons aux deux costés, le pied d'estal portant la coquille et les foudres aux deux costés, et doré entierement le tout. n

  (2) A Antoine Grata, maitrc marbrier et sculpteur, 2S0 fr. u pour un pavé de marbre et marqueterie à faire à neuf au cabinet aupres de la chambre principale en laquelle est erigée l'allecauve. n — On voit, d'après le rapport fait par Claude Collignon et Claude Majeur, maîtres sculpteurs, que les ouvrages à exécuter dans ce cabinet, consistaient à y u faire sept parquets, faire et poser le cintre avec leurs bordures de marbre et entrelas tant de marbre blanc que de noir, et outre ce deux bandes de marbre de couleur avec une ovalle au milieu de marbre blanc, u


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« l'embrasement de Sodome, l'amour d'Adonis et Venus, le Ravissement de la femme d'Hercule, » etc. (1)

On ne se borna pas à' ces travaux d'art; des meubles, des tapisseries, des étoffes précieuses, achetés à grands frais, chez Humbert, Husson et Claude Charles, marchands à


  (1) Voici les mémoires fournis par Deruet lui-même, écrits par lui et revêtus de sa signature. Ils m'ont semblé mériter d'être reproduits en entier et textuellement:

n Memoire dese que jay faict pour la chambre de Monseigneur le Marechalle.

n Premier neuf tablau crotesque pour le plafon de l'alcove. — Puis douze tablau crotesque représentant les douze moy. — Puis troy tablau crotesque de parte dautre de lalcove. — Puis quatre tablau crotesque sur de la toile et le reste du boy pain en crotesque tout alantour des tablau de boy de Sainct Lucie. — Puis deux tablau de crotesque sur de la toile au desus du lict. — Puis les renfondrement des deux croysée painte en crotesque haute et bas. — Puis les huict volect des deux croysée pain en crotesque des deux quoté. 11

« Mémoire du surplus des ouvrage que jay faict pour la dict chambre de lalcove.

n Premier un tablau dun chariot de la victoire pain en huile « 13 pistol.

n Un autre tablau reppresentant lambrasement de Sodome pain eu huile 7'pistol.

n Un autre tableau de l'amour d'Adonis et Vénus pain en huile S pistol.

n Un autre tablau sur un planché dun ravicement de la famme dercul pain en huile & pistol.

n Un autre article de troy petict tablau sur des pla fun representant des figure marine sur cheminé painte en huile 5 pistol.

n Encor troy autre petict tablau sur des pla fon crotesque en coquilage pain en huile 2 pistol.

n Puis la frise encrotesque qui torne tout alantour de ladict chambre ii pistol.

n Puis les roset doré qui torne tout autour

n Puis deux tablau crotesque faict à la place de ceux de boy de S'Lusie.. 2 pistol.

n Puis sept peti tablau crotesque au chevé du lit b' pistol.

M Pais quatre peti tablau crotesque au pla fou de sur la cheminé 1 pistol.

» Puis les painture des verier (probablement verrières)... 1 pistol.

n Memoire de louvragc que jay faict au cabinet de Monseigneur le Marechalle.

n Premier huict porte sieng painte (cinq peintes) des quoté et troy qui ne le sont que dun le tout font sinquante deux panaux. — Puis douze pilastre qui eu sont les separation tout pain en crotesque et des plas de fruict. — Plus un frise tout a lantour du cabinet sur de la toile que jay fourni on il y a trente et une boutelle et des fleure de dan et trante deux crotesque a lantour. — Puis un grande large corniche qui tome tout alantour du cabinect enrichie de meneu crotesque. — Plus les quatre vantilon pain des deux quoté qui font sezze panau en crotesque. — Puis ce que jay pain sur le vaire des vitre. — Puis pour le pla fon qui est composé de quatre grand parquet en chacun Ireze crotesque separé et jay fourni les toile et les chacy. — Et ay fourni tous les roset doré aux nombre de trante quatre. — Pour tout ee que desur 50 pislol dor. n (Pièces justificatives des comptes de Nicolas Henry, receveur du domaine de Nancy, pour l'année 1654.)


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Nancy, vinrent embellir les appartements du gouverneur français, qui cherchait à imiter la magnificence de nos ducs, mais qui, par sa dureté, faisait cruellement sentir aux Lorrains le poids de la domination étrangère. Je dois ajouter,toutefois, qu'il sembla se préoccuper beaucoup de l'entretien du Palais Ducal, car des travaux assez considérables y furent exécutés, presque chaque année, durant le cours de son administration.

On répara successivement le manège de la carrière couverte, l'orangerie, la grosse tour où l'on mettait les meubles (1654), le grand bassin de pierre de taille du jardin (1G55), et l'on refit à neuf la grande galerie de bois qui conduisait du Palais au Parterre (1660). Plusieurs peintres décorateurs, parmi lesquels Jean Biaise, dit La Poincte, Antoine Lhernette et Jean Ragache, furent employés à des ouvrages de leur art, soit à l'intérieur, soit à l'extérieur des appartements, et principalement dans la chambre Dorée.


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En 1664, un nommé Marc Simonin, maitrc fourbissear, ayant présente requête à l'effet d'obtenir la place sur laquelle était ci-devant bâtie la boutique du fourbisseur de la cour, « faisant la première proche la petite porte du Château, » cette place lui fut octroyée, à charge d'y faire construire à neuf une boutique et de l'entretenir à ses frais. Il ressort de cette note et d'une autre qui lui est antérieure, qu'à cette époque, une partie des échoppes adossées au Palais, le long de la Grande-Rue, et qui sont figurées sur la planche de Deruet, étaient déjà ruinées. Ces échoppes étaient occupées par les ouvriers ou marchands plus spécialement attachés à la cour.

Au mois de septembre 1663, Charles IV, à qui le traité de Marsal avait rendu la jouissance de ses Etats, était rentré dans sa capitale Les Lorrains, aussi généreux que fidèles, oubliant les fautes de leur prince pour ne se souvenir que de ses malheurs, le reçurent avec de grands transports de joie. Charles en fut vivement touché, et parut, dès lors, ne plus vouloir songer qu'à vivre en paix et à rétablir ses finances. « Outre les divertissements de la chasse, il voulut encore faire revivre ceux des bals et des comédies, des mascarades et des carrousels, tant pour réjouir le peuple, lui faire oublier les maux passés et supporter plus patiemment les présents, pour les impôts dont il les surchargeait, que pour occuper les jeunes cavaliers dans l'exercice des armes, et récréer les dames, se mêlant lui-même, nonobstant son âge, à toutes ces galanteries avec plus d'adresse et de vigueur que pas un de sa cour ; et comme il remarqua que les dames de qualité n'étaient pas en grand nombre, la plupart n'osant encore paraître à la cour, pour n'être pas bien remises des misères que la guerre leur avait causées, il permit aux petites damoiselles de la ville de paraître au bal (1)... »


  (1) Mémoires du marquis de Beauvau.


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L'année suivante, et quoiqu'il touchât à ses soixante-trois ans, Charles épousa M"e d'Apreraont-Nanteuil, qui n'en avait que treize. Cette union, si disproportionnée, et dont le duc lui-même rougissait, se célébra, le soir, dans la chambre de Caillette, son argentier. Toutefois, Charles, par un reste de pudeur, n'osa pas loger sa nouvelle épouse au Palais; elle n'y venait que pour la nuit, habitant le jour la Malgrange. Mais, au bout de quelque temps, le duc, fatigué de cette contrainte, annonça publiquement son mariage, et la jeune duchesse vint s'installer à la Court, après avoir fait son entrée solennelle à Nancy, dans un superbe carrosse à six chevaux et au bruit du canon.

Pendant le court intervalle de paix et de tranquillité dont jouit la Lorraine (de 1GG3 à 1070), Charles IV fit faire quelques ouvrages au Palais : César Clérey (1664) et Jean Lhernette (1667) décorèrent de diverses peintures le cabinet du duc et l'alcôve de Msr de Vaudémont; on répara les glacières des jardins (1666), les toitures de la salle St.-Georges, de l'orangerie (1667) et du Trésor (1668); enfin (1669), des travaux assez considérables furent exécutés dans les appartements du comte de Vaudémont (1).

Pendant l'hiver de 1668, la cour de Lorraine eut, comme autrefois, le spectacle de carrousels, de tournois à selle dessanglée, de bals, de ballets, de mascarades et de comédies. De nouvelles fêtes y furent données, en 1669, pour l'arrivée du prince de Vaudémont, qui venait d'épouser, à Bar, Mlle


  (1) Une somme de 3,421 fr. i gros est payée, par ordre de S. A., à plusieurs ouvriers qui ont travaillé dans l'appartement de Msr le comte de Vaudémont; on y voit figurer Jean Lamet ou Lhernette, Claude Clerey et autres peintres, pour une somme de 970 fr., et Jean Grégoire, maître doreur, pour 490 fr.


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d'Elbœuf (1). Au milieu de toutes ces réjouissances, Charles IV ne restait pas étranger aux événements politiques qui s'accomplissaient en Europe : au lieu de chercher à consolider la paix, dont son peuple avait un si pressant besoin, il nouait des intrigues avec les ennemis du Roi et levait des troupes, sous prétexte de les mener au secours de l'empereur, mais, en réalité, pour les conduire aux Hollandais, qui étaient alors en guerre avec la France. Ses projets furent découverts, et le marquis de Fourille, mestre de camp général de la cavalerie, reçut ordre de se saisir de sa personne, et marcha en toute hâte sur Nancy. Mais le duc, ayant été prévenu pendant qu'il était au conseil, leva subitement la séance, et, feignant de se rendre à la chasse, s'enfuit à toutes brides sur la route des Vosges et alla chercher un asile dans le château de Mme des Pilliers.

Fourille, que ses guides avaient égaré dans la forêt de Haye, arriva au galop à Nancy, vers midi (le 26 août), espérant surprendre le duc à table. Il commença par se saisir de la porte Notre-Dame, investit le Palais, et fit occuper toutes les issues de la Ville-Neuve. Le régiment des dragons bleus de la Forêt se mit en bataille sur la Carrière. Les autres places et les carrefours furent également remplis de troupes qui obligèrent les bourgeois à rentrer dans leurs maisons.

La jeune duchesse de Lorraine prenait alors les eaux à Pont-à-Mousson. Fourille, trouvant les portes du Palais fermées, fit crier à des personnes qui se tenaient sur le balcon de la salle des Cerfs, qu'on eût à les ouvrir ou qu'il les ferait enfoncer. En effet, il fit apporter des haches qu'on rangea devant la porte, en attendant la réponse des princesses de Vaudémont et de Lillebonne , qui étaient dans le Palais.


  (1) Mémoires du marquis de Beauvau.


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Un moment après, un officier étant venu lui dire que la porte du côté de la Carrière était ouverte, on l'y conduisit. Les princesses étaient presque vis-à-vis sur la galerie ; Mme de Lillebonne rentra précipitamment dans les appartements; mais la princesse de Vaudémont, qui connaissait Fourille, lui reprocha vivement sa violence. Ce dernier entra néanmoins dans le Palais, qu'il fit fouiller partout et où il logea les chevaux de sa cavalerie. Les princesses demandèrent et obtinrent la permission d'en sortir pour se retirer à la Visitation. Mais on inspecta leur carosse et on maltraita leurs domestiques.

Quelques jours après (1er septembre), le maréchal de Créqui arriva en Lorraine avec une armée de 26,000 hommes, et entra dans la capitale sans aucune résistance. Non content d'exercer des rigueurs contre les places de la province, qui étaient dans l'impossibilité de se défendre, il livra le Palais Ducal au pillage; on en enleva tous les meubles, avec les titres et papiers tant du Trésor que de la Chambre des Comptes, lesquels furent chargés sur dix-huit chariots et conduits à Metz, ainsi que les canons et les armes qui se trouvaient à l'arsenal, y compris la grande coulevrine (1), de vingt-deux pieds de long, et qui passait pour la plus belle pièce de l'Europe. On enleva également le magnifique cheval de bronze destiné à supporter la statue de Charles III, et ce chef-d'œuvre de Chaligny fut mené comme en triomphe à


  (1) D'après des renseignements que j'ai tout lieu de croire exacts, il paraît que cette coulevrine n'existe plus, du moins qu'en partie. Elle a servi, dit-on, au commencement de la première révolution, à des expériences pour l'artillerie , et a été successivement diminuée dans sa longueur, afin que l'on pût arriver à la solution de ce problème: à savoir si l'impulsion donnée au boulet par la poudre est plus forte dans une pièce longue que dans une courte.


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Paris, au mois de mai 1671. Le maréchal de Créqui alla plus loin encore : « Afin de joindre le mépris de la personne du duc à tant d'outrages, il voulut même loger dans sa chambre et coucher dans son propre lit (1).... »

Deux ans après (1673), Louis XIV, se rendant en Alsace, dont il voulait réduire quelques places, s'arrêta à Nancy et logea au Palais Ducal, « lequel, dit M. de Bcauvau, contint si commodément toute la Cour du Roy et de la Reyn^, que leurs majeslcz avouerent que le Louvre n'éloit pas plus habitable (2). »

Charles IV ne rentra plus dans ce Palais, qu'avaient habité ses prédécesseurs, et où les ducs de Lorraine s'étaient vus remplacés par les Rois de France et par leurs gouverneurs. Ce prince, qui avait tout sacrifié à sa passion de la guerre, avait trouvé la mort dans un camp, le 16 septembre 1675, laissant ses Etats et sa capitale sous une domination étrangère. Son règne, si malheureux pour notre pays, aurait dû être cependant une de ses plus brillantes époques de gloire, car


  (1) Voir les Mémoires du Marquis de Beauvau , et tons nos historiens. — M. de Beauvau dit, en parlant du cheval de bronze, u qu'il lui fut plus fait d'honneur à son arrivée à Paris, que les Grecs n'en rendirent jamais à celuy de Troye, le Roy ordonnant luy-même qu'on l'allàt recevoir avec trompettes sonnantes, et qu'on le plaçât solennellement sous l'arc de Triomphe qui a esté construit à l'entrée du FauxBourg S. Antoine, pour mémoire de celle (l'arrivée) de la Beyne Regnante, en l'année de son Mariage; ce qui toute-fois n'eut point d'effet, s'étant encore trouvé trop petit pour la haute élévation du portique...• n

  (2) Durival (Introduction à la description de la Lorraine et du Barrois) dit que Louis XIV appelait le Palais Ducal u une grande, vieille, commode maison, n


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il vit naître ou grandir une foule d'artistes dont quelques-uns, comme Claude Gelée, Ont rendu immortels et leur nom et celui de leur patrie (1).


  (1) On doit citer, parmi ces artistes, Louis Berman, élève de Claude Gelée ; Charles Mélin , F. Legrand , Jean-Georges Gérard d'Epinal, Nicolas Jaquin, César Bagard , Charles-François Hardi, Jean-Baptiste Collignon, Claude et François Spierre, Charles Chéron, Jean Bérain , Crocq, Racle et Vautrin, tous peintres, dessinateurs, sculpteurs ou graveurs, qui acquirent une brillante réputation.


Notes complémentaires

Concernant la wikification du texte
Notes explicatives
  1. Il s'agit probablement de Ferdinand de Mantoue, qui avait épousé Catherine de Médicis (1593-1629), fille de Christine de Lorraine ; un doute subsiste cependant, Ferdinand de Mantoue étant décédé le 29 octobre 1616, son frère, Vincent de Mantoue lui ayant succédé, avant de mourir, lui-même, l'année suivante, le 26 décembre 1627.