Le Palais ducal de Nancy (1852) Lepage, 1 b

De Wicri Nancy
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Le
Palais ducal
de Nancy
1329 - 1508
(pages 9 à 27)

Cette page contient la fin de la première partie d'un ouvrage écrit par Henri Lepage en 1852 : Le Palais ducal de Nancy.

 
Le Palais ducal de Nancy
Vers le texte original

Texte original

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Malgré la tradition constante et généralement admise, qui attribue au duc Raoul la fondation du Palais Ducal, je crois qu'il faut faire remonter à une époque antérieure au règne de ce prince la construction de cet édifice.


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Un manuscrit (1), malheureusement incomplet, conservé à la Bibliothèque publique de Nancy, et que j'ai eu occasion de citer dans ma notice sur la collégiale Saint-Georges, donne à entendre qu'il existait déjà, du temps de Ferry III, ou même de Mathieu II, un château sur l'emplacement de celui qu'habita Raoul ainsi que la plupart de ses successeurs (2).

Le manuscrit dont je viens de parler, commence par ces mots : » ......palais une chapelle sous l'invocation de sainte Catherine, peut-être à cause de la singulière dévotion de Catherine de Limbourg, sa défunte mère, à l'égard de cette sainte martyre. » Or, on sait que Catherine de Limbourg était femme de Mathieu II et mère de Ferry III.

On lit encore dans l'Etat du temporel des paroisses (3), dressé, dans les premières années du XVIIIe siècle, par ordre de Léopold, que Raoul, ayant le dessein d'établir une église de chanoines réguliers à Nancy, « choisit cette chapelle[NW 1].


  (1) Histoire du chapitre de Saint-Georges et de ses prévôts.

  (2) Ce château ne saurait être celui dont il est parlé dans l'échange fait, en 1155, entre Drogon Ier et le duc de la Lorraine Mosellanique, puisque le château de Drogon avait la ville au-dessous de lui : castrum de Nanccio, villam subter illud constructam, etc. (Voir ma notice sur la collégiale Si-Georges, preuves, p. IV.)

M. Noël, dans le 6° numéro de ses Mémoires pour servir à l'histoire de Lorraine, prétend que, du temps de Thiébaut Ier, c'est-à-dire de 1213 à 1220, il existait à Nancy deux châteaux, dont l'un fut brûlé par les troupes de la comtesse de Champagne. Ce château était-il situé, comme le croit M. Noël, sur l'emplacement de l'ancienne Tonderie ? était-ce le Sorupt, comme je l'ai dit? ou bien était-il construit à l'endroit qu'occupa le Palais de nos ducs ? Toutes les supposition» sont permises, mais aucune n'est corroborée par des preuves.

  (3) Archives du département.


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castrale (celle de Sainte-Catherine) ou église faisant partie de son palais, et l'érigea en collégiate à l'honneur de Dieu, de la sainte Vierge et de saint Georges, laquelle il avait fait bâtir à ses frais. »

Outre ces deux documents, dont le caractère d'authenticité est, il est vrai, fort contestable, il en existe un qui mérite toute confiance, et où se trouvent confirmés, jusqu'à un certain point, les faits qui viennent d'être allégués : c'est le titre d'érection de la collégiale Saint-Georges (1). On y lit que Raoul fonde cette église dans une partie de son hôtel ou de sa maison (in quâdam parte hospitii nostri seu domûs nostrœ).

Ce titre est de l'année 1339 ; Raoul n'avait commencé à régner qu'en 1329, et encore sous la tutelle de sa mère, puisqu'il n'était âgé que de quinze ans. Est-il raisonnablement admissible qu'un si court espace de temps ait suffi à la construction d'un hôtel renfermant une chapelle, surtout si l'on considère que, de 1332 à 1339, Raoul eut à s'occuper de ses démêlés avec les bourgeois de Toul et l'archevêque de Trêves, et de sa guerre avec le comte de Bar ?

On pourrait, à la vérité, opposer à cette assertion le passage suivant de la Dissertation historique sur Nancy (2), qui parait concluant au premier abord: « Le principal bâtiment[NW 1]


  (1) Voir la notice sur St-Georges, preuves, p. v, où se trouve reproduit le texte français de la fondation de la Collégiale.

  (2) Dissertation historique sur la ville de Nancy, composée en 1619 par M. le président de Rennel, augmentée et conduite jusqu'à l'année 1732, par J.-F. Nicolas fils, citoyen de Nancy. Ms. de la Bibliothèque publique de Nancy. Cette Dissertation, désignée généralement sous le titre de Mémoire de M. de Rennel, a été composée, en réalité, par un chanoine de la Primatiale, dont on ne sait pas le nom.


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de Nancy, c'est le Palais où demeurent les ducs souverains de Lorraine, autant accompli que palais qui fût en Europe, pour ce qu'il contient. Le premier qui l'a commencé et rendu commode pour y loger, fut le duc Raoul ; quanta ses prédécesseurs, ou ils demeuraient à Neufchâteau, ou à Amance, ou à Châtenois, et plusieurs en France pour l'ordinaire. Néanmoins quelquefois ils résidaient à Nancy, comme Theodoric (Thierry).... qui demeuroit au vieux château(1). Mais le duc Raoul fit sa résidence en ce Palais où Jean, son fils, et Charles II ont aussi résidé, mais principalement René II, qui.... y a établi du tout sa demeure et disposé le Palais pour lui et ses successeurs.... »

Le Mémoire auquel sont empruntées les lignes qui précèdent, n'a été écrit qu'en 1619, et ne peut être, par conséquent, considéré comme aussi digne de foi qu'un document contemporain : ce qui le prouve, c'est que, sur plusieurs points, il n'est pas d'accord avec la Chronique de Lorraine. Il me semble donc qu'il ne faut pas lui accorder une importance trop grande, et qu'en ce qui concerne Raoul, par exemple, il faut se borner à admettre que ce prince rendit le Palais « commode pour y loger. »

Quoiqu'il en soit, il paraît certain, d'après les témoignages que je viens de citer, que ce Palais, cette maison ou cet hôtel, comme on voudra l'appeler, est antérieur à l'année 1339. Il était bâti très-solidement et flanqué, par derrière, de tours dont on a trouvé les vestiges en détruisant le bastion des Dames pour former la terrasse de la Pépinière. Un mur, également flanqué de tours, partait de ce château et, traversant


  (1) L'Antiqumn Palatium, bâti sur l'emplacement qu'occupe aujourd'hui l'hôtel de la Monnaie, et dont, en 1298, Ferry III abandonna une partie aux Prêcheresses, pour y construire leur couvent.


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l'espace occupé aujourd'hui par la Carrière, rejoignait celles de la porte Saint-Nicolas, laquelle s'élevait à l'extrémité de la Grande-Rue (1). Une enceinte pareille reliait peut-être le château à VAntiquum Palatium, et complétait ainsi l'ensemble des fortifications de Nancy à cette époque.

D'après l'auteur de la Dissertation historique, Jean Ier et Charles II faisaient leur résidence au Palais Ducal. Cette assertion, du moins en ce qui a rapport au dernier de ces princes, est, jusqu'à un certain point, contredite par la Chronique de Lorraine. On y lit, en effet, qu'après la victoire qu'il remporta sur les Messins en 1429, Charles enferma ses prisonniers dans la Grand' Maison (le bâtiment actuel de la Monnaie), et « print sa demourance en la maison où à présent le Clerc Juré demeure. » La même Chronique, en racontant la venue de Jeanne Darc à Nancy, dit que le duc avait son écurie à l'endroit où s'élevèrent plus tard l'église et le couvent des Cordeliers : « Le Duc pour lors son ecurie estoit où les piedz deschaulx sont à présent. »

J'ignore absolument quels travaux furent faits au Palais sous les premiers successeurs de Raoul, et quelle importance avait cet édifice. Il parait qu'il était déjà considérable ; car,


  (1) Histoire des villes Vieille et Neuve de Nancy, par J.-J. Lionnois. Suivant cet historien, le Palais de Raoul était placé à peu près dans l'endroit où était le bastion des Darnes, u Lorsqu'on a démoli ce bastion, on a trouvé les restes des cuisines dans les tours qui flanquaient ce Palais. Il est probable qu'elles étaient environnées de fossés pleins d'eau, et que c'est là la cause et l'origine de la mare où les filles et les femmes de Laxou venaient battre l'eau la première nuit des noces de nos anciens souverains, n Cette servitude, dont il n'est, du reste, fait mention dans aucun document authentique, fut, dit le même historien, abolie par Renée de Bourbon, épouse d'Antoine, en reconnaissance du bon accueil que lui avaient fait les femmes de Laxou lors de son arrivée à Nancy.


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dans le récit qu'il nous a laissé des fêtes qui furent célébrées à Nancy en 1445, pour les doubles fiançailles d'Iolande d'Anjou avec Ferry de Vaudémont, et de Marguerite de Lorraine avec le roi d'Angleterre, un écrivain digne de foi (1) semble dire que ces fêtes eurent lieu au Palais, où se trouvaient réunis en grand nombre des princes, des seigneurs et de nobles dames.

D'après ce que disent d'autres écrivains, on serait tenté de croire que l'étendue du Palais ne permettait pas d'y offrir l'hospitalité aux étrangers de distinction qui visitaient la capitale de la Lorraine. Ainsi, lorsqu'en 1457, une députation de Hongrois passa par cette ville, se rendant près du roi Charles VII, on fut obligé de les loger « en la maison Pelegrin. »

Vers le même temps, cinquante chevaliers français, de la garnison de Vaucouleurs, étant venus à Nancy prendre part à un tournoi auquel ils avaient été conviés, on les logea, dit Henriquez (2), « dans la maison de Jean Perrin, où sont à présent les Cordeliers. »

Quoiqu'il en soit, le Palais Ducal s'appelait anciennement


  (1) M. de Villeneuve. Je dois ajouter cependant que le savant auteur de VHistoire de René d'Anjou se trompe en disant que les tournois offerts par Bené Ier au roi Charles VII et aux gentilshommes de france et d'Angleterre, eurent lieu sur la Carrière. Ce fut seulement sous Charles III que la Rue Neuve fut aplanie et servit aux joutes. Jusqu'à cette époque, les combats chevaleresques se donnèrent, soit dans la cour du Palais, soit sur la place du Château, aujourd'hui la place des Dames. C'est là notamment que six des chevaliers français de la garnison de Vaucouleurs luttèrent contre six gentilshommes lorrains, auxquels resta l'honneur de cette journée. (La Chronique de Lorraine, qui raconte cette particularité, la fixe à l'année 1462.)

  (2) Abrégé chronologique de l'histoire de Lorraine.


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la Court, nom qu'il porta longtemps, et qui lui venait sans cloute de sa destination même.

Le duc Nicolas étant mort subitement à son retour de France (1473), on prétendit qu'il avait été empoisonné (enherbé) par quelques-uns de ses serviteurs, et le peuple se précipita en foule dans le Palais pour punir ceux qu'il soupçonnait d'être les auteurs de ce crime. « Quant à la Court vindrent, dit la Chronique, ne trouverent que le pauvre Duc, qui sur son lit de camp estoit, vestu d'une longue robe de velour noire, une barette sur sa teste, des bourgettes les pieds chaussiés, une espée tout du Ioing de luy... »

Ce fut dans la Court que René II, après avoir prêté serment à St.-Georges, vint s'établir avec la noblesse qui l'accompagnait. « Apres la messe dicte, les seigneurs dedans furent menez, là firent grande chiere avec les seigneurs de la chevalerie l'espace de quatre jours. »

Au mois de septembre 1473, lorsque le duc de Bourgogne passa par Nancy, conduisant à Dijon le corps de son père Philippe, René « luy presentit sa Court pour luy estre logié.... sy en la Court losgié ne se vouloit, on avoit desjapour luy ou pour le duc René, prins le losgis en la maison de Vatrin Maloix, que pour lors en Lorraine estoit recepveur. Le duc Charles moult remercia du present que le duc René luy presenta; dict le duc Charles : Pour sy peu de temps qu'ay icy à demeurer, j'ay un losgis assé raisonnable, je prendray en patience... »

Deux ans après, Charles-le-Téméraire entrait en triomphateur dans ce même Palais où il avait refusé l'hospitalité du trop confiant duc de Lorraine; entouré de princes et de seigneurs, ses vassaux ou ses alliés, il y présidait les Etats du duché, et adressait à ses nouveaux sujets les promesses les plus propres à tromper leur patriotisme. « Sa personne en


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la Court fut pris son logis. » Elle « estoit pour ses gens moult noblement preparée, toutes les chambres bien aornées et la cuisine bien apprestée. Le Duc et tous les plus grands dedans ladite Court fut mené à grand triomphe... Moult bien la grande salle fut preparée; deux cheminées y avoit, les fit abattre; ung grand pretoire en ladite Salle fit dresser, tous tendus de drap de soye, la chaire au milieu toute couverte de drap d'or ...(1) »

Je serais porté à croire, sans cependant oser l'affirmer, que la Grande Salle dont parle la Chronique, n'est autre que la Galerie des Cerfs; on trouve, en effet, dans les comptes de celte époque, la mention d'une somme de six deniers, payée par le Cellerier de Nancy, « pour corde à pendre la corne de serfz qui sert de chandellier en la grant salle de la Court. »

Les officiers du duc de Bourgogne s'étaient logés dans le Palais : M. de Bièvre, gouverneur de Lorraine, se tenait dans la chambre de Parement; M. de Mohet occupait une pièce communiquant aux galeries; les tentes et pavillons de Charles-le-Téméraire étaient enfermés dans le grenier à blé « devers la Grande Salle. »


  (1) On trouve la mention suivante dans le n Papier des receptes et despences des offices de passageur et celerier de Nancy it pour l'année 1475-1.476 : u Fait despence de la somme de trente sept livres nuefz solz six deniers d'Artois, compté vingt patars pour livres, lesquels il a paies et delivrés selon le contenus des parties devisées... en une feuille de papier faisant mention des ouvraiges fais et des ouvriers qui furent mis en euvres par l'ordonnance et commandement du maistre d'ostel de monseigneur de Bourgogne pour preparer la salle où a esté tenue la journée des estas de ce pays de Lorraine en cesle ville de Nancy... »

C'est probablement dans cette même salle que René avait tenu les Etats au commencement de l'année 1475, pour leur faire connaître les motifs qui l'avaient engagé à déclarer la guerre au duc de Bourgogne.


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Mais, comme la Court avait beaucoup souffert pendant le siège de Nancy, on fut obligé d'y faire de nombreuses réparations. On refit le tuyau de la cheminée de la chambre des Comptes, qui avait été renversé d'un coup de bombarde; on recouvrit tout à neuf le toit du petit grenier joignant la Grande Salle « pour ce que tous ce lois estoit esté desrompu par les Allemans. » Divers travaux furent exécutés en la tour devers la maison de l'argentier, à la loge derrière la cour, à l'endroit de St.-Georges ; à la fontaine, à la grande cuisine joignant la montée de la Grande Salle, à la petite salle, à la chambre du cellerier, à « l'escriptoire, » à la grande salle dessus la cuisine, à la tour de la chambre des Comptes, au beffroi derrière St.-Georges; enfin, à la chambre de Parement, dont les trois grandes verrières avaient été « desrompues (1). »

Le Palais eut encore à souffrir pendant le double siége de Nancy par les Lorrains et les Bourguignons. Aussi, lorsqu'aprés sa mémorable victoire sur Charles-le-Téméraire, René rentra dans sa capitale, qu'il venait de reconquérir pour la seconde fois, « en la Cour point ne peut losgier, parce qu'elle estoit toute desolée; en plusieurs lieux on a voit pris le bois pour chaulfier ceux qui en la garnison estoient. Ledict prince pour son logis eut la maison du prevost Arnoul (2). »

Il n'y demeura probablement que le temps nécessaire pour faire faire au Palais les plus urgentes réparations, et vint s'établir bientôt dans l'antique résidence de ses pères:

Dès qu'il se veit a doulx repos
En son palais et domicilie,
Entre vassaulx, clers et suppostz
Fist son estat beau et Cueille (3).

  (1) Registre précédemment cité.

  (2) Chronique de Lorraine.

  (3) Cronicque abregée par petis vers huytains des Empereurs, Hoys et duez Daustrasie, etc.


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Après avoir donné ses premiers soins à la réformation de ia justice et de la police, René résolut « d'agrandir et embellir ses villes de quelques signalez bastimens et edifices. Et commença par celle de Nancy, laquelle il fit premierement paver tout à neuf, puis l'accrut de ce beau Palais où ses successeurs Ducs se sont toujours losgez depuis Iuy (1).... »

Selon l'auteur de la Dissertation historique, René, « ruina ce qui étoit fait auparavant pour le bâtir superbement et avec beaucoup plus grande commodité que n'avoient fait ses predecesseurs. » D'après la Chronique de Lorraine, c'est au mois de mars 1 502, que « fut commencée la noble Mason au lieu de Nancy, par l'ordonnance du bon et vaillant Roy René. » Un des motifs qui l'engagea à entreprendre ces travaux, fut, dit-on, de soulager son peuple qui avait beaucoup souffert de la famine l'année précédente.

Telles sont les notes, malheureusement bien succinctes, qui se trouvent dans nos historiens; Nicolas Remy nous apprend encore, mais sans entrer dans aucun détail à cet égard, que, du temps de René II, le Palais communiquait avec les Cordeliers et avec St-Georges : « venant aussi à remarquer la commodité qu'il y a d'aller à couvert dudict Palais à l'une et à l'autre desdictes eglises. »

En l'absence d'une vue ou d'une description de la Court à cette époque, il faut se borner à cette simple mention, de laquelle il semble ressortir que le Palais embrassait alors, sur la Grande-Rue, l'espace qu'il occupe encore aujourd'hui.

Du reste, on aurait tort de prendre à la lettre le passage de la Chronique de Lorraine que je viens de rapporter: les travaux exécutés au Palais par ordre de René, ne datent pas seulement de 1502, mais remontent à l'année même où eut


  (1) Nicolas Rémy, ouvrage cité plus haut.


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lieu la bataille de Nancy : dès le mois de février 1476, on s'occupa à faire des réparations dans l'intérieur des appartements (1), et en 1477, on travaillait au « neuf ouvrage de la Court (2). •

En 1479 et 1480, de nouvelles réparations furent faites à l'occasion de la venue de la duchesse de Lorraine à Nancy. Dans le courant des années suivantes, on fit successivement la chambre des armures de Monseigneur (1481-1482), la chambre des Comptes et du Trésor avec leurs appartenances (1488-1489), une neuve chambrette pour la Reine, auprès de sa chambre « qui tend sur les galeries de bois du jardin (1493-1494), etc. Ces travaux furent dirigés par un nommé Jean de Forge, architecte ou maître des œuvres de la ville de Nancy, puis du duché de Lorraine.

Outre ces indications sommaires, on en trouve beaucoup d'autres qui, groupées ensemble, peuvent, jusqu'à un certain point, suppléer aux détails qui nous manquent, et donner une idée de l'importance qu'avait déjà le Palais Ducal sur la fin du XVe siècle.

Les appartements occupés par le duc se composaient de deux chambres et d'un retrait; d'une garderobe sur la petite


  (1) Un chapitre des comptes du Cellerier de Nancy est consacré à la u despence pour les refections et rentencions des chambres de l'ostel... faittes au mois de febvrier, mars, etc , mil iiijc soixante et seize, H A dater de cette époque, les registres du Cellerier continuent à renfermer des chapitres spéciaux pour la dépense faite chaque année en l'hôtel du duc, pour constructions, réparations ou entretien.

  (2) Payé à Pelegrin, valet de chambre de monseigneur le duc (par mandement du 27 octobre 1477)..., c fr. (80 livres) que mondit seigneur a ordonné lui bailler pour convertir et emploier au nuefz ouvraige que mondit seigneur a ordonné faire presentement en la Cour de Nancey. (Comptes du Receveur général de Lorraine pour l'année 1476-1477).


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cour; d'une autre chambre « en la tour hault, » peut-être la même que celle désignée comme étant « dans la tour dessus la vieille chapelle; » d'une cuisine debouche « devant la fontaine de la cour; » d'une chapelle ou oratoire, que le célèbre Gérard Jacquemin, de Commercy, avait décorée de sculptures (1), et où se voyait un portrait de saint Grégoire, peint par maître Barthelémy (2); d'une armurerie ou chambre des armures, donnant sur la rue; de deux « escriptoires, » probablement des cabinets de travail, le premier sur le jardin, le second dans une autre partie du Palais, et chauffé par une petite chambre au-dessous; enfin d'une bibliothèque ou librairie, sur les rayons de laquelle, figuraient à côté des œuvres de Jean Gerson (3) et de Bocace, des Chroniques de Froissart


  (1) A Gerard Jaiquemin , ymagier demeurant à Tout, pour une Nunciade avec les armes de Monseigneur qu'il a ordonné mettre sous la tablette sur l'autel de là chapelle de Monseigneur... (Comptes du Receveur général pour 1480-1481.)

Je crois devoir ajouter à cette mention la note suivante qui se trouve dans le recueil des Lettres-patentes, sous la date du 1er janvier 1486 : « Mandement sur le receveur général Antoine Varrin, portant cent cinquante escus (à raison de vingt cinq gros piece) restans de deux cens escus à quoi le Roy de Sicile avoit marchandé à Me Jacquemin l'imaigier, Me des œuvres du grand portail de l'eglise cathedrale de Toul, de faire et tailler l'image du Roy de Sicile avec ses armoyries en ouvrage eslevé et icelle asseoir audit grand portail, n

  (2) Payé à maistre Berthelemy, painctrc, huict florins d'or pour ung tableau où est painct St Gregoire qu'il a fait pour la chappelle du Roy... xvj fr. (Comptes du Trésorier général pour 1505-1506.) Ce maître Barthélemy est sans doute le même qu'un nommé Bartholomeus Vest, peintre allemand, qui se trouve plusieurs fois mentionné, mais sans aucun détail, dans les comptes du temps de René H.

  (3) A messire Didier Tallart, qu'il avoit payé par ordonnance du Roy à maistre Jehan Grillot pour les œuvres de maistre Jehan Gerson, les relieure et enlumineure d'icelles, dix frans. (Comptes du Trésorier général pour 1492-1493.)


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(1), des Histoires de Martii Anthoni Sabelli, et de Strabo, de Situorbis (2), » des bibles, des bréviaires, un diurnal (3), la plupart copiés par François Elzvir (4) et Gilles du Bouchet (5), reliés par Pierre Jacobi (6), et enrichis d'enluminures


  (1) A Julien Logeart, libraire à Bar, troys florins d'or pour les Chroniques de Froissard et ung florin pour un autre livre de Bocasse. (Comptes du Trésorier général pour 1505-1506.) Le duc avait précédemment fait acheter, chez le même libraire, plusieurs u petits livres n dont on ne donne pas l'intitulé.

  (2) Au même, u pour l'achapt de deux livres, assavoir les histoires de Martii Anthoni Sabelli et l'autre nommé Strabo de situ orbis xv fr. (Comptes du Trésorier général pour 1501-1502.)

  (3) A Petit Jehan l'orfevre, demeurant à Nancey, la somme de dix florins d'or de Rin que le Roy luy a fait bailler pour faire des fermilons d'or à ung diurnal pour ledit seigneur xx fr. (Comptes du Trésorier général pour 1305-1506.) Une autre mention du même registre nous apprend une particularité assez curieuse : u A Petit Jehan, pour enchasser des lunettes pour le Roy, deux escuz au soleil... v fr. iiij gros. n

  (4) A maistre Françoys Elzvir, escripvain, sur ce qu'il doit avoir pour faire le livre de Monseigneur, troys florins d'or... vj fr. (Comptes du Trésorier général pour 1491-1492.) Cet u écrivain M était sans sans donte venu de Provence à la cour du duc de Lorraine: u A Françoys Elzvir, que ledit seigneur Roy luy a fait donner pour s'en retourner en Prouvence, dix florins xviij fr. iiij gros, u (1492-1493.)

  (5) A Gilles du Bouchet, escripvain, pour la parpaie du livre qu'il a fait pour le Roy, oultre iiij" escus qu'il avoit receu par avant, icelluy livre contenant ciij caiers, dont il devoit avoir pour chacun cayer ung escu d'or... I fr. (Comptes du Trésorier général pour 1498-1499.)

  (6) A messire Pierre Jacoby pour avoir relyé trois des livres dudit seigneur Roy, fait les lettres en l'un d'iceulx, deux florins d'or vallant iiij fr. — A messire Pierre Jacobi, prebtre, demeurant à St Nicolas, quatre florins d'or pour avoir blanchy, desgressé et relyé ung breviaire en parchemin appartenant à Monseigneur. (Comptes du Trésorier général pour 1492-1493 et 1505-150G).


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par Jean Grillot, Pierre Garnier (1) et maître Georges (2). Des chaises de bois, sculptées par « l'imageur » Jean Crocq (3), meublaient cette bibliothèque où René passait les heures de loisir que lui laissaient les soins de l'Etat. Ce prince, on le sait, « se plaisoit grandement à la lecture, non seulement de l'histoire mais aussi des livres de Philosophie et mesme de la saincte Theologie, des questions desquelles il respondoit ès poincts les plus communs, presque aussi pertinemment que ceux qui en font profession ordinaire. Et aussi n'en estoit il peu contant et satisfaict en son esprit, ains en faisoit souvent parade, disant qu'un prince non lettré estoit un asne couronné (4).... »

Les appartements de la duchesse, ou de Madame la Jeune,


  (1) A Pierre Garnier, nostre painctre, que luy estoit deu de.reste sur ses gaiges qu'il a esté en nostre service, et pour enlumineure par luy faicte eu une Bible en parchemin glosée, que luy avons fait enluminer, ijc x livres. — A troys enlumineurs de Paris qui ont prisée l'enlnmineure et histoires faictes par ledit Pierre en ladite Bible, xl solz. — A messire Jacques Boucher, prebtre, demeurant à Bar, pour avoir relyé et doré nostre Bible glosée en parchemin en troys volumes, six florins, pour ce viij livres x solz. (Comptes du Trésorier général pour 1485-1486.)

  (2) A Georges, enlumineur de Monseigneur, pour achetter des couleurs pour enluminer ung livre que Monseigneur fait faire, six florins d'or... xij fr. (Comptes du Trésorier général pour 1491-1492.) Cet artiste touchait alors cent francs de pension par an pour ses gages. — A Rogier de la Case, pour or, azur et aultres couleurs qu'il a délivrées à Georges, enlumineur, pour enluminer les livres du Roy, cinq ducatz... xiij fr. iiij gros. (Comptes du Trésorier général pour 14921493.)

  (3) A Jehan Crocq, ymageur, pour avoir faictes deux chaires de boys pour le Roy, sept florins d'or... xiiij fr. (Comptes du Trésorier général pour 149S-1496.)

  (4) Nicolas Remy, ouvrage précédemment cité.


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comme on l'appelait, comprenaient, outre quatre chambres, dont l'une attenant à la salle de Parement, une petite chambrette « dessous la chapelle au jardin, » où elle mettait ses bagues et ses joyaux; la chambre de ses oiseaux; celle où elle s'occupait d'ouvrages de tapisserie avec ses dames et ses demoiselles d'honneur ; sa garde-robe, son retrait, son oratoire, sa cuisine, son garde-manger, sa panneterie, sa saucerie et son échansonneric.

La duchesse-mère (Madame la Grande ou Madame l'Ancienne) avait aussi ses appartements séparés, ainsi que le duc de Calabre; ceux de ce dernier se composaient de deux chambres, d'une garde-robe, d'un retrait, d'un oratoire et d'une salle de billard.

Outre ces logements principaux, il y avait ceux des officiers et des domestiques : celui du héraut d'armes Lorraine, qui était concierge du Palais; les chambres des maîtres d'hôtel, des chambellans, des secrétaires, des écuyers d'écurie, des dames d'honneur, du chapelain , du tapissier, etc., etc. Plus de cent cinquante personnes composaient la maison de René II (1), sans compter celles qui étaient attachées au


  (1) On voit, par les comptes du Receveur général, pour 1486-1487, que la maison de René II se composait de 10 chambellans, 3 écuyers d'écurie, 2 maitres d'hôtel, 2 écuyers tranchants, 3 échansons, 3 pannetiers, 30 gentilshommes de l'hôtel, 6 ecclésiastiques (aumôniers , chapelains, confesseurs), 2 secrétaires, 12 individus composant ce qu'on appelait la chambre (valets de chambre, barbiers, huissiers d'armes, apothicaires, tailleurs, pelletiers, chaussetiers, etc.), 23 officiers de panneterie, échansonnerie, cuisine, saucerie, fruiterie, etc., héraut d'armes, poursuivants, huissiers de salle, etc.; 3 chevaucheurs d'écurie, 7 fauconniers, 16 domestiques, 27 capitaine et archers de la garde.

Les gentilshommes et serviteurs du duc de Calabre étaient au nombre de 35.

Parmi les chambellans de René II, figure un gentilhomme nommé liaidouin de la Jaille, qui remplissait déjà ces fonctions en 1171. Il paraît qu'il était spécialement chargé d'organiser les tournois qui se donnaient à la cour du duc. Une note des comptes du Trésorier général, pour 1481-1482, fait mention d'une somme de 155 francs (124 livres) payée a messire Hardouyn de la .Taille, « pour partie de la despence qu'il a faicte en faisant faire la part du combat à Nancy. Il avait offert à René II un livre sur les tournois, qui est imprimé dans Wlson de la Colombière, sous ce titre: n Advis tres-considerable et tres-curieux, touchant les combats en champ clos, presenté par Messire Hardouin de la Jaille, Chevalier, à René, duc de Lorraine et de Calabre, dans lequel plusieurs belles remarques sont faites, M {Le Vray Theâtre d'Honneur et de Chevalerie^ etc.)


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service des princes et des princesses, et qui presque toutes habitaient le Palais. Il fallait donc que ce dernier fût considérable, car, en dehors de ses bâtiments de service, il comprenait encore : la chambre des Comptes et celle du Trésor des Chartes (1); les chambres du Conseil ; la Grande Salle; la chambre de Parement, qui, du temps de René II, était destinée à


  (1) Les comptes du Cellerier de Nancy, pour 1488-1489, contiennent un chapitre intitulé : u Despence pour avoir fait faire par ordonnance de Monseigneur la chambre des comptes et du tresor avec les appartenances en l'année de ce compte, n On trouve, dans ce chapitre, entre autres mentions, les suivantes : n Payé à Mengin Noyer (iFEssey) et Didier du Ncufchasiel, pour la marchandie faite avec eux de faire tout à neuf la vis (l'escalier) de la chambre des comptes, lxxv fr. — A eux pour l'huixerie bas (la porte d'en bas) de ladite vis à molure et à pilliers aux armes de Monseigneur, avec deux anges d'une part et d'autre, xx fr. n Le toit de l'escalier était couvert de tuiles plates venant de la tuilerie de Rrichambaut; u le pommet, n fait de feuilles de fer blanc, était surmonté d'un panon en or, aux armes du duc, peint par Jean le verrier.

Les comptes du Receveur général, pour 1481-1482, renferment la mention suivante que je crois devoir rapporter ici, parce qu'elle se rattache à l'un des artistes que je viens de nommer: u Payé à Mengin Noyer, massou, demeurant à Essey, iiij" iiij fr. xj gros sur certain ouvraige qu'il a fait de l'ordonnance de Madame en une petite chapelle commencée à faire à Sainct Thiebaut devant Nancy, que madite dame avoit devotion, n


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la tenue des assises (1); le jeu de paume; de grands el de petits poêles qui servaient de lieux de réunion aux gens de l'hôtel; divers « escriptoires » ou cabinets de travail; plusieurs oratoires; la chambre de la Tour sur le jardin; le beffroi où se faisait le guet de nuit sur la muraille du jeu de paume; les salles à manger, cuisines, aumônerie, cellerie, gelinières, charbonnière; la maison et logis des lions et de leur maître, et beaucoup d'autres locaux plus ou moins importants, dont on trouve l'énumération dans les registres de comptes de la fin du XVe siècle ; j'ajouterai enfin que le Palais comprenait, dans ses dépendances, deux jardins, le petit et le grand, appelé aussi le jardin des champs, et qui communiquait à la campagne par un pont-Ievis placé dans une tour carrée dont la porte était garnie de créneaux.

Ces notes, bien incomplètes, ne peuvent guère servir de légende aux vues du Palais Ducal, qui nous ont été conservées, mais elles permettent de constater l'ancienne importance de cet édifice, et de repousser, comme dénuée de fondement, l'opinion de ceux qui en ont attribué la construction au duc Antoine.

A partir du commencement du XVIe siècle, les travaux que René II avait ordonné faire au Palais, furent poussés avec plus d'activité qu'auparavant, et des sommes plus considérables y furent affectées : de 1501 à 1b'08, elles s'élevèrent à près de 26,000 francs qui, suivant les termes employés par le Receveur général, furent convertis « à l'ouvraige neuf de la maison dn Roy à Nancey (2). »


  (1) Payé à Collignon le cloweteur pour demi cent de crochetz qu'il a delivré au tapissier pour atachier la tapisserie en la chambre de parement en la venue du Roy aux assises tenues le xvij8 jour dudit mois (juin), ij gros. (Comptes du Cellerier de Nancy pour 149S-1496.)

  (2) De 1501 à iSil, les comptes du Receveur général renferment un chapitre spécial intitulé : u Despence pour le neuf ouvraige que l'en fait presentement à Nancy, n Voici la mention du compte de 15011502 : n Le Receveur fait ici despence de iiij111 (4,000) franz, xij gros pour franc, qu'il a prins par ses mains des deniers de sa recepte pour convertir à l'ouvraige neuf de la maison du Roy à Nancy et meismes des deniers des aydes de ceste année, dont il s'en fera recepte au compte desdits ouvraiges. n La même mention est répétée dans les registres suivants ; je me bornerai à indiquer le montant des sommes dépensées chaque année : 1501-1502, 4,000 fr. — 1502-1503, 1,000 fr. — 1504-1505, 4,600 fr. — 1505-1506, 7,500 fr. (7,000 livres) et 600 livres. — 1506-1507, 2,500 fr. (2,000 livres). — 1507-1508, 500 fr. — 1509-1510, 800 fr. — 1510-15H, 5,000 fr. (4,000 livres) et 2,800 fr. — 1513-1514, 1,400 fr. Il manque, comme on le voit, dans cette série, les registres de 1503-1504, 1508-1509, 15111512, 1512-1513. Mais, pour 1511-1512, il y a un compte tout particulier, dont j'aurai bientôt occasion de parler.


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En quoi consista ce « neuf ouvrage, » qui fui continué par Antoine? Faut-il admettre, avec l'auteur de la Dissertation, que René fit démolir entièrement le vieux Palais pour le rebâtir superbement et avec plus de commodité? C'est ce que j'ignore et ce qu'il est difficile de préciser. Les registres où l'on pourrait trouver des documents précis à cet égard, n'existent malheureusement plus, et on en est réduit à des hypothèses plus ou moins admissibles.

J'ai précédemment nommé quelques-uns des artistes qui, dans la période dont je m'occupe, travaillèrent à embellir le Palais Ducal : il y en a d'autres que je ne dois point passer sous silence, parce que leur nom se rattache à l'histoire des arts dans notre province sous le règne de René II; tels sont les peintres Rertrand Maillet; Hugo, de Toul, qui avait « pourtraict par deux fois » les armes du duc sur le portail de la cathédrale ; Bertrand, de Lunéville; Jacques Moult, à la fois peintre et « imageur; » Hanss Serranch et Hans Wachelin, artistes allemands; l'enlumineur François Bourcier ,


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qui avait été envoyé à Paris aux frais du prince pour y apprendre son art, les peintres verriers Pierre de Strasbourg, l'auteur des vitraux qui décoraient l'église des Cordeliers; Jean, Honoré et Thouvenin, lequel refit à neuf, en 1481, la grande verrière de dessus le maître-autel des Cordeliers de Mirecourt; les fondeurs Jean Lambert, et Laurens, auquel fut confiée la « sépulture » de Ferry de Vaudémont; les architectes Jean de Forge et Jacot de Vaucouleurs; enfin, les sculpteurs Pierre de Toul et Mansuy Gauvain ; ce dernier surtout, dont les œuvres subsistent encore, et sont l'objet de notre légitime admiration.



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