La musique en Lorraine (1882) Jacquot/Chapitre V

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La musique en Lorraine
I - II - III - IV - V - VI - VII - VIII - IX -- (lutherie)

CHAPITRE V

XVIIe SIÈCLE. — JACQUES CALLOT ET SES MUSICIENS GROTESQUES. — CHARLES IV.—LES JOUEURS DE VIOLON ET LES CÉRÉMONIES RELIGIEUSES. — GOBBI. — MAITRES DE MUSIQUE. — LUTHIERS CÉLÈBRES. — INSTRUMENTS DIVERS. — BALLETS ET MAITRES DE DANSE. — MUSICIENS ET ORGANISTES. — CORPORATJONS. — LES FÉCHENATTES. — MUSIQUE DE CHARLES IV ET ENTREE SOLENNELLE DE CE PRINCE A NANCY.

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Chapitre V


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Malgré les malheurs de tout genre qui accablèrent la Lorraine pendant le règne de Charles IV, les artistes ne firent cependant pas défaut et illustrèrent de leurs œuvres cette longue période de 1625 à 1675. Il est à regretter que la paix ne leur ait pas permis de donner un plus libre cours au génie dont la plupart étaient doués.

Le premier que nous devons citer, quoiqu'il ne soit pas un musicien, est, sans contredit, l'artiste qui a laissé les plus inimitables souvenirs de ces temps, celui qu'avec l'honorable M. Henri Jouin, archiviste de la Commission de l'inventaire des richesses d'art de la France, nous appellerons le Rabelais de l1 eau-forte ; nous avons nommé Jacques Callot.

Jacques Callot et ses musiciens grotesques


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Que de talent dans ces traits de plume si fins et, on peut dire, si spirituels ! Que d'exactitude dans la représentation des instruments de musique qu'il met entre les mains de ses grotesques ou gobbi et de ses gueux!

Il est permis de supposer que le maître du burin a vu les originaux qu'il a représentés, en accusant si bien leurs défauts physiques, et en leur imprimant le caractère si burlesque qui les distingue.

Les musiciens que nous reproduisons devaient être ceux qu'il rencontrait dans ses voyages d'Italie, ou ceux qu'il voyait constamment en Lorraine.

Afin de laisser à chacun de ces personnages la place qu'il doit occuper, les détails de chaque instrument seront exposés selon le rang que ceux-ci tiennent dans le classement adopté pour tous les chapitres.

Charles IV avait été élevé à la cour de France, où le roi Louis XIII l'avait pris en grande affection. Pendant son règne, néanmoins, il s'allia constamment aux ennemis du royaume. Bien qu'il att doué d'un grand courage et de réels talents militaires, son caractère inconstant, son goût pour les plaisirs et sa mauvaise foi dans l'observation des traités, attirèrent sur la Lorraine toutes les horreurs de la guerre, et le rendirent incapable d'opposer de sérieux obstacles à la politique habile mais peu scrupuleuse de Richelieu.

On conçoit aisément qu'avec un tel monarque un peuple ait été malheureux.

Pour comble d'infortune, une famine et une peste horribles sévirent de 1630 à 1637. Au lieu chercher à soulager ses sujets et à reconquérir ses États, Charles IV donnait, en 1649, des fètes brillantes à Bruxelles, dissipant les contributions énormes qu'il prélevait sur la Lorraine ; il vendait chèrement ses services au roi d'Espagne, qui finit par se méfier de lui, se fit assurer de sa


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personne et l'enferma dans une vieille tour, à Tolède, où il resta cinq ans en captivité.

Malgré tout, son peuple le chérissait et lui faisait une réception magnifique, lors de son entrée à Nancy, en 1663 ; mais ce que les Lorrains célébraient surtout, en cette circonstance, c'était le retour de l'indépendance nationale.

Quittons le court exposé des faits principaux de ce long règne pour nous occuper du sujet traité dans cet ouvrage; la même progression sera suivie pour le classement des instruments de musique.

De 1632 à 1669, la bande des violons est composée de neuf musiciens, parmi lesquels il faut citer les suivants: Dominique, fils de Nicolas Médard, 1626; Jacques Dupont, 1628; Remy Noël, François Trial, 1629; Joseph Solera, 1657 ; Jean Voirion, dit Grand-Maison, 1667; Joseph Grillot et Jacques Lorette, 1672; François Greneteau, fut maître de la bande des violons, en même temps que maître de danse ; il recevait annuellement 1,000 francs de pension, et occupa ces places de 1663 à 1666.

Les violons étaient employés dans les processions et marchaient en tète des assistants; nous lisons dans l' Histoire de Nancy, de Lionnois, le récit du pèlerinage qui eut lieu, en 1642, pour faire cesser les fléaux de la guerre :

,( On fit un pèlerinage à Benoit-de-Vaux, près de Saint-Mihiel. Deux mille personnes de Nancy y allèrent. Les pèlerins furent reçus à Toul, dans la cathédrale, au son des cloches, de l'orgue et de la musique ; la noblesse et le peuple de Kœurs, près Saint-Mihiel, vinrent au devant d'eux, précédés de six croix, avec le curé et le


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vicaire de la paroisse les conduisant au son des cloches et des violons, le long des grandes palissades du jardin de plaisance du marquis de Moy. »

L'usage de jouer du violon en plein air fut cornmun à toutes les cérémonies religieuses et profanes, de 1640 à 1675. Cette dernière année, -on voit que les dépenses mentionnées indiquent une somme pour la collation don-

Fig. zo. — Joueur de viole.

née aux violons qui avaient joué pendant la procession de l'immaculée Conception1.

Les basses de viole étaient suspendues au corps de l'exécutant par une lanière fixée à l'aide d'un bouton qui se voit encore dans le fond de certains anciens instruments, voire même des violoncelles.

En 1672, des sommes furent payées au loueur de carrosses « qui conduisit les violons du prince CharlesHenri de Lorraine, à Enghien. »

La viole représentée ici (fig. 20) est tirée de la

1, Archives, H. 2037.


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suite des Gobbi de Callot, qui a été exécutée en Lorraine de 1622 à 1627. Cette assertion est prouvée, comme le dit M. Meaume par Félibien, la mention: excudit Nancei l'indiquant clairement. Le personnage grotesque tenant l'instrument est coiffé d'un chapeau à larges bords, dont une des extrémités est déchirée. La viole, qu'il ne faut pas confondre avec le violon, n'est montée que de trois cordes. Les ouïes sont très longues ; le chevalet très près d'une petite barre tenant les chevilles, à la façon des boutons de guitare.

L'archet courbé est encore semblable à celui du vitrail du Xye siècle, à l'exception de l'extrémité supérieure, qui est relevée.

C'est l'unique musicien de cette suite qui porte un sabre à ses côtés. Les joueurs de violon de ce temps avaient-ils donc seuls, comme les luthiers et les peintres, parmi les autres corporations, le droit de porter l'épée?

Les maîtres de la musique de Charles IV furent très nombreux; voici les noms des principaux : Germain Millier, 1657; Ganteze, qui reçut, en 1665, une somme de 200 francs, pour la nourriture des enfants de ladite musique. Ce Ganteze était certainement le maître de la musique de la chapelle, tandis que Nicolas Vinot, qui recevait 1,000 francs d'appointements annuels, était le maître de la musique de chambre, puisque leurs noms figurent simultanément sur les comptes des dépenses de la même année (1663) ; le premier reçut sa pension en 1666, pour se retirer en Provence.

Il faut ajouter à ces noms celui de François Bellesord, 1669.

Les facteurs de violons, qu'on ne nommait pas encore

x. M. E. Meaume, Recherches sur la vie et les ouvrages de Jacques Callot, Paris. Renouard, MDCCCLX.


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luthiers, étaient représentés assez dignement à Nancy par Nicolas et François Médard ; le premier fut reçu bourgeois de cette ville en 1658, et le second, frère du précédent, s'établit à Paris vers la fin du XVIIe siècle, où, dit-on, il fit les instruments pour la chapelle de Louis XIV.

Vignon, célèbre joueur de luth (1661), propageait cet

Fig. 21. — Joueur de mandore.

instrument en Lorraine; presque toutes les dames chantaient en s'accompagnant ainsi. Il convient de placer ici les figures des « gobbi » montrant les joueurs de mandore et de guitare. Le personnage sautillant (fig. 21), que l'on voit, porte un chapeau à larges bords, orné de plumes; une fraise entoure son cou ; l'instrument, qu'il ne faut pas confondre avec la mandoline, est très allongé; une petite ouverture circulaire, pratiquée sur la table, sert à laisser échapper le son, qui doit être criard.


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L'autre, qui tient un instrument à trois cordes, est coiffé d'une sorte de béret orné de plumes ; la figure est des plus grotesques ; il chante et s'accompagne sur une sorte de guitare primitive, qu'on appelait alors guiterne, dont la tête rappelle celle du luth. Les jambes sont contournées d'une façon très bizarre (fig. 22).

Fig. 22. — Joueur de guiterne.

La harpe ne reparaîtra plus qu'au XVIIIe siècle, mais alors la forme en sera plus volumineuse, et, par conséquent, le nombre des cordes plus grand.

La rote, appelée improprement vièle, est jouée par des mendiants dans le genre de ceux que Callot a si bien gravés ; il y avait cependant deux variétés de vièle : la première gravure du maître lorrain (fig. 23) montre celle qu'on appelle vièle organisée ; c'est-à-dire qu'une soufflerie, indépendante du mécanisme ordinaire, correspond


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à de petits tuyaux d'orgue qui rendent la même note que

Fig. 23. — Joueur de vièle organisée ou rote.

les cliquettes lorsqu'elles appuient sur les cordes ; de là vient le nom de vièle organisée. C'est, à notre avis, une


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des planches les plus intéressantes, sous le rapport de l'instrument, qui est beaucoup plus grand que les vièles ordinaires.

Le costume de l'exécutant se compose d'un large manteau effrangé par la misère, d'un panier, contenant

Fig. 24. — Joueur de vièle ou rote.

quelques maigres provisions, et d'un couteau suspendu au côté du malheureux. Un chapeau à plume usée et des bottes, retenues à grand'peine par des cordons, complètent son accoutrement. L'autre joueur de vièle est un bossu, vu de trois quarts, coiffé d'une calotte recouverte d'un chapeau d'où s'échappent deux plumes (fig. 24). C'est la vielle simple, qui est facile à reconnaître, étant beaucoup plus petite. Un manteau, placé sur les épaules


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du bonhomme, ne peut dissimuler l'énorme bosse dont Callot l'a gratifié.

Les hautbois furent employés, non-seulement dans les musiques de chambre et d'église, mais encore dans les musiques de régiments.

La flûte alternait aussi avec le tambour, auquel on

Fig. 25. — Joueur de cornemuse.

donna cette dénomination définitive au lieu de celles de tabour et de tabourin.

Quant à la cornemuse, elle ne conserve plus le rang qu'elle occupait dans la musique ducale; elle devient un instrument champêtre ; celle que Callot fait tenir à un de ses bossus (fig. 25) est munie d'un grand chalumeau dont l'extrémité dépasse la tête du joueur.

Les sacqueboutes ou trombones sont usités, avant 1608, dans les musiques d'église et dans les orchestres

de la musique de chambre. Les trompettes n'étaient considérées que comme instruments militaires. Parmi ceux qui excellaient à en jouer, il faut nommer Nicolas Choppin, trompette de S. A. (1667).

Les musiques de cavalerie avaient des timbales, et, en 1667, le plus habile timbalier était Érard Munsmann1.

Fig. 26. — Joueur de flageolet.

L'épinette ne fait pas encore place au clavecin, mais ils sont employés tous deux concurremment, puisqu'en 165o une somme fut payée à Jean Denis, faiseur d'épinettes à Paris, pour avoir remis à neuf le clavecin de madame la duchesse2.

Le flageolet fut considéré comme instrument pas-

1. Archives, G. 6o5.

2. Ibid. D. 1509.

toral; on s'en servit aussi dans les orchestres, mais surtout dans des passages ayant le style bucolique.

La figure 26 montre un des grotesques de Callot jouant du flageolet. Le personnage porte un masque, percé d'un large trou à l'endroit de l'oeil. Le vaste chapeau qui couvre sa tète et son dos est orné d'une petite branche d'arbre.

Avant de terminer ce qui concerne Callot, il faut ajouter qu'il est le premier graveur qui ait eu l'idée d'employer le vernis dur des luthiers de Venise et de Florence. Ce vernis lui permettait, grâce à sa dextérité, d'obtenir des détails très fins; c'est vers 1616 qu'il commença cette innovation.

Les ballets et les danses furent plus rares sous le règne de Charles IV que sous les précédents 5 cependant, le 14 février 1627, un grand combat à la barrière fut donné dans la salle Neuve du palais ducal. Callot a gravé dix planches charmantes qui montrent les différents chars sur lesquels des musiciens, tels que joueurs de luth, de flÙte, de tambour, trompette et violon se trouvaient groupés. Enfin, en 1629, Claude Deruet décora une machine pour les ballets qui furent dansés par le duc luimême, mais ce fut tout; Charles IV aimait mieux se divertir à l'étranger, à Bruxelles, par exemple. Callot mourut le 24 mars 163 5, à l'âge de quarante-trois ans, et fut inhumé dans l'église des Cordeliers de Nancy.

Maîtres de musique

Les principaux maîtres de danse furent : François Trial, violon du duc, à qui l'on paya des gages en 1629 pour avoir montré à danser aux pages; Étienne la Rocque (1631); François Greneteau (1664).

Voici, par ordre de date, les noms des principaux artistes mentionnés dans les comptes des Archives sous le nom de musiciens : Pierre Perroton, musicien et


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valet de chambre de 'S. A., originaire de la Champagne, mort en 1666; Orphée Vallois et Claude Rouier, musiciens de la chambre de S. A.; Néra, musicien (chanteur), 1629; ce dernier fut un des chanteurs employés dans le Triomphe de Charles IV, en 1664; Étienne Vannel, servant en la musique de S. A. le duc Charles IV, en 1632; Ferdinand de Florence, musicien ordinaire du roi, au service du duc en 1658; Beaumont, 1666, et Florentin Aubert, 1667.

L'établissement de la musique de Charles IV, en 1630, comprenait les musiciens suivants : Deux hautescontre, deux tailles, deux basses, deux pages pour dessus de la musique, cinq joueurs de luth, basses de violes et théorbes, le maître de ladite musique et le valet des deux pages avantdits.

Parmi les noms des organistes de cette époque, il convient de, citer : *

1623. Chrétien Dognon, organiste de la paroisse NotreDame, mort en 1653.

1628. Alexandre Humbert, organiste de Notre-Dame;

> son fils Henry naquit cette même année.

16zg. Louis Lurin, organiste de Saint-Sébastien. 1645. Michel Hardy, organiste de Saint-Sébastien.

- 1653. Nicolas Villemet, organiste de Saint-Sébastien, mort en 1670.

163 5. Pierre Estienne, organiste de Notre-Dame. 1656. Nicolas Thouvenin, organiste de Notre-Dame. 1657. Nicolas de la Tour.

1657. Charles Dognon, fils de Chrétien Dognon, organiste aux Cordeliers, né en 1627.

1668. Pierre Mougenot, organiste de Notre-Dame. 1670. Jean Mougenot, organiste de Saint-Sébastien.


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1672. Michel Hardy, marchand et organiste, mort en 1677.

François Thibaut, chantre et organiste de la cathédrale de Metz, vers le milieu du xvna siècle, a publié une messe à cinq voix sur le chant : 0 beata Cœcilia. (Paris, Robert Ballard. 1640, in-4° 1.)

Les ménétriers étaient toujours régis par les maîtres des corporations; en 1667 et en 1668, nous remarquons les actes d'enchères du han des ménétriers du plat pays (maîtrise pour les fêtes)*; des ménétriers de- Saulxures, du val de Senones, de Saint-Stail, etcs.

Parmi les coutumes curieuses de la Lorraine, il en est une que nous devons citer ici, parce que le lecteur verra que les violons et les instruments de musique tenaient leur place dans toutes les cérémonies et dans toutes les fêtes de ce pays. Nous empruntons ce récit à Lionnois, dans son Histoire de Nancy :

« Il convient aussi de parler d'une ancienne cérémonie qui se faisoit dans la cour du palais ducal. Le premier dimanche de carême, les nouveaux mariés de l'année étoient obligés d'aller faire un petit fagot dans les bois de Haie. Vers les trois heures, tous rentroient en ordre dans la ville de Nancy, au son des instruments, les uns à cheval, les autres à pied, selon leur condition et leur pouvoir. Ils se rendoient au palais avec leur fagot, orné de rubans et attaché à leur boutonnière. Toute la cour s'amusoit à les voir caracoler autour des fontaines de vin, où chacun buvoit à volonté. On

I. Fétis. Biog. des Musiciens.

2. Archives B. 9081.

3. Ibid, B. 9063.


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jettoit des cornets de papier remplis de pois grillés avec du beurre et du sel (le peuple les nomme encore pois depèchis) t, lesquels, en remplissant la cour, faisoient tomber la plupart des danseurs et occasionnoient des éclats de rire. Sur le soir, les nouveaux mariés alloient en procession (la procession des féche-nattes ou des petits fagots) au milieu de la Ville Neuve2, où après avoir fait plusieurs tours en dansant, chacun jettoit son fagot en tas et on en dressoit un bûcher, pendant que la danse se continuoit au son des violons. Vers les sept heures, toute la Cour se rendoit à l'Hôtel de Ville où étoit préparé un magnifique souper, pendant lequel chacun dansoit au son de divers instruments. Après le souper et un feu d'artifice, on mettoit le feu au bûcher, et on tiroit au sort, devant le prince, les Valentins et les Valentines. On les proclamoit sur le balcon de l'Hôtel de Ville, ce qui se répétoit dans toutes les rues. Les jours suivans, les Valentins envoyoient à leurs Valentines de riches présens et de beaux bouquets, avec lesquels elles paroissoient à la toilette de la duchesse. On allumoit un feu de paille le dimanche suivant, devant la maison de ceux qui avoient manqué à cette attention. Ce qui s'appelloit les brûler. Telle est l'origine des brandons en Lorraine 3. »

Afin de compléter les renseignements sur la musique de Charles IV, voici une pièce qui nous a semblé assez curieuse pour être donnée textuellement :

« A nostre très cher et féal trésorier général de nos finances, Claude Gennetaire, salut.

i. Ce qui signifie épices.

2. Place Mengin actuelle, où se trouvait alors l'hôtel de ville.

3. Lionnois, Hist. de Nancy, t. Ier, page 54.


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« Nous vous mandons et ordonnons qu'au proratà de la liste cy d'autre part, et à commencer du premier jour du mois d'avril dernier, auquel les dénommés en ladite liste sont entrés en service, sauf Rouyer, qu'avons seulement reçu aujourd'hui, vous ayez à payer et délivrer, des deniers de vos charges à nostre cher et bien aimé Pierre de Hault, maître de la musique de nostre Chambre, la somme de deux mille cent cinquante francs de nostre monnoie pour le quartier d'avril, mai et juin, attendu que ledit Rouyer n'a point servi pendant ledit quartier; et à l'égard de celui des deux basses, dont le nom est demeuré en blanc, il devra seulement estre couché en dépense lorsqu'il fera paroistre de sa réception en ladite musique de nostre Chambre, par certificat dudit Dehault, voulant que, de quartier à autre et d'année en année, vous continuiez de faire, à raison de chacun quartier, semblable payement, en y ajoutant toutefois ledit Rouyer pour son avenant; depuis le commencement de ce mois d'aoust et ledit second basse lorsqu'il vous constera dudit certificat poriant sa réception, afin d'estre les sommes de deniers auxquels reviendra, esdits cas, l'établissement de nostre dite musique, distribuées et réparties aux musiciens et joueurs d'instruments déclarés en ladite liste, chacun selon son avenant et au prorata du temps qu'il aura servi, conformément aux sommes qui sont tirées à l'endroit de chacun d'eux, le tout pour l'entretennement que leur avons assigné pour tant et si longtemps qu'ils serviront à nostre dite musique. Et rapportant par vous et vos dits successeurs pour une et première fois cestuy nostre mandement ou copie d'iceluy dûment attestée et quittance dudit Dehault, lesdits deux mille cent cinquante francs, que luy aurez payés pour les mois d'avril, mai et juin derniers, comme aussi les sommes que subsécuti-


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vement ferez voir par ses quittances et certificat susdit luy avoir esté par vous délivré en suite et relativement à ce que dessus, vous seront passées et allouées en dépenses par nos très chers et féaux conseillers les sieurs surintendant de nos finances, président et gens dédits Comptes de Lorraine, auditeurs des nostres, auxquels mandons n'en faire difficulté, car ainsi nous plaît.

« Donné à Lunéville, le 2 d'avril 1630.

« CHARLES. »

La supplique suivante montre que les gages des musiciens n'étaient pas payés très-exactement :

« A Son Altesse,

« Plaise à Son Altesse, à la très humble et instante prière de ses très obéissants serviteurs, les violons en l'état d'icelle, présentement au nombre de dix, entendre que, comme ainsi soit que, depuis quelque temps, ils lui auroient démontré comme il leur estoit dû plusieurs années de leurs gages, à raison de trois cents francs par an, au contenu des certificats qu'ils en ont tiré de la Chambre des Comptes, savoir : à Louis Cheveneau, trois mille cent francs; à Simon Noël, autant; à Pierre Chéveneau, seize cent cinquante francs ; à François Trial, douze cent francs; à Joseph Soleras, autant; à Jacques Collignon, dit du Pont, deux mille trois cent cinquante francs; à Charles Noël, seize cents francs; à Noël Briffaut, autant; à Nicolas Médard, neuf cents francs; à Jean Tabourin, trois cents francs, non compris l'année dernière seize cent trente francs, à qui elle est dÙte aux dix, à même raison de trois cents francs par an, qui monte en tout à vingt mille cent cinquante francs. Pendant les-


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quelles années desdits remontrant ont contractés beaucoup de dettes en sommes notables, au payement desquelles ils se voient journellement molestés et contraints par leurs créanciers qui leur ont fourni les choses nécessaires pour vivre et notamment pendant la dernière année de la contagion à Nancy qu'il leur estoit interdit de gagner un seul denier de leur art et profession. Estant donc contraints d'accourir aux bénignes grâces de Vostre Altesse, luy suppliant très humblement leur ordonner quelque payement sur et en déduction de ce qu'il leur est ainsi dû, à celle fin qu'ils se puissent acquitter envers leurs créditeurs, et outre que Vostre Altesse fera œuvre grandement équitable et méritoire, ils continueront leurs prières envers le Créateur pour sa santé, prospérité et longue vie d'icelle. •>

Voici la réponse qu'ils reçurent :

« De par le duc de Lorraine, marchis, duc de Calabre, Bar, Gueldres, etc. Conseiller d'État, Auditeur des Comptes de Lorraine et Trésorier général de nos finances, Claude Gennetaire, salut. Nous vous mandons et ordonnons que des deniers de vos charges vous payiez et délivriez à nos chers et bien aimés Louis Cheveneau, Simon Noël, Pierre Cheveneau, François Trial, Joseph Soleras, Jacques Collignon, Charles Noël, Noël Briffaut, Nicolas Médard et Jean Tabourin, tous dix nos violons ordinaires, suppliants, la somme de trois mille francs, monnoie de nos pays, qu'ordonné leur avons pour payement de leurs gages de l'année dernière 163o, qu'est à raison de trois cents francs pour chacun d'iceux. Car ainsi nous plaist.

« Donné à Nancy, le vingt-deux février 1631.

« CHARLES. »


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On voit, par ces détails, que Charles IV, loin de payer ses joueurs de violon, les faisait attendre des années entières, ne leur donnant encore qu'un faible acompte sur la somme qui leur était due.

MUSIQUE DE CHARLES IV ET ENTREE SOLENNELLE DE CE PRINCE A NANCY.

Pour compléter tous les renseignements ayant rapport à la musique de cette époque, il est important de parler des instruments employés à l'occasion de l'entrée

Fig. 27. — Entrée de Charles IV à Nancy.

solennelle de Charles IV, qui eut lieu à Nancy le 6 septembre 1663,

Plusieurs arcs de triomphe furent élevés, pour la circonstance, depuis la porte Saint-Nicolas jusqu'à la grande place de la ville Neuve; celui qui se trouvait à la hauteur de la rue des Quatre-Églises, cachant une partie des halles, supportait deux tribunes garnies de musiciens.

Nous en donnons ici une reproduction d'après les gravures faites par Sébastien Leclerc, et dont Deruet fit les dessins. Dans celle de droite (fig. 27), six musiciens jouent des instruments suivants : à gauche, une basse de viole dont la touche est garnie de cases, comme les guitares modernes, afin de faciliter le doigté; une


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semblable basse est jouée par un personnage placé en arrière; un joueur de cornemuse costumé en berger; deux autres portant des costumes turcs; nous ne pouvons distinguer ce qu'ils ont en main, et enfin, un sixième, à droite, tenant une sorte de serpent d'église, d'une forme toute spéciale, se terminant par une tête de serpent; c'est le buccin.

Fig. 28. — Entrée de Charles IV à Nancy.

Celle de gauche (fig. 28) montre six musiciens : à gauche, un joueur de violon, portant le costume de l'époque ; un second personnage tient un petit basson, l'autre est à moitié caché; le quatrième souffle dans une sorte de cornet à bouquin recourbé ; le cinquième élève en l'air une sorte de trompe semblable au serpent, et enfin un joueur de luth et un enfant qui paraît chanter sont placés à droite.

Entre ces deux orchestres, une Renommée tient d'une main sa trompette ornée des armes de Lorraine, et de l'autre un tableau représentant le portrait de Charles IV.


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Fig. 29. — Entrée solennelle de Charles IV à Nancy.

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Mais le cinquième arc de triomphe est celui qui paraît le plus intéressant; la figure 29 indique les principaux sujets qui se trouvaient sur un balcon le surmontant. On lit au milieu des inscriptions latines à la louange du prince : Quœ tali Phœbo; spirante canemus ; et plus bas : Tito Lothareno ; à gauche : En applaudit Amor plausus quis gratior illis; à droite : 0 quam dulce melos ; talis dicum musicus adstat.

Les personnages placés sur le balcon figurent les neuf Muses, tenant chacune un instrument de musique différent et portant un costume approprié au sujet, selon le goût du temps.

Afin de les décrire, commençons par la gauche. La flÙte, le violon avec costume antique, la trompette que le troisième personnage élève en l'air; le luth, tenu par une femme costumée en Indienne1. Au milieu, un semblable instrument dont on voit le fond bombé comme celui de la mandoline, est placé sur le bord du balcon. Une personne, coiffée de panaches, semble chanter, en suivant une mélodie écrite sur une page de musique qu'elle tient entre les mains. Ce cahier de musique, intitulé le Chant des Muses, existait encore à la bibliothèque du Musée lorrain, mais il fut malheureusement détruit lors de l'incendie de 1871; nous venons, cependant, d'en découvrir un exemplaire qu'il est utile de placer ici (fig. 30). M. Albert Jessel, maître de chapelle à la cathédrale de Nancy, a bien voulu mettre en partition, pour notre ouvrage, ledit chant; nous le donnons à la suite de l'original (fig. 31).

1. Le luth ou éoud est originaire des Indes.


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Fig. 30.


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AIR

DES MUSES LORRAINES

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Fig. 31.

Quatre autres femmes occupent la droite du balcon : la première, coiffée d'un diadème, joue d'un serpent semblable à celui de la tribune (fig. 28); la seconde joue du théorbe, la troisième du cornet à bouquin, et enfin la dernière, de la harpe. Les musiciens dont il est question ici étaient des hommes costumés en femmes,, afin de mieux représenter les neuf muses. Les petits sujets peints un peu au-dessous, sur les côtés du balcon, ont aussi des attributs de musique entre les mains. A droite, un amour chante en battant la mesure de la main et du pied, tandis que l'autre passe J'archet sur une basse de viole approchant beaucoup, par la forme des ff, du violoncelle. A gauche, un ange joue de la flûte pendant que son compagnon frappe un tambour à coups redoublés. Enfin, au-dessus d'un arc de triomphe militaire, plusieurs soldats de différents pays font retentir l'air de leurs bruyantes fanfares, accompagnées du son des timbales.

Mais toutes ces fêtes ne rendaient pas sa splendeur première à la capitale de la Lorraine, car elle était tellement dépeuplée par la guerre, la peste et la famine, qu'en cette même année le duc Charles donna des privilèges à ceux qui voudraient s'y établir.

Trois ans plus tard, c'est-à-dire en 1666, la musique de ce prince fut réorganisée.

Voici les noms et les appointements des musiciens :

10 Deux haute contre, savoir : Orphée et Fournier, ledit Orphée à raison de )00 francs par an, attendu que, d'ailleurs, il a l'honneur d'être à Son Altesse et ledit Fournier, 1,000 francs par an, cy pour les deux i, 5oo fr. 2" Deux tailles, qui sont : Mille et Vannel, ledit Mille, à raison de 5oo francs par an, attendu que, d'ailleurs, il a l'honneur d'être à Son Altesse, et ledit Vannel, 1,000 francs par an, cy pour les deux.. l, S 00 3" Deux basses, qui sont : Richard et N chacun à raison de 1,000 francs par an, cy pour les deux - . 2,000 40 Deux pages, pour ladite musique, pour chacun 5oo francs par an, cy pour les deux i,ooo Sn Cinq joueurs de luth, basses de viole et théorbe, savoir : Vignon, La Lanne, Perroton, d'Essey et Rouyer, à raison de 600 francs pour un, par an, cy pour les cinq 3,000 6" Pour Dehault, maître de ladite musique,

1,000 francs par an .................. 1,000

7° Et pour le valet des deux pages avant-dils,

200 francs par an, cy .... 200 fr.

PIERRE DEHAULT.

En 1667, Charles IV posa la première pierre du monastère des Carmélites de Nancy; il y eut une belle cérémonie, dans laquelle la musique de la collégiale Saint-Georges et celle de la chambre du duc alternaient avec les trompettes et les timbales, placées sur une grande estrade.

On peut voir que, malgré les malheurs qui assaillirent de toutes parts la Lorraine pendant le règne de Charles IV, les arts en général, et la musique en particulier, ne succombèrent pas ; tant il est vrai qu'après les événements les plus pénibles et les circonstances les plus cruelles, il vient un moment où les hommes éprouvent le besoin de réagir contre le fatal destin. Nous avons eu, dans des temps qui ne sont pas éloignés, l'occasion d'éprouver ces sentiments, et certes, la musique est, de tous les arts, un des plus puissants moyens de réaction, car elle sait dépeindre la tristesse et la joie, le calme de la paix et les ardeurs du patriotisme.

Charles IV termina sa carrière, le 18 septembre 1675, à l'âge de soixante-douze ans.



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