La musique en Lorraine (1882) Jacquot/Chapitre III

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La musique en Lorraine
I - II - III - IV - V - VI - VII - VIII - IX -- (lutherie)

CHAPITRE III.

FRANÇOIS 1er ET CHARLES III, XVIe ET XVIIe SIÈCLES. — DUIFFOPRUCGAR ET PIERRE WOEIRIOT. — JOUEURS DE VIOLON ET MUSICIENS DE LA COUR. — INSTRUMENTS DE MUSIQUE EN USAGE. — MUSIQUES MILITAIRES LORRAINES. — DANSES ET BALLETS. — REPRÉSENTATIONS THEATRALES.

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Chapitre III


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François Ier et Charles III

François Ier succéda à Antoine, son père, en 1544, ne régna qu'une année et laissa un fils âgé de trois ans. Pendant la minorité de ce fils, qui fut plus tard Charles III, sa mère, Christine de Danemark, partagea la régence avec le prince de Vaudémont, oncle du jeune prince.

Charles fut élevé à la cour de France, où il épousa, en 1559, la princesse Claude, fille du roi Henri Il.

Ce règne est, sans contredit, le plus brillant et le plus glorieux, et le prince qui l'illustra obtint de son peuple le surnom de Grand.

Une évolution de l'art instrumental paraît s'être produite pendant la régence et le règne de Charles III (1562); le rebecq a complètement disparu, et, à partir de cette époque, les Archives mentionnent le mot de « violon ».

C'est bien certainement la viole qui est en usage, mais les violons commencent à être employés, n'ayant


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pas encore la forme que nous leur connaissons. Sans vouloir nous engager dans des conjectures plus ou moins fondées, il nous est permis de faire remarquer une coïncidence singulière.

Duiffoprucgar et Pierre Woëiriot

Duiffopruggar by Woeiriot.jpg

Le fameux Duiffoprucgar, luthier du Tyrol italien, le plus ancien facteur connu de violes et de violons primitifs, vint à la cour de France vers 1515 ; c'est François Ier qui, allant à Bologne pour rétablir le concordat avec le pape Léon X, entendit parler des talents de ce luthier et le décida à quitter l'Italie pour venir à Paris. Le climat de cette ville ne convenant pas, paraît-il, à sa santé, il obtint la permission de se retirer à Lyon, tout en continuant à travailler pour la cour du roi.

On connaît la curieuse gravure représentant Duiffoprucgar entouré de ses instruments de musique.

Cette gravure, dit M. Vidal dans son intéressant ouvrage sur les Instruments à archet, fut faite à Lyon, en 1^62, par Pierre Woëiriot, graveur lorrain. Il est facile d'y reconnaître deux violons à quatre cordes, une viole et quantité d'autres instruments. Ce sont certainement des violons, quoiqu'ils n'aient pas encore la forme d'Amati, et on peut supposer que Duiffoprucgar a fait des instruments pour la cour de Lorraine, puisque Pierre Woëiriot, qui fit son portrait, fut longtemps le graveur de Charles 111 ; il est donc probable qu'il vit ce luthier à Nancy. Nous savons, du reste, que son protecteur François Ier vint à Bar pour être parrain d'un des fils du duc Antoine. Pierre Woëiriot ne quitta pas Nancy de 1560 à 1580 5 c'est l'époque présumée de sa mort, à Neufchâteau.

Les Archives contiennent différentes mentions relatives à ce graveur, qui portait aussi le surnom de Bouzey.

En 1560, cent francs à Pierre Woëiriot, dit de Bou\ey,


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pour subvenir et fournir aux frais et mettre en lumière les histoires de la sainte Bible 1.

Deux ans après, pareille somme lui fut encore allouée pour le même ouvrage 2. En 1567, il est inscrit au registre des dépenses sous le titre d'imaigier (graveur).

En 1568, à Pierre Woëiriot, cinquante escu'{ d'or soleil pour faire certains ouvrages, tailler et insculper médailles anctiques et planches de cuipvre pour le service de mondict seigneur 3. (Charles III.) Il resta au service du duc pendant les années 1 569, 1570, 1572 et, enfin, en 1577, il habita Neufchâteau jusqu'en 1580 ; ce qui suit l'indique. En 1577, à Pierre Woëiriot, demeurant au Neufchâteau, deux cent quatre-vingt-dix sept francs six gros, en reconnaissance d'un livre qu'il a donné à Monseigneur où sont dépeintes et imprimées les effigies de plusieurs empereurs et sénateurs romains. Il eut un fils, nommé Pompée de Bouzey, qui était « peintre enlumineur » en 1610.

Nous pensons donc, jusqu'à preuve contraire, que le portrait de Duiffoprucgar fut fait en Lorraine, si, comme le dit M. Antoine Vidal, il a été exécuté en 1562 ; à cette époque, notre graveur était payé annuellement et travaillait pour le duc Charles III. Il est évident que, pour faire ce portrait, il a fallu qu'il vît le personnage en question, et surtout les instruments, parmi lesquels se trouve le violon à quatre cordes, qui a encore beaucoup de ressemblance avec la viole.

JOUEURS DE VIOLON ET MUSICIENS DE LA COUR

Les principaux joueurs de violon d'alors furent : en 1555) Georges Le Moyne, « joueur de violon en l'hôtel de Monseigneur » 4 ; en 1557: Mathieu Le Saulvage, mort


(1) Archives. B. 1126.
(2) Ibid. B. 1131.
(3) Ibid. B. 1148.
(4) Ibid. B. 1106.


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en 1579, Alan Moureau, Giles Harent, 1 mort en 1557, car sa veuve obtint une pension en cette année ; Thouvenin Coulevrine, Claude et Nicolas de Fleurance (1567); ces deux derniers étaient des Italiens que Charles III fit venir à sa cour 5 et, enfin, Claude Le Gris, dit Tabouret.

Les violons, les fifres et les tambours réunis exécutèrent des morceaux de circonstance à l'entrée à Nancy de la duchesse régente, en 1558, et certains joueurs de violon, qui passaient par cette ville en 1561, reçurent trente-quatre francs pour avoir joué en court.

Ces musiciens suivaient les ducs de Lorraine dans leurs voyages; ainsi en 1561, deux cent cinquante francs sont délivrés aux cinq violons de Monseigneur (le régent) pour subvenir aux frais qu'ils pourroient faire à la suite de Monseigneur en son voyage d'Allemaigne.

Lorsque Charles III vint en France, ces mêmes musiciens reçurent comme payement cent soixante francs 2.

Les violes étaient ceux des instruments à cordes le plus souvent en usage à la cour de Lorraine ; il faut remarquer, toutefois, que ceux qui s'en servaient étaient appelés « violons », puisqu'on rencontre très souvent dans les Archives des mentions de dépenses ainsi conçues : deux cent soixante~sei\e francs aux cinq violons de Monseigneur, pour acheter des trompes, VIOLES et autres instruments de musique pour le service de Monseigneur3 (1 562).

Cependant la note suivante, datée de 1563, précise l'emploi des violons : deux cents francs aux violons de Monseigneur pour se fournir de cornets, VIOLONS et autres instruments; ainsi qii aux sept hautbois 4.


(1) Archives. B. 1115.
(2) Ibid. B. 1143.
(3) Ibid. B. 1133.
(4) Ibid. B. 1138.


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On sait que le violon fut connu en Italie vers 1533 et en France, vers 1550; il est donc permis de croire qu'il s'agit ici du violon proprement dit.

Ce qui nous a le plus surpris, c'est la preuve de leur emploi, non seulement dans la musique de chambre des ducs, mais aussi dans les musiques des armées lorraines. Nous devons cette découverte à notre savant archiviste, M. Henri Lepage, qui a bien voulu nous en donner la primeur : Mest en despense, iceluy comptable (1^92), la somme de vingt-deux francs, qu'il a plu à Monseigneur de Vaudémont donner et octroyer aux tambours et violons de l'armée de Son Altesse estant devant Chasteauvillain 1.

Le siège de Châteauvillain eut lieu en 1592; cette ville est de l'arrondissement de Chaumont (HauteMarne).

Nicolas de Fleurance (Florence), dont il a été parlé précédemment, se maria en 1568, et il était d'usage, en pareille circonstance, que le duc fit un présent au jeune marié ; il lui fit compter vingt escu1 pour lui aider à faire ses nopces 2.

On ne sait si c'est l'exemple ou le cadeau qui engagea son confrère, Thouvenin Coulevrine, à l'imiter; mais ce qui est certain, c'est qu'il reçut la même somme pour ses noces. A cette époque, la peste survint à Nancy; la bande de violons fut dissoute pour quelque temps; mais les gages des musiciens qui la composaient leur furent payés: En 15 68, aux violons de Monseigneur, quatre-vingts francs pour eux s'entretenir et nourrir quelque temps à cause qu'il leur fut commandé de s'absenter de la suite de Monseigneur pour les dangiers de la peste qui régnoient 3.

I. Archives) B. 1272.

2. Ibid. B. 1148.

3- Ibid. B. 1148.

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En 1568, les noms de « rebecq » et de « rebecqueresse » étaient encore usités dans le langage pour désigner des joueurs ou joueuses d'un ordre tout à fait inférieur, comme, de nos jours, les ménétriers de village : une femme, nommée « Philippe la Rebecqueresse », fut fustigée par les rues de Nancy ec marquée sur les épaules.

Certains joueurs de violon étaient plus appréciés que d'autres par Charles 111 ; on les appelait « violons de la retenue de Monseigneur »; Georges Le Moyne était de ce nombre.

Ce prince était très-familier avec Mathieu Saulvage, un de ses violons, puisqu'en 1570 il lui fut donné « vingt escui d'or (quarante et un francs), qu'il a gagnés contre Monseigneur au jeu de pelote et paulme et pour trois douzaines de battoirs qu'il a fournis 1.

Un marchand genevois, établi à Nancy, fournissait toutes les marchandises nécessaires aux violons *.

Nous voyons qu'en 1576 les étrennes des six joueurs de violon du duc leur furent données ; c'était une somme de quarante francs.

La veuve de Mathieu Saulvage, violoniste, dont il a été question, fit présent à Charles III des ruines du moulin de Vaudémont; elle reçut en récompense cent cinquante francs 3.

Les noms des six violons de la cour, en 1579, sont inscrits dans la note suivante : trois cents francs pour acheter des instruments aux six violons de Monseigneur : Claude Le Gris, Claude et Nicolas de Florence, Nicolas du Hault, Ren J Moureau et Claude de Dreux.

1. Archives. B. II58.

2. Ibid. B. 1158.

3. Ibid. B. 1183.

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Les cérémonies du baptême étaient célébrées avec grande pompe, et les instrumentistes exécutaient un concert pendant le repas qui avait lieu ensuite ; on se servait, à cette occasion, de trompettes, de violons, de cornemuses, de tabourins et de fifres. Un concert de ce genre se fit pour le baptême de l'enfant de M. le marquis d'Haurech, à Nancy, en 1581 1.

Les violons de la cour recevaient chaque année vingthuit francs six gros pour solenniser leur fête, à la « SaintGuery », et, en 1588, ils eurent douze écus d'or soleil, ce qui valait cinquante-sept francs ; la fète des chantres et des enfants de chœur de Saint-Georges était le jour de la Sainte-Cécile. En 1603, le comte de Vaudémont leur fit donner une somme d'argent pour fêter leur patronne 2.

De nouveaux noms de joueurs de violon se trouvent dans les Archives, à la fin du règne de Charles III ; ce sont ceux de Remy Noël et Simon Noël (1590); Nicolas Vernier, joueur de violon et valet de chambre de la comtesse de Vaudémont (Christine de Salm) (1597) ; Antoine Vaujour, violoniste et valet de chambre de Charles III (1602); Aimé Moreau, Denis Chaveneau et François Buret (1608).

On délivrait souvent à ces musiciens du blé pour gages; c'était surtout pendant les années de disette.

En avril 1603, il y eut à Nancy des fêtes magnifiques en l'honneur du roi et de la reine de France, Henri IV et Marie de Médicis.

Un ballet fut exécuté et accompagné par les musiciens, les pages et les violions du duc.

On fit faire à tous ces pages, violons et musiciens,

1. Archives, B. 1188.

2. Ibid. B. 1279.

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des souliers pour danser ce ballet, ce qui fut payé cinquante-sept francs huit gros à un cordonnier de la cour nommé Jehan Jacquot. En 1602, une pareille somme avait été donnée pour les fournitures d'un semblable ballet; enfin, en 1606, il y eut un grand ballet costumé dans lequel un chariot triomphal portait tout un orchestre de musiciens; ce chariot était traîné par quatre animaux fabuleux. Les dépenses faites à cette occasion s'élevèrent à sept mille sept cent dix-huit francs qui furent payés à Baptiste Guichard, marchand, pour ga:{,e, tocq, estoffes de soye et autres marchandises à faire robbes et habits pour les dames, damoiselles, musiciens, violions et autres personnes du ballet 1.

Le luth était en grande faveur et servait surtout admirablement comme instrument d'accompagnement. Les principaux joueurs, sous les règnes de François Ier et de Charles III, furent Jehan Paul (1544), Jehan Farnèse (1582), Jacques d'Agnani (1590), Charles Bouquet (1594), Louis Clairiel (1601). Ce Bouquet ou Boquet était originaire de Pont-à-Mousson, qu'il habitait ; il réglait les ballets, puisqu'il lui fut payé, en 1606, trente-deux francs six gros pour six jours qu'il a esté à Nancy y mandé du commandement exprès de S. A. pour donner l'air d'un ballet à la réception de madame la duchesse de Bar 2.

On le voit déjà à Nancy, en 1594, toucher et recevoir septante-six francs que S. A. luy a donné et octroyé pour luy aider à payer les dépenses qu'il a faict à Nancy pendant le séjour qu'il y a faict durant le temps du carnaval,y estant appelé ou employé par mesdames les princesses de Lorraine ballets et dances qui ont été faictes audict carnaval et aussy pour luy ayder à s'en retourner.

I. Archives. B. 1292.

2. Ibid. B. 1592.

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L'apparition de la guitare, appelée alors « guytarre », date de 1607, car, cette année, le duc fit donner une somme de trente-trois francs à un de ces joueurs d'instruments. Les premières guitares n'avaient que trois cordes.

Le principal harpiste fut « Claude de Dreux », qui reçut, en 1578, comme présent de Charles III, 1 une harpe et une somme de cent dix-huit francs neuf gros, pour faire un « voyage en sa patrie ». Il tint son emploi à la cour jusqu'en 1606.

Il y avait sept hautboïstes faisant partie de la maison du duc; les plus connus étaient : Mengin, hautbois du régent (15 52) 5 Pierre Colliquet, id.; Loys Chevalier (1567), originaire de Bar-le-Duc 5 René Moireau (1 ,90).

Parmi les instruments en usage en Lorraine au xvi0 siècle, il convient de citer la cornemuse.

Le nom d'un joueur habile, Denis Chaveneau, est mentionné dans beaucoup de pièces des Archives, de 1 -69 à 1608. En 1579, un Italien, nommé Joano Gastincho, cornemuseur, reçut quarante-sept francs six gros.

On a vu qu'en 1581 cet instrument était joué en même temps que les tambours, les fifres, les trompettes et les violons dans les cérémonies de toutes sortes. Loys Chaveneau, frère de Denis, fut aussi cornemuseur à la cour de 15 go à 1608; à cette époque (1608), ce dernier se mit à jouer du violon.

Les principaux organistes sous ce règne étaient: messire Antoine ; Bertrand Nlittat, anobli en 1^35 ; Pierre Le Roux - Platel; Nicolas de Hault; Jean de Sermaize, organiste et facteur d'orgues ; Claude Sébastien, de Metz, organiste en 15535 Didier Warin, maître des

I. Archives} B. ii?o.

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orgues de la chapelle en 1553 ; enfin Jean Contesse, organiste de l'église de Saint-Epvre en 1584,

Quant aux facteurs d'orgues, voici les noms des plus connus : Nicolas et Florent les Hocquelz, Flamands d'origine, qui réparèrent les orgues de Saint-Epvre en 1603' Pendant l'année 1579, Charles III donna trois cents francs aux religieux du couvent des Cordeliers de Nancy, afin de les employer à l'achat d'orgues pour leur église. 1 En.1601 et 1602, quatre cent soixante-trois francs pour le « rhabillage» de ces orgues2; enfin, en 1 604, la réparation fut complète avec une nouvelle somme, soit trois cents francs, qui furent encore donnés par le duc.

La flûte a un rôle très-important dans l'histoire des instruments de musique en Lorraine et principalement pendant ce règne.

Les musiques militaires se composaient alors, dans ce pays, de violons, de tambours et de fifres.

Les fifres et les tambourins jouèrent, en 1561, aux noces de Balthasard d'Haussonville, grand maître d'hôtel de Charles III.

Le mot c sonné » s'appliquait aussi bien au jeu des instruments à cordes qu'à celui des instruments à vent, car, en 15 58, cent quatre-vingt-sept francs six gros furent donnés aux violons, tabourins et fiffres, qui ont sonné à l'entrée de madame la Duchesse.

La cérémonie de planter le mai devant le palais ducal se fit, en 1567, au son des fifres et des tambours.

On verra par les notes qui suivent que la flûte et le fifre étaient employés dans toutes les cérémonies : à Jacques le fifre, en 1569, et à Jean, tabourin de Nancy,

1. Archives, B. 1183.

2. Ibid. B. 1264 et 12-74.

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cent francs que Monseigneur leur a octroyé pour considération que, par plusieurs fois, ils ont este\ employés de leur art et pour son service.

La mention ci-après fera connaître les noms des principaux joueurs de ces instruments :

En 1571, cent francs à Nicolas Lespine, Didier Harbellot, Jacquin le fiffre, Jean de Fallou, Jean de Coudey, Didier Masquin, Pierre Marcollin, Jean du Pont, Pierre Michelet et Claude, tabourins, demeurant tant à Nancy qu'à Saint-Nicolas, tous fiffres et tabourins, en considération qu'ils jouèrent tous aux baptêmes des enfants de Monseigneur.

En 1574, soixante-quatre francs à Jehan Paticier, tabourin; Jacques Collignon, fiffre, Nicolas Lespine, tabourin des soldats à Nancy, et Jehan de Fallon, fiffre, son compaignon, pour leur peine d'avoir joué au festin des nopces de madame la duchesse de Brunschivig.

En 15 8o, aux fiffres et tabourins la somme de quarante francs pour avoir servy pendant le carnaval dernier aux tournois et combat î qui se sont faits en ce lieu, pendant le séjour de Monseigneur le duc Casimir.

En 1^93 et 1594, quarante-deux francs neuf gros à Nicolas et Loys de Lespine et Jehan Picquart, tambours et fiffres de la garnison de Nancy pour la peine qu'ils ont eue au carnaval de IS94, aux ballets et danses qui s'y sont faits.

Une somme de cent soixante et un francs fut donnée pour eux, les autres fifres et les tambourins qu'ils firent venir pour jouer au festin des noces de la duchesse de Bavière. 1

1. Archives, B. 1243 -

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En même temps que les joueurs de flûte, nous venons de citer les tabourins; il y avait des « petits tabourins » au nombre de deux, et celui de Charles 111 se nom mait Didier le Petit.

Une somme de soixante francs fut donnée, en 1560, à Jacques de Pont, jiffre, et à Jehan Paticier, t abolir ineur, pour avoir, durant cet hiver, sonné les Allemandes en salle, devant la personne de Monseigneur.

Les ducs de Lorraine, à l'exemple des souverains de France et d'Italie, avaient des nains et des bouffons attachés à leur cour ; la plus complète liberté de parler était accordée à ces personnages, qui profitaient toujours de cet avantage pour décocher quelques traits hardis à l'adresse des courtisans. En 1546, trois nains remplissaient ces fonctions, et, en 1576, Arvellos et Cristolloni, bouffons espagnols, jouèrent des instruments devant Charles III, dans la salle des Cerfs, au palais ducal.

Les trompes de chasse étaient achetées à Metz, sous les règnes précédents, mais, sous Charles III, tin nommé Jacques Pichommi, de Nancy, les fabriquait, en 1564 1; en 15 6o, Hanus Malherbe, faiseur de trompes, demeurant à Sedan, reçut cent soixante francs, qu'il a plu à Monseigneur de luy faire don, pour dix trompes de chasse qu'il aJJoit fait présent à mondit seigneur; cependant, en 1572, on en fit venir quatorze de la même ville de Sedan, qui eut fort longtemps la renommée pour la fabrication de ces instruments ; les quatorze trompes coûtèrent deux cent vingt-quatre francs, soit seize francs chacune.

La trompe de chasse dont se servait le duc était entourée d'un cordon de soie rouge et jaune, couleurs de sa maison.

1. Archives) B. 1318.

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Les trompettes ornées des bannières de Charles III figuraient, comme il a été dit, non seulement dans les fêtes guerrières, mais aussi dans les cérémonies civiles et religieuses, dans les noces et les baptêmes. Claude de la Vallée fut trompette du régent en 1551, et Didier, en 15 52.

Le cornet à bouquin servait aussi dans ces fêtes. Le meilleur joueur de cornet de Charles III fut Nicolas de Florence (1'74); cependant nous voyons le nom de Philippe Windelin, en 1589 : à Philippe TVindelin, chantre et joueur de cornet de monseigneur le cardinal d'Austriche, vingt-huit francs six gros pour, durant les vespres, avoir joué du cornet\ à boucquill devant S. A. et y ayant présenté le Magnificat en musique de sa composition.

Ce Philippe Windelin était donc instrumentiste, chantre et compositeur.

Charles III fit venir d'Angleterre des joueurs de sacquebuttes et quelques-uns de ces instruments puisqu'en 1604 des sommes furent payées à Jean Presse, joueur de cornet, à boucquin, pour aller en Angleterre chercher diverses sortes d'instruments pour accomplir sa musicque ; à deux joueurs de sacquebottes anglois (venus pour entrer au service de Charles III), pour ayder à la despense de leur retour en Angleterre 1.

Les joueurs de cornets à bouquin se nommaient Jean Presse, Guillaume Borde, Jean Adsun (Anglais), Guillaume Beurt (Anglais).

La saquebutte ou « sacquebotte » était une sorte de trombone dont les tubes s'allongeaient à volonté; deux Anglais en jouèrent à la cour : Jean Rabessen et Robert Pasquier.

I. Archives} B. 1309.

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Jean Gastinet était un des plus célèbres joueurs de musette (1581).

La charge de maître des ménétriers acquit une grande importance ; partout où elle était donnée, on l'exerçait avec régularité; nous remarquons, en 1569, l'amodiation de l'office de maître des ménétriers de Boulay.

Arrivons enfin aux maîtres de la chapelle et aux chantres; les premiers furent: Mathieu Lasson (1551); le célèbre Jacques Arcadelt (dont parle Fétis dans sa Biographie des musiciens), qui, originaire des Pays-Bas, alla à Rome, où il fut maître des enfants de chœur au Vatican en 1539, et ensuite au service du cardinal Charles de Lorraine (1555) ; messire Fabrice Marin Cajetan, maître de chapelle de la cathédrale de Toul, compositeur distingué (1570); messire Fabriciault, maître des chantres de la même église ( 15 71 ) ; le duc fit donner à ce dernier quatre-vingt-dix-neuf francs deux gros à raison qu'il étoit venu à Nancy et avoit amené les chantres et musique de ladite église pour chanter devant Monseigneur et f séjourner pen. dant deux jours*.

Les maîtres des chantres de la collégiale SaintGeorges et de la chapelle ducale furent Nicolas Collinot (1572) ; Fabris (1576) ; Pierre Mistault (1587); Balthazar George, qui reçut, en 1601, une somme pour avoir appris à un g jeune homme à lire, escrire et chanter la musique ; Didier Chaumont, chanoine et maître des enfants de chœur de Saint-Georges (1604).

Parmi les chantres, il faut citer: Jehan de Vaux (1544); Pierre Myon (1553) ; Alexandre Frizon (15 57); Hugo Edmond (15 59) ; Pierre Noyon (1 67) ; messire Ro-

J. Archives, B. 1160.

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land, chantre du roi de France, lequel reçut une somme pour être venu en pèlerinage à Saint-Nicolas, et l'ayder à retourner dans son pays ( 1571); messire Sébastien Gérard, clerc de chapelle de monseigneur le marquis, fils du duc ; Stefanus Laminger, chantre et compositeur (1580) ; Claude Rouyer, chantre, haulte-contre et prestre en l'église Saint-Georges, à qui vingt-huit francs furent donnés, en 1597, pour être distribués par lui en aumônes.

Pendant l'année 1597, il fut payé au sieur de la Grange, chantre à monseigneur le prince, deux cent quatrevingt-cinq francs, pour l'ayder à faire le voyage en cour de France à la sujette de Monseigneur 1.

Mentionnons aussi les noms de Philippe Windelin, chantre du cardinal d'Autriche ( 1598) ; Charles Pin, chantre et basse-contre (1600) ; Claude de Troyes, chanoine et basse-contre en l'église Saint-Georges (1605).

Il y eut également des petits chantres. Plusieurs compositeurs offrirent leurs œuvres à Charles III; en 1^70, messire Fabrice Marin Cajetan, maître de la chapelle de l'église cathédrale de Toul, reçut quarante escui d'or soleil, valant huit vingts francs, que de grâce spécialle, la grâce de Monseigneur luy a octroyés pour reconnoissance de certains livres de musique qu'il a présenté à sa grâce2.

Pascal Lestoquart reçut aussi deux cent quatrevingt-quinze francs pour avoir donné des livres de musique au duc 3.

N'oublions pas Philippe Windelin, dont nous avons parlé, qui composa un Magnificat et le dédia au duc en 1598 ; Balthazar George ; Tassey, musicien de Paris, qui

1. Arcl¡jyes; B. 1249.

2. Ibid. B. II 58.

3. lbid. B. 1195.

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lui offrit plusieurs livres de musique en 1604; ainsi que Stéfanias Laninger de Delingue, auteur de plusieurs œuvres musicales.

Enfin, comme différents artistes musiciens, nous trouvons les suivants:- Jean Richier (1587); Henry Chauldot, de Pont-à-Mousson (1587) ; Denis Hubert (1590), qui obtint une pension en 1607.

La curieuse coutume de faire des distributions de petits pâtés aux enfants de chœur de l'église Saint-Georges existait encore sous le règne de Charles III ; cette largesse coûtait annuellement deux francs deux gros ; mais, en 1590, cette somme fut portée à quatre francs quatre gros. La fète des saints Innocents était celle de ces enfants de chœur.

Lepinette eut beaucoup de succès à la cour; un page, nommé Didier, chantait en s'accompagnant sur cet instrument (1544) ; le premier joueur d'épinette se nommait Jehan, et Loys Fuzelier fut celui du régent (1550).

Il convient de remarquer que l'usage de ce piano primitif se propagea dans toute la Lorraine depuis le xve siècle ; les cordes étaient mises en vibration par des becs de plume qui les frappaient et correspondaient à un clavier composé d'un certain nombre de touches. La décoration extérieure en était charmante, comme tous les objets d'ameublement de cette époque; des peintures et des sculptures en ornaient la caisse. La duchesse achète une espinette dont elle fait présent en 1568. La musique ordinaire de Charles III se composait, en 1595, de cinq violons, d'une cornemuse et d'une épinette ; Didier de Hault jouait de ce dernier instrument.

On se servait cependant encore,, en 1606, de psaltérions à la cour, où deux joueurs étaient attitrés, ainsi que deux harpistes.

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La danse continua à remplir le plus grand rôle dans les fêtes.

On fit venir, en 1597, Gaspard Barbette, comédien italien, et un de ses compagnons, qui reçurent une somme pour avoir joué et sauté plusieurs fois devant Monseigneur 1.

Les ballets les plus célèbres qui furent dansés pendant le règne de Charles III eurent lieu en 1594; en 1603, devant Henri IV, roi de France, et en 1606 ; ce divertissement se composait de figures grotesques et d'une véritable mise en scène théâtrale 5 un char triomphal était traîné par des animaux fabuleux ; ce ballet eut lieu au palais ducal.

Il est facile de se rendre compte de l'importance que prit Nancy, sous le règne de Charles III, par le nombre de manufactures importantes qui s'y établirent sous sa protection.

Ce prince appela à Nancy Claude Israël, peintre fameux, né à Châlons; Pierre Grégoire, docteur en droit, né à Toulouse, à qui il donna une chaire de droit civil et droit canon à l'université de Pont-à-Mousson ; ce fut là que ce dernier composa un ouvrage sur la musique, et qu'il mourut (1597) 2 -

Un renseignement très curieux, concernant la demeure de quelques-uns des musiciens du duc, est consigné dans les Archives.

Loys, l'espinette, habitait, en 1589, rue du Haut Bourget (Haut-Bourgeois) ; un tabourin, rue de la Boucherie; un hautbois, rue de la Monnaie ; Didier le ménestrel, ainsi qu'un autre tabourin, faubourg Saint-Nicolas, etc.

1. Archives} B. 1249.

2. Fétis. Biogr. des Musiciens.

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Les ménétriers accomplissaient une bien triste tâche en précédant les condamnés à mort jusqu'au lieu de leur supplice; ainsi, en 1577, il est rendu compte des dépenses faites pour le jour de l'exécution d'un individu qui fut pendu pour ses démérites ;pour le disner des officiers d'Epi11 al, savoir ; des prévôt, échevins, clerc-juré, receveur, granddoyen, quatre sergents, messager, porte-enseigne et deux ménétriers 1.

Ceux de Sarreguemines payaient une redevance annuelle en 1599, et il est question, en 1602, du droit des ménétriers en la Landcholtesserie (ou Land-Schultesserie) de Sierck 2.

Les représentations théâtrales prirent un caractère plus particulier, sans toutefois sortir encore des sujets religieux ; la musique vint à l'aide du poème, mais ce n'étaient encore que de simples accompagnements de luths, de théorbes et de mandores ; l'épinette, la viole et les violons furent employés avec succès dans ces circonstances.

Pour compléter la liste des mystères en musique représentés sous ce règne, dans notre pays, il convient de citer les suivants : en 1 548, le jeu et mystère de monsieur Saillct Étienne, pape et martyr, patron de l'église parochiale de Sainct-Mihiel. On y remarqua les décorations, le jeu des machines, celui des acteurs, leur costume ainsi que la conduite des choeurs ; un Veni, Sancte Spiritus fut chanté pendant un des actes, et, durant la délibération des cardinaux, on entendit le jeu des instruments qui annonçait la joie de la milice céleste ; mais Lucifer, ayant ordonné à ses suppôts de persécuter les chrétiens, le tour-

l, Archives} B. 1112.

2. Idid. B. Y947.

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ment le plus cruel qu'ils imaginent est un concert diabolique ; ils chantent sur un air noté :

Tant plus et plus veut avoir Lucifer le grand déable ;

S'il voyoit les âmes pleuvoir Toujour il est insatiable.

Le roi des enfers, qui perd patience, répond par ces vers assez burlesques :

Holà ! de par le grand déable,

C'est trop chanter, vous me troublez.

Horde, caterve misérable,

Le t... d. c... vous m'effolez;

Vous n'êtes pas entremêlés De bons accords selon musique ;

Que de soufre soyez brûlés Dedans le puits infernalique.

Ce qui paraîtrait extraordinaire de nos jours, c'est que ce mystère fut composé par un prêtre, le prieur de l'abbaye de Saint-Mihiel, Nicolas Louvant. L'action se terminait par une grande antienne chantée en chœur.

L'art dramatique prit une nouvelle impulsion en Lorraine à partir de la seconde moitié du xvr siècle.

Le 7 septembre i 58o, on représenta une pièce française intitulée Jeanne d'Arc, devant les princes, plusieurs seigneurs et généraux de l'armée de France. Le duc Charles y assista ; les différents actes furent accompagnés d'un chœur qui jouait le même rôle que ceux du théâtre de l'antiquité, c'est-à-dire qu'il complétait l'exposition quand celle-ci laissait à désirer: il plaint, il prie, il exprime, en un mot, les sentiments que doivent éprouver les spectateurs.

Reprenant les pièces les plus curieuses qui furent

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représentées à la cour sous ce règne, nous trouvons d'abord la Vendition de Joseph, jouée en 1^7 dans la grande, salle des Cerfs au palais ducal1. Alexandre Duval et Méhul ne se doutaient pas, en 1807, que deux cent cinquante ans avant eux on avait traité le même sujet à Nancy. Quelle différence de spectateurs, et aussi quelle différence d'acteurs !

Il ne faut pas croire qu'on trouvait étonnant de représenter Joseph, à la cour de Pharaon, vêtu d'une longue robe comme en portaient les seigneurs du temps, et Mme Putiphar coiffée d'un chaperon ; point du tout ; cependant, quel effet feraient, de nos jours, Jacob, le patriarche, bien enveloppé d'une robe de chambre ou le chœur des jeunes filles de Memphis composé de demoiselles habillées à la moderne et la tête couverte d'un chapeau excentrique pour remplacer le voile égyptien!

L'Immolation d'Isaac, mystère biblique, fut donnée en 1557. Là, le costume d'Isaac devait être forcément bien primitif. La mise en scène, au moment oll l'ange arrête le couteau du père sacrificateur, devait aussi manquer des trucs nécessaires aux théâtres de nos jours.

Il convient, avant de terminer ce chapitre, de rectifier une erreur qui se trouve dans la Biographie des Musiciens de Fétis ; il y est dit que Benevolli Horace, compositeur et célèbre contrapuntiste du xvne siècle, né à Rome en 1602, était le fils naturel du duc Albert de Lorraine. Il n'y a jamais eu de duc Albert de Lorraine.

Nous voici arrivé à la fin du règne glorieux de Charles III. Ce prince sut, par sa sagesse, faire fleurir les arts et l'industrie, et sa mort (14 mai 1608) fut un deuil général pour la Lorraine.

1. Archives, B. 1112.


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