La musique en Lorraine (1882) Jacquot/Chapitre I

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La musique en Lorraine
I - II - III - IV - V - VI - VII - VIII - IX -- (lutherie)

CHAPITRE PREMIER
MOSAÏQUE DE NENNIG, XVe SIÈCLE. — RENÉ Ier ET RENÉ II. — INSTRUMENTS DE MUSIQUE EN USAGE. — PSAUTIER DE RENÉ II. —TAPISSERIES DE CHARLES LE TEMERAIRE.— ÉGLISE SAINT-MARTIN DE PONT-A-MOUSSON. — COMÉDIES ET MYSTÈRES. — PROGRESSION DES INSTRUMENTS A ARCHET EN LORRAINE. — SAINT-GENEST ET LE VITRAIL DE LAXOU.

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Ce chapitre donne des témoignages d'une activité musicale importante en Lorraine depuis la période gallo-romaine.

Actualisation de l'iconographie

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Cet ouvrage, imprimé en noir en blanc, contient de nombreux éléments iconographiques. Nous proposons de les compléter par des éléments plus récents.

Ce chapitre s'appuie d'abord un ensemble de mosaïques traitant des jeux du cirque (voir l'image de gauche). Elles ont été découvertes en 1852 (30 ans avant la parution de cet ouvrage). Elles ont été restaurées depuis ; l'iconographie initiale est complétée dans l'article.

Ce chapitre détaille ensuite les éléments musicaux d'une tapisserie sur la « Condamnation de Banquet ». Celle-ci est visible au Palais ducal de Nancy. Elle a fait l'objet d'estampes détaillées qui sont utilisées ici en complément des croquis en noir et blanc figurant dans l'article.

Chapitre premier


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Mosaïque de Nennig

Nennig, petit village près de Sierck, ancien département de la Moselle[NDLR 1], nous offre le plus ancien spécimen d'instruments de musique du pays lorrain. C'est une belle mosaïque gallo-romaine de l'époque des Antonins, (IIe siècle). Découverte en 1853, elle mesure quatorze mètres de longueur sur huit de largeur, et est formée de petits cubes d'environ un


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centimètre, la plupart en marbre et les autres en pierre ou en pâte vitreuse1.

La décoration consiste en enroulements et en dessins géométriques d'un bel effet, sur lesquels ressortent sept médaillons d'une exécution remarquable, représentant les jeux du cirque.

Fig 2.

Le médaillon, placé au centre, du côté du nord-est, est le seul qui se rattache à notre sujet ; il montre deux joueurs d'instruments de musique : l'un tient un buccin, maintenu sur l'épaule au moyen d'un javelot à


(1) M. S. Boulangé, alors ingénieur des ponts et chaussées à Metz, a publié sur cette mosaïque une notice très intéressante dans la Revue de Metz et de Lorraine} 1854.


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double pointe, paraissant faire corps avec l'instrument; l'autre est placé derrière un orgue, dont il touche probablement le clavier ; il est caché par les tuyaux, que sa tête dépasse; on aperçoit sur les côtés du socle les deux réservoirs hydrauliques. Ce médaillon a 1,45 m. de diamètre. Nous en donnons ici une reproduction (fig. 2).

Vitruve, qui vivait dans le siècle qui a précédé la naissance de Jésus-Christ, a minutieusement décrit l'orgue hydraulique ; il explique qu'il était muni d'un clavier correspondant aux tuyaux; que l'instrument en comportait quatre, six, ou huit; le maximum était donc alors d'une simple octave ; mais, depuis cette époque, leur nombre a constamment augmenté; ainsi, celui que représente la mosaïque de Nennig en a douze. Une sculpture antique du musée d'Arles donne la figure d'un orgue à douze tuyaux; une autre sculpture, malheureusement dégradée, du même musée, en fait voir un qui a dix tuyaux; le Magasin pittoresque de l'année 1872, qui en donne les gravures, renferme une excellente étude sur les orgues.

Dans l'antiquité, on désignait indifféremment un orgue par les mots latins organum ou hydraulus, parce que l'eau jouait un rôle important, soit pour diriger le vent qu'on tirait des outres (l'usage du soufflet était alors inconnu), soit pour donner de la qualité au son, soit pour toute autre cause; mais les explications de Vitruve et des anciens auteurs n'ont jamais été comprises, et on en est réduit à de simples conjectures.

La mosaïque de Nennig montre six épisodes différents des jeux du cirque ; la préparation de ces diverses scènes devait prendre un certain temps, et l'on peut penser, en voyant le groupe des musiciens qui y figure, qu'on exécutait des morceaux de musique dans les intermèdes.


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Cette belle mosaïque dépendait probablement d'une de ces villas que les riches citoyens de Trèves avaient fait construire sur les bords de la Moselle ; elle a été récemment protégée par la construction d'un léger édifice qui la met à l'abri de l'intempérie du temps et de la dévastation des hommes ; chaque année elle est visitée par de nombreux touristes.

René Ier et René II.

Nous ne nous occuperons des instruments de musique employés en Lorraine qu'à partir du règne de René Ier, car, avant cette époque, leur histoire se confond avec celle des instruments usités en France, et, voulant rester dans l'exacte vérité, nous avons tenu à ne nous en rap- porter qu'aux documents authentiques, c'est-à-dire aux archives ; ces archives ne datant que du règne de René II, nous avons consulté l'excellent ouvrage de M. Lecoy de la Marche sur le roi René Ier. On y trouve des détails qui nous indiquent clairement quelles sortes d'instruments de musique étaient joués à la cour de Lorraine et à celle de Provence.

René Ier avait beaucoup de goût pour tous les arts en général et pour la musique en particulier 1, qu'il avait apprise, dit-on, à la cour du duc Charles de Lorraine, son beau-père, musicien lui-même.

Avant de citer les principaux instruments employés, nous rappellerons que René le' et sa femme Isabelle fondèrent en Provence (1449) une maîtrise de douze chantres ; les chantres et chapelains devaient faire « beaux services » devant le roi et la reine2, les suivre pendant leurs voyages, et ils n'étaient reçus comme pensionnaires de la chapelle qu'après avoir été entendus par ces souverains.

Un certain Philippe Maydon, originaire de Seigneulles (duché de Bar), qui fut appelé à Saumur, ne remplit pas les obligations exigées et fut renvoyé.


(1) C'est Villeneuve-Bargemont qui le dit. T. 37.
(2) Notes sur René Ier ; Lecoy de la Marche.


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Inutile de citer tous les chanteurs italiens et provençaux qui vinrent à la cour, car nous ne nous occupons que des Lorrains, mais ils furent en grand nombre. Leur costume se composait d'une livrée aux couleurs du roi de Sicile ou de robes de « migraine » (demi-écarlate), doublées de fourrure de gris.

René Ier s'intéressait, même à l'étranger, aux artistes musiciens et n'épargnait rien pour les décider à venir se fixer à sa cour.

Instruments de musique en usage

La musique de « sa Chambre » était aussi bien organisée que la musique de « sa Chapelle ». La majeure partie de cette musique se composait surtout de « tabourins ». On désignait par ce nom les ménestrels qui jouaient du tambour et souvent en même temps du hautbois. Venaient ensuite la flûte, la musette et le chalumeau de cornemuse, le doux de mer ou doulcemer, qui n'était autre chose que la douçaine, appelée plus tard « ténor de hautbois ». Un spécimen de cet instrument existe au musée d’Épinal ; la harpe (René Ier en acheta une en Italie, en 1448, à Veri de Médicis), le luth, le choro, le manicordion, la timbale recouverte de cuir noir, le cor en verre émaillé, en corne ou en bois, et enfin la guiterne ou guitare. Tous ces instruments se trouvaient dans son château d'Angers ; ils furent également employés pendant son séjour en Lorraine et pendant le reste de son règne, qu'il passa en Provence, puisqu'il est rendu compte d'un fameux ballet qui fut dansé par le roi et la reine de Sicile, à Nancy, devant toute la cour de France, en 1445, à l'occasion des noces de la princesse Marguerite d'Anjou et du roi d'Angleterre. Il y fut dansé, par les plus hauts personnages, tels que la reine Isabelle de Lorraine, la


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duchesse de Calabre, la Dauphine, Marie de Bourbon, Marguerite d'Écosse, etc., des danses et des pas doubles, reculés, etc., sans oublier la fameuse basse-danse de Bourgogne.

On se servit, sans contredit, en cette occasion, de tous les instruments dont nous venons de parler.

Psautier de René II

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Non seulement René Ier était grand amateur de musique, mais il était aussi passionné de peinture; il fit quelques miniatures. A ce propos, nous avons recherché avec intérêt les diverses œuvres de ce genre qui se produisirent à sa cour et qui sont connues sous les noms de : Manuscrit du roi René, Diurnal du roi René, Psautier du roi René, etc. Nous ne nous occuperons que de la miniature représentant un concert. Elle orne une des pages du magnifique psautier qui se trouve à la bibliothèque de l'Arsenal de Paris ; nous en avons pris la copie, et elle sert de frontispice à notre ouvrage.

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Il est parfaitement établi aujourd'hui que ce psautier n'appartenait pas à René Ier. mais bien à René II : en effet, on n'a qu'à remarquer la quinzième miniature représentant la Procession du roi René. Le dais qui abrite les différents personnages est orné des armes du prince, et ces armes indiquent bien, par les deux derniers compartiments, qui sont ceux de Philippe de Gueldres : « parti d'azur au lion d'or contourné et d'or au lion de sable », que c'est sous le règne de René II que fut fait le psautier, puisque Philippe de Gueldres était la femme de ce dernier. Pour avoir des détails complémentaires, on peut consulter l'excellent ouvrage de M. Lecoy de la Marche, déjà cité, et la note insérée dans le Journal de la Société d'Archéologie lorraine (1880) par M. Léon Germain, le sympathique et obligeant bibliothécaire adjoint de cette Société. Il faut insister sur cette restitution afin de faire bien


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connaître l'époque à laquelle la miniature fut faite; et cette rectification n'est pas sans intérêt musica 1, car il s'agit de savoir si, à cette époque (vers 1485 ou 1487), on employait encore en Lorraine les instruments représentés sur la miniature du concert. On peut donc maintenant s'en tenir à cette date. Du reste, en parlant de la musique sous René II, nous reviendrons sur ce sujet.

René Ier conservait encore l'administration des affaires du duché de Bar, quoiqu'il fut en Provence, puisque, par une ordonnance datée de 1478, il nomma Jean de Courcelles roi des ménestrels du duché de Bar, en remplace- ment de Jean Durand, décédé1.

René Ier mourut le 10 juillet 1480.

René II avait été reconnu duc en 1473, à la mort de Nicolas d'Anjou, qui n'eut pas d'enfants.

René voyagea en Italie; il fut très bien accueilli par les Vénitiens, qui lui donnèrent le commandement de leur armée, et remporta plusieurs victoires importantes. Ceux-ci le comblèrent de présents et lui offrirent le drapeau de la République. Il en fit faire un dais superbe, qu'il donna, à son retour à Nancy, à l'église Saint-Epvre.

Il est certain qu'il remarqua le développement des idées musicales en Italie et qu'il s'appliqua à les encourager dans son duché. Nous ne trouvons dans l'inventaire des Archives, pendant le règne qui précède celui de ce prince, que la note suivante, datée de 1462-63, concernant la chapelle des ducs : « Sommes payées aux enfants et aux chantres de la Chapelle 2 ».

Mais, à partir du règne de René II, les documents


(1) Archives des Bouches-du-Rhône,. B. 274, fo 112 v°. Lecoy de la Marche, Vie du roi René.
(2) Archives. B. 969.


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sont beaucoup plus nombreux. Ce prince récompensait largement les musiciens-, en voici quelques preuves :

En 1474, dans un voyage qu'il fit à Montargis, certaines sommes d'argent furent distribuées aux tabourills de cette ville1 ainsi qu'à un joueur de manicordion de Paris, en 1485.

La collégiale Saint-Georges, ou église paroissiale des ducs, occupait l'emplacement actuel de la petite place Carrière et faisait suite au palais. Les principaux organistes de cette église furent Simonet de Billy (1480), puis messire Hugo, prêtre.

René II, devenu duc de Bar, donna, en 1488, un règlement à la collégiale Saint-Maxe, pour l'entretien de la musique et des enfants de chœur2, Ce prince faisait venir non-seulement des instrumentistes des pays étrangers, mais aussi des instruments : en 1489, une somme fut donnée à un Allemand qui lui avait apporté des orgues3. Il donnait des pensions à ses musiciens, même aux tabourins : Hermant de la Blasche fut de ce nombre, en 14894 ; il faut dire que les tambours jouaient, à cette époque, un très grand rôle dans toutes les cérémonies; pour s'en convaincre, on n'a qu'à lire la description du baptême d'Antoine, fils aîné de René II et de Philippe de Gueldres (4 juin 1489)5. « Au dîner, les services s'apportoient en cérémonie, au son des tambours, fifres et trompettes ; pendant toute la durée du repas, il y eut musique composée de toutes sortes d'instruments. Après ce festin, le bal qui suivit dura deux heures. »


(1) Arch. de M. et M. B. 982.
(2) Ibid. — 534.
(3) Ibid. — B. 996.
(4) Ibid. — C. 7J18.
(5) Histoire de Nancy, Lionnois.


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Tapisseries de Charles le Téméraire

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La figure n° 3 représente les principaux personnages qui se trouvent sur les tapisseries ayant garni la tente de Charles le Téméraire et prises par le duc de Lorraine, après la bataille de Nancy (1477). On y remarque un tabourin, tenant d'une main un tambour, et de l'autre une flûte à bec; les tabourins jouaient souvent des deux instruments à la fois.

Figure 3

Le joueur de luth porte le costume des troubadours; il est placé à côté d'un personnage appelé harpeur, ayant une harpe portative, semblable à celle d'une des miniatures du psautier; mais cette harpe est suspendue au cou de l'exécutant afin de lui laisser les deux mains libres. La harpe ou la lyre était le même instrument, auquel on donnait la première dénomination lorsqu'on le portait suspendu au cou, le jouant



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des deux mains, et la seconde, lorsque l'artiste ne jouait que d'une main, tenant l'instrument de l'autre.

On pense que ces tapisseries avaient été faites à Arras pour le duc de Bourgogne ; elles sont actuellement au palais ducal de Nancy.

Il y avait, à cette époque, une très grande variété de

Fig- t.

flûtes ; la figure 4 en représente plusieurs sortes prises sur ces mêmes tapisseries : c'est d'abord la flûte à emboîtements, puis l'autre (fig. 5) se terminant comme le pavillon de nos modernes clarinettes. C'était un instrument fort apprécié au xve siècle ; René II aimait beaucoup à en entendre jouer; dans plusieurs de ses voyages à Paris, en 1491, il fit venir et payer des joueurs de flûte pour le distraire.

Figure 5

Nous nous occuperons maintenant de la miniature


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que nous avons copiée sur le psautier du duc, lequel, ainsi qu'il a été dit plus haut, fut exécuté pour René II x qui, on le sait, portait le titre de roi de Sicile, quoiqu'il ne possédât pas le royaume ayant appartenu à son grand-père maternel.


Ce psautier passa, à la mort de ce prince, entre les mains de sa femme, Philippe de Gueldres, qui se retira alors chez les Claristes de Pont-à-Mousson, où elle mou- rut. C'est un frère mineur ,de l'ordre des Cordeliers qui le fit. René II avait fondé à Nancy, en 1477, un couvent de cet ordre. Cet établissement ne fut achevé qu'en 1484 ; sans vouloir préciser que ce livre y fut exécuté, la date de son exécution se rapporte bien à la fondation de ce


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monastère ; on peut même supposer que c'est comme marque de reconnaissance que ce religieux l'offrit au duc. Ce sont bien, en effet, ses armes qui sont placées au parement du dais à la quinzième miniature, dite la Procession ; ce sont encore les mêmes à la sixième, inti- tulée le Concert, ornant les bannières des trompettes dont se servent deux musiciens ; cette dernière minia- ture est reproduite au commencement de notre ouvrage. On y remarque également des flûtes à bec et un olifant d'ivoire, semblable aux mêmes instruments employés en France à cette époque. La vièle jouée par le per- sonnage vêtu d'une demi-robe ou pourpoint blanc et rouge, montre la transformation du rebec en Lorraine vers 1487. Cette vièle n'est plus montée de trois cordes comme le rebec, mais bien de quatre ; la table en est plane comme celle de la guiterne, et les échancrures permettent déjà à l'archet de se mouvoir plus aisément ; la tête de l'instru- ment est renversée de la même façon que celle du luth; les //"n'existent pas, mais sont remplacées par deux ouver- tures, l'une circulaire, l'autre allongée, et se trouvant dans la partie supérieure de la table. Cette table était de sapin, à en juger par la teinte jaune qui la recouvre, tandis que les éclisses, ou côtés, et le dessous sont bruns. L'archet est curieux : il est courbé et a la forme d'un arc ; les crins ne sont attachés à la baguette qu'au-dessus d'une sorte de poignée. Les cordes sont fixées de la même manière que les cordes de guitare, c'est-à-dire à l'aide de petits boutons à tige, enfoncés dans un chevalet assez primitif, haussant les cordes.

Le psaltérion qui se trouve sur une table placée de- vant un exécutant, à la droite de la miniature, est sem- blable à celui que nous avons retrouvé dans l'église Saint- Martin de Pont-à-Mousson.


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Église Saint-Martin de Pont-à-Mousson

A ce propos, dans une notice1 sur l'église de la commanderie de Saint-Antoine de cette ville (Saint-Martin

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actuelle), M. l'abbé Charles Hyver, archéologue distingué, a fait une erreur très pardonnable aux personnes qui ne connaissent pas bien exactement les anciens instruments de musique ; il dit que :

1. Journal delà Société d'Archéologie lorraine.


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« La rondeur du pilier est brusquement coupée à la hauteur des deux anges sculptés dans la pierre, l'un por- tant un écusson sans armoiries> l'autre jouant d'un instrument

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bigarre, avec lequel il semblait faire sa partie dans un orchestre disparu. » Ce n'est pas un écusson que tient l'ange (fig. n° 6), mais bien un psaltérion, semblable par sa forme à celui qui est placé sur la table à la miniature du psautier.


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Comme ces deux sculptures étaient peintes dès leur origine, il est certain qu'en les recouvrant du badigeon qui subsiste encore on a fait disparaître la trace des cordes représentées sur ce psaltérion. Ce qui achève de le prou-

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ver, ce sont les deux plectrums dont se sert l'ange pour toucher les cordes.

Quant à l'autre personnage (fig. n° 7), c'est simple- ment de l'ancienne cornemuse à chalumeau qu'il joue. On se servait donc, au xve siècle, de ces instruments de musique dans les églises lorraines.

La construction du jubé, et par conséquent l'exécu-


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tion des sculptures de ces deux anges, paraît être aussi de la fin du xve siècle. M. Henri Lepage, dans son re- marquable ouvrage sur les Communes de la Aleurthe, dit, à propos de cette église: « Le 6 janvier 1 3 S 5, Charles, roi de Navarre, donne aux frères de Saint-Antoine de

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Pont-à-Mousson une somme de deux cent cinquante flo- rins d'or, pour être employés par lesdits frères, tant aux besoins pressants de leur maison, qu'au rachat de rentes perpétuelles dans la ville, à la charge de célébrer trois messes par semaine dans leur église. »

L'emblème du blason des Antonistes était, comme on peut le voir sur celui qui est au-dessous de l'ange


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représenté figure 7, un T majuscule noir, sur fond d'or. (La même lettre sert d'armoiries à la ville de Toul.)

Parmi les autres instruments en usage à cette époque en Lorraine, nous en avons retrouvé de différentes

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sortes 5 du reste, le plus grand nombre est dans les sculp- tures de cette église, une des plus riches de ce genre, de notre pays. La figure 8 montre un diacorde joué par un ange.

Cet instrument fut employé d'abord comme diapason.


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c'est-à-dire qu'il donnait la note aux chanteurs. On s'en servit ensuite comme de contrebasse à cordes pincées, pour marquer les temps forts 5 c'est ainsi qu'il doit être considéré.

La figure n° 9 représente un ange jouant d'un ins- trument qui est complètement inconnu de nos jours, et dont nous n'avons pu retrouver ni la description ni le dessin dans les ouvrages, cependant si complets, de MM. Fétis, Coussemacker, etc. C'est une sorte de haut- bois ayant un réservoir d'air assez semblable à celui des cornemuses, mais plus petit. Ce réservoir se trouve dans la partie supérieure; nous pensons qu'il était en peau, et fournissait ainsi l'air nécessaire pour produire des sons continus et ne pas trop fatiguer l'exécutant. Nous avons eu la bonne fortune de trouver ce spécimen d'instrument, et nous nous empressons de le porter à la connaissance du monde musical.

L'ange que nous avons dessiné et qui porte le n° io, joue de Vorgue portatif à tuyaux.

A ce propos, le savant architecte Viollet-le-Duc dit, dans son Dictionnaire raisonné du mobilier français :

« Ce n'est guère qu'au xvie siècle que ces instru- ments paraissent être perfectionnés » ; et plus loin : « Ces orgues de main étaient fort prisées dans les fètes civiles, car il ne paraît guère qu'on les ait admises dans les églises, où l'on se servait de grandes orgues pneumatiques. » 11 est évident qu'elles étaient en usage en Lorraine, dans les églises, pour l'accompagnement des voix, puisque nous en reproduisons ici un spécimen qui existe encore dans l'église Saint-Martin de Pont-à-Moussson. Le souf- flet se trouve de côté et fonctionne à l'aide de la main gauche de l'exécutant, tandis que la droite touche le clavier. On compte trois rangées de quatre petits tuyaux


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et deux gros, qui se trouvent à l'extrémité supérieure. L'instrument est supporté par le genou gauche de l'ange. Quelques personnes prétendent que ces instruments portatifs n'ont jamais existé, à cause de l'exiguïté du mécanisme. D'abord, les sculpteurs et les peintres ne les auraient pas placés entre les mains de leurs personnages s'ils n'avaient eu sous les yeux ces véritables ins- truments - d'ailleurs, les artistes du moyen âge avaient l'habitude de reproduire exactement, avec les plus minu- tieux détails, tout ce qui était en usage dans ces temps ; ensuite, le mécanisme en était fort simple et devait être semblable à celui des orgues modernes à tuyaux, dites orgues de Barbarie, dont la serinette de Mirecourt est un diminutif.

Voici les noms des organistes de la chapelle des ducs, que nous avons retrouvés dans les Archives, et qui vécurent sous ce règne :

En 1438, messire Jacob, prêtre et maître des orgues de la collégiale Saint-Georges.

Fin du xve siècle, messire Hugo, prêtre et organiste ; Bertrand Lallement, Jean Guillaume, Simonet de Billy (1480-1481). Tous ces organistes se servirent de grandes orgues qui étaient en usage dans les églises de Nancy depuis 1487. Ce fut le fameux Pellegrin qui fit les pre- mières orgues à tuyaux qu'on ait vues à Nancy (1487) ; elles furent placées dans la collégiale Saint-Georges et transférées, en 1744, à l'église Saint-Pierre.

Comédies et mystères

Les comédiens étaient en grande faveur à la cour de René II, et, si nous en parlons, c'est que nous voyons la musique constamment usitée dans les représentations de mystères religieux, et que les comédiens devaient forcément être aussi musiciens, puisque depuis 1412 les chœurs étaient mêlés aux vers qui se débitaient dans ces sortes


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de spectacles. Les accords et accompagnements des ins- truments venaient également y marier leurs sons et accompagner les voix.

Il serait trop long d'énumérer toutes ces comédies ou farces; nous ne citerons que les principales: l'Apocalipse Sainct Jehan, jouée à Metz en 1412, et qui dura trois journées.

Une cérémonie exactement semblable à celle qui a lieu encore de nos jours en Bavière, à Oberamergau, représentant la Passion de Jésus-Christ, eut lieu à Metz pendant trois jours du mois de juillet 1437. Ce fut un prêtre qui remplit le rôle divin. Qu'on ne s'effraye pas de la quantité des actes! Il y en avait cinquante-trois, non compris les chœurs d'anges, de diables, de nymphes, etc. Le même mystère fut joué à Paris le 13 novembre 1437, jour de l'entrée de Charles VII.

Le plus ancien des mystères représentés en Lor- raine est de l'année 1474 ; puis, en 1478, à Saint-Nicolas- du-Port, on joua devant René II le Jeu et Feste du glo- rieux Sainct Nicolas, mystère de Jacquemin Berthemin ou Barthélémy, tabellion de Nancy ; dans la même année, une troupe de comédiens nomades, qui s'appelaient les Galans sans souci, jouèrent une farce devant le duc ; en 1487, Pellegrin, le fameux constructeur d'orgues, fit jouer à la cour le Jeu de Sainct Georges \ Enfin, de 1495 à 1497, on représenta dans une des salles du château, en présence de René, le Jeu et feste de Monsieur Sainct Nicolas.

La plupart de ces mystères étaient composés par Pierre Gringore, poète qui, selon toutes probabilités, pa- raît être d'origine lorraine, mais qui ne revint dans son



(1) Études sur le théâtre en Lorraine et sur Pierre Gringore, par M. Henri Lepage, dans les Mémoires de l'Académie de Stanislas, année 1848L


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pays natal que sous le règne du duc Antoine, où on le retrouvera. On pense qu'il naquit vers 1460.

En 1506, la vie de sainte Barbe, et, en 1512, le Mystère de la Résurrection, terminent ce genre de spec- tacles sous le règne dont il est question ici. Les joueurs de luth préludaient à l'exécution de ces mystères ; nous voyons qu'en 1492 et 1493 on donna 18 francs 4 gros à des Allemands, joueurs de luth (cet instrument se nomme dans la langue allemande Laute ; d'où le nom de Lautenma- cher, luthier) ; pareille somme fut donnée à des tabourins suisses et à Hermant de la Blasche, tabourin du duc en 1488.

Ce prince anoblit plusieurs musiciens de sa cour, parmi lesquels Jean Payrel (1493), son tabourin, et Fran- çois Bouvet, son trompette 1. Les tabourins du duc de Valentinois et du roi de France Louis XI furent récom- pensés par le duc de Lorraine pour avoir joué devant lui. Celui-ci n'oubliait jamais, pendant ses voyages, lors- qu'il s'arrêtait dans une ville, de faire venir les méné- triers et d'écouter quelques chansons, accompagnées de différents instruments ; ainsi, en 1494, une somme fut donnée aux ménétriers de Metz qui vinrent jouer devant lui, au lieu de Gor\e, le jour de carême prenant (mardi gras).

La chapelle était composée d'un nombre assez con- sidérable de chanteurs, puisque les gages donnés, en 1492, aux chantres et aux enfants de chœur, étaient d'une somme assez élevée. En 1499, le maître de cette chapelle était le fameux Pierrequin de Thérache, dont on remarque le nom bien souvent dans les comptes con- servés aux Archives. Dans la Biographie des musiciens de

1. Archives de Meurthe-et-Moselle, B. 8.


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Fétis se trouve un nom à peu près semblable ; voici ce que dit à ce propos cet auteur :

« Pierre de Thérache, musicien français, de la cha- pelle de Louis XII, roi de France, suivant les comptes de cette chapelle (manuscrit de la Bibliothèque natio- nale de Paris, F 540 C du supplément), est connu par les motets à quatre voix, Sénat as apostolorum, etc., qui se trouvent dans les premier et deuxième livres des mo- tetti de la Corona, imprimés par Octavien Petrucci, à Fossombrone, en 1513 et 1519. »

Fétis ne connaissait pas Pierrequin ; il est bien prouvé que ce furent deux personnages distincts, et il est à sup- poser que les deux frères ou les deux cousins, se nommant tous deux Pierre, ont été appelés, l'un Pierre, et l'autre Pierrequin, afin de ne pas être confondus. Ce dernier conserva la charge de maître des enfants de la chapelle jusqu'en 152,7 il eut sous sa direction Jean du Four, ténoriste, et composa beaucoup de musique pour la cha- pelle.

Une somme fut payée, en 1492, « à Guyot Turbert, pour une orgue de paille qu'il a apportée pour le ro;' (René Il), laquelle il a achetée de luy six vingt escu1 d'or. » Cet orgue de paille n'est autre que la flûte de roseaux primitive, montée comme les orgues portatives à tuyaux, dont il est parlé dans l'ouvrage déjà cité de M. Viollet- le-Duc.

Dès la fin du xve siècle, les ménétriers de Lorraine formaient une corporation. En 1490, René II, « sur les plaintes qui lui avoient esté faides des abus glisse\ dans ses Etats et pays PAR L'IGNORANCE DU TEMPS, DANS L'ART ET MES- TIER DE JOUEUR DE VIOLON ET AULTRES INSTRUMENS, DESQUELS

. Archives. B. 1037.


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arrivoient tous les jours de grands inconvéniens avoit establi iiii g maistre dudict mestier, avec pouvoir de créer des lieu- tenans particuliers, partout où besoin seroit, pour réprimer les abus, et les muleter d'une AMENDE DE QUARANTE SOLS. » Le même édit défendait aux joueurs de violon et autres de jouer sans avoir été hantés, c'est-à-dire admis dans le han ou corporation. Ce maître de violon se nommait Jehan Darmurot

Progression des instruments à archet en Lorraine

Puisque nous venons de parler des joueurs de violon,

donnons quelques détails sur les différentes progressions de cet instrument. Le rebab arabe est le premier instrument à archet connu; du reste, nous avons l'intention de publier plus tard un ouvrage spécial sur la lutherie artistique, avec des explications complémentaires, qui ne seraient pas à leur place dans ce livre ; voici ces transformations.

Fig. 11.

Le rebab arabe fut importé en Europe par les croisés et les Maures d'Espagne, puis transformé en instrument joué par les Bretons et appelé crouth; vint ensuite la rubébe ou rebelle, qui apparaît vers le IXe siècle ; ici on trouvera un spécimen représenté sur un sceau d'une corporation de ménétriers.

On y remarque les cinq cordes, la tirette, les cinq chevilles, les larges ouïes, la forme allongée de ce curieux instrument et l'archet terminé par une petite boule qui se trouve à sa gauche. Une étoile et un crois- sant sont placés des deux côtés ; une croix et l'inscription :

l, Les Archives de Nancy. M. Henri Lepage.


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S (qui veut dire sigillum, sceau) et ces mots: Perinet le ménetreil, l'entourent (figure II).

La gigue est une variété de la l'ubébe ; elle était em- ployée en Lorraine en 1487.

La troisième progression est le rebec, qui apparaît au XIIIe siècle et qu'on employa jusqu'au xvne.

La vièle est la transformation du rebec et de la rubébe; on pense que cette transformation eut lieu vers le xie siècle.

La vièle avait, à cette époque, de trois à cinq cordes; à partir du XIIe siècle, elle en eut quatre et cinq. On s'en servit jusqu'au xve, tant en France qu'en Lorraine ; c'était le plus noble des instruments à cordes et celui qui exi- geait le plus d'habileté ; aussi n'était-il joué que par les ménestrels les plus distingués. La vièle, qui est repré- sentée sur un des chapiteaux du porche de l'église abba- tiale de Vézelay, est du xii6 siècle et n'a que quatre cordes. Ce spécimen de vièle porte ces cordes assemblées deux par deux, passant sous un cordier et sur une sorte de chevalet. Le cheviller est recouvert. Vers le milieu du xve siècle, la vièle a la forme d'une guitare moderne ; le milieu en est déprimé, pour faciliter le dégagement de l'archet.

La vièle était employée à la même époque en Lor- raine et en France; celle que l'on voit entre les mains de saint Genest, représenté sur un vitrail dont nous parlerons plus loin, est semblable à la vièle qui était entre les mains de la statue du même saint, sur le portail de l'ancienne église des ménétriers de Paris; toutes les deux étaient des vièles à quatre cordes. Saint Genest était honoré en France et en Lorraine comme patron des ménétriers. Saint Goëric fut aussi choisi par les musiciens de Nancy, sous le règne de René II, et lors de la fète de ce saint,


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le prince leur donnait une certaine somme d'argent pour solenniser ce jour à leur façon.

Les chantres et les enfants de chœur de la chapelle avaient choisi le jour de la Sainte-Cécile, comme on le verra plus tard.

Nous lisons, à propos de la vièle, dans l'ouvrage de M. Vidal : les Instruments à archet (page 31), la note sui- vante, qui indique bien que c'est de la vièle à quatre cordes employée à cette époque qu'il est question au XIVe siècle.

« La figure d'un jongléour tenant ceste forme de vielle ou viole se voit en bosse au costé dextre du portail de Véglise de Saint-Julien-des-Ménestriers assise en Paris, en la rue Saint-Martin. » Cette statue représentant saint Genest, patron des ménétriers, datait de la fondation de l'église, en 13 3 5 ; nous trouvons plus loin cette note :

« Aux deux côtés de Ventrée de l'église furent placées les statues des deux patrons ; celle de saint Julien, à gauche ; à droite, celle du mime saint Genès, en costume de ménes- trier et jouant d'une vielle à quatre cordes. » Les joueurs de vièle firent des règlements en 1337, et formèrent les cor- porations des ménestrels. En 1407, ces règlements furent renouvelés, et, comme il y avait des dessus et des basses de ?~ebec, ils s'intitulèrent : Ménestrels, joueurs d'instruments tant hauts que bas.

La vièle, que quelques personnes ont confondue avec la rote, instrument à roue passant sur des cordes, et dont nos petits Savoyards jouent encore, la vièle, disons-nous, fut complètement abandonnée à la fin du xvie siècle ; ce fut la cinquième progression qui la remplaça ; la viole fut employée généralement ; du reste, les violes italiennes datent du xvie siècle.

SAINT-GENEST ET LE VITRAIL DE LAXOU

Mais revenons à notre vitrail. La figure 12 en


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montre la photogravure obtenue, grâce à l'obligeance de M. Émile Jacquemin, de Nancy, à qui appartient cette intéressante peinture sur verre, provenant de l'ancienne église de Laxou, aujourd'hui démolie. Heureusement, M. Jacquemin a fait mettre de côté ces précieux débris, qui nous ont permis de reconstituer ce vitrail et, par conséquent, l'instrument de musique lorrain représenté.

Laxou remonte à une époque éloignée ; son nom est mentionné dans plusieurs titres du XIle siècle ; il est qualifié de ville et dépendait de la seigneurie fon- cière de Lenoncourt ; cette seigneurie appartint aussi aux Chartreux. Elle eut le droit de patronage et de collation de la chapelle Saint-Genest, érigée en l'église paroissiale. A une époque antérieure au xve siècle, Laxou possédait déjà une église ou une chapelle ; on pense que cette dernière fut enclavée dans l'église construite ensuite; celle-ci a été démolie pour faire place à un édi- fice moderne. En 1501, Bernardin de Lenoncourt, con- seiller et chambellan de René II, cède « tout le droit qu'il volirroit avoir, comme héritier de Philippe de Lenon- court, en la chapelle MONSIEUR SAINCT GENOYS de la ville de Laixoll 1 ».

La construction de la première partie de l'église remonte à la fin du xve siècle. Dans le pan de l'abside où l'on avait percé l'entrée de la sacristie, et tout juste au-dessus -de la porte, on a mis à découvert, en 1852, un buste d'homme tenant d'une main une espèce d'instrument de musique exactement fait comme un basson, et de l'autre main un livre dans lequel il semble lire.

1. Les Communes de la Meurt he, par Henri Lepage.


Gallica La musique en Lorraine bpt6k9622372z 65.jpeg

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Le patron de Laxou est saint Genest. Donnons main- tenant les détails de ce vitrail (fig. 12).

On y remarque saint Genest portant le costume des ménétriers du xve siècle ; les caractères anciens contenus dans l'auréole faisant le tour de la tête du saint portent la mention : SV5 GENESTUS. Au-dessus de la figure sont des ornements entrelacés de chardons. A droite est un ange jouant du luth; la vièle à archet, représentée entre les mains du patron des ménétriers, a, comme nous l'avons déjà dit, quatre cordes. Cet instrument est carré à la base et porte sur sa partie supérieure deux chevalets ; les ouïes sont très larges 5 la tête, renversée comme celle du luth, est percée de quatre trous, dans lesquels sont enfoncées les chevilles; le costume est très-intéressant, ainsi que les vêtements des deux donateurs du vitrail qui sont représentés aux pieds du saint. Ces personnages tiennent de gros chapelets. Il existe aussi dans l'église de Beaufremont (canton de Neufchâteau, Vosges), une pierre tumulaire dans les ornements de laquelle est un ange jouant de la vièle à quatre cordes. La forme de cet instrument est semblable à celle du psautier de René II. Les sculptures de cette pierre font supposer qu'elle est de la fin du xnr ou du commencement du xive siècle.

Parmi les compositeurs lorrains, nous ne connaissons, a cette époque, que Wollick Nicolas, né vers 1456 au vil- lage d'Ancerville, près de Bar-le-Duc ; il fut maître ès arts au collège de Metz, se rendit plus tard à Paris, où il fit, en 1 SOI, un ouvrage sur le plain-chant, la solmi- sation, les tons de la musique mesurée et le contre- point.

Ce livre, écrit avec méthode, est beaucoup plus sub- stantiel que la plupart des traités de musique de la même


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époque1. Il est aussi question dans les Archives, d'un organiste de Saint-Dié qui accompagnait René dans cer- tains voyages :

« A Messire Antoine de Hougarde, chantre de Saint- Die" organiste, que le roy lui ,i donné quatorze Jlorins d'or, à sçavoir : quatre florins pour un manicordion, et dix florins d'or pour aider à sa despence pendant qu'il sera à Bar, devers le roy-, »

Les musiciens en Lorraine payaient un droit annuel qui était fixé à la somme d'une livre huit sols.

Les maîtres de chapelle jouissaient d'une prébende, témoin la mention suivante : « A Pierrequin de Tlzéraclze, maistre des enfants de la chapelle de Saint-Georges, vingt florins d'or que Monseigneur luy a donnés pour payer sa réception à la prébende, et afin qu'il eust meilleur vouloir d'apprendre lesdicts enfants 3. »

Pierrequin était chanoine de Saint-Georges; il eut parmi ses chanteurs, en 1504, un nommé Grisogonus; en 1506, messire Anthoine était encore organiste de la collégiale; c'est le même qui est désigné précédemment sous le nom d'Anthoine de Hougarde.

Dans un voyage que René II fit à Verdun, en 1506, les enfants de chœur de la cathédrale chantèrent devant lui; il leur fit donner douze florins d'or en récompense. Semblable munificence à l'égard de quatre compaignons joueurs d'instruments, qui jouèrent devant lui dans cette ville, et à un joueur de doulce-mère, « qui est à Alollsei- gneur de Vergy. » *

On connaissait son goût pour la musique, car, à Angers, des musiciens vinrent jouer devant lui. En 1507,


(1) Fétis. Biographie des musiciens.
(2) Archives, B. iooi.
(2) Ibid. B. 1004.


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des ménétriers de Rouen et de jeunes enfants joueurs de flûte firent de même.

Ce prince faisait rechercher tous ces ménestrels afin de se divertir; à Paris, nous voyons maistre Pol, joueur de luth, appelé par son ordre; des hauxbois le régaler d'une aubade au lieu de Germiny ; un Suisse jouant du tabourin de Silice, à Blai\;, enfin, des Espagnols, joueurs d'instruments, qui vinrent le voir et exécutèrent différents morceaux de musique devant lui. Il avait à ses gages un rebec, et, comme joueur de luth, Jean Rogier, originaire de Tournai. Pierre Burry, organiste, venait de Bar à Nancy visiter les orgues de Saint-Georges et les remettre en état.

Les tabourins étaient toujours en grand honneur auprès de René II; la duchesse Philippe de Gueldres avait le sien, qui se nommait Jean de Royaumeix et avait été anobli.

Des Suisses, paraît-il, étaient surtout choisis pour exercer cet emploi, et les grands seigneurs imitaient l'exemple de la cour.

Outre les gratifications en argent, les musiciens recevaient des dons en nature : ainsi, en 1507, René fit donner à Gérard et à Pierre des chausses et des jac- guettes en drap tanné, et deux aulnes de satin noir à maistre Jehan Rogier pour ses estrainnes. C'est une preuve de plus que tous ces artistes étaient attachés au service du prince et faisaient partie de sa maison.

Les cordes de luth venaient d'Allemagne ; en 1506, Jehan Mareschal en avait rapporté au retour d'un voyage à Francfort. Les trompes de chasse, appelées trompes de chien, étaient achetées à Troyes, car Nancy, à cette époque, n'était pas encore une ville assez importante pour qu'on y trouvât tous les éléments nécessaires à la


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fabrication des instruments de musique ; elle commençait seulement à se guérir des maux qu'elle avait soufferts, quelques années auparavant, durant la guerre du duc de Bourgogne, et à prendre les développements qui en firent réellement la capitale de la Lorraine.

René II mourut, le 10 décembre 1508, d'une attaque d'apoplexie, à Fains., près de Bar-le-Duc.


Voir aussi

Notes de la rédaction
  1. Au moment de la rédaction de cet ouvrage (1882) la ville de Sierck, revenue en Moselle, était rattachée à l'Allemagne. En revanche, Nennig fait partie du Land de Sarre.