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Le Siège et la bataille de Nancy (1860) Lacombe, 7

De Wicri Lorraine
Le Siège et la bataille, Lacombe Ferdinand bpt6k9623684h.jpeg
 
Le
Siège et la Bataille
de Nancy

VII
Situation critique de Nancy

'
  I   : Considérations sur la bataille...
II  : Causes de la guerre ...
III : De l'art militaire ...
IV : Topographie de le ville de Nancy ...
V   : Composition de l'armée de Charles le Téméraire ...
VI  : Opérations du siège ...
VII  : Situation critique de Nancy ...
VIII : Arrivée de René devant Nancy ...
IX  : Description du terrain ...
X  : La Bataille et la Poursuite, ...
XI  : Ce qui suivit la bataille...
XII : Conséquences des événements ...
Annexes
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Texte original


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VII.

Situation critique de Nancy. — Le duc de Lorraine obtient des secours. — Mort de Suffrein de Baschi. — Intrigues de Campo-Basso. — Dévouement de Thiéry. — Dernière période du siège.

Si les Bourguignons se trouvaient frappés par une détresse affreuse, le sort de ceux qui étaient renfermés dans Nancy devenait peut-être encore plus digne de pitié. Charles le Téméraire avait suivit René sous les murs de cette ville avec tant de rapidité qu'on n'avait pas eu le temps d'y faire entrer des vivres, en sorte que les faibles provisions des habitants furent épuisées dès les premiers jours du siége. On abattit alors les chevaux et l'on en distribua la chair avec parcimonie ; mais cette ressource vint aussi à manquer, et l'on en fut réduit à dévorer les chiens les chats, les rats et les souris. Bientôt il fallut plus d'industrie pour garantir sa vie contre la famine que contre le feu de l'ennemi.

A son tour, la poudre fit défaut. On ne répondait


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plus que rarement au feu des batteries du camp, qui continuaient à ruiner les remparts et les habitations. Partout l'eau se transformait en une glace. épaisse. La neige heureusement couvrait les toits et servit à étouffer les incendies (1).

Ce qui rendait cette existence plus déplorable encore, c'est qu'on avait atteint le terme fixé par le duc de Lorraine pour l'arrivée des secours et qu'on ignorait l'issue de ses démarches. L'énergie qui bravait la famine et la mort, et qui se consolidait par l'espoir, allait-elle faillir devant l'incertitude de la délivrance ? Telle est la question que s'adressaient les chefs, remplis d'une douloureuse anxiété. Un Gascon fort entreprenant, le capitaine Pied-de-Fer, avait offert de rejoindre René et de rapporter de ses nouvelles. Cet émissaire, qui était parvenu à traverser les lignes bourguignonnes à la faveur des ombres de la nuit, n'avait pas reparu.

René cependant n'oubliait pas ce qu'il devait à

(1) De Blarru.


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l'honneur de son blason et à la fidélité de ses vaillants sujets. Il réunissait toutes ses ressources en argent, faisait fondre sa vaisselle, empruntait à la bourse de ses amis, sollicitait et obtenait des subsides de Louis XI. Puis il parcourait les cantons suisses, sans se laisser rebuter par les obstacles qu'on lui suscitait, faisait appel aux sentiments de générosité et de reconnaissance des uns, s'adressait à la cupidité des autres, et rassemblait à Bâle, dans l'intervalle de deux mois, 10,000 guerriers bien équipés. Leur départ pour Nancy fut fixé au 25 décembre, jour de Noël.

Si la plupart des chefs de ces montagnards témoignaient de la gratitude et du désintéressement pour le noble prince qui avait embrassé leur cause avec enthousiasme et combattu pour eux avec ardeur, il fallait un mobile plus puissant pour armer le bras vénal de leurs soldats (1). René offrit une double solde et le

(1). Chronique de Lorraine. Dom Calmet. Dialogue de Lud et Chrétien.


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roi de France un écu d'or par tête de guerrier. Cet argument fut décisif. L'alliance des Suisses devait dès ce jour prendre un caractère particulier : ils allaient vendre aux puissances de l'Europe le sang mercenaire qui coula'sur les champs de bataille les plus fameux.

D'un autre côté, les villes confédérées d'Allemagne, qui avaient promis leur appui au duc de Lorraine, n'étaient pas sourdes à ses prières : elles lui préparaient un contingent de quelques mille hommes, auxquels on donna rendez-vous non loin de Lunéville à Ogéviller.

Ici se place un épisode qui fut de nature à rendre plus irréconciliable encore la haine des Lorrains contre les Bourguignons et à augmenter l'acharnement des partis.

Parmi les fidèles serviteurs de René, nul ne se montrait plus dévoué à sa juste cause que son maître d'hôtel, Suffrein de Baschi, gentilhomme provençal. Le jeune prince résolut de l'envoyer en Lorraine pour annoncer le succès qu'il avait obtenu chez les Suisses et le prochain départ de ces auxiliaires.


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Suffrein se rendit à Vaudémont plein de joie, et là il proposa, dans l'excès de son zèle, à quelques autres gentilshommes de se charger de vivres et de franchir pendant la nuit les fossés de Nancy pour pénétrer dans la place et apporter aux défenseurs quelques subsistances avec la nouvelle du secours libérateur. Une petite troupe munie de farine et de chair salée se mit donc en route et, par une nuit ténébreuse, traversa en silence le côté faible de la ligne ennemie. Ce point défectueux était le derrière du parc d'artillerie où les eaux n'avaient pas permis de creuser le fossé. Malgré leurs précautions, on aperçut les gentilshommes. L'alarme fut jetée par le camp : les uns prirent la fuite ; les plus avancés sautèrent dans le fossé et se firent hisser, sous le feu des couleuvrines, au haut des murailles. Quant à Suffrein, affaibli par la fièvre et la fatigue, il resta entre les mains des Bourguignons.

Il n'entrait pas dans les coutumes de France et de Bourgogne (1) de mettre à mort un homme d'armes,

(1) Commines.


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un gentilhomme surtout, arrêté dans de telles circonstances ; mais Charles le Téméraire, dont l'irritation atteignait les proportions d'une démence furieuse, ne craignit pas de violer les lois consacrées, et, sans attendre le jour, il ordonna de pendre aux flambeaux le malheureux Suffrein, victime de son dévouement. Un cri d'indignation traversa la Lorraine et retentit jusque dans l'Helvétie.

Les représailles furent promptes. René fit infliger le supplice ignominieux réservé à son maître d'hôtel à tous les Bourguignons prisonniers sur les terres où il commandait encore. A Rosières, Gondreville, Epi- nal, Mirecourt, plus de 120 d'entre eux furent pendus. A Nancy, l'on n'avait pas attendu cet ordre vengeur, on y retenait un prisonnier. Il fut dès le jour même revêtu d'une robe noire et pendu à la muraille, à la face des assiégants.

Avant de périr, Suffrein implora la grâce d'entretenir quelques instants son inexorable juge. Il voulait, disait-il, lui communiquer certaines paroles qui valaient[1]


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bien un duché. Cette faveur fut impitoyablement refusée.

D'après Commines, le comte de Campo-Basso aurait vivement engagé son maître à ce refus et préci- cipité le trépas du gentilhomme, et ce trépas, toujours d'après le même historien, serait la source de tous les malheurs et même la cause de la chute de Charles le Téméraire.

Selon la Chronique de Loraine, Campo-Basso et Galéotto auraient, au contraire, tenté de fléchir le courroux de Charles, et, comme Campo-Basso insistait pour vaincre la résistance du duc, celui-ci lui aurait répondu en le frappant de son gantelet de fer.

Quelle que soit la nature de cette intervention, elle exista, et, de plus, elle fut intéressée. En apprenant à connaître l'homme qui se réserva un rôle infâme dans le drame qui va se dérouler, on comprendra pourquoi il intervint et de quelle importance était le secret de Suffrein.

Le comte de Campo-Basso était d'origine italienne. Banni de sa patrie, parce qu'il s'agitait en faveur du


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parti angevin, il s'était donné aux ducs de Lorraine. A l'avénement de René, il changeait de fortune et de maître et se mettait au service du duc de Bourgogne, qui le comblait de bienfaits et lui fournissait cent mille écus d'or par an pour l'entretien de 500 cavaliers. Bientôt le duc prit de l'attachement pour cet Italien. Si peu expansif pour de plus dignes, il lui livra le cœur d'un ami, lui accorda une confiance sans limites, et l'initia à ces intimes secrets du prince et du capitaine dont la révélation coupable entraîne la chute d'une politique ou la perte d'une bataille.

Mais Campo-Basso appartenait à cette race impie qui foule de son pied exécrable le respect de la foi jurée, qui rejette sans pudeur le souvenir sacré du bienfait, vend son bras, vend son âme, vend son maître, et, comme Iscariote, vendrait son Dieu.

Il semblerait que rien au monde n'est plus méprisable que la lâcheté ; il est un crime plus odieux encore, et la langue n'a pas de termes assez virulent pour le flageller, c'est la trahison. Le traître est encore plus vil que le plus vil des esclaves ; si celui-ci


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ne s'appartient plus, il se réserve du moins sa conscience.

Or, Campo-Basso était un traître.

Dès l'année précédente, il avait proposé au Roi de lui livrer son maître mort ou vif, et, malgré cet engagement, il était entré en négociations avec le duc René et s'était chargé de l'aider dans son entreprise, moyennant une forte somme et la cession du comté de Vaudémont. Dans ce but, il avait retardé l'envoi des secours de Flandre et empêché Charles le Téméraire d'arriver à temps pour dégager Nancy. Depuis, il faisait traîner le siége en longueur par les moyens puissants dont la confiance aveugle du duc lui permettait de disposer, et il savait dissimuler en sa présence ce criminel attentat sous les dehors hypocrites d'un langage flatteur et d'un empressement plein de complaisance.

Or, c'était par l'intermédiaire de Suffrein de Baschi que passait la correspondance échangée entre Campo- Basso et le duc de Lorraine. Il faut donc admettre, avec plusieurs historiens, que, si ce chef italien cher-


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cha à sauver le maître d'hôtel, c'est qu'il voulait s'assurer les moyens de continuer ses perfides machinations et qu'il accéléra la perte de celui-ci quand il se vit menacé par une révélation compromettante.

La tentative de Suffrein de Baschi avait eu lieu fort avant la fuite de Pied-de-Fer, qui était arrivé sain et sauf à Zurich près du duc de Lorraine, et qui avait pu se rendre compte de l'appui certain des Suisses et de leur départ pour la fin du mois de décembre. Il eût désiré transmettre à Nancy cette bonne nouvelle, avec les discours encourageants de René. Soit qu'il règardât cette entreprise comme impratica- cable, soit qu'il se souvînt du sort cruel réservé au gentilhomme provençal et que le cœur lui ait manqué, il s'arrêta à Rosières.

Pendant ce temps, la misère, l'impatience et le découragement peut-être, augmentaient à un tel point dans la ville qu'un autre Gascon, le capitaine Fortune, jugeant la soumission infaillible, sauta du rempart dans le fossé et se rendit à Charles le Témé-


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raire. Il emportait avec lui les secrets de la défense. Ce prince connut de cette façon le dénûment de la cité et se laissa facilement persuader qu'elle n'attendrait pas au delà du jour de Noël pour livrer les clefs des portes. Ainsi la trahison devait conspirer contre chacun des partis ; mais elle devait peu servir aux intérêts de l'armée assiégeante, Fortune s'abusait sur le degré de dévouement de ses compagnons d'armes : il espérait toujours. La désertion du Gascon ne leur était pas fort sensible ; ils s'en vengèrent par une épi- gramme et prétendirent que mauvaise Fortune les avait abandonnés.

Un drapier de Mirecourt, nommé Thierry, homme de grand cœur, se présenta pour remplir la mission dans laquelle échouait Pied-de-Fer. Il promettait de ne pas prolonger son absence au delà de huit jours s'il parvenait à franchir la ligne ennemie. Il échappe , en effet, à la surveillance des Bourguignons, joint promptement son seigneur et maître , qui lui montre les préparatifs de départ des Suisses, et il reprend en toute hâte le chemin de la Lorraine. Arrivé à Saint-Nicolas , il se


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travestit en bûcheron, coupe un fagot dans la forêt de Saurupt et se présente au camp sa ramée sur l'épaule. Il y faisait très froid et le bois y manquait, parce que nul n'osait plus s'aventurer hors des avant-postes. Le faux bùcheron est donc bien accueilli, et maintes fois on lui propose d'acheter son fardeau. Thierry avait remarqué que le quartier des Anglais à la solde de Charles était fort rapproché du fossé ; il répond sans se troubler que ce fagot lui est demandé et payé par eux depuis quatre jours, et on le laisse traverser le camp sans obstacle. Au quartier des, Anglais, il se débarrasse de sa charge , s'élance au cri de vive Lorraine dans le fasse et se fait hisser au sommet du rempart sous une pluie de flèches.

Le duc de Bourgogne , qui avait ajouté foi au dire de Fortune, s'était empressé inutilement de sommer la place de se rendre. Il comprit, par les cris de joie et par les volées de cloches qui accueillirent sur les murailles L'arrivée miraculeuse de Thierry , que les secours ne tarderaient pas à approcher.!! résolut alors de tenter une nouvelle fois de réduire Nancy par la


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force, et , pendant deux jours , les bombardes reprirent sans interruption le feu le plus énergique. Une bonne fortune survint aux défenseurs : Michel Gloris, maître de l'artillerie, retrouva deux tonnes de poudre cachées pendant le dernier siége. On éleva une grosse pièce sur la porte de la Craffe pour répondre à celle des batteries ennemies dont les coups étaient les plus dangereux, et elle fut ajustée avec tant d'adresse et de bonheur par le canonnier Pierre qu'à deux reprises différentes elle brisa le mantel des bombardes opposées, les démonta et mit ceux qui les servaient hors de combat.

« Par Saint-Georges s'écriait le duc furieux, quoi qu'ils fassent, je les aurai dans quatre jours. »

Mais les capitaines lorrains avaient pris la ferme résolution d'user de leurs dernières ressources pour attendre leur prince et de s'ensevelir sous les débris fumants de leurs habitations plutôt que de se rendre. Ce noble dessein fut la cause de leur salut.


Voir aussi

Notes de la rédaction
  1. Pour une meilleure lisibilité, les mots coupés sur un saut de page sont restitués sur la page antérieure.