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Le Siège et la bataille de Nancy (1860) Lacombe, 3

De Wicri Lorraine
Le Siège et la bataille, Lacombe Ferdinand bpt6k9623684h.jpeg
 
Le
Siège et la Bataille
de Nancy

III
De l'art miliaire dans la seconde moitié du xve siècle

'
  I   : Considérations sur la bataille...
II  : Causes de la guerre ...
III : De l'art militaire ...
IV : Topographie de le ville de Nancy ...
V   : Composition de l'armée de Charles le Téméraire ...
VI  : Opérations du siège ...
VII  : Situation critique de Nancy ...
VIII : Arrivée de René devant Nancy ...
IX  : Description du terrain ...
X  : La Bataille et la Poursuite, ...
XI  : Ce qui suivit la bataille...
XII : Conséquences des événements ...
Annexes
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Texte original


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III.

De l'art miliaire dans la seconde moitié du XVe siècle, en France et dans le duché de Bourgogne. — Armes et tactique des Suisses.

Avant d'entrer dans le récit des événements qui vont suivre, il est utile d'examiner, pour l'intelligence des faits, les progrès de l'art de la guerre et le degré de discipline et d'instruction auquel étaient parvenues les armées, dont les opérations tactiques se modifiaient de plus en plus par l'emploi de la poudre. Il est surtout utile d'appliquer cet examen au peuple suisse, qui était à l'aurore de sa réputation militaire, et qui doit jouer un rôle si important dans la bataille de Nancy. Les détails de la scène se présenteront alors plus lucides à l'esprit, et l'on s'expliquera plus aisément les combinaisons qui eurent lieu et celles qui eussent pu se produire.

Le règne de Charles VII inaugure dans les armées une ère de discipline et d'administration toute nouvelle. Vainqueur des Anglais et maître enfin de ses


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États, ce prince réforma les bandes irrégulières qui les infestaient, troupes sans nom, à charge au pays plus encore qu'à l'ennemi. L'organisation d'une armée qui eut la plus heureuse influence sur l'ordre social est la gloire immortelle de son règne.

En 1445, il instituait les compagnies d'ordonnance au nombre de quinze. Ces compagnies étaient des corps de cavalerie de cent lances.

Chaque lance fournie se composait d'un homme d'armes, gentilhomme armé de toutes pièces et portant la lance, de trois archers, d'un coustilier[1] et d'un page ou varlet, ce qui élevait l'effectif de chaque compagnie à 600 combattants, tous à cheval.[2]

Peu de temps après, il abolissait la milice des communes, qui avait lâché pied si misérablement à Crécy et à Poitiers, et il créait, sous le nom de francs archers, une infanterie nationale. Chaque commune était obligée de lever et d'entretenir au moins un de ces fantassins, qui étaient affranchis de contributions, puisqu'ils versaient à l'État l'impôt du sang. De là leur venait le titre de francs archers.


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Tels étaient les moyens employés par Charles VII pour consolider le trône de France et le doter d'une force permanente et moralisée par la discipline.

A son avènement, Louis XI, partisan d'un ordre sévère, assurait cette organisation par de sages ordonnances.

Il donnait surtout une grande extension à l'artillerie royale, et faisait, plus tard, fondre douze canons de 45, qu'il appelait du nom des douze pairs de France. Il commandait aussi de couler des bombardes et des serpentines. Commines assure que jamais roi de sa race n'eût armée plus riche en artillerie. Louis XI fut conseillé dans ces derniers travaux par les frères Bureau, deux hommes de génie, l'un desquels imaginait les engins volants pour incendier les villes assiégées. Quant aux bombes, elles avaient été inventées déjà par l'Italien Malatesta.

Or, la maison de Bourgogne, qui empruntait sagement aux institutions françaises ce que celles-ci faisaient apparaître de plus parfait, levait à son tour


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des compagnies d'ordonnance, qui devinrent les mieux instruites et les plus brillantes de l'Europe.

Selon M. de Barante ([28 1]), la lance du duc de Bourgogne se composait de l'homme d'armes, de trois archers à cheval, un cranequinier[3] ou arbalétrier, un couleuvrinier et un piquier, sans parler des coustiliers et du page. Elle était donc plus complète que celle de France, qui ne comportait pas d'armes à feu. Toutefois, le cranequinier, le couleuvrinier et le piquier n'étaient pas montés, ce qui élève chaque compagnie à cent lances et trois cents arcs à cheval, et à trois cents fantassins, dont cent piques, cent arbalètes et cent couleuvrines, armes à feu portatives. Suivent les coustiliers, les pages et même les surnuméraires.

Le duc Charles ordonnait souvent aux archers de mettre pied à terre, mouvement renouvelé plus tard par l'arme des dragons, et ces archers s'avançaient et combattaient à l'abri d'une ligne de piques. L'infanterie[4]



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de ce prince avait surtout pour but de garder l'artillerie et les voitures. Il ne la tenait point en grande estime, et, de cette façon, n'en tirait pas tous les avantages qu'elle pouvait produire. Il faisait plutôt consister sa puissance dans son artillerie et dans les. lances de sa vaillante noblesse.

Cette artillerie, il faut l'avouer, était formidable pour l'époque. Avant le siége de Neuss, Charles le Téméraire l'avait portée à un chiffre imposant. A ce siége seulement, il avait amené deux cents bouches à feu, bombardes, courteaux[5] et serpentines, soit de fer, soit de cuivre, et y avait ajouté une grande quantité de couleuvrines, de haquebutes, sorte de gros fusils qu'on transportait à la suite de l'armée, et dont l'extrémité s'appuyait sur un chevalet. Son train d'artillerie montait à 2,000 chariots.

Le commandement de l'artillerie était confié à un chevalier qui s'appelait maître de l'artillerie, et chaque bouche à feu était servie par un canonnier et plusieurs pionniers. Chaque chariot avait deux hommes pour le conduire, plus deux pionniers armés


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d'une salade, d'une jacque de mailles et d'une masse de fer.

Les affuts de l'artillerie de campagne se construisaient avec soin, mais le tir en était fort irrégulier. D'ailleurs, les pièces devaient être fort difficiles à mouvoir, en raison des procédés vicieux du pointage, qui obligeait soit à enterrer la crosse de l'affût, soit les roues, pour obtenir différents degrés d'élévation ([30 1]) ; et souvent elles devenaient un embarras d'autant plus considérable que les canonniers ne soupçonnaient pas qu'ils dussent les changer de place après les avoir mises en batterie.

Les canons du duc de Bourgogne lançaient de grosses pierres et des boulets de fer du calibre d'une à vingt livres.

Aux forces tirées de ses propres États, il faut ajouter des soudoyers allemands et des archers anglais, qui firent merveille dans les murs de Nancy.

Il divisait habituellement ses troupes en trois corps,



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qu'il plaçait sur trois lignes, et la cavalerie, fort nombreuse, combattait en haie sur un long espace, c'est-à-dire par rangs distants de quarante pas, qui fournissaient tour à tour le choc.

En résumé, Charles le Téméraire possédait une forte artillerie, une cavalerie excellente ; mais l'élément qui constitue le fond principal d'une armée, une infanterie solide, lui manquait. En Bourgogne, comme en France, ni les piques ni les armes à feu ne se réunissaient en bataillons compacts, et les archers, inaptes à combattre en ligne, remplissaient le rôle d'une troupe légère dans les escarmouches.

Les Anglais, cependant, faisaient mettre pied à terre à leur gendarmerie, et ils avaient entrevu la nécessité de l'infanterie régularisée. C'était une ascension vers le progrès.

Il était réservé à un petit peuple indépendant et fier de ses libres institutions d'organiser et d'armer des troupes qui, semblables aux phalanges des Grecs, devaient changer la tactique des combats, et, par


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l'emploi judicieux de l'infanterie, rendre à la guerre sa physionomie normale.

Aux opulents royaumes, aux empires puissants, qui tiraient leur lustre d'une brillante noblesse avaient été réservées l'artillerie et la cavalerie ; des pauvres montagnes de l'Helvétie allait apparaître l'infanterie, désormais reine des batailles.

Fatigués de la domination allemande, les Suisses prirent les armes afin d'en affranchir leurs cantons asservis. Mais le cheval manquait à ces rudes soldats pour se défendre contre l'impétueux ouragan des escadrons bardés de fer. Ils appellent alors la tactique à leur aide, et les voilà qui se serrent en masses profondes roulant comme une avalanche du versant de leurs montagnes dans leurs vallées envahies, ou présentant au choc de la cavalerie une forêt de piques dont les rangs sont inébranlables comme une muraille de granit. Le mobile qui excite en eux la fibre guerrière prend sa source aux plus nobles inspirations : ils combattent pour la liberté de leurs foyers domestiques. Quelque nom d'ailleurs


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qu'emprunte la cause pour laquelle surgit un peuple en armes, honneur, gloire , indépendance, n'est-elle pas la plus sainte quand cette cause est celle de la patrie ? Sempach et Morgarten avaient commencé la réputation militaire des fantassins suisses. Grandson et Morat en furent le couronnement. Longtemps ils s'étaient servis de la hallebarde et de la pique ; lors de l'invention des armes à feu, ils adoptèrent également la couleuvrine.

La hallebarde était une longue hache d'armes surmontée d'une dague à lame quadrangulaire qui leur servait à frapper d'estoc et de taille, et qui se maniait avec les deux mains. On l'employait avec le plus grand succès au fort de la mêlée.

La pique, destinée surtout à tenir la cavalerie à distance, avait 18 pieds de long. On la croisait en l'appuyant fortement à terre.

La couleuvrine, allumé au moyen de mèches, comme toutes les armes à feu de l'époque, prenait place en tète ou sur les flancs des bataillons. Les Suisses ne tardèrent pas à se pourvoir d'une quantité


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considérable de ces nouveaux engins de combat. Commines rapporte qu'à Morat ils en possédaient 10,000, et c'est la première bataille où l'on remarque le rôle important d'un tel nombre d'armes à feu portatives. Néanmoins, ils en diminuèrent par la suite le chiffre, en s'apercevant de la crainte que la pique inspirait aux Bourguignons.

Mais ils n'avaient que peu d'artillerie, et ils la mettaient dans les intervalles de leurs bataillons. En avant, ils jetaient quelques éclaireurs.

En adoptant ces dispositions, ils négligeaient la protection des retranchements artificiels. Ils ne redoutaient pas la cavalerie pour leurs masses profondes, et ils bravaient avec résolution les coups terribles que portait l'artillerie.

Un ordre sévère compensait le manque d'éducation militaire de ces soldats arrachés par la nécessité à leurs sillons et à leurs troupeaux. La peine de mort était prononcée contre celui d'entre eux qui abandonnait son rang ou qui trahissait son émotion


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par un signe d'effroi au bruit insolite de la détonation d'un canon.

Pénétrés par l'ardeur d'une foi sincère, ils priaient Dieu avant le combat, puis ils s'avançaient contre l'ennemi avec cet ensemble imposant qui naît de la forte discipline, ce calme et ce sang-froid de l'âme fière qui sait se commander à elle-même, cet enthousiasme enfin qui résulte d'une confiance mutuelle et qui puise son énergie dans l'espoir du succès, l'orgueil des triomphes récents et la justice de son droit.

Leurs bras ne devaient pas connaître le repos avant d'avoir ouvert une brèche dans les lignes de l'adversaire, et alors un article terrible de leur code guerrier leur imposait de sanglants devoirs, ceux de ne jamais faire de prisonniers et de n'accepter aucun vaincu à merci. Mais il leur était interdit de frapper femmes, enfants ou vieillards, de porter une main sacrilége ou imprudente sur les églises ou les magasins d'où ils pouvaient tirer quelques ressources , de piller enfin la moindre part de butin.


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D'abord, ils se dirigeaient vers les canons dans cet ordre : les couleuvriniers, puis les piquiers, puis les hallebardiers. Ils en essuyaient vaillamment les premières décharges, cherchaient à s'en emparer et à les retourner contre l'ennemi ([36 1]), et ils continuaient leur marche, avec un bruit épouvantable, au son retentissant des trompes d'Uri et d'Unterwalden.

« C'étaient, raconte M. de Barante, deux cornes d'une merveilleuse grandeur qui, selon la tradition de ces peuples , avaient jadis été données à leurs pères par Pépin et Charlemagne, et qui servaient à les exciter et les rallier dans les combats. Deux hommes robustes soufflaient à perte d'haleine dans ces deux cornes, qui se nommaient vulgairement le taureau d'Uri et la vache d'Unterwalden, et par trois fois faisaient retentir dans les montagnes ce son prolongé et terrible que leurs anciens ennemis redoutaient depuis si longtemps et que les Bourguignons apprirent aussi à connaître. »

  1. Napoléon III. Ouvrage cité.

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A Héricourt, la première fois que les troupes de Bourgogne se mesurèrent contre de telles gens, elles furent terrifiées par leur élan impétueux, par les cris effroyables qui partaient de ces poitrines sonores, par cette furie irrésistible et cette ardente émulation à s'exciter et se surpasser les uns les autres dans les combats ([37 1]).

« Contre de semblables troupes, dit Napoléon III ([37 2]), l'infanterie du duc de Bourgogne, composée de tant de nations et de tant d'armes diverses, était impuissante. La seule force à lui opposer eût été la gendarmerie. Charles le Téméraire aurait dû suivre l'exemple d'Édouard IV, mettre pied à terre avec la plus grande partie de sa cavalerie, en former des bataillons profonds, les flanquer de ses archers, de ses couleuvriniers, de ses troupes légères, de sa nombreuse artillerie, et conserver l'autre partie pour la faire donner lorsque l'ennemi aurait déjà été ébranlé. Il aurait pu alors vaincre
  1. De Barante.
  2. Du passé et de l'avenir de l'artillerie

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« les Suisses en employant ces moyens, qui avaient réussi, dans les mêmes circonstances, au célèbre condottieri Carmagnola, en 1422. »
« Mais l'esprit chevaleresque du duc de Bourgogne répugne à une semblable tactique. Il met bien, il est vrai, quelques hommes d'armes à pied à la tête de ses colonnes ; mais la grande majorité de la gendarmerie est employée à cheval, et cela dans des lieux désavantageux, sur un terrain accidenté et montagneux, détrempé à Grandson par la neige, à Morat par la pluie. Quoique la cavalerie demande pour ses mouvements de l'espace et de la liberté, il l'entoure généralement de retranchements. Quant à l'artillerie, il n'en sut point faire bon usage, la plaçant sur des points culminants où elle tire avec désavantage et sur le front extrême de l'armée, où elle paralyse les mouvements, et tombe, dès le premier moment, entre les mains de ses ennemis. »

En résumé, vers la fin du XVe siècle, époque de la bataille de Nancy, la Bourgogne, comme la France,


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manquait d'une infanterie nationale qui eût pu assurer son salut.

Les Suisses, au contraire, par la formation de gros bataillons armés de piques et de couleuvrines, avaient réalisé le système des masses qui devaient plus tard s'armer de fusil à baïonnette.

L'artillerie était mal servie, quoique celle de Bourgogne fût réputée la meilleure de l'Europe.

La gendarmerie enfin continuait à se former en haie et mourait glorieusement pour la cause de ses princes en combattant avec énergie ; mais elle savait mal se défendre contre les progrès de la tactique par amour pour la prouesse et par un préjugé chevaleresque qui lui faisait généreusement dédaigner tout autre effort que celui de la valeur individuelle.


Voir aussi

Notes de la rédaction
  1. Le coustilier (ou coutillier) est, en général un fantassin, armé d'une coutille, sorte de dague courte et large. On pourra voir, pour plus de détails, la définition donnée par le CNRTL.
  2. Le point final de la phrase est ajouté, bien qu'il soit absent dans l'édition originale.
  3. Un cranequin est une arbalète à pied, ou désigne le cric qui permettait de tendre les arbalètes les plus puissantes. Le cranequinier est, par extension, un arbalétrier à cheval, armé d'un cranequin. On pourra voir, pour plus de détails, la définition donnée par le CNRTL.
  4. Pour une meilleure lisibilité, les mots coupés sur un saut de page sont restitués sur la page antérieure.
  5. Le courteau est une pièce d'artillerie assez peu présente dans la littérature, mais qui est signalée par Philippe Contamine dans "L'artillerie royale française à la veille des guerres d'Italie", paru dans les Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest, citant lui-même Édouard Perroy, "L'artillerie de Louis XI dans la bataille d'Artois (1477)", parue dans La revue du Nord (1943).