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Le Siège et la bataille de Nancy (1860) Lacombe, 11

De Wicri Lorraine
Le Siège et la bataille, Lacombe Ferdinand bpt6k9623684h.jpeg
 
Le
Siège et la Bataille
de Nancy

XI
Ce qui suivit la bataille

'
  I   : Considérations sur la bataille...
II  : Causes de la guerre ...
III : De l'art militaire ...
IV : Topographie de le ville de Nancy ...
V   : Composition de l'armée de Charles le Téméraire ...
VI  : Opérations du siège ...
VII  : Situation critique de Nancy ...
VIII : Arrivée de René devant Nancy ...
IX  : Description du terrain ...
X  : La Bataille et la Poursuite, ...
XI  : Ce qui suivit la bataille...
XII : Conséquences des événements ...
Annexes
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Texte original


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XI.

Ce qui suivit la bataille.

La mission des Suisses était accomplie ; ils avaient rendu à René la couronne de ses pères. Le lendemain de la bataille, 6 janvier, ils célébrèrent gaiement avec leurs hôtes la fête des Rois, et prirent congé de leurs compagnons d'armes pour retourner dans leurs montagnes. Le duc de Lorraine et toute sa noblesse les accompagnèrent à cheval jusque près de Lunéville, après les avoir comblés de témoignages de reconnaissance. Avant de se séparer, on échangea les plus fraternels adieux, et on s'assura mutuellement de ta continuation d'une alliance scellée par le sang. « Mon- » sieur, dirent les Suisses en saluant René, si le » duc de Bourgogne s'est échappé, et qu'il recom- » mence la guerre, mandez-nous. — S'il a assuré son » salut, répondit le prince, préparons-nous à renou- » veler la lutte l'été prochain. — Alors nous accour- » rons vers vous, soyez-en sûr. »

René revint à Nancy par le terrain sur lequel


s'était livrée la bataille. En visitant ce champ de désolation, il voulait s'assurer par lui-même si quelques indices ne permettraient pas de découvrir parmi les cadavres celui de Charles le Téméraire, non pas qu'il souhaitât le trépas. de son ennemi. « Il eust mieux » aimé, dit la Chronique, que le duc de Bourgogne » en ses pays eust demeuré, et que jamais la guerre » n'eust contre lui recommencé. »

C'était par une triste et froide journée d'hiver. Des nuages grisâtres voilaient l'éclat du soleil derrière les épaisses couches d'eau glacée dont ils étaient chargés. Au tumulte du combat succédait un lugubre silence, interrompu seulement par le bruit sonore du sabot des coursiers ou par le cliquetis des glaives battant l'éperon d'or des chevaliers. Les corps des Bourguignons couvraient la campagne, les uns la tête fendue jusqu'aux dents, les autres, les bras séparés du tronc ou le torse percé d'outre en outre. La plupart avaient été dépouillés de leurs armes et de leurs vêtements, et leurs cadavres nus, lavés par la neige, tournaient vers le ciel une face livide, ou


embrassaient le sol glacé de leurs membres raidis. Ce spectacle était digne de pitié. Peu à peu le nombre des morts devenait plus rare, lorsqu'en arrivant dans les prés de Virlay, près de la commanderie, la noble troupe se dirigea vers l'étang Saint-Jean , attirée par une nouvelle aflluence de cadavres. Ils étaient étendus pêle-mêle sur les bords, les uns près des autres, horriblement mutilés. De larges blessures apparaissaient béantes sur ces corps dénudés. Quelques-uns gisaient sur l'étang même, à demi enveloppés par la glace refermée autour d'eux. Quels étaient ces guerriers tombés loin du champ de bataille? Vaillants entre tous, ils s'étaient retournés avec furie contre leurs adversaires, et là ils avaient entamé une lutte nouvelle, lutte désespérée, à laquelle le trépas du dernier d'entre eux mettait seul un terme. Le cœur ému , René fit examiner ces morts valeureux, nul ne reconnut le duc de Bourgogne.

Qu'était devenu ce prince ? On pensait généralement qu'il s'était refugié à Metz ; mais les courriers dépêchés par René venaient d'apporter la réponse


des magistrats de cette ville. On n'y avait aperçu que le comte de Romont et quelques autres seigneurs. Tous les chefs prisonniers furent interrogés. Nul d'entre eux ne savait le sort de leur maître. Ils donnaient des renseignements vagues, se livraient à des conjectures contradictoires, et ne pouvaient se persuader qu'un souverain aussi puissant et aussi illustre eût été tué même par un ennemi. Le sire de Cité, qui combattait à ses côtés jusqu'au moment du sauve qui peut, était tombé sur le champ de bataille, et n'avait pu se relever pour le suivre. Là s'arrêtaient les derniers indices.

Cependant le comte de Campo-Basso, mieux informé peut-être, amena au duc de Lorraine un enfant de la famille des Colonna, page du duc de Bourgogne, qui affirmait avoir été témoin du trépas de son maître. Il racontait qu'en cet instant suprême beaucoup de ses gens voulaient le défendre, mais que les Allemands les avaient tous mis à mort, et que lui-même, fait prisonnier, s'était laissé enlever un cheval et un heaume garni d'une riche orfévrerie appartenant à son seigneur.


Le lendemain mardi, René l'envoya sur le champ de bataille, accompagné de plusieurs de ses serviteurs et de ses gens d'armes pour reconnaître les cadavres. On chercha longtemps sur la plaine funèbre On retourna bien des morts sans rencontrer celui qui faisait l'objet de cette triste perquisition. Plus d'un capitaine, plus d'un chevalier de noble lignée furent reconnus par le page dans cette grande hécatombe de victimes humaines. Une pauvre lavandière de la maison du duc s'était mêlée parmi les gens qui escortaient le page (1). Quand on fut à l'étang Saint- Jean, au lieu même où René s'était arrêté la veille, cette femme voit briller un anneau au doigt d'un mort dont la figure s'enfonçait dans la vase glacée, elle regarde la main, elle y aperçoit des ongles tels que Charles seul avait coutume de les laisser croître. « Ah ! mon prince ! s'écria-t-elle avec douleur. J)

On accourt, on dégage la tête de son linceul de glace ; la peau du visage s'enlève d'un côté, les loups avaient commencé à dévorer l'autre. La face est mé-

(4). La Nancéïda.


connaissable ; mais le page distingue son maître à son anneau, à la cicatrice de sa blessure de Monthléry, et à d'autres signes non moins certains. Un profond coup d'épée avait fendu la tête depuis l'oreille jusqu'à la bouche ; en outre, deux coups de lance lui avaient labouré les cuisses et les reins.

Ce ne fut pas sans une douloureuse impression que René connut cette importante nouvelle, et si l'on en croit le P. Roland, comme le roi David, dans l'amertume de sa douleur, il jura de faire périr celui qui avait ainsi frappé son auguste ennemi.

Il ordonna que les restes fussent apportés avec pompe à Nancy, et exposés sur un lit de parade. Là le dernier des ducs de Bourgogne fut reconnu par le grand bâtard, son frère; Denys, son chapelain; Lupi, son médecin ; Olivier de la Marche, son chambellan, et d'autres encore. Chacun se prosterna avec désolation devant cette froide dépouille du héros dont la majesté en imposait encore après le trépas. Antoine, qui aimait et respectait son frère, malgré ses défauts et sa tyrannie, éclatait en sanglots, et ne pouvait s'arracher à la contemplation de ce mort si cher.


René lui-même, couvert de vêtements de deuil, vint s'agenouiller devant le lit de l'illustre défunt. c Plût à Dieu, mon beau cousin, lui dit-il en lui bai- » sant pieusement la main, que votre malheur et le » mien ne vous eussent pas réduit dans l'état où je » vous vois. »

Le \ l , il lui fit faire de magnifiques funérailles, et dignes de la splendeur d'une maison issue des rois, qui s'éteignait dans sa descendance mâle. Le sire de Rubempré partagea les honneurs de cette éclatante cérémonie, que présidaient trois prélats entourés d'un nombreux cortége de prêtres et de clercs. Le duc René, vêtu d'un manteau de deuil, et portant une barbe d'or, comme un triomphateur antique, y assistait avec sa cour, sa noblesse, ses capitaines, les prisonniers bourguignons, les magistrats et les bourgeois de Nancy.

Tombés ensemble sur le champ de bataille, le maître et le serviteur ne furent pas séparés l'un de l'autre après avoir abandonné la vie ; ils reposèrent ensemble dans les caveaux de l'église Saint-Georges.


Le duc de Lorraine s'occupa ausside faire inhumer saintement les gens morts devant Nancy. On creusa de vastes fosses sur le terrain où le combat avait commencé, entre Jarville et la Magdeleine, et l'on y dé - posa 5,900 cadavres, sans compter 600 qui furent enterrés au pont de Bouxières, et ceux qui furent noyés et égarés. L'auteur de la Chronique, auquel nous empruntons ces chiffres, rapporte, en outre, qu'on estimait que 7 ou 8,000 hommes avaient péri dans cette bataille.

Parmi les gens de distinction, on retrouva successivement, après le duc de Bourgogne et le sire de Rubempré, Frédéric de Florsheim, les seigneurs de Vaux-Marcus, de Croy, de la Vieuville et de Comtai. De plus, on avait fait prisonniers le grand bâtard et son frère Baudoin, Jean de Montfort, les comtes de Nassau et de Chimai, Cornille de Bergues, Olivier de la Marche, les seigneurs d'Aricourt et de Fontenoy, d'Asbourg et de Neufchâtel, Hugues de Château- Guyon et Josse de Lalain, celui ci grièvement blessé. L'artillerie et les étendards de Bourgogne restèrent


aux mains des vainqueurs. Il en fut de même des armes et de tout le matériel de siége.

Les historiens passent sous silence la perte de l'armée lorraine, qui dut être peu considérable, surtout aux ailes, où la résistance fut de courte durée. La poursuite, pendant laquelle succomba la plus grande partie des victimes, ne lui causa point de dommage. Toutefois, le P. Roland pense, mais à tort, que le bâtard de Vaudémont et les capitaines Harnexaire et Malhortie, dont les actions d'éclat avaient eu un long retentissement, furent au nombre des morts. Après 1477, en effet, leurs noms reparaissent dans des lettres patentes de René, et figurent parmi les officiers récompensés par le duc. Qui mieux que ces guerriers avait mérité de son prince et de son pays ?

Sur l'emplacement où furent ensevelis les ossements de tant de guerriers, le duc de Lorraine érigea, plusieurs années après, un petit temple à Notre-Dame de la Victoire, et qu'on appelait la chapelle des Bourguignons. Stanislas la remplaça en 1738 par l'église célèbre de Notre-Dame de Bon-Secours, où reposent


ses cendres. René, afin de perpétuer dans les âges futurs la mémoire de Charles le Téméraire, lui fit sculpter un splendide mausolée dans l'église Saint- Georges. Les restes du héros vaincu y demeurèrent jusqu'en 1550, époque à laquelle ils furent transportés à Bruges, où la piété d'un des plus illustres descendants de la maison de Bourgogne, Charles-Quint, leur réservait une royale sépulture.

Or, voici ce qu'on apprit touchant la mort de Charles après la découverte de son cadavre. Lorsqu'il disparut du combat avec sa petite troupe, il voulut gagner son quartier-général, établi à la Commande- rie, pour y rallier les fuyards qui se dirigeaient en grand nombre de ce côté, et opérer sa retraite vers Metz. Quelques cavaliers lorrains qui ne le connaissaient pas le suivaient à une courte distance. Entraîné dans sa course rapide trop près de l'endroit où le ruisseau traverse l'étang Saint-Jean, il chercha à le faire franchir d'un seul bond à son cheval, qui retomba embourbé dans la vase, dont il ne put sortir. Alors un chevalier nommé Claude de Beaumont,


châtelain de Saint-Dié, le frappa dans les reins d'un coup de lance qui le renversa de son coursier. Charles se releva et se remit en défense, mais Beau- mont redoubla ses efforts et lui perça la cuisse. Mis hors de combat par ces blessures, entouré d'ennemis acharnés, le prince entrevit sa dernière heure et cria : « Sauve Bourgogne! » Son agresseur, qui était un peu sourd, crut entendre : « Vive Bourgogne! » Exaspéré, il se jeta sur lui et lui fendit la tête. La poignée de Bourguignons qui accompagnait le duc, enflammée par les exhortations de M. de Bièvre, engagea autour de son maître un combat désespéré. Des fugitifs se retournèrent, et prirent courageusement part à la lutte. Presque tous y demeurèrent. Ce dernier et terrible épisode de la bataille, qui mettait le comble à l'immensité du désastre, fut le signal de la déroute de quelques hommes d'armes qui tenaient encore çà et là. Le grand bâtard Antoine, qui se dirigeait vers Laxou, fut pris, par deux gentilshommes lorrains nommés Jean de Bidos et Roquelaure.


Commines raconte qu'il a appris de la bouche des gens du duc de Bourgogne, faits prisonniers, que le prince n'était pas mort quand il fut frappé du coup qui le jeta à terre une dernière fois, et qu'il fut achevé et dépouillé par des soldats qui survinrent. Le page qui reconnut son cadavre disait la même chose. On prétend que Beaumont mourut de chagrin d'avoir ôté la vie à un si grand personnage.

Charles le Téméraire était alors dans là quarante- quatrième année de son âge et la dixième de son règne.

A l'endroit où il rendit à Dieu son âme superbe, on dressa une croix de Lorraine. Ce monument si simple, mais si imposant par la grandeur du souvenir qu'il rappelle, s'est écroulé plusieurs fois sous l'action dissolvante des siècles, mais il a toujours été religieusement relevé. On l'appelle à Nancy la croix de Bourgogne. Elle porte encore incrustée dans sa blanche pierre l'inscription que le vainqueur y fit apposer, et qui est celle-ci :


En l'an de l'Incarnation
Mil quatre centz septante six (1)
La veille de l'Apparition
Fut le duc de Bourgogne occis
En la bataille ici transis
Où croix suis mise pour mémoire
René, duc des Lorrains, mercy
Rendant à Dieu pour la victoire.

L'étang Saint-Jean ou de Virlay n'existe plus , il a été complétement desséché par la main de l'homme ; mais la chapelle de la Commanderie, élevée dans le champ de la mort du brave, et sous les murs de laquelle s'accomplit le dernier acte de ce drame sanglant, a traversé les âges avec son antique structure et son vieux clocher pointu (2). -

(1). Vieux style. D'après notre manière de compter, c'est 1477.

(2). Elle est enclavée dans une propriété particulière.


Voir aussi

Notes de la rédaction