Mozart et Salieri (1830) Pouchkine, scène 2

De Wicri Musique

Cette page contient le texte de la deuxième (et dernière) scène de la pièce Mozart et Salieri écrite par Alexandre Pouchkine en 1830.

Contexte

La pièce de Pouchkine repose sur l'hypothèse d'un conflit qui aurait abouti à l'empoisonnement de Mozart par Salieri.

Résumé

Dans la scène précédente, Salieri exprime son sentiment d'ingratitude face au génie de Mozart et envisage de l'empoisonner. Pour cela, il l'invite à manger.

Dans cette scène, Mozart et Salieri sont à table, Mozart lui fait part d’une chose étrange, une personne masquée et vêtue de noir lui a commandé un Requiem. Salieri le rassure en citant Beaumarchais et son Le Mariage de Figaro. Mozart répond en évoquant Tarare.

Salieri verse du poison dans le verre de Mozart, qui le boit, Mozart quitte la table, il a un malaise.

Le texte

Ce tableau de Albert Anker illustre une activité à caractère pédagogique sur une page Exercice collectif de versification
Cette partie introduira la restitution des éléments de versification dans la traduction en français du texte de Pouchkine. Dans un premier temps, il s'agit simplement d'aligner les textes français[1] et russes.

Les couleurs indiquent un niveau de traitement :

  • « alignement sur la partition de Rimski Kosakov  »
  • ou « simple découpage en vers »
La traduction en cours
 
Le texte original (en russe)
Mozart et Salieri, à table.
Une chambre dans un restaurant. — Un piano.
Salieri :

Tu parais de mauvaise humeur aujourd'hui.

Mozart :

          Moi? Non!

Salieri :

Je suis sûr, Mozart, que quelque chose te chagrine.
Le dîner est bon, le vin excellent, et tu ne dis mot,
Tu fronces le sourcil.

 
Особая комната в трактире; фортепиано.
Моцарт и Сальери за столом.
Сальери

Что ты сегодня пасмурен?

Моцарт

          Я? Нет!

Сальери

Ты верно, Моцарт, чем-нибудь расстроен?
Обед хороший, славное вино,
А ты молчишь и хмуришься.

- I -


Mozart :

À te dire vrai,
Mon Requiem me tourmente.

Salieri :

       Ah !
Tu composes un Requiem ? Est-ce depuis longtemps ?

Mozart :

Depuis trois semaines. Mais une circonstance étrange... Est-ce que je ne t'en ai rien dit ?

Salieri :

       Non.

Mozart :

Écoute. —
Un jour, il y a de cela trois semaines, je revins tard à la maison.
L'on me dit que quelqu'un, un inconnu, était venu me demander.
Je ne saurais te dire pourquoi, mais je pensai toute la nuit
Qui pouvait-ce être, et que voulait-on de moi ?

 
Моцарт
5

           Признаться,
Мой Requiem меня тревожит.

Сальери

           А!
Ты сочиняешь Requiem? Давно ли?

Моцарт

Давно, недели три. Но странный случай…
Не сказывал тебе я?

Сальери

   Нет.

Моцарт

           Так слушай.

10

Недели три тому, пришел я поздно
Домой. Сказали мне, что заходил
За мною кто-то. Отчего — не знаю,
Всю ночь я думал: кто бы это был?

- II -


Le lendemain revint le personnage, qui, de nouveau, ne me trouva point à la maison. Le troisième jour, j'étais à jouer avec mon garçon sur le plancher ; on m'appelle,
Je sors. Un monsieur tout vêtu de noir me salue poliment, me commande une messe de Requiem, et disparaît. Je me mis aussitôt à l'œuvre, et depuis ce jour mon homme noir n'est pas revenu. Mais je ne m'en plains pas, car j'aurais de la peine à cesser mon travail.
D'ailleurs le Requiem est à peu près fini,
Pourtant... je...

Salieri :

         Quoi ?

Mozart :

J'ai honte de l'avouer.

Salieri :

Avouer quoi ?

 
14

И что ему во мне? Назавтра тот же
Зашел и не застал опять меня.
На третий день играл я на полу
С моим мальчишкой. Кликнули меня;
Я вышел. Человек, одетый в черном,
Учтиво поклонившись, заказал

20

Мне Requiem и скрылся. Сел я тотчас
И стал писать — и с той поры за мною
Не приходил мой черный человек;
А я и рад: мне было б жаль расстаться
С моей работой, хоть совсем готов
Уж Requiem. Но между тем я…

Сальери
25

         Что?

Моцарт

Мне совестно признаться в этом…

Сальери

            В чем же?

- III -



Mozart :

 
Mon homme noir ne me laisse de repos ni jour ni nuit. Il me poursuit partout comme une ombre. Même à présent je crois voir qu'il est assis en tiers de nous.

Salieri :

Finis donc. Quelle crainte puérile ! Chasse cette vaine imagination. Beaumarchais me disait souvent : « Écoute, frère Salieri, quand des pensées noires te viendront, fais déboucher une bouteille de champagne, ou relis Le Mariage de Figaro. »

Mozart :

Ah ! oui, Beaumarchais était ton ami. Tu as composé pour lui Tarare, une œuvre excellente. Il y a là un motif que je fredonne toujours quand je me sens heureux. Tra la la la... A propos, Salieri, est-il vrai que Beaumarchais a empoisonné quelqu'un ?

 
Моцарт

Мне день и ночь покоя не дает
Мой черный человек. За мною всюду
Как тень он гонится. Вот и теперь

30

Мне кажется, он с нами сам-третей
Сидит.

Сальери

       И, полно! что за страх ребячий?
Рассей пустую думу. Бомарше
Говаривал мне: «Слушай, брат Сальери,
Как мысли черные к тебе придут,

35

Откупори шампанского бутылку
Иль перечти „Женитьбу Фигаро“».

Моцарт

Да! Бомарше ведь был тебе приятель;
Ты для него «Тарара» сочинил,
Вещь славную. Там есть один мотив…

40

Я все твержу его, когда я счастлив…
Ла ла ла ла… Ах, правда ли, Сальери,
Что Бомарше кого-то отравил?

- IV -


Salieri :

Je ne crois pas. Il était trop jovial pour un pareil métier.

Mozart :

Et puis, c'est un génie, comme toi, comme moi. Le génie et le crime sont deux choses incompatibles, n'est-ce pas ?

Salieri :

Ah ! tu crois.

Il jette le poison dans le verre de Mozart.

Eh bien ! alors... bois.

Mozart :

A ta santé, ami ! à l'affection sincère qui unit Salieri à Mozart, les deux fils de l'harmonie !

il boit.
 
Сальери

Не думаю: он слишком был смешон
Для ремесла такого.

Моцарт

        Он же гений,

45

Как ты да я. А гений и злодейство —
Две вещи несовместные. Не правда ль?

Сальери

Ты думаешь?

(Бросает яд в стакан Моцарта.)

      Ну, пей же.

Моцарт

        За твое
Здоровье, друг, за искренний союз,
Связующий Моцарта и Сальери,
Двух сыновей гармонии.

(Пьет.)
- V -


Salieri :

Arrête, arrête... tu as bu sans moi.

Mozart :
jetant sa serviette sur la table.

C'est assez.

Il va au piano.

Écoute, Salieri, mon Requiem.

Il joue quelques morceaux.

Eh bien ! tu pleures ?

Salieri :

 
Ces larmes
Je les verse pour la première fois. Douloureuses mais douces,
Comme si j'avais accompli un devoir pénible,
Comme si un couteau salutaire m'avait enlevé
Un membre malade. Ami Mozart, ces larmes...
N'y fais pas attention. Continue, hâte-toi
De remplir mon âme de tes accents divins.

 
Сальери
50

Постой, постой!.. Ты выпил… без меня?

Моцарт
(бросает салфетку на стол)

Довольно, сыт я.

(Идет к фортепиано.)

     Слушай же, Сальери,
Мой Requiem.

(Играет.)

     Ты плачешь?

Сальери

       Эти слезы
Впервые лью: и больно и приятно,
Как будто тяжкий совершил я долг,

55

Как будто нож целебный мне отсек
Страдавший член! Друг Моцарт, эти слезы…
Не замечай их. Продолжай, спеши
Еще наполнить звуками мне душу…

- VI -


Mozart :

Ah ! si tous sentaient ainsi la puissance de la musique ! Mais non, le monde n'eût pu subsister. Personne ne se serait préoccupé des basses nécessités de la vie terrestre ; tous se seraient adonnés à l'art libre. Nous sommes peu d'élus, peu de fortunés qui pouvons mépriser le gain sordide, et nous mettre en prières devant le seul beau, n'est-ce pas ?... Mais je ne me sens pas bien aujourd'hui. J'ai comme un poids qui m'étouffe. Je vais aller dormir. Adieu.

Salieri :

Adieu.

Mozart sort.

Tu t'endormiras pour longtemps, Mozart. — Mais a-t-il raison ? Je ne suis donc pas un génie ? Le génie et le crime, a-t-il dit, sont incompatibles. Non, ce n'est pas vrai. Et Michel-Ange !... Ou bien n'est-ce qu'une invention stupide et crédule ? Et le créateur du Vatican n'a-t-il pas été un assassin ?...

 
Моцарт

Когда бы все так чувствовали силу

60

Гармонии! Но нет: тогда б не мог
И мир существовать; никто б не стал
Заботиться о нуждах низкой жизни;
Все предались бы вольному искусству.
Нас мало избранных, счастливцев праздных,

65

Пренебрегающих презренной пользой,
Единого прекрасного жрецов.
Не правда ль? Но я нынче нездоров,
Мне что-то тяжело; пойду засну.
Прощай же!

Сальери

До свиданья.

(Один.)

 Ты заснешь

70

Надолго, Моцарт! Но ужель он прав,
И я не гений? Гений и злодейство
Две вещи несовместные. Неправда:
А Бонаротти? Или это сказка
Тупой, бессмысленной толпы — и не был

75

Убийцею создатель Ватикана?

- VII -


Voir aussi

Notes
  1. Le traduction donnée ici part de la traduction présente dans « Poèmes dramatiques d'Alexandre Pouchkine, Hachette, Paris, 1862, traduits par Ivan Tourguéneff et Louis Viardot », et plus précisément, à partir de « sur Wikisource».