La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition populaire/1895/Partie 2/Préludes : Différence entre versions

De Wicri Chanson de Roland
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Français se redressent, se remettent en pied;
 
1140 Les voilà absous et quittes de tous leurs péchés.
 
  
L'Archevêque leur a donné sa bénédiction au nom  
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Puis ils sont montés sur leurs destriers rapides.  
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Ils sont armés en chevaliers  
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| Les voilà absous et quittes de tous leurs péchés.
Et tout disposés pour la bataille.  
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|L'Archevêque leur a donné sa bénédiction au nom de Dieu;
« Sire compagnon, vous le savez,  
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« C'est Ganelon qui nous a tous trahis ;  
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|Puis ils sont montés sur leurs destriers rapides.
 
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« Il en a reçu bons deniers en argent et en or.  
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|Ils sont armés en chevaliers
« L'Empereur devrait bien nous venger.  
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1150 « Quant au roi Marsile, il a fait marché de nous,  
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|Et tout disposés pour la bataille.
« Mais c'est avec nos épées qu'il sera payé. » Aoi.
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|« Sire compagnon, vous le savez,
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Version du 23 mai 2022 à 17:04

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Fig. 15. — L'Archevêque les bénit de par Dieu : « Pour votre pénitence, vous frapperez les païens. » (V. 1137, 1138.) (Composition de Zier.)


Les préludes de la grande bataille
et la fierté de Roland

Facsimilés

Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 115.jpg Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 116.jpg Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 117.jpg Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 118.jpg Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 119.jpg
Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 120.jpg Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 121.jpg Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 122.jpg Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 123.jpg


Les couplets (laisses)

LXXXVI

O. => LXXIX
Olivier monte sur une hauteur :
Il regarde à droite parmi le val herbu,
Et voit venir toute l'armée païenne.
1020 Il appelle son compagnon Roland :
« Ah ! » dit-il, « du côté de l'Espagne, quel bruit j'entends venir !
Que de blancs hauberts! que de heaumes flamboyants !
« Nos Français vont en avoir grande ire.
« Cette trahison est l'œuvre de Ganelon, ce félon ;
1025   « C'est lui qui nous lit donner cette besogne par l'Empereur.
« — Tais-toi, Olivier, » répond le comte Roland ;
« C'est mon beau-père, n'en sonne plus mot. » Aoi.

LXXXVII

O. => LXXX
Olivier est monté sur une colline élevée :
De là il découvre le royaume d'Espagne
1030   Et le grand assemblement des Sarrasins.
Les heaumes luisent, tout couverts d'or et de pierreries ,
Et les écus, et les hauberts brodés,
Et les épieux, et les gonfanons au bout des lances.
Olivier ne peut compter les bataillons ;
1035 Il y en a tant, qu'il n'en sait la quantité !
En lui-même il en est tout égaré.
Comme il a pu, est descendu de la colline ,
Est venu vers les Français, leur a tout raconté. Aoi.

LXXXVIII

O. => LXXXI
Olivier dit : « J'ai vu tant de païens,
1040   « Que nul homme n'en vit jamais plus sur la terre.
« 11 y en a bien cent mille devant nous avec leurs écus,
« Leurs heaumes lacés, leurs blancs hauberts,
« Leurs lances droites, leurs blancs épieux luisants.
« Vous aurez bataille, bataille comme il n'y en eut jamais.
1045   « Seigneurs Français, que Dieu vous donne sa force;
« Et tenez ferme pour n'être point vaincus. »
Et les Français : « Maudit qui s'enfuira, » disent-ils.
« Pas un ne vous fera défaut pour cette mort ! » Aoi.

LXXXIX

O. => LXXXII
Olivier dit : « Païens ont grande force,
1050   « Et nos Français, ce me semble, sont bien peu.
« Ami Roland, sonnez de votre cor :
« Charles l'entendra, et fera retourner son armée.
« — Je serais bien fou , » répond Roland ;
« Dans la douce France, j'en perdrais ma gloire.
1055   « Non, mais je frapperai grands coups de Durendal;
« Le fer en sera sanglant jusqu'à l'or de la garde.
« Nos Français y frapperont aussi, et avec quel élan !
« Félons païens furent mal inspirés de venir aux défilés :
« Je vous jure que, tous, ils sont jugés à mort.» Aoi.

XC

« Ami Roland, sonnez votre olifant :
1000   * Charles l'entendra, et fera retourner la grande armée.
« Le Roi et ses barons viendront à notre secours.
« — A Dieu ne plaise, » répond Roland,
«. Que mes parents jamais soient blâmés à cause de moi,
« Ni que France la douce tombe jamais dans le déshonneur !
1065   « Non, mais je frapperai grands coups de Durendal,
« Ma bonne épée que j'ai ceinte à mon côté,
« Vous en verrez tout le fer ensanglanté.
« Félons païens se sont assemblés ici pour leur malheur :
« Je vous jure qu'ils sont tous condamnés à mort. » Aoi.

XCI

1070   « Ami Roland, sonnez de votre olifant.
« Le son en ira jusqu'à Charles, qui passe aux défilés,
« Et les Français, je vous le jure, retourneront sur leurs pas.
« — A Dieu ne plaise, » répond Roland,
« Qu'il soit jamais dit par aucun homme vivant
1075   « Que j'ai sonné mon cor à cause des païens !
« Je ne ferai pas aux miens ce déshonneur.
« Mais quand je serai dans la grande bataille,
« J'y frapperai mille et sept cents coups :
« De Durendal vous verrez le fer tout sanglant.
1080   « Français sont bons : ils frapperont en braves ;
« Les Sarrasins ne peuvent échapper à la mort.» Aoi.

XCII

« - Je ne vois pas où serait le déshonneur, » dit Olivier.
« J'ai vu, j'ai vu les Sarrasins d'Espagne;
« Les vallées , les montagnes en sont couvertes ;
1085   « Et les landes aussi, et toutes les plaines.
« Qu'elle est puissante, l'armée de la gent étrangère,
« Et que petite est notre compagnie !
« — Tant mieux , » répond Roland , « mon ardeur s'en accroît.
« Ne plaise à Dieu, ni à ses très saints anges,
4090   « Que France, à cause de moi, perde de sa valeur!
« Plutôt la mort que le déshonneur.
« Plus nous frappons, plus l'Empereur nous aime ! » Aoi.
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XCIII

Roland est preux , mais Olivier est sage ;
Ils sont tous deux de merveilleux courage.
1095   Puis d'ailleurs qu'ils sont à cheval et en armes,
Ils aimeraient mieux mourir qu'esquiver la bataille.
Les comtes ont l'àme bonne, et hautes sont leurs paroles...
Félons païens chevauchent par grande ire.
« Voyez un peu, Roland, » dit Olivier ;
1100   « Les voici près de nous, et Charles est trop loin.
« Ah ! vous n'avez pas voulu sonner de votre cor;
« Le Roi serait ici, et nous ne serions pas en danger.
« Mais ceux qui sont là -bas ne méritent aucun blâme ;
« Jetez les yeux là-haut vers les défilés d'Aspre :
« Vous y verrez dolente arrière-garde.
1105   " Tel s'y trouve aujourd'hui qui plus jamais ne sera dans une autre.
« — Ne parlez pas aussi follement, répond Roland.
« Maudit soit qui porte un lâche cœur au ventre!
« Nous tiendrons pied fortement sur la place;
« De nous viendront les coups, et de nous la bataille ! » Aoi.

XCIV

1110   Quand Roland voit qu'il y aura bataille,
Il se fait plus fier que lion ou léopard.
Il interpelle les Français, puis Olivier :
« Ne parle plus ainsi, ami et compagnon ;
« L'Empereur, qui nous laissa ses Français,
1115   « A mis à part ces vingt mille que voici.
« Pas un lâche parmi eux, Charles le sait bien.
« Pour son seigneur on doit souffrir grands maux,
« Endurer le chaud et le froid ,
« Perdre de son sang et de sa chair.
1120   « Frappe de ta lance, Olivier, et moi, de Durendal,
« Ma bonne épée que me donna le Roi.
« Et si je meurs, qui l'aura pourra dire :
« C'était l'épée d'un noble vassal ! » Aoi.

XCV

D'autre part est l'archevêque Turpin :
1125   II pique son cheval, et monte sur une colline;
Puis s'adresse aux Français, et leur fait ce sermon :
« Seigneurs barons, Charles nous a laissés ici,
« C'est notre roi : notre devoir est de mourir pour lui.
« Chrétienté est en péril, maintenez-la.
1130   « Il est certain que vous aurez bataille;
« Car sous vos yeux, voici les Sarrasins.
« Or donc, battez votre coulpe, et demandez à Dieu merci.
« Pour guérir vos âmes, je vais vous absoudre.
« Si vous mourez, vous serez tous martyrs;
1135   « Dans le grand paradis vos places sont toutes prêtes. »
Français descendent de cheval, s'agenouillent à terre,
Et l'Archevêque les bénit de par Dieu :
« Pour votre pénitence, vous frapperez les païens. » Aoi.

XCVI

Français se redressent, se remettent en pied;
1140   Les voilà absous et quittes de tous leurs péchés.
L'Archevêque leur a donné sa bénédiction au nom de Dieu;
Puis ils sont montés sur leurs destriers rapides.
Ils sont armés en chevaliers
Et tout disposés pour la bataille.
1145   Le comte Roland appelle Olivier :
« Sire compagnon, vous le savez,
« C'est Ganelon qui nous a tous trahis ;
« Il en a reçu bons deniers en argent et en or.
« L'Empereur devrait bien nous venger.
1150   « Quant au roi Marsile, il a fait marché de nous,
« Mais c'est avec nos épées qu'il sera payé. » Aoi.

XCVII

Aux défilés d'Espagne passe Roland Sur Veillantif, son bon cheval courant. Ses armes lui sont très avenantes ; 1155 11 s'avance, le baron, avec sa lance au poing Dont le fer est tourné vers le ciel Et au bout de laquelle est lacé un gonfanon tout

blanc. Les franges d'or lui descendent jusqu'aux mains. 1100 Le corps de Roland est tout gaillard, son visage est clair et riant. Sur ses pas marche Olivier, son ami; Et ceux de France, le montrant : « Voilà notre cham- pion, » s'écrient -ils. Sur les Sarrasins il jette un regard fier, Mais humble et doux sur les Français; Puis leur a dit un mot courtois : 1165 « Seigneurs barons, allez au petit pas :

« Ces païens, en vérité, viennent ici chercher grand

martyre. « Le beau butin que nous aurons aujourd'hui! « Aucun roi de France n'en fit jamais d'aussi riche. » A ces mots, les deux armées se rencontrent. Aoi.

XCVIII

XGVIII


1170 « Point n'ai souci de parler, dit alors Olivier. « Vous n'avez pas daigné sonner de votre cor, « Et voici que le secours de Charles vous fera dé- faut. « Certes, il n'est pas coupable; car il n'en sait mot,

le baron , « Et ceux qui sont là-bas ne sont point à blâmer. 1175 « Maintenant chevauchez du mieux que vous pourrez, « Seigneurs barons, et ne reculez point.





« Au nom de Dieu , ne pensez qu'à deux choses :

« A recevoir et à donner de bons coups.

« Et n'oublions pas la devise de Charles. » 1180 A ce mot, les Français ne poussent qu'un seul cri :

« Monjoie! » Qui les eût entendus crier de la sorte,

Eût eu l'ide'e du courage.

Puis ils chevauchent, Dieu ! avec quelle fierté !

Pour aller plus rapidement donnent un fort coup d'éperon , 1185 Et (que feraient-ils autre chose?) se jettent sur l'ennemi.

Mais les païens n'ont pas peur :

Voilà Français et Sarrasins aux prises... Aoi.


Notes originales

1032. Hauberts brodés

1032.↑ Hauberts brodés Le texte porte safret. On mêlait du fil d'archal aux mailles de fer du hauberl , et l'on produisait par là une broderie grossière qui ornait surtout le bas de ce vêtement. Ce sont particulièrement les pans du haubert qui sont safrés (v. 3141). Dans la bataille, rien n'était plus aisé que de les désaffrer (v. 3426).

1042. Blancs hauberts

On a verni en diverses couleurs le métal du hauberl. il y en eut de bleus, de verts, etc. (J. Quicherât, Histoire du costutne t p. 151.) Mais quand le métal n'élail pas vernissé en couleur, quand il ne subis- sait d'autre préparation que le polissage ( c'était le « blanc haubert ».

1059. L'olifant

Il faut établir une distinction entre le cor que poi te chaque chevalier el ['olifant. Il y ;i soixante raille cors dans l'armée de Charles, mais il n'\ a qu'un olifant. Après la morl de Roland , Chai les dit à Babel el à Guine- in.ini : c Vous remplacerez aujourd'hui « Roland el < Hivier : l'un de vous por- « tera l'épée el l'autre L'olifant, o i V.3016, l!n|7.i Celui-ci esl d'ivoire, comme son


nom l'indique, el la légende épique lui

Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 117 fig 1.png

prête un son bien plus retentissanl qu'à tous les autres cors : Sur luz les astres bundist H olifant. (V. 3119. Cf. 3302.) = Les « olifants » avaient la forme d'une corne; ils étaient parfois très richemenl


sculptés. Nous en reproduisons ici un des plus anciens modèles, il remonte au XII e siècle. (Voir Mélanges archéolo- giques du P. Cahier, t. II, p. 36.)

1135. Dans le grand paradis

. « Qu'est- ce que la mui'i laisse subsister chez les héros d'Homère? Une âme, une vaine image, qui, dès que la vie a abandonné


lesossements, s'échappe e1 vu] lige comme un songe. » (Giguet, Essai d'encyclo- pédie homérique, p. 626.) L'auteur du Roland, au contraire, el lous les ailleurs

I d<> nos Chansons de geste possédaient V sur l'autre vie les notions très ne

la doctrine chrétienne. Le paradis esl

pour eux le lieu des âmes saintes, le

lieu où elles contemplent Dieu, Partoul

on voit, dans nos poèmes, les Anges

emporter au ciel 1rs Aines des dus, el

les démons traînei en enfi i les âmes

des damnés. Il esl digne de remarque

i|ue nus poêles oui loii.joiirs professé le

dogme de l'éternité des peines : Diable

emportent l'anme en enfer à tous dis.


Quant aux images dont ils se servent pour peindre le paradis, elles ne sonl ni très variées ni très compliquées. La plus populaire esl celle-ci : « Les saintes lieu i s du paradis. » Se figurer le paradis comme un jardin plein de belles ûeui s! Celle conception est en véi ité toute militaire, el s'explique par la loi des contrastes. Tous les vieux soldats aimenl les lleurs. i L'idée religieuse dans les Chansons de geste, par L. <i.. p. 29.)

1187. Voilà Français et Sarrasins aux prises

Toutes les batailles racon- tées dans nos poèmes se ressemblent. Deux armées arrivent en présence Tune de l'autre ; les plus forts et les mieux- armés sortent des rangs et en viennent aux mains. Une bataille alors n'est qu'une série de duels, une partie de


barres sanglante. « Suivant le bon ou le mauvais succès de ces engagements par- ticuliers, les masses avancent ou reculent jusqu'au moment où l'un des deux par- tis cède absolument le champ de bataille. Le lendemain on enterre les morts, et tout recommence de plus belle. » ( His- toire littéraire, xxn, 717.)






Voir aussi