La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition populaire/1895/Partie 2/Roland va mourir

De Wicri Chanson de Roland
logo travaux Page en cours d'importation
Fig. 21. — « O ma bonne Durendal , comme tu es claire et blanche! »
(Vers 2316.)
(Composition de Zier.)
Roland va mourir

Facsimilés

Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 191.jpg
Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 192.jpg Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 193.jpg
Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 194.jpg
Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 195.jpg

Les chapitres (laisses)

CXCVIII

O. => CLXVII
  Roland lui-même sent que la mort lui est proche ;
 2260  Sa cervelle s'en va par les oreilles.
Le voilà qui prie pour ses pairs d'abord, afin que Dieu les appelle.
Puis il se recommande à l'ange Gabriel.
Il prend l'olifant d'une main (pour n'en pas avoir de reproche),
Et de l'autre saisit Durendal, son épée.
 2265  II s'avance plus loin qu'une portée d'arbalète ;
Il s'avance sur la terre d'Espagne, entre un champ,
Monte sur un tertre. Sous deux beaux arbres,
Il y a là quatre perrons de marbre.
Roland tombe à l'envers sur l'herbe verte
 2270  Et se pâme, car la mort lui est proche.     Aoi.

CXCIX

Les puys sont hauts, hauts sont les arbres.
Il y a là quatre perrons, tout luisants de marbre.
Sur l'herbe verte le comte Roland se pâme.

Cependant un Sarrasin l'épie,

2275 Qui contrefait le mort et gît parmi les autres ;
Il a couvert de sang son corps et son visage.
Soudain il se redresse, il accourt.
Il est fort, il est beau et de grande bravoure.
Plein d'orgueil et de mortelle rage,
2280   Il saisit Roland, corps et armes,
Et s'écrie : <s Vaincu, il est vaincu, le neveu do Charles !
« Voilà son épée que je porterai en Arabie. »
Il la prend en son poing et tire la barbe de Roland;
Mais, comme il la tirait, Roland reprit un peu connaissance. Aoi.

CC

Roland sent bien qu'on lui enlève son épée ;
2285   II ouvre les yeux, ne dit qu'un mot :
« Tu n'es pas des nôtres, que je sache! »
De son olifant, qu'il ne voulut jamais lâcher,
Il frappe un rude coup sur le heaume couvert de pierreries et d'or,
Brise l'acier, la tête et les os du païen,
2290   Lui fait jaillir les deux yeux hors du chef
Et le retourne mort à ses pieds :
« Lâche, » dit-il, « qui t'a rendu si osé,
« A tort ou à droit, de mettre la main sur Roland?
« Qui le saura t'en estimera fou.
2295   « Le pavillon de mon olifant en est fendu ;
« L'or et les pierreries en sont tombés. » Aoi.

CCI

Roland sent bien que la mort le presse;
Il se lève et, tant qu'il peut, s'évertue :
Las! son visage n'a plus de couleurs.
Alors il prend, toute nue, son épée Durendal :
2300   Devant lui est une roche brune ;
Par grande douleur et colère, il y assène dix forts coups ;
L'acier de Duraudal grince, peint ne se rompt, point ne s'ébrèche.
« Ah! sainte Marie, venez à mon aide. » dit le comte.
« ma bonne Durendal, quel malheur!
2305   « A l'heure où je me sépare de vous, plus ne puis en avoir cure;
« Avec vous j'ai tant gagné de batailles !
« J'ai tant conquis de vastes royaumes
« Que tient aujourd'hui Charles à la barbe chenue!
« Ne vous ait pas qui fuie devant un autre!
« Tant que je vivrai, vous ne me serez pas enlevée :
2310   « Car vous avez été longtemps au poing d'un bon vassal.
« Tel qu'il n'y en aura jamais en France, la terre libre, » Aoi.

CCII

Roland frappe une seconde fois au perron de sardoine.
L'acier grince : il ne se rompt pas, il ne s'ébrèche point.
Quand le Comte s'aperçoit qu'il ne peut briser son épée,
2315   En dedans de lui-même il commence à la plaindre :
« O ma bonne Durendal, comme tu es claire et blanche !
« Comme tu luis et flamboies au soleil !
« Je m'en souviens : Charles était aux vallons de Maurienne,
« Quand Dieu, du haut du ciel, lui manda par son ange
2320   De te donner à un vaillant capitaine.
« C'est alors que le grand , le noble roi la ceignit à mon côté...
« Avec elle je lui conquis l'Anjou et la Bretagne;
« Je lui conquis le Poitou et le Maine ;
« Je lui conquis la libre Normandie ;
2325   « Je lui conquis Provence et Aquitaine,
« La Lombardie et toute la Romagne;
« Je lui conquis la Bavière et les Flandres,
« Et la Bulgarie et toute la Pologne,
« Constantinople qui lui rendit hommage,
2330   « Et la Saxe qui se soumit à son bon plaisir ;
« Je lui conquis Ecosse, Galles, Irlande
« Et l'Angleterre, son domaine privé.
« En ai-je assez conquis, de pays et de terres,
« Que tient Charles à la barbe chenue !
2335   Et maintenant j'ai grande douleur à cause de cette épée :
« Plutôt mourir que de la laisser aux païens!
« Que Dieu n'inflige point cette honte à la France! » Aoi.

CCIII

Pour la troisième fois, Roland trappe sur une pierre bise :
Plus en. abat que je ne saurais dire.
2340   L'acier grince, il ne rompt pas :
L'épée remonte en amont vers le ciel.
Quand le Comte s'aperçoit qu'il ne la peut briser,
Tout doucement il la plaint en lui-même :
« Ma Durendal, comme tu es belle et sainte!
2345   « Dans ta garde dorée il y a bien des reliques :
« Une dent de saint Pierre, du sang de saint Basile,
« Des cheveux de monseigneur saint Denis,
« Du vêtement de la Vierge Marie.
« Non, non, ce n'est pas droit que païens te possèdent.
2350   « Tu ne dois être servie que par des mains chrétiennes.
« Combien de batailles j'aurai par toi menées à fin,
« Combien de terres j'aurai par toi conquises,
« Que tient Charles à la barbe fleurie,
« Et qui sont aujourd'hui la puissance et la richesse de l'Empereur !
« Plaise à Dieu que tu ne tombes pas aux mains d'un lâche !
« Que Dieu n'inflige point cette honte à la France ! » Aoi.




Correspondances

Dans ce chapitre Dans le manuscrit d'Oxford
CXCVIII CLXVII

Voir aussi

Sur Internet Archive