C de Lihus 1804 Principes d'agriculture et d'économie - Ch7 P3

De Wicri Agronomie
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Principes d'agriculture et d'économie
Table des matières
Préface p. v
PARTIE I
Chapitre 1 p. 1
Chapitre 2 p. 10
PARTIE II
Amontement p. 51
PARTIE III
Mois de mai p. 79
Mois de juin p. 118
Mois de juillet p. 140
Mois d'aoust p. 152
Mois de septembre p. 196
Mois d'octobre p. 223
Mois de novembre p. 252
Mois de décembre et janvier p. 272
Mois de février p. 280
Mois de mars p. 294
Mois d'avril p. 312
Conclusion p. 328
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TROISIÈME PARTIE.


TRAVAUX AGRICOLES DE CHAQUE MOIS.


[252] MOIS DE NOVEMBRE.

Insere, Daphni, pyros ; carpent tua poma nepotes
Virgil. Buc.[1]

Les semences de vesces, le pressurage des pommes, les plantations, tels sont les travaux de Novembre, qui sont rarement contrariés par le mauvais tems. Il arrive presque toujours, dans ce mois, quelques jours favorables à ces opérations, qui peuvent, sans inconvénient, s'avancer ou se retarder : souvent même un nouvel été succède aux pluies et aux brouillards d'Octobre. Qu'on profite de ces beaux jours pour semer les vesces.

Vesce.

Ce fourrage est si excellent pour les chevaux, il leur donne une telle vigueur et un tel courage, que rien ne peut le suppléer. Il ne faut pas cependant en abuser : si on leur en donnait une trop grande quantité, cela les échaufferait trop ; il est même bon de le leur retrancher l'hiver, et d'y substituer la bizaille, qui est rafraîchissante. La vesce a encore un autre défaut, c'est d'engendrer beaucoup d'herbes ; ce que ne fait pas la bizaille, qui rafraîchit la terre sans l'épuiser. Je conseillerais donc de semer moitié vesce, moitié [253] bizaille, et quant à la vesce, ne semer, avant l'hiver, que les deux tiers des terres qu’on y destine.

Terres propres à la vesce.

Toutes les terres sont propres à rapporter de la vesce, quand l'hiver n'est pas trop rigoureux ou trop pluvieux ; mais, comme il est rare de rencontrer un tems si favorable, il faut placer la vesce dans les endroits les moins exposés aux injures de l'air : ainsi les terres plates, noyantes ou qui se battent trop, ne lui conviennent pas ; celles qui sont froides, exposées à la gelée et au grand froid, ne lui sont pas encore propres : elle n'aime pas non plus les terres glaiseuses et trop fortes, les défrichemens de trèfle ou luzerne, parce que l'humidité la fait pourrir. Elle se plaît, au contraire, dans les terres qui n'ont pas beaucoup de fond, et sur-tout dans les terres caillouteuses, abritées du vent par une côte, par des haies, des arbres ou un bois : rarement la vesce d'hiver manque dans ces terreins, à moins qu'il ne survienne des gelées extraordinaires qui la fassent périr.

Culture de la vesce.

Le tems le plus propre pour semer la vesce, est depuis le premier Novembre jusqu'à la fin du mois ; ce grain, lorsqu'il est semé plutôt [254] pousse trop vite avant l’hiver, et se trouvant trop fort au printems, est souvent la victime des gelées et brouillards de Mars, qui arrêtent sa pousse et l'empêchent de croître ; et c'est ce que j'ai vu arriver à une vesce qui, quoique la plus belle du pays pendant l'hiver, a été ensuite tellement endommagée des brouillards et des petites gelées, qu'elle a donné une très-médiocre récolte. D'un autre côté, si on sème la vesce trop tard, il est à craindre que les gelées ou l'humidité ne fassent périr le grain avant qu'il soit levé, ou plutôt lorsqu'il sort de terre. Ce n'est pas qu'il ne se conserve très-long-tems intact dans la terre, d'où il sort quelquefois, avec abondance, en Mars et Avril ; mais on ne peut pas toujours se flatter de cet avantage. La récolte est plus sûre lorsque la vesce est bien levée et a un pied suffisant avant les grands froids et l'humidité stagnante que produisent les pluies et les dégels.

La culture de ce grain est simple : on laboure une fois la terre, qu'on sème ensuite, et qu'on herse deux ou trois fois suivant le besoin. L'essentiel est de choisir un beau tems pour la travailler, et n'y mettre la charrue que lorsqu'elle sera bien ressuyée ; car le plus grand ennemi de la vesce est l'humidité : ainsi, quand la terre est suffisamment sèche, que le labour, au lieu de se tailler par morceaux, s'émiette, et qu'un beau [255] soleil, en séchant entièrement la terre, la rend grise derrière la charrue, retournez les chaumes de blés, et semez chaque jour ce que vous aurez labouré, de peur que l'inconstance du tems ne dérange une si belle préparation. La quantité de semence est la même que pour le blé ; on aura seulement soin d'en mettre davantage dans les terres fortes ou noyantes.

Pressurage des pommes.

Il ne faut cidrer les pommes que lorsqu'elles commencent à s'attendrir ; c'est ce qu'on appelle se parer. H ne faut pas cependant attendre qu'elles le soient trop ; car, des pommes pourries contiennent moins de jus que celles qui, quoique parées, sont encore fraîches ; elles ont un autre inconvénient, c'est de produire beaucoup de lie : on doit craindre aussi les gelées, qui quelquefois prennent de bonne heure, et qui non- seulement gâtent les pommes, mais encore empêchent de les pressurer, ou sont cause que le cidre se tire mal. Je divise le cidre en trois espèces, le commun, le bon, et celui de première qualité.

Cidre commun.

On doit faire du cidre commun pour les domestiques, et c'est une folie que de leur donner une boisson trop forte ; il suffit qu'elle soit [256] rafraîchissante et sans mauvais goût. Combien de pays qui ne boivent que de l’eau, et s'estimeraient heureux d'avoir du cidre léger pour boisson ! Ce cidre se fait avec mélange de pommes et poires, ce qui forme la quatrième division indiquée en Octobre. En Normandie, l'usage est de donner aux gens de la piquette, c'est-à-dire, le jus du marc pressuré une seconde fois ; il y a apparence que dans ce pays le marc reste plus gras. Ce qu'il y a de sûr, c'est que dans celui que j'habite, il serait presque impossible de rien tirer de bon, quand il est bien pressé et recoupé trois fois. Nous aimons donc beaucoup mieux mettre plus d'eau dans le cidre destiné à être bu dans l'année ; cependant la qualité des fruits doit décider encore de la quantité d'eau : ceux des terres à cailloux portent plus d'eau que les autres ; les pommes en exigent plus que les poires. On peut faire un muid de Paris avec un muid et demi de pommes, en mettant un tiers de muid d'eau. On divise cette eau et ces pommes par égales portions dans les pilées ; par exemple, en supposant le muid contenir en pommes six mesures, et en eau huit selles, on fera six pilées, chacune de trois mesures de pommes et d'une selle et demie d'eau, qui produiront deux muids de cidre, composé de trois muids de pommes et d'un muid une selle d'eau.

[257]

Bon cidre.

Il n'est pas nécessaire, pour que le cidre soit bon, qu'il soit fait uniquement avec des pommes douces et sans mélange de poires ; car, 1°. les pommes douces rendent un jus agréable, mais peu abondant, et ont besoin des fruits surs pour stimuler un peu leur lenteur à sortir de la presse ; 2°. les poires contribuent à rendre le cidre plus doux ou plus piquant suivant leurs qualités. Ainsi on fera de bon cidre, en mêlant dans les fruits doux, un tiers composé, moitié de fruits surs, et moitié de poires bonnes pour du poiré ; on mettra par pilée la même quantité de pommes ; seulement on mettra un tiers moins d'eau, c'est-à-dire, une seille ; cette proportion est plus que suffisante pour faire du cidre vendable, soit aux débitans soit aux particuliers.

Plusieurs personnes croient trouver du bénéfice à faire du cidre meilleur, pour économiser la quantité de tonneaux. Sous ce rapport, l'économie est certaine ; mais ils se trompent s'ils se croient dédommagés par la vente de la moindre quantité ; en voici la preuve : supposons le muid de pommes à dix livres, il faut compter vingt-cinq livres pour faire un muid de cidre, avec un peu d'eau, puisque ce n'est encore que deux muids et demi de pommes ; tandis que, suivant [258] la manière que j'ai indiquée, on obtiendra pareille quantité de cidre, avec un muid et demi de pommes revenant à 15 livres. La différence des deux boissons est par conséquent de dix livres ; or, je le demande, existe-t-il cette différence entre le cidre commun et le bon cidre ? Il s'en faut de beaucoup ; car, je n'ai jamais vendu le meilleur cidre six livres par muid de plus que l'inférieur : d'ailleurs on trouve plus aisément à se défaire du cidre commun, et il est de la prudence de prévoir l'année de stérilité, en assurant, pour deux ans, la provision de cidre des gens.

Cidre, première qualité.

Pour faire ce cidre, il faut, pour un muid, trois muids de pommes de la meilleure espèce, mêlés avec un cinquième de poires propres pour le poiré ; les pommes doivent être suffisamment parées ; les poires, au contraire, doivent être pelées toutes fraîches pour conserver leur force ; ce mélange de poires ôte, il est vrai, un peu de couleur au cidre, mais aussi il le rend plus clair, plus vif, plus pétillant, et le fait caper plus promptement. Comme on ne met pas d'eau dans la pile, il est bon, pour empêcher le marc de se répandre, de humecter avec un seau de bon cidre : lorsque la presse coulera, on entonnera promptement, de peur que le cidre ne s'évente, [259] et on aura soin de le mêler dans plusieurs pièces, afin qu'il soit de même qualité ; attention surtout nécessaire pour le cidre commun, dont le moins bon sort le premier, parce que l'eau s'échappe plutôt que le jus de la pomme. Le cidre entonné doit être promptement conduit à sa destination, de peur qu'en lui laissant le tems de fermenter, on ne le trouble en le déplaçant, et on tâchera de le mettre dans un endroit chaud et le moins exposé possible à l'air : aussi-tôt qu'il y est placé, on le débonde et on le remplit presque entièrement, afin qu'il bouille plus promptement. Il est vrai qu'il se répand quelquefois, mais en fait de bon cidre, il vaut mieux s'exposer à en perdre un peu pour l'avoir meilleur ; en général, pour qu'il soit bon, il faut qu'il cape dans les trois premiers jours qu'il est à la cave. On dit qu'il est capé, lorsque, à force de bouillir, il jette en haut, par la bonde, une lie épaisse qui, en s'accumulant, fait un croûte assez dure pour ne pas être enfoncée avec le doigt ; quelquefois la cape reste plusieurs jours, d'autres fois aussi elle retombe quelques heures après : il faut donc, dans les premiers jours, visiter souvent le cidre, pour profiter du moment qu'il est bien capé pour le soutirer. Il faut cependant examiner s'il est clair, car il ne faudrait pas y toucher s'il ne l'était pas ; ordinairement il est clair quand il est capé ; ce [260] que l'on tire alors se trouvant entre deux lies, celle de dessus et celle de dessous, et c'est ce qui assure la bonté du cidre, qui en même tems reste toujours doux ; mais il arrive quelquefois qu'il n'est pas clair, et qu'aussi-tôt qu'on en tire, la cape retombe, et par conséquent le trouble ; alors on ne ferait que le gâter en le tirant, il vaut mieux attendre qu'il soit clair, ce qui arrive quelquefois peu de tems après, lorsqu'il cesse de bouillir, et que par conséquent la lie reste fixée en haut : il y a des cidres qui éclaircissent promptement sans caper, il faut, dans ce cas, les tirer et saisir le moment ; car j'ai vu ne pouvoir plus soutirer des cidres, pour avoir différé de quelques jours, espérant qu'ils s'éclairciraient davantage, tandis qu'au contraire ils se sont troublés pour plusieurs mois. Une attention encore indispensable pour avoir de bon cidre, c'est de ne soutirer que ce qui est parfaitement clair, et de s'arrêter aussi-tôt que l'on voit paraître tant soit peu de lie ; le déchet est considérable, puisqu'il est du tiers au moins ; mais, il faut faire quelques sacrifices pour avoir de bon cidre, et on ne peut rien espérer d'excellent s'il n'est clair. On laisse le cidre soutiré s'éclaircir et se reposer deux ou trois mois environ, après quoi on le tire en bouteilles : celles qui lui sont le plus convenables sont celles de grès, parce qu'elles sont plus poreuses et [261] moins sujettes à casser ; pour éviter cet accident, elles doivent être légèrement bouchées et posées obliquement. Vers le mois de Juin, ce cidre devient agréable et pétillant, au point de mousser comme le meilleur vin de Champagne. Telle est la manière de faire du cidre de première qualité, manière cependant qui ne réussit pas toujours, parce qu'elle dépend de mille attentions nécessaires pour le faire caper et le rendre bon. La plus petite précaution oubliée suffit pour ne pas réussir ; et encore, avec toutes ces précautions, l'intempérie de l'air s'oppose souvent aux succès qu'on espérait ; de grands vents, de petites gelées suffisent pour empêcher le cidre de caper, sur-tout quand il est fait sans eau. Voilà pourquoi il faut fabriquer le cidre qu'on veut faire caper, le plutôt possible, et aussi-tôt que les pommes sont assez parées. Un soin dont je ne parlais pas, c'est de bien choisir les pièces qui doivent contenir le bon cidre, écarter celles qui ont quelque mauvais goût, et remarquer celles dans lesquelles le cidre se bonifie ; car souvent la bonté du cidre dépend des pièces qui le renferment, et on est tout surpris de voir du cidre de même qualité, bon dans une pièce, et très-médiocre dans une autre. Rarement j'ai réussi à faire ce cidre de première qualité, qui alors a été de pair avec le meilleur de Normandie : aussi ai-je [262] pris l'habitude de n'en faire que peu sans eau, et une plus grande quantité avec les mêmes précautions, mais en y ajoutant une seille d'eau par pilée, ce qui le fait caper infailliblement ; ce cidre est aussi pétillant que l'autre, mais plus léger, et, pour cette raison, plusieurs personnes le préfèrent pour boisson habituelle, l'autre étant si fort qu'on ne peut en boire beaucoup à la fois.

Il y a une autre manière de faire de bon cidre sans frais : c'est de mettre à part toutes les dernières recoupes de cidre commun ; ces recoupes, qui forment le plus excellent jus du cidre, et qu'on appelle mère-goutte, font toujours d'excellente boisson, qui ne manque jamais de caper, à cause de l'eau qu'elle renferme[N 1][C 1].

Plantations.

Le mois de Novembre est le plus propre pour les plantations. La terre n'a pas perdu toute sa chaleur ; elle se travaille encore bien, et promet aux jeunes plants un suc augmenté par les pluies [263] et les frimas de l'hiver. C'est un devoir pour un père de famille de planter ; aussi le cultivateur doit-il, tous les ans, planter une certaine quantité d'arbres pour réparer la perte de ceux qui sont morts de vieillesse, ou qui ont été abattus par les grands vents ; il se trouve toujours beaucoup de terrein perdu le long des chemins et des bâtimens, et on ne peut l'employer plus utilement qu'en plantant des arbres.

Quels arbres il faut planter.

Près des terres à blés, il ne faut mettre que des arbres fruitiers, qui dédommagent, par leur rapport, de l'ombre nuisible aux grains, et d'ailleurs n'ont pas de racines pernicieuses comme les autres arbres, et sur-tout l'orme, dont les racines s'étendent très-loin, et poussent des rejets à trente pieds dans la terre voisine. Le peuplier se plaît beaucoup et pousse promptement dans les terres aquatiques, sans nuire à la culture ; mais le seul profit est l'émondage, le bois en étant d'une médiocre valeur. Les arbres qu'on plante doivent être choisis avec soin, et il faut prendre les plus vigoureux, les plus droits, et ceux qui ont une écorce claire ; ils ne doivent pas être tirés d'un sol de première qualité, car alors ils dégénèrent s'ils sont transplantés dans un terrein inférieur ; ils doivent être arrachés avec précaution, et avoir [264] le plus de racines possible. Les trous ne seront pas profonds, dans les pays où la terre n'a pas beaucoup de fond, afin que les arbres ne se trouvent pas plantés dans la glaise ou l'argile, à moins qu'on ne les remplisse, au moins à moitié, de bonnes terres. On aura soin de bien étendre les racines, de ne les pas froisser, et de les couvrir ensuite de terre, qu'on tassera peu-à-peu avec le pied, pour les raffermir : on y joint avec succès des gazons qui, en pourrissant, forment un excellent engrais. Il ne reste plus qu'à épiner les arbres pour les préserver de toute insulte, et quand ils sont trop faibles pour se soutenir, y ajouter un petit étai de bois, qu'on nomme tuteur. Quant à la distance où ils doivent être placés, les pommiers, par leur structure, en exigent une plus étendue. Un ancien voulait trente pieds entre les poiriers : spatia inter pyros trigenta pedum[N 2][C 2]. Je crois que vingt-quatre pieds seraient plus que suffisans.

Haies vives.

C'est aussi l'époque de la plantation des haies vives. Il faut, pour deux toises, une botte d'épines de cinq pieds de tour, et le plant doit être arraché le plus jeune possible, celui qui est vieux [265] étant sujet à manquer. Pour planter une haie, il faut faire une petite rigole d'environ un pied de profondeur, puis recouvrir le pied de l’épine avec de bonnes terres qu'on prend à côté, et l'entasser ensuite avec les pieds : cette haie vive doit être défendue par une haie morte, qu'on entretiendra deux ou trois ans seulement.

Plantation d'ormes.

Le cultivateur ne doit pas oublier de planter des ormes et frênes pour le charronnage, afin de n'être pas obligé d'en acheter ; car sa science doit consister principalement à beaucoup vendre et à guère acheter. Il est difficile qu'il ne trouve pas, dans ses champs, quelques rideaux ou quelques coins inutiles, qu'il puisse employer à ces plantations : l'endroit le plus propre est autour de la maison, ce qui réunit trois avantages : 1°. d'égayer un peu l'habitation du propriétaire ; 2°. d'éviter les frais de transport ; 3°. de préserver les bâtimens de la fureur des vents ; et cette dernière considération n'est certainement pas la moindre.

Culture des terres.

Le labour le plus pressé est celui des terres destinées à mettre du mars : on doit commencer par les plus enherbées, afin que les gelées détruisent entièrement l'herbe. Si l'on entame la [266] jachère, qu'on fasse de préférence les terres à orge, parce que ce grain forme quelquefois un regain qui épuise la terre. Les terreins caillouteux et argileux ne doivent pas être labourés avant l'hiver, parce que le labour se durcit tellement aux gelées qu'il rend quelquefois la terre encore plus compacte ; au lieu qu'après l'hiver, ces terres se cultivent bien, et souvent plus facilement. Généralement parlant, je n'adopte pas beaucoup le labour avant l'hiver, ayant éprouvé qu'il fait souvent le tourment du cultivateur, parce qu'il rend la terre plus susceptible de produire de l'herbe en Mars et Avril, c'est-à-dire, dans un moment où on ne peut y remédier. Ecoutons là-dessus Arthur Young : les partisans du labour d'automne disent, la terre jouit des avantages d’être exposée aux influences de l’atmosphère ; ainsi les parties nitreuses peuvent pleinement se développer. Voilà des mots sonores : mais qu'on laboure partie en automne, partie en printems, et qu'on juge la récolte. Quand on diffère de labourer la terre, dans les terreins humides, la pluie coule plus aisément sur la surface[N 3][C 3].

Mi-Novembre.

La mi-Novembre est une époque remarquable [267] pour le propriétaire. Les récoltes de toutes espèces sont terminées ; les terres ensemencées offrent déjà une agréable verdure ; tout dans la ferme respire l'abondance ; les granges, les greniers, les celliers, tout est rempli ; la bergerie, long-tems vacante, renferme le troupeau que le froid ramène à la maison. Déjà le maître ne reconnaît plus ses bêtes à laine ; les agneaux se confondent avec les mères ; en vain cherche-t-il ses antenois, ils sont aussi forts que les vieux moutons. Ces derniers, engraissés par l'herbe des champs, attirent sur-tout ses regards : il calcule, en souriant, le profit qu'il en tirera sans diminuer son troupeau, parce que ses brebis repeupleront bientôt ses bergeries. C'est donc véritablement, pour le cultivateur, un moment de jouissance ; c'est alors qu'il peut, pour ainsi dire, se reposer sur ses lauriers, et contempler avec plaisir le fruit de ses travaux ; calculer à loisir ses gains et ses pertes, goûter les douceurs de la maison avec sa femme et ses enfans, et s'occuper de l’intérieur de sa ferme.

Examiner les granges et les fourrages.

Il visite d'abord sa grange, examine combien il lui reste de gerbes à battre et combien rend son blé. Il calcule, d'après cela, ses richesses et ce dont il peut disposer, après avoir prélevé la [268] consommation de la maison et le salaire des moissonneurs, calvaniers et autres. Il examine aussi sa récolte en avoine et ce qu'elle rend ; et s'il prévoit devoir en manquer, malgré toute l'économie possible, il en achète tout de suite, parce qu'elle est à bien meilleur marché qu'en été. Il monte aussi à ses greniers ; et après avoir examiné sa récolte en luzerne, trèfle, sainfoin, vesce et bizaille, il prend les mêmes précautions que pour son avoine.

Vaches et Moutons.

Cet examen de fourrage lui est nécessaire pour savoir ce qu'il gardera de bestiaux ; car il vaut beaucoup mieux en garder moins et les mieux nourrir : s'il a beaucoup de fourrage, il s'en servira pour faire des élèves ; il achètera de forts antenois, auxquels il donnera une petite quantité de foin par jour, pour les entretenir en bon état. Au contraire, s'il n'a pas assez de fourrage pour ses moutons, qu'il vende, à la première foire, les plus gras et les plus âgés, ainsi que les brebis trop vieilles et les agneaux trop faibles ; ceux-ci, en déshonorant son troupeau, ne pourraient même profiter avec des agneaux plus vigoureux, qui les affameraient en peu de tems. Pour les vaches, à moins qu'il ne s'en trouve d'infécondes ou peu laitières, il ne doit pas s'en défaire, quand [269] il n'aurait pas de fourrage à leur donner, les vaches pouvant, excepté lorsqu'elles vêlent, s'entretenir quatre mois avec de la paille d'orge ou d'avoine : la disette de fourrage engagera aussi à se défaire des génisses qui, étant trop jeunes pour se contenter de la nourriture frugale des vaches, pourraient par conséquent dépérir.

Chevaux. — Leur nourriture.

Il est nécessaire aussi, à cette époque, de prendre de nouveaux arrangemens pour les chevaux et leur nourriture ; d'abord, pour les chevaux, si on n'a pas assez de fourrage, et qu'il soit cher, il vaut beaucoup mieux se défaire des plus vieux ou des plus médiocres, parce qu'on peut s'en passer au moins pendant les trois mois d'hiver ; quant à la nourriture, l'avoine doit leur être donnée en plus petite quantité, si on craint d'en manquer, et réservée pour un moment où ils travailleront davantage. Il faut leur donner aussi le fourrage le moins bon, la longueur des nuits leur laissant le tems de manger une nourriture moins friande. Il faut même les accoutumer à consommer beaucoup de gerbées ; rien ne convient mieux au cheval, rien ne le rend plus vigoureux que la paille, sans parler de l'avantage qu'il y a de faire beaucoup d'engrais.

[270]

Gens à gages.

La mi-Novembre est aussi une époque remarquable pour la réforme des valets. On ne doit garder l'hiver que ceux dont on a absolument besoin, ou qui sont de si excellens sujets qu'on ne saurait les remplacer ; et c'est le moment de se défaire d'un charretier et d'un homme de cour.

Basse-cour.

La maîtresse fera, de son côté, ses recherches et ses réformes : elle ne gardera de cochons que ceux qui sont nécessaires pour la consommation de la maison. Comme l'hiver ils ne sortent pas, ils coûtent beaucoup, et en outre détruisent et renversent tout, il faut en diminuer le nombre le plus possible.

Les volailles n'échapperont pas davantage à sa réforme. Les poulets, qui sont déjà forts, seront vendus, de peur qu'ils ne dépérissent l'hiver : elle se défera aussi, peu-à-peu, de ses dindons, oies, canards, chapons, et ne gardera que ce qu'il faut pour la provision de la maison. Les femelles destinées à pondre et à couver seront réservées, et son œil attentif saura distinguer les bonnes mères d'avec celles qui abandonnent [271] promptement leurs petits. Pour les coqs, elle ne laissera aussi que le nombre nécessaire, réforme indispensable pour assurer la tranquillité des femelles et éviter des combats sanglans.

Notes

Notes originales et commentaires

Dans la suite de cette rubrique, sont associées (ligne par ligne) deux éléments complémentaires : les notes originales, telles qu'elles figurent dans l'ouvrage de Chrestien de Lihus (y compris lorsque la recherche montre des inexactitudes), et qui sont intangibles, et les notes additionnelles, issues des recherches effectuées pour compléter les informations lors de la mise en ligne ici, et qui peuvent être amendées par tout contributeur, à l'unique condition d'être précis dans les sources utilisées.

Notes originales (issues de l'ouvrage original) Notes complémentaires (du contributeur "wicrifieur")
  1. Ceux qui désireront de plus grands détails sur la manière de faire le cidre et de gouverner les pommiers, se procureront la petite brochure du marquis de Chambray, et de préférence, l'ouvrage plus récent de M. Dubois, dont nous avons déjà parlé. Ces deux productions ont été imprimées par Marchant, rue des Grands-Augustins, n°. 12.
  2. Palladius
  3. Voyage en France, tome III.
  1. A voir.
  2. A voir.
  3. A voir.

Notes additionnelles

  1. Les Bucoliques, de Virgile, IXe églogue, vers 50. Traduction (M. Nisard) : "Plante des poiriers, Daphnis ; tes petits-fils en cueilleront les fruits". Texte intégral sur la Bibliotheca Classica Selecta (Université catholique de Louvain).