C de Lihus 1804 Principes d'agriculture et d'économie - Ch5 P3

De Wicri Agronomie
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Principes d'agriculture et d'économie
Table des matières
Préface p. v
PARTIE I
Chapitre 1 p. 1
Chapitre 2 p. 10
PARTIE II
Amontement p. 51
PARTIE III
Mois de mai p. 79
Mois de juin p. 118
Mois de juillet p. 140
Mois d'aoust p. 152
Mois de septembre p. 196
Mois d'octobre p. 223
Mois de novembre p. 252
Mois de décembre et janvier p. 272
Mois de février p. 280
Mois de mars p. 294
Mois d'avril p. 312
Conclusion p. 328
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TROISIÈME PARTIE.


TRAVAUX AGRICOLES DE CHAQUE MOIS.


[196] MOIS DE SEPTEMBRE.

Ne quitte point le soc, hâte-toi, les tempêtes
Vont verser les torrens suspendus sur nos têtes.
Georg. de Del. liv. I.[1]

La récolte des blés est finie, mais les plaines sont encore couvertes de grains : les avoines et les orges forment une seconde moisson, moins intéressante, il est vrai, mais aussi bien moins pénible. Déjà le cultivateur commence à respirer ; sa présence n'est plus nécessaire dans les champs que pour faire lier, et il n'est pas inquiété, à chaque instant, par la pensée qu'une horde de glaneurs profitent de son absence pour envahir ses moissons. Qu'il vaque donc un peu aux occupations de l'intérieur, qu'il se repose en examinant ses granges et greniers, et mettant tout en ordre. Quelques momens de surveillance suffisent présentement pour combler entièrement ses vœux. Courrons aux avoines, et montrons la manière d'en assurer la récolte.

Avoines.

Les avoines se coupent ordinairement vers la mi-Août ; et si je n'en ai pas encore parlé, c'est que j'ai voulu donner de suite les instructions [197] nécessaires pour ce grain. Deux sortes d'instrumens pour couper l'avoine, la faulx et la faucille : il y a des avoines si fortes, qu'on ne pourrait les faucher ; alors on est obligé de les faire scier ; cependant j'en ai fait faucher souvent de très-fortes ; et en y mettant un peu plus de tems, on a très-bien réussi. Les partisans de l'avoine sciée prétendent que leur méthode a plus d'avantages, en ce qu'elle écosse moins le grain et rend plus à la gerbe. Je réponds que le sciage coûte beaucoup plus que le fauchage, puisqu'on donne, pour scier l'avoine et la lier, 6 liv. par arpent, tandis que, de l'autre manière, elle ne coûte pas 3 liv. Voilà donc moitié de dépense de plus ; or est-il constant que l'avoine sciée couvre cet excédant ? C'est ce qui n'est nullement prouvé ; car je crois bien que de l'avoine fauchée à la tâche et sans précaution, s'écosse beaucoup et éprouve un grand déchet[N 1][C 1] ; mais il n'en est pas de même de l'avoine qu'on fait faucher par un calvanier adroit qui fait attention à ne pas l'écosser, et qu'on n'envoie ni [198] dans les grands vents ni pendant la grande chaleur. Il est certain que l'avoine, lorsqu'elle n'est pas entièrement mûre, ne s'écosse pas ou au moins fort peu, si elle est fauchée de grand matin, et qu'on quitte à dix heures. L'avoine sciée paraît quelquefois rendre plus à la gerbe, parce que cette gerbe est toujours plus courte, et contient par conséquent moins de paille et plus de grains. L'avoine fauchée est, au contraire, plus longue, parce qu'on coupe toujours plus bas à la faulx qu'à la faucille. Il ne faut pas croire non plus que l’avoine sciée ne s'écosse pas lorsqu'elle est maniée par des moissonneurs, qui ont toujours intérêt d'expédier. Il est donc constant d'abord que l'avoine fauchée procure beaucoup plus de fourrage, comme je l'ai éprouvé moi-même dans la même pièce de terre, dont la partie fauchée a fait trois cens à l'arpent, et la partie sciée deux cens quarante seulement.

Le moment où l'avoine fauchée s'écosse le plus, c'est lorsqu'on la ramasse avec des râteaux, pour la mettre en petits tas, et ensuite la lier ; mais elle ne s'écosse pas lorsqu'on le fait avec précaution, qu'on fait de très-petits tas, et qu'on la ramasse à la rosée ; d'ailleurs, quand il s'en écosserait un peu, on en est dédommagé, parce que l'avoine fauchée grossit plus sur terre que l'avoine sciée, étant beaucoup plus étendue, et prenant par [199] conséquent plus l'humidité. L'avoine fauchée a aussi l'avantage de se sécher plutôt, et d'être moins sujette à germer lorsqu'il fait de grandes pluies ; car, dans ce cas (et c'est ce qui n'arrive que trop souvent), l'avoine sciée, à cause de son épaisseur ne peut sécher sans qu'on la retourne, quelquefois même à plusieurs reprises, et alors on sent combien elle doit s'écosser, combien la perte est plus considérable que celle de l'avoine fauchée.

Après avoir établi les avantages et les désavantages de chaque méthode, voici mon opinion : faire faucher les avoines médiocrement fortes, sur-tout si on a de bons calvaniers, qu'on aura soin de n'y envoyer que jusqu'à dix heures du matin ; faire scier les avoines fortes, mais bas, car autrement on perd beaucoup de fourrage.

Moment de couper les avoines.

Les avoines qu'on fauche ne doivent pas être attendues jusqu'à leur dernier point de maturité, afin qu'elles ne soient pas écossées par la faulx ; il suffit que le grain soit noir, bien formé, la grappe un peu jaune, et la paille moitié jaune, moitié verte. On peut attendre un plus grand degré de maturité pour les avoines qu'on fait scier ; il ne faut pas cependant trop différer, car très-souvent, à la fin d'Août ou au commencement de Septembre, il s'élève de grands vents qui [200] écossent l'avoine avec d'autant plus de perte, qu'elle est plus mûre, et que ce grain ne tient pas dans la grappe. Il y a un excès contraire, c'est celui de couper l'avoine toute verte : le grain n'étant pas encore formé, elle a beau rester sur terre, elle ne rend que de la paille lorsqu'on la bat.

Liage des avoines.

L'avoine est le grain qui craint moins la pluie, et germe moins aisément ; on ne risque donc rien de la laisser long-tems sur terre, ce qui lui est nécessaire pour la faire grossir. Quand il ne pleut pas et qu'il n'y a que de fortes rosées, on la laisse au moins quinze jours, pour la rentrer tout ensemble en deux ou trois jours. De cette manière, les chevaux sont moins dérangés, et on prend moins long-tems du monde ; cette promptitude a aussi l'avantage que l'avoine est mieux tassée, le tas se formant sans interruption. Lorsqu'il est entièrement fini, il ne faut pas oublier de le couvrir de gerbes battues, serrées l'une contre l'autre, afin que le feu de l'avoine monte dans ces gerbes et que le grain ne se gâte pas, comme il arrive presque toujours quand on ne prend pas cette précaution : l'avoine, quelque sèche qu'elle soit, s'échauffe toujours et porte en haut une humidité surprenante. [201] On laisse les avoines moins long-tems sur terre, quand il survient une forte pluie ; alors on les lève aussi-tôt qu'elles sont sèches. L'avoine, il est vrai, se ressèche d'elle-même dans le tas, l'humidité, comme je viens de le dire, montant promptement en haut. Cependant, il ne faut pas la lier humide, comme font certaines personnes ; car alors le fourrage se gâte, et on ne retire de bon que le grain, qui reste toujours dur à battre. Lors donc que les pluies continuelles pénètrent tellement les avoines, qu'il est à craindre qu'elles ne germent, il faut prendre toutes les précautions possibles pour ne les rentrer que lorsqu'elles sont parfaitement ressuyées ; il faut pour cela profiter du premier beau tems pour les retourner lorsqu'elles sont sèches par-dessus, et ne les lier que quelques heures après.

Liage des avoines sciées.

On commencera par lier les avoines sciées, comme plus sujettes à germer que les autres, et on choisira un tems convenable : la grande chaleur les écosserait ; par conséquent, si le tems est chaud, on ne peut les lier que depuis huit heures du matin jusqu'à onze, et le soir depuis cinq heures jusqu'à huit ; et on laisse alors les avoines dans le champ, pour être voiturées le lendemain matin. Quand on est maître de choisir le [202] moment, le jour le plus favorable est un tems frais et couvert.

Liage des avoines fauchées.

Avant que de lier l’avoine fauchée, il faut la ramasser, avec des râteaux, en petits tas ; mais, pour cette opération, il faut bien choisir le moment : commencer de bon matin, lorsque l'avoine est toute mouillée de la rosée, c'est concentrer l'humidité, de manière quelquefois que la chaleur du soleil ne peut pas même la dissiper ; attendre que l'avoine soit sèche, c'est perdre une partie du grain que le râteau écosse infailliblement. Il faut donc prendre l'avoine ni trop humide ni trop sèche, et, pour bien saisir le moment, prendre beaucoup de monde, qu'on occupera à lier l'avoine sciée, pendant que l'avoine fauchée, qu'on vient de lever, ressuyera entièrement ; car, comme pour la lever sans perte, il la faut ramasser un peu humide, le mieux, pour l'avoir bonne, est de ne la lier que l'après-midi. Si le tems menace, on prendra encore plus de précautions ; on ne ramassera l'avoine que lorsqu'elle sera presque sèche, et on formera de très-petit tas, afin qu'ils ressuient plus vite, si on craint la pluie avant que l'avoine soit suffisamment sèche ; alors, une heure ou deux après que l'avoine est ramassée, il faut retourner les tas, afin qu'ils [203] sèchent en-dessous, et même quelquefois les ouvrir un peu ; ce qui dissipera entièrement l'humidité, pour peu qu'il fasse de vent. L'expérience et le tems indiqueront l'usage de toutes ces précautions, qui varient à l'infini, et que je soumets à la sagesse du cultivateur.

Orge.

On ne doit pas laisser trop mûrir l’orge, parce qu'alors elle tombe de tous les côtés ; ce qui fait qu'il en reste beaucoup à terre : elle est mûre, quand elle fait le crochet et qu'elle est blanche ; mais pas autant que le blé, conservant toujours une petite teinte jaunâtre. Il n'est pas nécessaire de laisser ce grain long-tems sur terre, il faut seulement choisir un beau tems pour lier l'après-midi ce qui a été coupé le matin, à moins qu'il ne s'y trouve de l'herbe, ou qu'on n'y ait semé du trèfle ou autres graines. Alors il faut laisser l'herbe se flétrir au soleil, parce que la moindre humidité gâte le fourrage ; à plus forte raison souffre-t-il de la pluie, qui l'endommage au point qu'il ne vaut plus rien, quand même il redeviendrait parfaitement sec. D'où il est aisé de conclure qu'il ne faut pas couper l'orge quand il pleut, mais attendre un beau tems ; et lorsqu'elle n'est pas sciée à la rosée, ou qu'elle ne contient pas d'herbe, préférer de la lier tout de suite, que de [204] l'exposer à être mouillée. Ce grain, qui ne devient jamais fort haut, éprouve de la perte lorsqu'il n'est pas scié bas, parce que, outre la diminution du fourrage, il se perd alors beaucoup d'épis.

Seconde coupe de trèfle.

Cette coupe doit se faire au plus tard dans les premiers jours de Septembre, afin que la terre puisse être libre pour la semence. Quand elle se trouve abondante, il ne faut pas attendre, pour la faucher, qu'elle soit à son dernier point, parce que le soleil de la fin de Septembre n'aurait plus assez de chaleur pour la faner. Il ne faut pas non plus que le fourrage soit trop tendre, car alors, ayant beaucoup de peine à mûrir, il reste trop long-tems sur terre avant que d'être bon ; ce qu'il faut toujours éviter, parce que la deuxième coupe se noircit aisément, en restant sur terre, et demande à être mise de bonne heure en petits muleaux. Pour cet effet, on la relève deux heures avant le coucher du soleil, et le lendemain on répand aussi-tôt la rosée finie ; de cette manière, le fourrage n'est pas noirci par la rosée, qui, en ce tems, est très-abondante, et se prolonge fort tard. Il est aussi beaucoup plutôt fané, parce qu'il n'y a de mouillé que le tour du muleau, qui est bientôt ressuyé par le soleil, et que le milieu, [205] ayant conservé la sécheresse de la veille, se fane promptement aussi-tôt qu'il est à l’air. Lorsqu'au contraire on laisse le trèfle épars pendant la nuit, il se noircit, et en outre il est beaucoup plus long-tems à se faner, parce que la rosée le pénètre si fort, qu'il faut la moitié du jour pour le sécher et réchauffer la terre, dont il conserve l'humidité. Il suit de là que, si l'on veut éviter la dépense de faire, pendant deux ou trois jours, de petits muleaux, il vaut mieux ne pas épandre le trèfle, se contenter de le retourner quand il est sec d'un côté, et ne l'épandre que le jour qu'on veut le mettre en meule.

Si l'humidité seule de la nuit fait noircir le trèfle de la seconde coupe, que ne doit-on pas craindre des pluies de Septembre ? Il est donc important de faire les meules avec plus de soin qu'en Juin ; et si néanmoins elles ne peuvent résister à l'abondance de la pluie, il ne faudrait pas craindre de les ouvrir et de les étendre entièrement pour les faire sécher. Il faudrait sur-tout prendre garde au pied de la meule du côté de la pluie ; car il arrive souvent que le haut et le milieu ne sont pas trempés, et que le pied est fort mouillé, parce que l'eau tombe toujours en bas. C'est dans ces momens désastreux qu'on sent tout le prix de quelques rayons de soleil ; le ciel paraît-il serein, on se hâte de réparer les ravages de la pluie : [206] tous partent armés de fourches et de râteaux ; bientôt toutes les meules sont renversées et éparses dans le champ ; le milieu, étant moins humide, est séparé du reste, et devient sec après avoir été retourné deux ou trois fois. Les uns le mettent en bottes et le chargent dans les voitures, tandis que les autres fanent le fourrage plus mouillé et en secouent la poussière : tout, peu à peu, acquiert une bonne qualité, et vient prendre sa place dans les granges du propriétaire.

Troisième coupe de luzerne.

Si le tems est beau, il ne faut pas passer la mi-Septembre sans faire la dernière coupe de luzerne ; il vaut mieux l'avoir moins abondante, que d'attendre les brouillards ou les pluies d'Octobre. Si elle ne se trouvait pas assez forte pour être fauchée, qu'on y mette les vaches, et qu'on la fasse manger par parties, de peur que, si on les y abandonnait, elles ne mangent les fanes les plus tendres et ne laissent les autres, qui alors se flétriraient et se perdraient.

Récolte de quarantain.

On doit récolter cette graine aussi-tôt qu'elle est mûre, et ne pas attendre que la cosse s'ouvre, ce qui occasionne une grande perte : lorsque le [207] quarantain n'est pas versé, on le fauche aisément avec une faulx à avoine, à la rosée du matin ; s'il est versé, on le fait scier par ses moissonneurs de même à la rosée ; aussi-tôt qu'elle est passée, on s'occupe de le battre, ce qu'on fait de la manière suivante: on choisit, au milieu du champ, une place qu'on unit bien, et qu'on nettoie d'herbes et de chaume ; on étend ensuite une toile carrée faite exprès, ayant au moins, sur chaque face, huit aunes ; on y rapporte le quarantain, et après en avoir mis quelques paquets, deux hommes y donnent légèrement quelques coups de fléaux, les retournent et les battent jusqu'à ce qu'ils ne voient plus rien dans les cosses, ce qu'ils réitèrent quatre ou cinq fois. Après quoi ils lèvent la paille battue, qu'ils secouent avec précaution, et qu'ils portent ensuite dans le champ en monceau. Toute la paille étant levée, ils ramassent toute la graine avec soin, et la portent sur une autre toile, où un troisième homme la prend pour la vanner, la rendre bien nette et la mettre ensuite dans un sac. Pendant ce tems les batteurs apportent de nouveau du quarantain, et le battent comme je l'ai expliqué tout-à-l’heure. Par ce moyen, cette graine se trouve promptement battue, sans avoir besoin d'être liée ni transportée, ce qui occasionnerait beaucoup de perte. Quand tout est battu, on brûle, dans le champ [208] même, toute la paille ; il serait fort dangereux de la rentrer chez soi, parce que le peu de graine qui s'y trouverait suffirait pour infester les terres sur lesquelles on mettrait le fumier, étant constant que cette graine se conserve deux et trois ans sans se corrompre. Pour le grain, on le rentre dans le grenier, où on l'étend pour qu'il jette son feu : on se gardera bien de le laisser dans les sacs, cela suffirait pour l'échauffer au point de le gâter.

Aussi-tôt que le grain sera parfaitement sec, il faut le faire moudre, et ne pas attendre les gelées, parce qu'alors le froid empêche l'huile de couler. On doit faire quarante livres d'huile au moins pour un sac, mesure de Paris.

Labours.

Les travaux de Septembre sont décisifs pour les semences ; aussi doivent-ils être exécutés avec le plus grand soin. Jusqu'alors on pouvait espérer de trouver le moment favorable de cultiver et d'ameublir convenablement la terre ; mais présentement il n'y a plus à différer. Il ne reste qu'un mois jusqu'aux semences, et on le trouvera bien court, si on veut mettre ses terres en bon état.

Il faut d'abord commencer par terminer le troisième labour pour les terres qu'on sèmera au binot ; ensuite faire le quatrième pour celles qui [209] seront semées à la herse : ce labour ne doit pas être donné plus de quinze jours avant de semer, afin que les terres ne poussent pas d'herbe, ce qui arrive lorsqu'on les laboure long-tems devant, et qu'il survient des pluies. Il ne doit pas non plus être donné trop tard, parce qu'alors la terre se trouve trop légère, et que le blé se plaît ordinairement dans un sol dur et ferme. Si les terres déjà labourées sont encore couvertes de mottes, il faut les réduire avec la herse, et si elles sont trop dures, attendre une petite pluie pour les briser plus facilement, ce qu'on fera néanmoins avec précaution car, plus on approche des semences, plus il faut ménager les hersages, à moins que la terre ne soit trop légère. C'est un grand inconvénient qu'une terre n'ait plus de mottes au dernier hersage, parce que le blé ne se recouvre pas suffisamment, et qu'il est plus exposé aux gelées, dont les mottes le défendent. Au rapport de Palladius, quelques cultivateurs de son tems avaient soin de ne pas rompre les mottes, pour qu'elles pussent protéger la plante contre les gelées. J'ai toujours suivi cette méthode, avant même d'avoir lu Palladius[2], et je m'en suis bien trouvé.

Retourner les trèfles.

C'est vers la mi-Septembre qu'il faut retourner [210] les trèfles, pour semer du blé à leur place. C'est un abus de croire qu'il faille attendre les pluies : les chevaux, il est vrai, ont moins de mal, mais aussi l'ouvrage est d'une qualité bien inférieure. Quand il pleut, le gazon s'attache à la terre, qui fait alors de grosses mottes, et souvent ces mottes, ne pouvant se diviser, restent en l'air, ce qui fait repousser l'herbe et engendrer des vers ; au lieu que, lorsqu'il fait sec, l'herbe se retourne très-bien et périt par la chaleur. Si, après le labour, la terre reste en mottes et ne se réduit pas comme il faut, on la roule plusieurs fois, en ayant soin de herser chaque fois qu'on a passé le rouleau : de cette manière elle devient meuble et dure tout à la fois, le rouleau la comprimant et l'affaissant ; et c'est ce que j'ai éprouvé sur une terre dont le domestique désespérait, er- que j'ai mise dans le meilleur état possible avec la herse et le rouleau.

Les blés semés dans les trèfles ne périssent que parce que la terre est trop légère ou trop en herbe, deux causes qui font également qu'il se pourrit ou est mangé par les vers. Or, 1°, pour remédier à l'herbe, il faut ne labourer les trèfles que par un beau tems, et avoir soin, plusieurs jours auparavant, de faire manger l'herbe de près par les vaches et les moutons, herser plusieurs fois de suite la terre par beau tems ; et si [211] néanmoins l'herbe paraît encore, la faire ôter à la main et jetter dans le chemin ; c’est le dernier moyen à employer, parce qu'il devient un peu coûteux[N 2][C 2]. 2°, Pour empêcher la terre d'être trop légère, la rouler et herser successivement et à plusieurs reprises ; il faut avoir soin aussi que le charretier retourne bien les gazons : il y a une différence énorme entre un bon charretier dont la charrue retourne également et avec précaution les gazons, et un jeune étourdi qui bouleverse la terre et forme des élévations monstrueuses au milieu du champ, au risque de faire pousser de l'herbe et de rendre la terre à jamais intraitable. Quand le trèfle est retourné, il est bon de faire passer souvent les moutons dessus, et encore mieux d'y mettre le parc ou des prangelles[N 3][C 3].

Choix des batteurs.

Aussi-tôt la moisson finie, il faut songer à se procurer des batteurs pour battre le blé de semence. Il y a souvent si peu d'intervalle entre la récolte et le moment de semer, qu'on n'a pas de tems à perdre. Pour avoir de bons batteurs, il faut les retenir d'avance, et on gagne à payer un [212] peu davantage des gens honnêtes et soigneux. S'ils sont honnêtes, ils vous délivrent de l'embarras de regarder toujours après eux ; s'ils sont soigneux, ils vous procurent un grand profit, en ne laissant pas de blé dans les gerbes. Choisissez donc pour batteurs des hommes d'une fidélité à toute épreuve, d’une forte complexion, et qui, en même tems, soient curieux de bien battre et d'arranger le grain proprement.

Il y a deux manières de faire battre, à la tâche ou à la journée. A la tâche, les batteurs apportent d'ordinaire leur pain, ont à boire à déjeûner, dînent avec les autres ouvriers, et leur salaire est fixé, en blé, à la vingtième ou vingt-quatrième mesure, suivant que le blé est plus ou moins sec, et suivant ce qu'il rend. A la journée, ils sont nourris à tous les repas, et battent à tant par jour, comme 12 à 15 sous environ. Chaque manière a son avantage et son désavantage : à la tâche, il est à craindre que, pour gagner plus, ils ne battent pas le blé si bien, et par conséquent qu'ils ne laissent des épis dans les gerbes. Il paraît dur, en outre, de payer des batteurs en blé, lorsqu'il vient à être très-cher. A la journée, le grand inconvénient, c'est qu'il faut souvent presser les batteurs, qui ont toujours des raisons à donner pour battre peu ; d'ailleurs, en hiver, que faire de batteurs à la journée, lorsqu'il ne fait plus clair à quatre [213] ou cinq heures? Au lieu que les batteurs à la tâche, battant plus sérieusement, et ne prenant pas de repos, s'en vont de bonne heure et délivrent la maison d'une présence toujours gênante, quelquefois même inquiétante. J'inclinerais donc pour le battage à la tâche, avec les précautions que je vais indiquer.

Manière de bien battre.

Les batteurs doivent être matineux, mais cependant ne pas battre avant le soleil levant. Pour battre bien les gerbes, ils doivent bien étendre celles qu'ils frappent, aller et venir plusieurs fois dessus, ensuite les retourner ; ne pas trop frapper sur l'extrémité de la gerbe, pour ne pas couper l'épi ; appuyer beaucoup au contraire sur le cu de la gerbe, si le blé est dur, ou qu'elle contienne beaucoup de petits épis ; enfin retourner les gerbes une fois au moins. Une attention essentielle, c'est de ne jamais battre plus de dix gerbes sans lier. Il y a des batteurs qui ne lient que deux ou trois fois par jour, pour moins se détourner ; cela occasionne beaucoup de perte, parce qu'il vole du blé dans ce tas de gerbées, qu'on ne secoue jamais bien à cause de son volume. Pour n'en pas laisser, il faut, avant que de lier les gerbes battues, donner d'abord sur le tas quelques coups de fléau, pour détacher les grains de [214] blé ; les prendre ensuite par petites poignées et les bien secouer, afin que les épis et les grains qui peuvent y être mêlés tombent par terre. Quand tout est lié, et qu'il ne reste plus que de petits tuyaux de paille mêlés d'épis, dont on compose ce qu'on appelle menu, il faut battre ces épis comme il faut, en y mettant le tems et en les retournant plusieurs fois ; et voilà sur quoi il faut sur-tout veiller, car rarement les batteurs laissent du grain dans les gerbes ; mais il n'arrive que trop souvent qu'ils en laissent dans les menus.

Pour voir si le blé est bien battu, il faut examiner d'abord le dessus des gerbes et voir s'il ne reste pas de grain dans l'épi ; ensuite fourrer sa main dans le cu de la gerbe jusqu'au milieu, et en arracher une bonne poignée. S'il ne s'y trouve pas d'épis, c'est qu'elle est bien battue ; s'il s'en trouve, c'est que les batteurs n'ont pas assez appuyé sur le cu de la gerbe, où il y a presque toujours de petits épis de blé bien courts et plus durs à battre, parce qu'ils sont venus plus tard que les autres. Quant aux menus, le mieux est de les délier entièrement ; alors on ramasse tous les épis trouvés, qu'on présente aux batteurs, pour leur reprocher leur négligence. Ce n'est pas qu'il ne se trouve toujours des épis, malgré tous les soins possibles ; mais alors ce sont des épis où il n'y a pas beaucoup de grain. C'est le cas de tolérer, [215] en les montrant cependant de tems à autre aux batteurs, qui ne sont que trop portés à en laisser ; au lieu que la négligence est impardonnable lorsqu'on y rencontre de longs épis qu'on aurait dû battre, et qui n'échappent guère à l'attention d'un bon batteur.

Manière d'arranger le blé de semence.

Il est rare que les blés destinés à la semence soient assez nets pour qu'on puisse se dispenser de les faire éplucher avant de les battre : ce n'est pas seulement l'herbe qu'il faut en ôter, ce sont encore les épis de seigle et de grain faux qui peuvent s'y rencontrer. Il faut par conséquent faire éplucher le blé une journée d'avance, afin que ceux qui l'éplucheront ne soient pas pressés par les batteurs ; ordinairement on prend, pour cette opération, deux femmes qu'on place dans une grange séparée ou bâtiment attenant : les gerbes qu'elles épluchent seront tirées du tas avant que les batteurs soient en train de battre, afin que si l'herbe vient à tomber sur l'aire, elle, ne se mêle pas au blé qu'on bat ; cette herbe, quand elle est séparée des gerbes, doit être mise à part, pour être brûlée et ne pas infester le fumier.

Pour rendre le blé plus beau, les batteurs doivent serrer davantage le moulin, afin de laisser passer moins de paille ; ils ne doivent pas [216] non plus mêler avec le bon blé, celui qui reste dans le coffre du moulin, ni celui qui tombe dans le van, ni les écossains qu'ils rebattent après ; ils doivent en outre, quand le blé est vanné, le repasser une seconde fois, pour le rendre plus beau. Ce blé est porté ensuite dans le grenier, pour y être criblé, de manière qu'il ne reste que le plus beau grain, et que ce qui peut y avoir encore de paille, de poussière ou même d'herbe disparaisse entièrement. Ces diverses opérations produiront près d'un quart de déchet, mais on en sera dédommagé par la beauté du blé, qui sera infiniment meilleur pour semer, et se vendra aussi bien plus avantageusement. Le déchet doit être mis à part, et on en tire encore bon parti, en le recriblant et le mêlant avec un peu de seigle.

Bestiaux.

C'est le tems de se défaire avantageusement des vaches stériles, et qui, presque toujours, s'engraissent d'elles-mêmes. Ayant été bien nourries de verdures, depuis le mois de Mai, elles valent plus que dans l'hiver, où elles ne peuvent avoir une nourriture si succulente, à moins qu'on ne les engraisse avec la farine d'orge ou de seigle. Il y a des vaches qui ne deviennent jamais stériles, même en vieillissant ; il faut cependant [217] s'en défaire, de peur qu'elles ne viennent à manquer, et ne puissent plus amener leurs veaux à bien. Il faut se donner de garde de vouloir engraisser une vache pleine, en lui coupant son lait ; le veau qu'elle porte consomme une partie de sa nourriture et l'empêche d'engraisser. Il vaut mieux la vendre comme vache à lait, lorsqu'elle aura vélé : ajoutez qu'on ne serait pas sûr de retrouver la dépense qu'on ferait en nourriture. C'est pourquoi on ne doit engraisser que les vaches qui ont déjà une disposition à devenir grasses.

La nourriture des vaches est toujours la même, et on peut leur garder des verdures jusqu'au quinze Octobre, et même davantage si le tems est beau. Qu'on ne leur donne jamais des luzernes trop sèches et sans fanes ; cette nourriture ne leur produit pas de lait : elles en perdent beaucoup, ne pouvant manger les tuyaux qui sont trop durs et trop secs.

Les veaux qui arrivent en Septembre ne doivent pas être gardés, parce qu'ils viennent trop tard pour profiter, et coûteraient trop à nourrir à l'étable, à moins qu'on ne soit dans l'habitude de faire des veaux gras.

[218]

Moutons.

A la même époque, les brebis qui ne rapportent pas deviennent grasses, sur-tout quand il se trouve beaucoup à manger après la récolte ; qu'on saisisse ce moment pour les vendre avec profit : car, alors on vend la vieille brebis un tiers plus qu'elle n'a coûté à deux ans. Vers la fin du parc, les vieux moutons deviennent quelquefois aussi fort gras, et ensuite dépérissent dans les pluies ou dans les gelées ; le cultivateur doit dont alors visiter son troupeau, et marquer les bêtes qui peuvent être vendues avec avantage.

Cochons.

S'il vient de petits cochons dans ce mois, ils sont encore bons à garder pour l'usage de la maison, parce qu'ils vont aux champs jusqu'à la fin de Novembre.

Pommes à ramasser.

C’est un soin journalier et coûteux que de faire ramasser les pommes qui tombent ; il faut cependant s'y assujettir, dans les années sur-tout où la rareté des pommes les fait rechercher davantage : il sera bon aussi de visiter ses pommiers, afin de faire mettre des appuis sous les branches que l'abondance des fruits fait courber.

[219]

Graines de trèfles et luzernes.

Pour récolter de bonne graine, il faut, quand elle est mûre, et qu'on a lieu d'espérer du beau tems, faire couper le fourrage, non à la faulx, mais à la faucille. Deux ou trois jours sont plus que suffisans pour sécher parfaitement la graine lorsqu'elle est sur terre. Après ce tems, on lie le fourrage avec précaution ; on le fait battre, et on sert la graine avec son enveloppe sur un grenier, où elle se conserve jusqu'au moment de la semer : on la rebat alors, et elle a le mérite d'avoir encore toute sa fraîcheur.

Fumier sur les jeunes trèfles.

A la fin de Septembre, on mènera du fumier sur les jeunes trèfles, pour les préserver de la gelée, et empêcher les moutons et vaches d'y toucher ; le fumier pourri engendrerait beaucoup d'herbe ; il ne faut donc en prendre que du nouveau, qui couvre bien mieux la terre. On ne couvre jamais les vieux trèfles ni les luzernes ; les vieux trèfles, parce qu'ils se jetteraient plus facilement en herbes ; les luzernes, parce qu'elles sont peu sensibles à la gelée.

Marnage.

On doit, en Septembre, profiter d'un tems [220] favorable, c'est-à-dire, sans humidité, pour faire marner les terres qui en ont besoin. Deux raisons pour ne pas remettre à un autre moment cette opération si avantageuse : 1°, parce que la marne n'est utile que lorsque les gelées et les pluies l'ont attendrie et brisée ; 2°, parce qu'après l'hiver les trous sont sujets à fondre et à exposer la vie des travailleurs. On peut marner en mars ou en jachère ; j'estimerais mieux en mars, parce qu'alors la marne se consomme pendant les deux années de mars et de jachère, et que la terre reprend par là son assiette : car, le propre de la marne étant de rendre la terre légère, il arrive quelquefois qu'elle le devient trop pour le blé, qui se plaît dans un terrein ferme ; au lieu qu'elle réussit mieux pour les mars, qui veulent une terre mouvante. On juge qu'une terre a besoin de marne, lorsqu'elle est compacte, dure de labour, et se taille par gros morceaux, qu'elle retient l'eau, qu'elle est froide, et tardive à faire germer les graines ; alors la marne ne lui pourra être que très-utile ; mais elle exige une grande quantité de fumier, et cela pendant plusieurs années de suite ; la première sur-tout exige un fumier consommé et en plus' grande quantité que de coutume. Le plus ou moins de besoin de la terre, doit décider de la quantité de marne qu'il faut y mettre : on compte au plus quinze cens [221] mesures de marne à l'arpent, la mesure faisant le 12e. d'un sac de blé de 300 livres ; en général, le mieux est de ne mettre qu'une demi -marne, c'est-à-dire, sept cens cinquante mesures par arpent ; cela suffit presque toujours pour ameublir convenablement la terre, la rendre plus facile à travailler et la fertiliser en la réchauffant.

Pour tirer la marne, on fait un grand trou au milieu de la pièce qu'on veut marner ; quelque-fois on la trouve à quinze pieds, d'autres fois aussi à trente et quarante pieds ; quelquefois même on n'en trouve pas, ou plutôt on est forcé d'abandonner le trou à quarante pieds, parce qu'il y aurait du danger si on descendait plus bas. Telle est la coutume ordinaire, coutume fort dispendieuse, et dont les résultats sont souvent peu satisfaisans. On s'éviterait bien des recherches et des peines inutiles, en faisant usage de l'instrument dont j'ai trouvé la description dans un auteur estimable qui m'a fourni ce que je vais en dire[N 4][C 4]. Cette sonde, que les allemands appellent erbohzer, perce-terre, est en grand ce qu'un vilebrequin est en petit, et le jeu qu'on lui donne est très-exactement celui du vilebrequin : on insinue [222] sa pointe ou son bec dans la terre, et on le fait tourner en même tems qu'on appuie dessus pour le faire mordre, et l'on perce autant que la longueur de l'outil le permet. Par cette sonde, on connaîtra aisément les diverses couches de terre, sa bouche se remplissant des substances qu'elle perfore et qu'on retire de tems en tems.

La meilleure marne, en général, est la blanche ; mais elle est bonne de toutes couleurs, pourvu qu'elle se décompose bien, et soit soluble dans l'eau : elle doit être d'une qualité tendre à se briser ; plus elle est tendre, plus elle pénètre dans la terre. Il faut donc avoir soin de la faire épandre le mieux possible aussi-tôt qu'elle est tirée, afin de ne pas la renfouir avant qu'elle soit dans une décomposition parfaite ; ce qui n'arrive quelquefois qu'au bout de trois ou quatre mois. Enfouir la marne lorsqu'elle est encore en motte, c'est lui ôter sa fertilité, qui dépend beaucoup, suivant tous les connaisseurs, de l'influence qu'elle reçoit des sels répandus dans l'air. Quant à la profondeur du labour, elle ne doit pas être considérable, afin que les principes végétatifs de la marne, restant plus près de la surface, soient plus à portée des racines de la plante, et par conséquent produisent tout leur effet.

Notes

Notes originales et commentaires

Dans la suite de cette rubrique, sont associées (ligne par ligne) deux éléments complémentaires : les notes originales, telles qu'elles figurent dans l'ouvrage de Chrestien de Lihus (y compris lorsque la recherche montre des inexactitudes), et qui sont intangibles, et les notes additionnelles, issues des recherches effectuées pour compléter les informations lors de la mise en ligne ici, et qui peuvent être amendées par tout contributeur, à l'unique condition d'être précis dans les sources utilisées.

Notes originales (issues de l'ouvrage original) Notes complémentaires (du contributeur "wicrifieur")
  1. La différence des avoines sciées et des avoines fauchées sans les précautions que j'indique, s'apperçoit clairement en Octobre, ou après de petites pluies : il pousse du regain d'avoine dans les routes de fauchage, tandis qu'il n'en pousse pas ou très-peu dans les avoines sciées, sur-tout si elles n'ont pas été retournées, et qu'elles aient été liées à la fraîcheur.
  2. J'estime cette dépense à 4 liv. par arpent.
  3. Voyez, en Juin, ce que j'ai dit sur le labour des trèfles.
  4. Cette brochure est intitulée : De la marne, et de la manière de l'employer utilement, par M. B***. Se trouve à Paris, à la Librairie d'Agriculture, rue des Grands- Augustins, n°. 12. 1 fr. par la poste.
  1. A voir.
  2. A voir.
  3. A voir.
  4. A voir.

Notes additionnelles

  1. Les Géorgiques, de Virgile, traduction de l'abbé Delisle, livre I, vers 265-266. Texte intégral sur le site remacle.org.
  2. A voir