C de Lihus 1804 Principes d'agriculture et d'économie - Ch3 P3

De Wicri Agronomie
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Principes d'agriculture et d'économie
Table des matières
Préface p. v
PARTIE I
Chapitre 1 p. 1
Chapitre 2 p. 10
PARTIE II
Amontement p. 51
PARTIE III
Mois de mai p. 79
Mois de juin p. 118
Mois de juillet p. 140
Mois d'aoust p. 152
Mois de septembre p. 196
Mois d'octobre p. 223
Mois de novembre p. 252
Mois de décembre et janvier p. 272
Mois de février p. 280
Mois de mars p. 294
Mois d'avril p. 312
Conclusion p. 328
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TROISIÈME PARTIE.


TRAVAUX AGRICOLES DE CHAQUE MOIS.


[140] MOIS DE JUILLET.

Nudus ara
Virgil. l. 1[1]

Ce mois, l'avant-coureur de la moisson, en est souvent lui-même le commencement. Plutôt elle arrive, et plus elle est heureuse : la longueur des jours, l'ardeur du soleil aident alors et protègent le cultivateur, qui voit par conséquent avec plaisir les chaleurs de Juillet mûrir et courber ses récoltes. Mais que sa joie ne ralentisse pas ses travaux ; l'approche de la moisson est un puissant engagement pour lui, de donner à ses terres la culture que les occupations d'Août lui refuseront.

Vacances du propriétaire.

Lorsque la récolte ne se trouve qu'à la fin de Juillet, et que tous les fourrages sont rentrés dans les premiers jours du mois, le propriétaire peut absolument donner une quinzaine de jours à ses affaires, ou même à quelque voyage d'agrément. Comme dans cette quinzaine les travaux seront toujours uniformes, et que les domestiques n'ont qu'à suivre l'impulsion générale qui leur est donnée, il peut quitter sans inconvénient, en s'arrangeant seulement pour que les battages soient [141] terminés, et ne laissant à la ménagère que le soin de faire retourner les blés et autres grains.

C'est aussi un tems favorable pour la dame ; ses volailles sont pour ainsi dire élevées, ses couvées sont terminées, et la ménagère n'a qu'à suivre la route qu'elle lui a frayée. Ce sont donc de petites vacances que notre ménage rustique peut se permettre au milieu de ses travaux. Mars, Avril, Mai et Juin, ne lui ont laissé aucun instant de tranquillité ; les mois qui vont suivre, Août, Septembre, Octobre et Novembre absorberont bien davantage tous ses momens. Qu'il profite donc de ce court intervalle pour se reposer de ses fatigues, et se préparer à de nouveaux combats. L'homme a besoin de repos, et quelques momens de loisir, loin de lui être pernicieux, le rendent plus disposé au travail et à l'occupation.

Juillet vous accorde quinze jours de loisir et de délassement ; mais auparavant examinez si tout est en règle : vous en jugerez en jettant les yeux sur les diverses occupations que je vais décrire.

Troisième labour.

Ce labour, qu'on appelle, en terme picard, la raie au blé, doit, pour être bon, être précédé d'un hersage fait à propos et par beau tems ; [142] comme la terre est alors ordinairement très-meuble, on donne ce labour aussi profond que le sol peut le permettre, afin de donner plus de ton à la terre, la rendre plus susceptible des influences de l'air, et détruire davantage la racine de l’herbe. Il faut, ordinairement, faire ce labour en Juillet, mais seulement pour les terres destinées à être semées à la herse, c'est-à-dire sur un quatrième labour ; car il faut le donner plus tard à celles qui ne doivent recevoir cette quatrième façon que lorsqu'on recouvrira le blé à la charrue, c'est-à-dire, au plutôt à la fin de Septembre. Si on leur donnait la troisième façon au commencement de Juillet, il se passerait plus de deux mois entre la troisième et la quatrième, ce qui occasionnerait beaucoup d'herbes, à moins qu'on ne leur donnât une façon de plus, ce qu'on peut rarement pratiquer. On aurait encore peut-être la ressource de la herse, mais elle ne suffit pas pour détruire l'herbe, dont elle n'attaque pas la racine. Il vaut mieux donner les dernières façons le plus près qu'on peut les unes des autres, pour extirper entièrement l'herbe et rendre la terre meuble dans les derniers mois qui précèdent les semences, c'est-à-dire Août et Septembre ; alors on ne doit laisser aucun repos à la terre, et sans cesse la tourmenter.

Exercetque frequens tellurem atque imperat arvis
Virgil. Georg. L. I[2]

[143]

Divers travaux de Juillet.

Si la moisson est tardive et que le cultivateur soit avancé de ses labours, il aura soin, avant la fin de Juillet, de faire tous les travaux qui seraient incompatibles avec ceux du mois d'Août, comme, par exemple, de charrier les arbres destinés au chauffage ou aux réparations, d'amener dans sa cour les cailloux, pavés ou pierres nécessaires pour la réparer et boucher les trous ; il fera charrier aussi, si le tems est propre et si les chemins sont bons, les tuiles, pierres, ardoises et autres matériaux dont il peut avoir besoin dans le courant de l'année pour ses bâtimens ; enfin, il profitera de ce moment de loisir pour aller chercher des cendres ou du plâtre pour la seconde coupe, pour conduire à la ville les fourrages dont il peut se défaire sans nuire à la nourriture de ses chevaux et bestiaux

Raccommodage des chemins.

Si le tems le permet, il faut s'occuper aussi du raccommodage des chemins. Dans les communes bien entendues, on fait ordinairement ces réparations en commun, et elles sont ordonnées par le maire ; les cultivateurs nourrissant les travailleurs, n'ont que la peine de charrier les cailloux avec leurs chevaux. Lorsque ces travaux sont [144] surveillés par des inspecteurs intelligens nommés par les habitans, et qu'on les fait avec zèle, on répare beaucoup de chemins en une semaine, sur-tout lorsque le tems est beau et que les chemins sont secs : car lorsqu'ils sont pleins de boue ou qu'il pleut, il est inutile de les raccommoder, parce que les cailloux se perdent dans la boue et en sont bientôt recouverts ; au lieu que quand il fait sec, ils remplissent parfaitement les trous et forment un excellent chemin en peu de tems. On sait combien de bons chemins ménagent les chevaux et les voitures, et même économisent du tems, puisqu'on charge plus fort quand les chemins sont en bon état

Travaux intérieurs

Outre ces travaux du dehors, le cultivateur aura soin de faire serrer, avant la moisson et par un beau tems, les fagots, bourrées et bois de corde qui doivent être alors séchés suffisamment par les chaleurs de Juin. Quinze jours avant la moisson, il n'oubliera pas non plus de faire vider et nettoyer entièrement ses granges : je n'approuve pas du tout la méthode de ceux qui entassent des grains nouveaux sur des anciens ; c'est le moyen de perpétuer les souris et les rats, qui ne manquent pas de s'introduire dans le blé et d'y faire des trous, où ils multiplient à l'infini. Pour [145] parer à cet inconvénient, il faut avoir soin que les grains soient battus avant les derniers jours de Juillet, ensuite faire nettoyer toutes les granges et en faire retirer toute la paille, même celle qui sert de lit au blé, et qu'on appelle soustrait dans notre canton ; c'est une mauvaise habitude que de conserver ce soustrait pendant plus d'un an, parce qu'il s'y mêle des pailles hachées, des poussières qui entretiennent les rats et souris ; les granges, étant parfaitement nettoyées et balayées, ont le tems, en une quinzaine de jours, de sécher et de perdre toute leur humidité.

Nous ne parlerons pas, en Juillet, des récoltes qu'on y fait, comme bizaille, vesce, seigle ; nous réservons ces articles pour le mois d'Août, et nous allons donner au cultivateur une esquisse des comptes qu'il doit se rendre à lui-même avant l'ouverture de la récolte.

COMPTE DE RECETTE ET DE DÉPENSE

Emploi des récoltes.

Le cultivateur a deux comptes à faire ; le premier destiné à comparer sa recette avec sa dépense, ce qui lui sera aisé, puisque, comme nous l'avons dit dans l'introduction, à l'article économie, il tient deux registres exacts de recette et de dépense divisés en différens articles ; ces deux [146] registres ayant dû commencer au premier Août, il est juste de les arrêter aussi au premier Août, et on verra par là le bénéfice qu'on aura tiré sur son exploitation. Pour ne pas se flatter sur la réalité de ses bénéfices, il faudra examiner si on a payé toutes les fournitures faites et toutes les impositions échues ; car, si on devait, on ne pourrait regarder comme bénéfice l'excédant de la dépense, puisque cette dépense ne serait pas entièrement payée. Cette observation est d'autant plus nécessaire, que, si on n'y faisait pas attention, la dépense d'une année serait reportée sur l'autre, dont le bénéfice serait diminué, sans qu'on puisse tout de suite en trouver la cause. Aussi faut-il, lorsqu'on veut connaître aisément le produit de son faire-valoir, payer exactement les mémoires de l'année avant le premier Août, de manière que chaque récolte paie ses dépenses, et qu'on ne transporte pas à l'année suivante les dépenses de la précédente. Si l'on doit compter en dépense tous les objets qui sont encore à payer, il faut aussi porter en ligne de compte tout ce qui reste à vendre sur la dernière récolte, en blé, avoine, orge et autres grains, parce que ces objets, estimés à une valeur moyenne, doivent être ajoutés à la recette. Cette opération sera facile, si on suit l'ordre que j'ai indiqué pour écrire exactement l'endroit où on resserre les fourrages, la [147] quantité qu'on y a mise et celle qu'on en a retirée, et de même pour toutes espèces de grains.

Le second compte important pour le cultivateur, est celui du produit et de l'emploi de ses récoltes. Ce compte est très-nécessaire pour qu'il connaisse l'étendue de ses consommations en tout genre, et qu'il n'y ait pas un boisseau de grain dont il ne sache l'emploi ; il fera facilement et en peu de tems cet examen, au moyen du registre qui doit contenir l'état de ses récoltes : nous n'en répéterons pas les détails. Nous allons seulement indiquer la manière de faire cet examen. Prenons pour exemple le blé

Récapitulation de la récolte en blé.

J'ai récolté en blé.........................................10,000 gerbes
Elles ont produit de battage[N 1][C 1].................300 sacs

Ce qui fait 33 gerbes pour un sac.

Emploi des........................................................300 sacs
Mangé.................................................................50 sacs
Donné aux batteurs[N 2][C 2]................................15
............................................................................__
............................................................................65[3]
[148] Report........................................................65 sacs
Aux moissonneurs..............................................18
Aux calvaniers[4]...................................................6
Aux bergers, vachers, etc. .................................10
Employé pour semence......................................30
Vendu................................................................150
Restant au grenier[N 3][C 3]..................................13
Différence sur le mesurage[N 4][C 4]......................6
Frai du grenier[N 5][C 5]..........................................1
...................................................................___________
..............................................................300 ci. 300

Cet exemple, en indiquant la manière de connaître l'emploi de sa récolte, servira aussi de base pour estimer le produit ordinaire d'une terre ; car, en supposant cent cinquante arpens produisant dix mille gerbes année commune, ce qui fait [149] deux cens gerbes par arpent, et par conséquent une bonne récolte, l'on voit qu'après avoir prélevé le blé nécessaire pour la semence, la consommation et les mercenaires, il ne reste que cent cinquante sacs à vendre, c'est-à-dire, justement la moitié ; d'où l'on peut conclure que dans la majorité des fermes de France, il faut toujours compter la moitié du blé pour le ménage et autres frais indispensables. D'après ce calcul, on verra aussi aisément que plus les terres produisent par leur fertilité naturelle ou à cause de la bonne culture, plus aussi elles rapportent, puisque les frais sont les mêmes pour dix arpens qui ne produisent que neuf quintaux de blé, que pour dix qui en produisent dix-huit. Le battage seul coûte plus quand la récolte est plus abondante ; mais quelle proportion cette dépense a-t-elle avec le profit des pailles, qui, en procurant des engrais considérables, garantissent au propriétaire une succession non-interrompue de fertilité et d'abondance ?

Arracher l'herbe traînante.

Il se glisse souvent dans les vesces, les lentilles et les luzernes, trois semaines environ avant leur maturité, des herbes rouges et traînantes à petits grains, qui se collent tellement au fourrage, qu'il est impossible de les en arracher ; cette plante, [150] qu'on appelle cuscute[5], s'accroît et s’étend en peu de tems, sur-tout lorsqu'il pleut ; de sorte que le seule remède est de couper toutes les places où il s'en trouve, sans en laisser le moindre vestige ; car quelques brins suffiraient pour infester tout le champ. Le grain est entièrement étouffé par cette herbe qui, comme une teigne, le ronge au point de le détruire entièrement ; il paraît que cette plante n'a pas de racine, mais est produite ou envoyée par les brouillards : ce qui est sûr, c'est qu'elle ne se colle que sur les vesces, lentilles et luzernes. Un cultivateur attentif ne manquera pas de se promener dans ses grains, et d'en arrêter promptement les progrès.

Serò medecina paratur,
Cùm mala per longas invaluere moras.[6]

Examen des ustensiles de labour.

Avant le premier Août, il sera indispensable de faire une revue générale de tous les ustensiles qui doivent toujours, comme je l'ai marqué, être renfermés sous clef ; cette revue, facile dans un moment de repos, serait impraticable dans la moisson, pendant laquelle il pourrait s'égarer plusieurs objets faute d'un examen fait à propos. La maîtresse fera la même chose pour les ustensiles de ménage, et regardera comme indispensable [151] de les mettre dans le meilleur ordre possible.

Je passe sous silence les bestiaux et volailles, renvoyant sur cet article au mois de Juin. J'observerai seulement que c'est le tems de faire couvrir les vaches, afin qu'elles puissent vêler en bonne saison. Il faut attendre pour cela qu'elles soient en chaleur, et les mener aussi-tôt qu'on s'en appercevra : cette chaleur ne durant souvent qu'un jour, quelquefois même beaucoup moins, on conseille, quand elles ne sont pas en chaleur, de les faire sauter une heure après leur avoir fait avaler de l'eau-de-vie ou autres liqueurs.

Hâtons-nous de passer aux travaux importans d'Août.

Notes

Notes originales et commentaires

Dans la suite de cette rubrique, sont associées (ligne par ligne) deux éléments complémentaires : les notes originales, telles qu'elles figurent dans l'ouvrage de Chrestien de Lihus (y compris lorsque la recherche montre des inexactitudes), et qui sont intangibles, et les notes additionnelles, issues des recherches effectuées pour compléter les informations lors de la mise en ligne ici, et qui peuvent être amendées par tout contributeur, à l'unique condition d'être précis dans les sources utilisées.

Notes originales (issues de l'ouvrage original) Notes complémentaires (du contributeur "wicrifieur")
  1. Ce qu'on verra en consultant le cahier de battage.
  2. Les batteurs battant au vingtième.
  3. Ce qui est indispensable pour n'être pas obligé de battre pendant la moisson.
  4. Les batteurs mesurant plus bas que le maître, je compte environ un 48e de moins.
  5. A cause de la poussière, des souris, et du déchet du criblage.
  1. A voir
  2. Le vingtième correspond à 5% de la récolte, soit, ici, 15 sacs sur les 300 obtenus. On trouve, dans la littérature, des chiffres comparables. Ainsi, dans l'article Thierry d'Hireçon, agriculteur artésien (13..-1328) (Richard Jules-Marie. Thierry d'Hireçon, agriculteur artésien (13..-1328) [premier article].. In: Bibliothèque de l'école des chartes. 1892, tome 53. pp. 383-416, texte intégral sur Persée), on trouve l'indication (pp. 393, 394) d'une rémunération, pour les batteurs, allant du 16e au 25e (de 4 à 6% de la récolte).
  3. A voir
  4. A voir
  5. A voir

Notes additionnelles

  1. Vers 299 du livre I des Géorgiques, dont une traduction (site Juxta) est : "Laboure [et sème] tandis qu’un vêtement léger suffit à tes épaules". Traduction juxtalinéaire sur le site Juxta.
  2. Vers 99 du livre I des Géorgiques, dont une traduction (site Juxta) est : "[Cérès voit d’un oeil favorable celui qui...] tourmente la terre sans relâche et lui commande en maître.". Traduction juxtalinéaire sur le site Juxta.
  3. Cette ligne, dans l'ouvrage original, est à la fin de la page 147, elle marque le report à effectuer sur la page suivante (qui figure sur la ligne suivante).
  4. Définition figurant dans le Thrésor de la langue françoyse, de Jean Nicot (1606) : "Calvanier, (Aucuns dient Calvainier,) m. acut. Est dit celuy qui pendant l'Aoust sert à enlever les gerbes du champ, et à les entasser en la grange, qui est ce que les Picards appellent varlet d'Aoust." Texte intégral sur RenDico. Dans le Dictionnaire de la langue française d'Émile Littré, on trouve : "Terme d'agriculture. Homme de journée qui engrange les gerbes, charge les voitures pendant la moisson, etc. En Normandie on dit calvènier". Définition sur le site du Dictionnaire vivant de la langue française (ARTFL Project, University of Chicago).
  5. Plante parasite, à la tige grêle et rougeâtre, qui vit notamment sur le thym, le trèfle, la luzerne. La cuscute sur le portail lexical du Centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL - ATILF).
  6. Vers 91 et 92 du Remède d'amour, d'Ovide, dont une traduction (M. Nisard, 1838) est : "le remède vient, trop tard lorsque ce mal s'est fortifié par de longs délais". Texte intégral sur Wikisource. On peut par ailleurs observer, dans l'édition de 1838 de Charles Louis Fleury Panckoucke des textes d'Ovide, que la citation présente quelques différences (p. 323) :
    "sero medicina paratur,
    Quum mala per longas convaluere moras."
    Texte intégral sur Googlebooks.