C de Lihus 1804 Principes d'agriculture et d'économie - Ch10 P3

De Wicri Agronomie
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Principes d'agriculture et d'économie
Table des matières
Préface p. v
PARTIE I
Chapitre 1 p. 1
Chapitre 2 p. 10
PARTIE II
Amontement p. 51
PARTIE III
Mois de mai p. 79
Mois de juin p. 118
Mois de juillet p. 140
Mois d'aoust p. 152
Mois de septembre p. 196
Mois d'octobre p. 223
Mois de novembre p. 252
Mois de décembre et janvier p. 272
Mois de février p. 280
Mois de mars p. 294
Mois d'avril p. 312
Conclusion p. 328
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TROISIÈME PARTIE.


TRAVAUX AGRICOLES DE CHAQUE MOIS.


[294] MOIS DE MARS.

Dès que le doux zéphir amollit les campagnes,
Que j'entende le bœuf gémir sous l'aiguillon,
Qu'un soc, long-tems rouillé, brille dans le sillon.
Georg. Del. l. 1.[1]

Les travaux des champs pressent, peu de terres sont labourées, et le cultivateur voit avec inquiétude approcher le moment des semences. Qu'il ne se décourage pas cependant, la nature elle-même ranime son activité et lui prête un secours puissant ; l'astre du jour attèle son char deux heures plutôt qu'en hiver ; sa chaleur ressuie la terre, la rend propre et facile à cultiver. Faites donc partir vos chevaux avant le lever du soleil ; que la lanterne, allumée dès cinq heures, mette les valets en état de travailler à six, au plus tard. Avec cette activité, les trois premières semaines de Mars suffiront pour finir les labours et les travaux préparatoires.

Vesces.

On sèmera alors les vesces, que la prudence a engagé de ne pas semer toutes en Novembre ; on suivra la méthode déjà indiquée en ce mois ; [295] seulement on mettra un peu moins de semence, parce qu'elle ne se perd plus par l'humidité ou les gelées ; et c'est encore là un avantage de ne les semer qu'en Mars.

Il ne faut cependant pas désespérer entièrement des vesces, lorsqu'au commencement de Mars on les voit faibles et sans vigueur, que la racine paraît ne plus tenir à la terre, que la feuille est toute flétrie, et qu'on apperçoit même beaucoup de places vides : comme le grain se conserve très-long-tems en terre sans s'altérer, son sort ne se décide quelquefois qu'en Juin, où de grands orages forcent, pour ainsi dire, son entier développement. Le cultivateur se trouve alors agréablement surpris de voir une terre dont il n'espérait presque rien, se couvrir, en huit jours, d'une vesce abondante et touffue ; mais on ne doit pas toujours attendre un événement, fort rare heureusement, puisqu'il est presque toujours funeste aux autres grains. Un tel fléau ne peut entrer dans les calculs du cultivateur ; aussi il ne donne pour tout délai, à ses vesces, que la première quinzaine de Mai ; alors, si elles continuent à être languissantes et à rester clair-semées, il ne leur fait pas de grâce, et donne à la terre un bon labour pour y semer de l'orge. Il est encore une autre raison majeure qui doit décider à labourer les vesces mal venantes, c'est que celles qui ne [296] sont pas touffues, font place à une grande quantité d'herbes qui infestent la terre, et qu'on ne peut souvent pas détruire.

Pois gris ou bizailles.

Je n'ai trouvé, dans aucun livre d'agriculture, le mot bizaille, nom qu'on donne, dans nos environs, à une sorte de pois qu'on sème au printems. Ceux dont parlent Liger, Rozier et autres agronomes, ne ressemblent en rien à la bizaille, si estimée parmi nous. Comme donc ce grain me paraît peu connu, je vais en donner la description, et rapporter son utilité.

La bizaille, plus grosse que les pois ordinaires, et d'une couleur grise très-foncée, a une fleur qui ressemble un peu à celle des pois, mais moins bleue, il me semble ; elle vient beaucoup plus haute que les vesces et autres grains, appelés par quelques auteurs hivernages ; j'en ai vu s'élever jusqu'à cinq pieds, mais sa hauteur ordinaire est de deux ou trois : elle se sème en Mars et Avril, lève très-facilement, se récolte à la fin de Juillet, et devient si abondante, qu'il n'est pas surprenant qu'un arpent en donne quatre cens bottes. Quant à son usage, c'est un excellent manger pour les chevaux, souvent préférable aux vesces, parce qu'elle est rafraîchissante, et le grain en est très-utile pour engraisser les cochons ; en [297] outre, cette plante n'engendre pas d'herbes, et rafraîchit le sol au lieu de l'épuiser, et on peut, comme je l'ai dit dans l'introduction, en mettre quelquefois dans les jachères. Tous ces avantages suffisent pour déterminer ceux qui ne connaissent pas ce grain à s'en procurer ; il ne pourra manquer de réussir, parce qu'il se plaît dans toutes sortes de sols, dans les terreins légers comme dans les terres fortes, dans le sable comme dans l'argile.

Bizailles à une raie.

Le 21 Mars, on pourra commencer à labourer les terres destinées à recevoir de la bizaille à une seule raie ; il faudrait cependant différer, si le tems n'était pas beau, parce qu'il faut un tems sec et du soleil pour sécher promptement une terre qui n'a qu'un labour, et faire périr en même tems l'herbe ; mais aussi, si le tems est beau, ne perdez pas l'occasion ; ne vous embarrassez pas de vos autres occupations : rien n'est plus intéressant que de profiter des beaux jours pour semer des bizailles sur un seul labour. Or, il y a deux manières de semer à une raie ; la première, de labourer la terre, la semer et la herser ; la seconde, de semer sur le chaume, ensuite labourer et herser deux fois : j'ai vu ces deux manières réussir parfaitement, les ayant essayées dans [298] la même terre, semée au même moment. Néanmoins, quand la terre n'est pas parfaitement sèche, et qu'il y a beaucoup d'herbes, il vaut mieux la labourer avant, ensuite la herser plusieurs fois, et la laisser passer deux midis pour la ressuyer et détruire l'herbe, ensuite la semer et la herser. Au contraire, quand la terre est très-sèche, ou que c'est une terre à cailloux, qui par conséquent se sèche aisément, il faut semer sur le chaume, afin que la bizaille se trouve plus enterrée, et on conçoit qu'elle est bien plus couverte par le labour que par le hersage. Quelque meuble que soit la terre, il ne faut pas toutefois labourer trop avant, parce que la bizaille ne se plaît pas dans une terre trop profondément labourée. Dans les deux manières, il faut ploutrer la terre aussi-tôt qu'elle est hersée, si le tems est beau ; et au bout de deux ou trois jours, si elle est trop humide : on peut se servir, pour cette opération, du rouleau à cylindre, pourvu que la terre soit dure et les mottes un peu grosses. La bizaille doit être semée un peu drue, et à une quantité plus considérable que le blé ; on en met encore davantage quand le grain est gros.

Blé de Mars.

Le blé de Mars, d'après les expériences faites, est constamment une espèce de blé toute différente [299] de celui d'hiver ; ce dernier, semé en Mars, viendra difficilement en maturité, et en si petite quantité, qu'on retrouvera à peine la semence ; et il en est de même de celui de Mars semé en hiver. Le seul reproche que mérite ce blé, c'est d'être sujet à la carie ; mais cet accident vient presque toujours de ce qu'on le sème trop tard, ou de ce qu'on ne l'enchaule pas comme il faut. Si, par malheur, on en récolte de carié, qu'on ne s'avise pas de le semer sans précaution ; car il est reconnu que la carie est une peste qui se propage et qui gâte toute la semence. Le remède à la carie, est de laver le blé deux ou trois fois dans beaucoup d'eau, en le changeant chaque fois d'eau ; de le laisser ensuite vingt-quatre heures tremper dans une forte eau de lessive, et puis de l'enchauler comme le blé d'hiver : avec ces précautions, on ne peut hésiter à semer du blé de Mars. En 1802, on a senti le prix de ce blé, que nos contrées ont envoyé en grande quantité en Bourgogne, où les grandes inondations avaient détruit les semences d'hiver : ce blé était sir recherché, qu'il a valu au marché jusques à 80 liv. tandis que l'autre ne valait que 50 liv. N'arrive-t-il pas souvent qu'un hiver rigoureux ou pluvieux fait périr le blé, qu'il est mangé par les vers ou par d'autres insectes ? Si ce mal n'est pas heureusement général, au moins il n'y a guère d'années [300] où le blé ne manque dans quelque endroit : on y remédie, en semant de l'orge à la place du blé manqué, et du blé de Mars dans l'endroit où on aurait semé de l'orge. Cette récolte est infiniment au-dessus de celle de l'avoine, dont le grain ne vaut, en général, que la moitié du blé, et vient beaucoup moins abondant : on croirait peut-être pouvoir jouir du même avantage, en semant du blé dans les mars ; point du tout : le blé vient toujours très-mal après du blé, quelque amendement et quelque culture qu'on lui donne ; ce qui prouve évidemment, ou que le blé de Mars est bien constamment un autre blé que celui d'hiver, ou que le repos est nécessaire à la terre, puisque le blé de Mars, qu'on sème six mois après la récolte, vient toujours mieux que le blé qu'on confie à la terre peu après l'avoir moissonné.

Tems de semer le blé de Mars.

Immédiatement après les premières bizailles, c'est-à-dire, vers le 25 Mars, on sèmera le blé de Mars, dans une terre déjà labourée : cette sorte de blé se plaît beaucoup dans les défrichemens de luzerne ou de trèfle ; on l'y sèmera donc de préférence. Que la semence soit bien choisie, et qu'avant de semer on passe le blé dans le crible, afin qu'il soit bien net et [301] dégagé d'herbe : la quantité de semence est un peu plus forte que pour l'autre espèce de blé, parce qu'il ne produit pas, comme lui, plusieurs plantes sur une même tige. Avant que de semer, on hersera la terre, afin d'en abattre les mottes et de la rendre plus meuble et plus douce à marcher ; ce qui fait que les chevaux font infiniment plus d'ouvrage. On sème ce blé après l'avoir enchaulé, puis on le binote et on le herse, et, s'il n'y a pas d'herbe, on le ploutre tout de suite pour renfermer l'humidité.

Avoines.

Après les bizailles à une raie et le blé de Mars, semez tout de suite les avoines dans les défrichemens de luzerne, sainfoin ou trèfle, ces terres demandant à être semées de bonne heure. Trois ou quatre jours avant, elles doivent être hersées par beau tems, mais avec une herse de fer, pour bien arracher l'herbe et rendre la terre mouvante ; quand l'herbe est bien morte, il faut semer l'avoine, encore par beau tems, à la quantité de 70 livres par arpent ; on en met plus que dans les autres terres, parce qu'elles ont plus de force, et que d'ailleurs il faut beaucoup de grain pour étouffer l'herbe qu'elles produisent : on choisira, pour semer, la meilleur avoine ; on aura soin qu'elle ne soit ni éteinte ni germée, ni verte ni [302] pas assez mûre, et on la fera passer au moulin, de manière que tous les petits grains s'en aillent, et qu'il ne reste pas du tout de paille, mais seulement l'avoine la plus grosse : la terre semée, on lui donne un léger binot, puis on la herse deux fois. Les défrichemens, lorsqu'ils sont semés à tems et avec soin, produisent des récoltes qui surpassent de plus d'un tiers celles des autres terres. Et voilà l'inestimable avantage de semer beaucoup de luzerne et de sainfoin.

Herser les luzernes.

Une opération non moins intéressante dans les beaux jours de Mars, c'est de herser les vieilles luzernes avec la herse de fer, pour y détruire l'herbe ; il faut, pour bien faire, qu'il fasse beau, afin que l'herbe ne se rattache pas à la terre ; mais il faut aussi que la terre soit encore tant soit peu humide, afin que les dents de la herse puissent pénétrer profondément et arracher l'herbe : on ne doit pas craindre d'arracher la luzerne, qui a des racines si profondes, et qui est si tenace, qu'elle repousse même après avoir été labourée. J'ai vu la luzerne couvrir, presque au quart, un champ défriché et semé en avoine ; je l'ai vu même résister à un léger binot, et pousser également bien. Si la herse de fer ne pénètre pas assez pour arracher l'herbe, qu'on la charge [303] jusqu'à ce qu'elle entre, ou qu'on fasse monter dessus un homme ou deux enfans ; il faut alors quatre chevaux, qu'on aura soin d'arrêter de tems en tems, pour dégager les dents de la herse, et qu'on ne mènera pas trop vîte, parce qu'alors la herse ne fait que glisser. Après avoir hersé en long, on hersera ensuite de travers pour attaquer l'herbe de tous les côtés ; quand on arracherait quelques pieds de luzerne, cela ne fera jamais le même tort que l'herbe, qui, peu à peu, détruit la luzerne.

Quand les vieilles luzernes sont trop infestées d'herbes, je conseille de les herser une seconde fois, trois ou quatre jours après, et ensuite de faire enlever, avec des râteaux de fer, l'herbe que la herse a détachée. Cette opération, que j'estime devoir coûter six livres par arpent, purgera entièrement la luzerne de mauvaises herbes, qui autrement se rattachent à la première pluie, ou au moins, en étouffant la luzerne, retardent son accroissement. J'ai employé, avec succès, cette méthode, dans un champ où la luzerne, qui ne paraissait pas auparavant, a commencé tout de suite à se montrer, et a fait ensuite des progrès rapides.

Le seul inconvénient de herser les luzernes, c'est qu'elles sont plus sensibles aux gelées, qui endommagent alors la racine que la herse a laissée [304] à découvert ; et c'est pourquoi les luzernes ne doivent pas être hersées de trop bonne heure, et au plutôt à la fin de Mars. Au reste, voilà le seul moyen d’entretenir long-tems les luzernes, et de les empêcher de s'enherber ; aussi ne faut-il pas attendre pour cela qu'elles soient bien vieilles ; dès qu'elles s'enherbent un peu, il faut y amener la herse, qui, outre l'avantage d'arracher l'herbe, donne une nouvelle assurance à la luzerne, en ouvrant la terre, et procurant à ses racines la liberté de s'étendre et de prendre du pied.

Ploutrer le blé.

Lorsqu'il se trouve beaucoup de mottes dans les terres à blé, il ne faut pas laisser passer le mois de Mars sans les ploutrer ; ce qu'il faut faire par un beau tems, et lorsque la terre est un peu sèche, afin de ne pas arracher le blé : si elle était trop sèche, on mettrait un traînoir sur la herse, afin qu'elle pût briser les mottes. Ce ploutrage rechausse le blé et contribue beaucoup à le fortifier.

Ramasser les cailloux.

C'est le tems aussi de faire ramasser les cailloux dans les luzernes, trèfles et sainfoins. Lorsque le faucheur sent sa faulx rencontrer quelques cailloux, alors il coupe plus haut, de peur [305] de rentamer, ou même de la casser. Il est donc de l’intérêt du propriétaire de faire bien ramasser les cailloux, afin qu'il puisse obliger ses faucheurs à faucher bas. On peut les faire ramasser à la toise, mais ils sont bien mieux ramassés à la journée : on prend alors beaucoup d'enfans, qu'on inspecte soi-même, ou qu'on remet à un homme de confiance ; de cette manière, l'ouvrage se trouve fait exactement et très-promptement, les enfans travaillant à l'envi les uns des autres, lorsqu'ils sont surveillés : il n'en coûte pas même beaucoup, puisqu'il suffit de donner à chaque enfant six sous par jour et la nourriture. Ces cailloux doivent être mis autour de la pièce, pour être enlevés quand on en aura le loisir, et être placés dans la cour ou dans les chemins.

Détruire les taupinières.

On se procurera, pour 60 centimes, l'Art du Taupier[N 1][C 1], petite brochure où l'on indique le moyen de prendre les taupes en vie. Il serait trop long de rapporter cette méthode, aussi sûre qu'intéressante ; cet art, qui est connu aussi de quelques jardiniers, consiste principalement, 1°. à observer la taupe aux heures qu'elle travaille, [306] savoir, au soleil levant, à midi et au soir ; 2°, à faire, dans les chemins souterreins qu'elle pratique, d'une taupinière à l'autre, des incisions qui, lui coupant le chemin, la réduisent entre deux points des souterreins ; 3". à mettre, à ces différentes ouvertures, un brin de paille, au bout duquel on fixe un petit morceau de papier, afin que cette paille, renversée au moindre mouvement de la taupe, avertisse de sa présence. L'essentiel, c'est de ne pas faire de bruit, parce que la taupe voit peu, mais en revanche a l'ouïe très-fine : une fois que, par les moyens indiqués, on a découvert où elle est, on la prend aisément dans ses souterreins, qui ne sont pas creusés de plus de deux ou trois pouces ; elle s'enfonce quelquefois davantage dans sa taupinière, mais cela n'excède pas encore un pied et demi, et on l'y fait sortir en y versant de l'eau.

Le tems de détruire les taupes est immédiatement après les grands froids, c'est-à-dire, dans le courant du mois de Mars, qui est le tems où elles commencent à travailler avec plus d'ardeur. Lorsque les taupinières sont sèches, c'est qu'elles sont abandonnées ; alors, il suffit de les renverser avec la houe. Lorsqu'on en remarque, dans les blés, de toutes fraîches, il faut d'abord, pour ne pas gâter le blé, les renverser, et voir si l'animal découragé n'ira pas porter ses travaux hors [307] de vos possessions ; s'il recommence à soulever la terre, il faut alors, de toute nécessité, faire la guerre à l'animal, autrement il ravagerait toute la pièce, et ferait un dommage plus considérable que les coupures qu'on pourrait y faire[N 2][C 2].

Faire du bois dans les arbres.

Avant que le bouton se développe, il faut faire tirer le bois mort des arbres fruitiers, tels que pommiers et poiriers. Qu'on ne craigne pas d'en couper trop, et de retrancher même les branches entières qui pendent trop bas ou incommodent l'arbre : une trop grande quantité de bois l'épuise et tire inutilement tout son suc. Si, pendant deux ou trois années, son produit est moins considérable, on est aisément dédommagé, parce qu'il vit plus long-tems et rapporte ensuite plus souvent et avec plus d'abondance ; mais cette opération doit être faite par un habile ouvrier, qui décharge les arbres sans les détruire, et les conserve sans trop les ménager. Un seul motif peut déterminer à différer ce travail, c'est lorsque les arbres sont tellement chargés de boutons à fruits, que les tailler serait s'ôter l'espoir d'une abondante récolte.

[308] Rozier va plus loin, dans son Cours d'Agriculture, art. Pommier : il désirerait qu'on taillât tous les ans, les pommiers des champs comme ceux des jardins, en supprimant les boutons qu'il appelle bourse, qui ne doivent produire que les années suivantes, et en laissant seulement ceux qui doivent rapporter du fruit dès l'année même. Il assure que cette expérience lui a réussi. Pour moi, quoique je n'aie pas encore osé l'éprouver, tout me porte à croire qu'il peut avoir raison, hors la dépense que cela entraînerait ; ne pensant pas, comme lui, qu'elle serait toujours payée par la récolte, parce que les arbres des champs sont bien plus exposés aux intempéries de l'air, que ceux des jardins.

On doit, à la même époque, émonder les ormes et les peupliers, ce qu'on peut renouveller tous les cinq ans : des arbres ainsi entretenus se portent toujours mieux que ceux qu'on néglige, et qu'on laisse pousser trop de bois. On n'oubliera pas non plus les haies d'épine ou d'autres bois, qu'on doit ravaller tous les trois ans ; lorsqu'on diffère trop long-tems à le faire, elles se dégarnissent dans le pied, et deviennent si claires, qu'elles forment une mauvaise clôture. Quand on baisse les haies, il faut laisser, de distance en distance, quelques branches pliantes, qu'on courbe pour entrelacer dans les autres et former [309] une espèce de claie, ce qui rend les haies plus solides et plus impénétrables.

Bois de charronnage.

Il ne faut pas différer davantage à faire abattre et façonner les arbres destinés au charronnage ; lorsqu'ils sont abattus trop tard, et que la sève est déjà montée, ils deviennent trop tendres ; et si on attend les chaleurs pour les travailler, ils sont trop secs et se travaillent mal. Un cultivateur prudent a toujours une quantité suffisante de ces arbres, préparés long-tems d'avance, pour s'en servir dans le besoin ; ils font alors infiniment plus de service.

Cidre.

Si l'on veut avoir du cidre agréable et pétillant, il ne faut pas passer le mois de Mars sans le mettre en bouteille ; il faut en même tems remplir ses tonneaux, le cidre frayant beaucoup dans les premiers mois ; ceux qui sont vides doivent être nettoyés et serrés dans un endroit sec, où ils ne pourrissent pas, et où ils ne soient pas non plus exposés à la chaleur. Les tonneaux prennent toujours un mauvais goût, quand on y laisse séjourner la lie, qu'il faut en retirer le plutôt possible : on peut la déposer ensuite dans un tonneau destiné à les recevoir toutes, et où, en s'épurant [310] peu à peu, au bout de quelques mois, elles procurent encore de bon cidre, qu'on tire tant qu'il vient clair, et dont on jette alors le résidu.

Bestiaux.

Il faut commencer au premier Mars à modérer un peu sa rigidité pour les bestiaux, qui depuis le premier Novembre sont à la paille, et leur distribuer alors un peu de foin, sur-tout aux vaches, car elles en ont encore plus besoin que les moutons. Ceux-ci, à moins qu'il ne pleuve ou qu'il ne gèle, trouvent toujours de quoi pâturer dans les champs, dont l'herbe la plus courte leur suffit ; au lieu que les vaches ne vont plus aux prés, qu'on leur interdit pour laisser pousser l'herbe. Il faut donc les en dédommager, en leur donnant au moins une demi-botte par jour. Si vos greniers vous le permettent, donnez-en aussi à vos moutons, à la quantité d'une botte par jour pour dix bêtes.

Volailles.

Le mois de Mars ne se passe pas ordinairement sans que les oies demandent à couver. Comme elles veulent toujours couver où elles ont pondu, qu'on les accoutume, autant que faire se peut, à aller pondre dans des endroits à l'écart, où elles ne soient pas troublées par d'autres animaux ; on aura [311] soin, pour cet effet, de garder les vieilles femelles qui pondent, tous les ans, à un endroit accoutumé, et par conséquent y couvent aussi ; elles ont, en outre, beaucoup plus soin de leurs œufs que les jeunes, qui les cassent souvent. Qu'on ne mette jamais deux oies à couver ensemble, c'est une querelle et un combat continuels ; ces animaux quittent leurs œufs pour se becqueter, changent d'œufs ensemble ; et on a quelquefois vu donner douze œufs à chaque femelle, et trouver, deux jours après, vingt œufs sous l'une et quatre sous l'autre. Pour éviter cet accident, il faut les mettre séparément, mais toujours dans des endroits bien fermés, et où les animaux destructeurs ne peuvent pénétrer.

Les autres volailles pondent en Mars, mais ne demandent guère à couver, excepté les poules, encore cela arrive rarement dans les grandes cours, où elles n'ont pas une nourriture très-abondante, et sont plus exposées aux injures de l'air. Si on veut donc avoir des poulets de bonne heure, on ne trouvera guère de couveuses que chez de pauvres gens, qui, n'ayant qu'une poule ou deux, les nourrissent bien, et les laissent au coin de leur feu. Cela est facile à trouver, en rendant, au propriétaire, deux poulets avec la mère, si la couvée réussit.

Notes

Notes originales et commentaires

Dans la suite de cette rubrique, sont associées (ligne par ligne) deux éléments complémentaires : les notes originales, telles qu'elles figurent dans l'ouvrage de Chrestien de Lihus (y compris lorsque la recherche montre des inexactitudes), et qui sont intangibles, et les notes additionnelles, issues des recherches effectuées pour compléter les informations lors de la mise en ligne ici, et qui peuvent être amendées par tout contributeur, à l'unique condition d'être précis dans les sources utilisées.

Notes originales (issues de l'ouvrage original) Notes complémentaires (du contributeur "wicrifieur")
  1. Cette brochure se trouve chez Marchant, rue des Grands-Augustins, n°. 12.
  2. Il vient de paraître une brochure de M. Cadet de Vaux, sur les mœurs de la taupe et la manière de la détruire.
  1. La brochure en question, L'art du Taupier, par Étienne-François Dralet, a fait l'objet de nombreuses éditions. Celle à laquelle il est probablement fait référence ici, chez Marchant, à Paris, est de 1801, qui ne semble pas disponible en ligne. Texte intégral de l'édition de 1798 (an VI), publiée à Paris également.
  2. Antoine-Alexis Cadet de Vaux - De la Taupe, de ses mœurs, de ses habitudes, et des moyens de la détruire.P., Journal d'Économie Rurale 1803 (an XII), in-12 br. de (2 ff.- 248 p.) + 8 pl.. Cet article ne semble pas disponible en ligne.

Notes additionnelles

  1. Les Géorgiques, de Virgile, traduction de l'abbé Delille, livre I, vers 50 à 52. Texte intégral sur le site remacle.org.