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Pour une politique ambitieuse des données publiques (2011) chapitre 3

De Wicri France
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Pour une politique ambitieuse des données publiques :
Les données publiques au service de l’innovation et de la transparence


Partie 1 - « Open Data » : Contexte et enjeux d’une question sociétale
Chapitre III. Les enjeux de la réutilisation des données publiques
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Portée par des évolutions technologiques, économiques et politiques récentes, la réutilisation des données publiques est devenue une question sociétale.

Elle peut contribuer à rapprocher la puissance publique des citoyens et améliorer le fonctionnement interne de l’administration.

Elle constitue un élément de soutien à l’économie numérique, et ses applications peuvent encourager le développement durable ainsi que les secteurs essentiels pour l’avenir de notre économie, de la recherche et de l’innovation des PME.

Les données publiques constituent les prémisses d’une « infrastructure informationnelle » : au-delà des gains économiques liés à la transparence, elles permettent l’avènement d’un nouveau mode d’action publique, novateur et encore traversé par des tensions qu’il appartient à la puissance publique de réguler.

 

Démocratie, transparence et débat public

Le droit d’accès aux données publiques et, son corollaire de l’ère numérique, le droit à leur réutilisation non discriminatoire et sans distinction d’usage, sont des éléments à part entière du fonctionnement démocratique de notre société.

Contribuer à la transparence de l'État

L’obligation pour la puissance publique de rendre compte à ses administrés (« accountability » pour les Anglo-Saxons, littéralement « être comptable de ») est une valeur centrale des démocraties modernes.

Cette responsabilité du gouvernement se concrétise notamment par un droit d’information des citoyens, et par une nécessité de transparence de l’État et des collectivités quant à leur fonctionnement vis-à-vis du public.

En annonçant, en novembre 2010, la mise en ligne de l’ensemble des dépenses de l’administration centrale britannique dépassant de 25 000 livres[1], le Premier Ministre David Cameron revendiquait le titre de « gouvernement le plus transparent et responsable de la planète ».

L’exemple le plus radical de cette transparence est probablement le site Police.uk, lancé par le même gouvernement, qui détaille l’ensemble des crimes, délits et incivilités, rue par rue, à travers tout le territoire britannique. Il a connu un succès extraordinaire, avec 35 millions de requêtes durant ses premières 24 heures de fonctionnement.

La transparence de l’action de l’État ne se limite pas aux domaines strictement régaliens. La transparence sur la qualité de l’environnement, des produits que nous consommons et de l’air que nous respirons est un ferment crucial de la confiance des citoyens envers leurs gouvernants.

Par exemple, lors de la crise nucléaire de Fukushima, l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire français, l’IRSN, a ainsi mis en ligne les mesures de radioactivité ambiante qu’il effectuait en temps réel à travers tout le territoire.

Enfin, la transparence publique est un enjeu démocratique qui doit évidemment être mis en place dans le respect de la vie personnelle et des secrets légaux (secret statistique, secrets liés à la sécurité, secret lié à la protection l’environnement…).

Éclairer le débat public

La mise à disposition de données brutes sur le fonctionnement de l’État va dans le sens de la généralisation de ce mouvement de transparence.

Une réutilisation libre et ouverte des données publiques transforme les pratiques traditionnelles du journalisme. L’accès direct à ces données confère aux journalistes une plus grande latitude pour la conduite d’investigations basées sur les faits et la construction d’argumentaires étayés. Ils peuvent y accéder à tout moment, les recouper à titre de vérification, les croiser avec d’autres sources pour mettre en perspective les phénomènes qui sont l’objet de leurs analyses.

Le journal britannique The Guardian[2] publie ainsi des analyses infographiques et des visualisations interactives qui mettent en lumière les éléments factuels qui sous-tendent le débat public, comme par exemple celle portant sur l’analyse du budget britannique[3].

Ce phénomène, le « datajournalism » ou journalisme des données, permet à la presse de mettre en oeuvre une véritable pédagogie quant aux enjeux de société, sous une forme interactive et que le public peut facilement s’approprier, à partir des données qui s’y rapportent.

L’accès aux données brutes et le droit de réutilisation permettent donc d’éclairer le débat public, et de le recentrer sur des faits avérés plutôt que des positions idéologiques formées a priori.

Encourager l'implication des citoyens dans la vie publique

L’émergence de mécanismes participatifs, qui permettent d’associer les citoyens à la délibération politique menée par les institutions de la démocratie représentative, a précédé l’émergence d’Internet.

En France, ce principe de participation a été créé par la loi « Barnier » du 2 février 1995 relative à la protection de l’environnement et instituant la commission nationale du débat public (CNDP), et la loi « Vaillant » du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité instaurant les conseils de quartier.

Dans nos sociétés basées sur la communication et la fluidité des échanges, toute rétention d’information est perçue comme suspecte. En offrant des outils qui permettent aux citoyens de se faire une opinion indépendamment des pouvoirs publics ou du prisme d’analyse des médias, la mise à disposition des données peut permettre l’émergence d’une réelle expertise citoyenne impliquée dans la vie publique.

Le site NosDéputés.fr est un cas de réutilisation par un collectif citoyen de données publiques (dans ce cas des données publiques produites par la Représentation nationale). Créé par l’association Regards citoyens, le site[4], lancé le 14 septembre 2009, ambitionne « de donner aux citoyens de nouveaux outils pour comprendre et analyser le travail de leurs représentants ». Pour cela, il synthétise les différentes activités, législatives et de contrôle du gouvernement. En réutilisant les résultats des élections législatives de 2007, l’association a aussi étudié l’impact du redécoupage de la carte électorale sur la répartition des sièges à l’Assemblée nationale[5].

L’ouverture la plus large des données publiques à la réutilisation permettrait de multiplier ces exemples, dans l’ensemble des domaines d’activité du monde associatif et de la société civile, de l’environnement à l’assistance aux personnes en passant par l’initiative économique, et encouragerait l’implication des citoyens dans la vie civique.

Modernisation de l’État

L’État est, dans les faits, son plus gros client sur le marché de la vente de données. Des études démontrent que jusqu’à 70 %[6] du volume de vente de données publiques concerne des transactions contractées entre deux institutions publiques différentes dépendant du même gouvernement. La tarification pour réutilisation de données, plutôt qu’une source de revenus pour l’administration, est donc majoritairement un transfert budgétaire entre entités publiques, d’autant plus inefficace qu’il grève le budget de ces institutions des coûts importants de transactions inhérents aux finances publiques.

Mettre en ligne par défaut les données publiques plutôt qu’attendre une requête en demandant l’accès facilite donc aussi le travail de l’administration. Ouvrir ses silos de données fluidifierait les échanges d’informations en son sein, notamment sur des sujets transverses qui touchent aux prérogatives de différents ministères - par exemple, l’hypertrophie des algues en milieu marin (mesures réalisées par le Ministère de l’Écologie), fortement corrélée à l’utilisation de fertilisants phosphatés dans le cadre de la production agricole (données du Ministère de l’Agriculture). L’ouverture des données publiques permettrait donc aux services de l’État et des collectivités un accès plus rapide à l’information, sans avoir besoin de passer par la lourdeur de la procédure d’achat des données auprès d’une autre entité publique, ni la nécessité de disposer d’un budget pour les obtenir.

Le processus de normalisation inhérent à la mise en ligne des données publiques pourrait de plus être intégré directement dans le travail quotidien des services producteurs de données. S’assurer de la présence de la légende, des métadonnées, ou de l’interopérabilité du format utilisé permettrait à l’État de s’engager dans une démarche d’assurance qualité concernant les données publiques.

Enfin, la transparence accrue que pourrait permettre une large ouverture des données de l’État est un élément de contrôle des citoyens sur les performances des politiques publiques et de ses opérateurs. Selon le principe des théories économiques de l’agence[7] qui veulent que ce que l’on mesure précisément concentre les efforts, une meilleure transparence quant au travail de l’État et aux effets de son action sur la société, l’économie et les services publics entraînera mécaniquement une amélioration de son efficacité et de la qualité des services rendus.

Proposer de nouveaux services publics

La réutilisation des données par des développeurs, des entreprises ou des associations, permet par ailleurs à ces derniers d’offrir aux citoyens de nouveaux services publics en ligne, souvent novateurs et que l’État n’aurait parfois pas su ou pu imaginer par manque de familiarité avec les nouveaux usages.

En Grande-Bretagne par exemple, c’est avec le slogan « Releasing Innovation » (libérer l’innovation) qu’a été mise en ligne la plateforme data.gov.uk. L’objectif affiché était de permettre à des tiers de créer, à partir des données de l’État, des services en ligne plus innovants et de meilleure qualité.

En France, c’est aussi la possibilité pour des développeurs d’offrir de nouveaux services aux citoyens à partir des données mises à disposition par l’État qui avait poussé le groupe d’experts du numérique, réunis autour du député Frank Riester pour travailler sur l’amélioration du lien numérique entre l’administration et l’usager, à proposer la mise en ligne d’un portail des données de l’État[8].

Le discours du Président de la République prononcé le 27 avril 2011 à l’occasion de l’installation du Conseil National du Numérique[9] abonde dans ce sens : « nous faisons appel aux entrepreneurs d’Internet pour imaginer les services que l’État n’a pas encore créés ».

La perception de l’administration par le citoyen en sortira modifiée, dans un sens qui pourrait être celui d’une meilleure appréciation du travail fourni et des enjeux forts des métiers de l’administration.

Cette démarche d’encouragement au développement de nouveaux services publics en partenariat avec les acteurs de l’innovation, comme celle d’ouverture et de transparence, participe à la réforme de l’État, de la modernisation et de l’amélioration de son rapport à l’usager.

Innovation et soutien à l’économie numérique

En parallèle aux enjeux démocratiques et d’action publique que représente l’accès aux données publiques, leur réutilisation par des développeurs, des entrepreneurs et des startups est un enjeu économique fort, à court terme pour le développement du numérique, et à long terme pour la croissance, l’emploi et le développement des secteurs stratégiques de l’économie.

La réutilisation des données publiques pourrait stimuler l’innovation dans les industries de l’information, notamment dans les services contextuels.

La donnée publique : matière première des industries de l'information

Une étude réalisée pour le compte de la Commission Européenne estime la valeur potentielle du seul marché de la donnée publique entre 10 et 48 milliards d’euros, avec une projection médiane à 27 milliards d’euros[10]. Le potentiel de croissance qu’offrirait une plus large ouverture des données est clair, alors que l’on estime que l’Union Européenne dans son ensemble perd près de 300 millions d’euros par an en recettes fiscales du fait du régime d’accès encore trop restreint à la donnée publique[11].

Les industries de l’information considèrent la réutilisation des données publiques comme une opportunité majeure[12]. Le groupement professionnel Groupement Français de l’Industrie de l’Information (GFII) organise en particulier une veille fréquente et des colloques pour ses membres sur ce sujet considéré comme crucial[13] au développement du secteur. De nombreuses réussites industrielles sont basées en tout ou partie sur l’accès à l’information publique.

Dans le secteur des transports, une société comme NAVX a pu intégrer à son offre de services aux particuliers des informations sur le prix des carburants en pompe en temps réel. La start-up KelQuartier.fr propose une offre d’information compilée à partir de l’agrégation d’un grand nombre de données publiques, quartier par quartier[14]. Des sociétés de services aux personnes affectées d’allergies ont pu intégrer les données de volume du bâti de la ville de Paris, afin de mieux prévoir le déplacement des allergènes dans l’air à travers la ville.

Dans un domaine traditionnellement proche des techniques documentalistes et qui déploie aujourd’hui des solutions de référencement basées sur les technologiques sémantiques décrites plus haut, LexisNexis[15] ou Caselex[16] sont des sources d’informations importantes (notamment jurisprudentielles) pour les juristes professionnels.

L'Open Data favorise la croissance de l'économie numérique

L’importance de la question des données publiques se révèle à la lumière des développements technologiques récents.

Au-delà des secteurs traditionnels de l’industrie de l’information, c’est l’innovation et la création de nouveaux produits et services en ligne qui bénéficieraient de l’ouverture massive des données publiques.

Permettre aux jeunes pousses numériques d’une économie d’accéder facilement aux données publiques pour expérimenter, c’est faciliter l’émergence de tout un tissu potentiel de sociétés de services mobiles et en ligne, et donc contribuer au développement de l’économie numérique.

(i) Les applications créées à partir de données publiques connaissent une très forte demande.

Un exemple parmi les applications présentes sur le portail de services publics sur mobile « Proxima Mobile », créé par la Délégation aux Usages de l’Internet : AllBikesNow permet de repérer les stations de Vélib’ proches de soi, et interroge à distance les serveurs de l’opérateur de la flotte pour connaître, en temps réel, l’état de remplissage d’une station en vue d’y retirer un vélo ou d’en garer un. Il est à noter par contre que les données brutes sous-jacentes, produites par la société JC Decaux dans le cadre de la concession d’exploitation de la flotte Vélib’ concédée par la Mairie de Paris, ne sont pas encore disponibles à la réutilisation par tous, même si cela est à l’étude.

Un autre exemple dans le secteur des transports en commun est l’application mobile Locomote, de la société Isokron, qui permet de connaître l’itinéraire le plus rapide en fonction de sa localisation et de l’état des réseaux de bus, de train et de vélos en partage dans les villes qui ont commencé à ouvrir l’accès à ces données, comme la ville de Rennes avec la société Kéolis.

Les données qui sous-tendent ces deux services ne sont pas toujours accessibles aux développeurs indépendants dans des conditions facilitant l’expérimentation de nouvelles idées, et, par exemple, la SNCF et la RATP n’ont pas encore ouvert l’accès aux données, théoriques (horaires) comme temps réel (position des bus et trains), issues de l’exploitation de leur réseaux.

Les nouvelles plateformes d’applications mobiles ont vu apparaître des catégories entières de services nouveaux, au succès émergent. Par exemple, Foursquare, le service le plus connu sur le marché naissant de la géolocalisation sociale, et qui permet aux utilisateurs de signaler (check-in) à leurs réseaux sociaux leur localisation en un point d’intérêt (bâtiment, musée, restaurant, bar, voire ministère), a déjà plus de 5 millions d’utilisateurs[17] après 2 ans d’existence. DisMoiOù, un service français similaire, a ouvert son API en juin 2010[18].

Enfin, l’information pratique aux citoyens connaît un succès renouvelé sur les nouvelles plateformes mobiles, et pourrait bénéficier substantiellement de l’ouverture des données publiques. La société MyCityWay[19] propose par exemple, dans chaque métropole américaine, une application qui regroupe l’ensemble des services publics, des informations de transports, de loisirs et de culture utiles au citoyen. Ce modèle sera probablement amené à se développer en Europe.

(ii) Les données publiques pourraient être l'opportunité d'avancées technologiques.

Google, opérateur de la plateforme et du système d’opération mobile à très forte croissance Android, a annoncé à Paris lors de la conférence LeWeb 2010, sa prochaine avancée technologique majeure : la découverte contextuelle (‘contextual discovery’[20]).

L’idée est de recouper l’ensemble des informations géolocalisées ou géocodées que Google a accumulées et ordonnées dans ses serveurs, d’en extraire les informations les plus à même d’intéresser un utilisateur d’Android se trouvant dans un contexte donné (géographique, temporel, mais aussi social ou professionnel, ce qui peut être déterminé grâce aux données personnelles confiées à Google), et de les présenter de façon non intrusive à l’utilisateur avant même qu’il n’ait pensé à initier une recherche Google. Ce service préfigure les publicités mobiles géolocalisées et personnalisées qui sont annoncées pour un futur proche.

Le défi technologique et ergonomique est majeur : ce type d’application pourrait devenir aussi incontournable dans le monde physique que le sont aujourd’hui les moteurs de recherche sur le Web. Indépendamment ou en parallèle aux services contextuels de Google, d’autres applications contextuelles pourront apparaître, plus spécialisées, ou dans des contextes géographiques spécifiques où leur producteur disposera d’un avantage compétitif. Le développement de ces nouveaux usages bénéficierait largement de l’ouverture à la réutilisation des données publiques.

Un secteur crucial pour la croissance et l'emploi

Le développement d’applications innovantes à partir des données publiques ouvertes permettra d’offrir de nouveaux services utiles aux consommateurs et aux citoyens. Ce sera aussi l’occasion pour des entreprises de créer ou de développer des activités commerciales en ligne, génératrices de revenus et d’activité économique.

L’économie numérique est un secteur crucial pour la France. Une étude[21] montre que cette industrie en forte croissance (3,7 % du PIB en 2010, et jusqu’à 5.5 % en prévision pour 2015) a représenté à elle seule 25 % de la croissance de l’économie depuis 2009, et est à l’origine d’un quart de la création nette d’emplois en France depuis 1995 (soit une contribution nette d’environ 700 000 emplois). Son développement est un des quatre leviers de croissance de l’économie française identifiés par le Conseil d’Analyse Stratégique[22], avec la réforme de l’enseignement supérieur et la baisse des rigidités du marché des biens et du travail : une diffusion plus large des TIC pourrait contribuer jusqu’à 0.3 % de croissance additionnelle par an.

Les données publiques pourraient plus particulièrement devenir un ingrédient important d’encouragement au développement d’applications mobiles. Le marché global de ces applications a atteint 4,4 milliards de dollars de revenus annualisés dans la première moitié de l’année 2010[23], et est estimé pouvoir atteindre près de 15 milliards de dollars d’ici à 2013[24]. Parmi elles, le secteur des services contextuels et géolocalisées est en pleine croissance[25] et constitue plus qu’une évolution de l’informatique, une nouvelle opportunité pour les services numériques.

En France, une étude du Syntec Numérique[26] publiée en fin d’année 2010 dénombre 5 400 éditeurs et sociétés de service en ingénierie informatique spécialisés dans la mobilité. 540 d’entre elles opèrent exclusivement dans la création d’applications mobiles, dont la majorité sont des entreprises de moins de 5 personnes. L’étude projette la création de 15 000 emplois dans ce secteur au cours des 5 prochaines années.

L’ouverture des données publiques pour permettre leur réutilisation la plus large est donc un élément d’encouragement au développement de l’économie numérique. Cette dernière est un secteur crucial pour l’innovation et l’activité économique, pour la croissance, et pour la création d’emplois.

Des données stratégiques pour l’économie

Au-delà de leur impact direct sur le développement de l’économie numérique, les données publiques peuvent aussi jouer un rôle stratégique pour l’économie au sens large.

La transparence accrue initiée par le mouvement de mise en ligne des données publiques pourrait entraîner des gains économiques substantiels.

La réutilisation de ces données, pour créer de nouveaux services numériques ou pour améliorer les processus productifs internes aux entreprises, pourra soutenir les grands axes stratégiques pour l’avenir de l’économie française, de la recherche, du développement durable ou encore de la croissance des Petites et Moyennes Entreprises (PME).

Les gains économiques de la transparence

L’Open Data et ses enjeux sont souvent présentés comme séparés en deux problématiques majeures : la transparence de l’État et le débat public, d’une part, et la contribution à la croissance économique, de l’autre. La transparence peut cependant être elle aussi à l’origine de la création de valeur, tant au niveau microéconomique que macroéconomique.

La théorie de l’agence économique évoquée plus haut consacre le principe selon lequel ce qui est mesuré et visible concentre les efforts. En mettant au vu et au su de tous, et notamment des citoyens, des données sur l’action des différentes institutions publiques, l’Open Data contribuera mécaniquement à faire progresser la qualité et l’efficacité des services qu’ils rendent.

Des études ont montré par exemple que le simple fait de mesurer et de rendre public le taux de mortalité dans les hôpitaux (ajusté pour le risque) permettait d’atteindre des résultats presque similaires à la mise en place de systèmes d’incitations financières[27].

Du point de vue de la concurrence, la mise en ligne de données produites ou collectées par le régulateur ou l’autorité de la concurrence pourrait permettre aux consommateurs de comparer plus efficacement les offres du marché, ce qui contribuerait à l’amélioration du pouvoir d’achat et à un marché des biens et services plus compétitif.

En parallèle à la publication des données publiques, accessibles à tous selon le modèle de l’Open Data, la mise à disposition par les entreprises privées à leurs clients des données d’usage privées qui les concernent, et ce sous forme réexploitable, pourrait permettre plus de compétition entre fournisseurs de services, en ligne (réseaux sociaux, moteurs de recherche) ou non (opérateurs mobiles)[28]. Ce mouvement de « Data Portability »[29], ou portage des données privées, pourrait donner lieu à une offre de meilleure qualité pour les consommateurs.

Enfin, une transparence accrue quant à l’État de l’économie et de la société française contribue à recréer un lien de confiance entre les agents économiques, lien qui a pu être éprouvé par la profonde crise économique récente.

En participant au rétablissement de la confiance des investisseurs, des ménages et des entreprises dans nos institutions, dans la capacité de l’économie française à croître et dans celle de l’État à financer ses programmes de politiques publiques, l’Open Data peut donc contribuer à soutenir la stabilité macroéconomique de notre pays.

Un facteur de soutien aux priorités stratégiques de l'économie française

La réutilisation des données publiques permet la création de services innovants, qui peuvent favoriser le développement d’activité d’entreprises, et notamment de celles issues de l’économie numérique.

Ces services peuvent aussi avoir un impact indirect fort à moyen et long terme sur l’économie, en contribuant aux grands axes stratégiques d’avenir identifiés pour son développement.

La commission Juppé-Rocard, dirigée par les deux anciens Premiers, a été chargée en 2009 par le président de la République de formuler des propositions quant aux investissements d’avenir que la nation pourrait mettre en œuvre afin de préparer son développement futur.

Ses conclusions[30] identifient sept grands thèmes prioritaires :

  • Soutenir l’enseignement supérieur, la recherche, l’innovation.
  • Favoriser le développement des PME innovantes.
  • Accélérer le développement des sciences du vivant.
  • Développer les énergies décarbonées et l’efficacité dans la gestion des ressources.
  • Faire émerger la ville de demain.
  • Inventer la mobilité du futur.
  • Investir dans la société du numérique.

Les nouveaux services basés sur la réutilisation des données pourraient permettre d’encourager et d’accompagner la mise en œuvre de chacune de ces priorités.

Au-delà des marchés de l’information publique aujourd’hui bien identifiés (information légale, géographique, etc.) et de l’économie numérique, les nouvelles applications de la réutilisation des données publiques pourraient donner lieu au développement de nouveaux marchés et à la création d’entreprises innovantes. Faciliter l’accès aux données publiques et leur réutilisation par les startups est donc un enjeu du développement de l’entreprenariat de haute technologie, et de compétitivité des PME françaises.

Le développement durable et la résilience de nos sociétés peuvent aussi profiter largement d’une réutilisation plus large des données publiques. Par exemple, la disponibilité d’informations intermodales riches et mises à jour accroît sensiblement l’usage des transports publics. Le développement des énergies propres est conditionné à l’accès à des données géophysiques de qualité, comme par exemple des mesures d’ensoleillement précises. Le partage des données publiques entre services d’urgences peut aussi faciliter la coordination des réponses aux catastrophes naturelles.

Enfin, une collecte et un partage plus large des données peut favoriser la recherche scientifique et le développement de nouveaux produits innovants. La recherche en biologie synthétique ou sur l’impact médical des substances chimiques, par exemple, repose largement sur le partage de résultats d’expérience. L’investissement des puissances publiques pour améliorer la mutualisation et le partage de ces données est un enjeu de compétitivité.

Les deux prochaines sections explorent plus en détail les leviers d’action à travers lesquels la réutilisation des données publiques pourrait contribuer au développement durable, et encourager la croissance des PME françaises.

Exemple : les données publiques au service du développement durable

Les applications construites à partir des données publiques pourraient contribuer de multiples manières à encourager le développement durable sous ses différentes facettes.

(i) Développement des énergies propres.

La production d’énergie est soumise à la disponibilité de sources de données fiables permettant de calculer et justifier les investissements engagés. C’est particulièrement vrai dans le domaine des énergies propres, et en particulier de la production d’électricité d’origine renouvelable, dont la rentabilité face à l’électricité d’origine fossile est l’enjeu crucial[31].

Un chargé de projets solaires au sein d’un grand groupe énergétique Français (anonyme et non cité parmi les intervenants) nous a signalé les carences du système de données publiques françaises sur l’ensoleillement moyen du territoire, facteur principal de la rentabilité d’un projet de génération photovoltaïque.

Il nous a confié avoir été contraint d’utiliser des données issues de la recherche américaine[32], pourtant bien moins précises que les données françaises sur le territoire national[33]. Ces dernières n’étaient tout simplement pas exploitables dans le cadre de leur algorithme d’estimation de rentabilité d’un projet, car diffusées sous formes d’images numériques plutôt que de données brutes, et donc rendues inutilement complexes à réutiliser pour une simple question d’ergonomie du format utilisé.

Ce cas illustre au passage une dimension essentielle de la réutilisation des données publiques : il ne suffit pas d’avoir des données de qualité pour qu’elles soient utiles, encore faut-il qu’elles soient facilement exploitables par des machines et programmes informatiques, c’est-à-dire distribuées dans un format ouvert et structuré.

(ii) Offre de transports publics multimodale.

Les opérateurs de transports publics consacrent des efforts importants à l'information disponible à quai, en ligne et sur mobile. Cependant, nombre d'opérateurs et d'Autorités Organisatrices de Transports conservent encore très largement une approche en silo de leurs données, ce qui n’est pas favorable à l'innovation ouverte que la réutilisation des données publiques permettrait de mettre en œuvre. Concrètement, cela signifie que les développeurs indépendants ou les startups qui pourraient se développer ne peuvent pas réutiliser les données de fonctionnement de réseaux de transports afin de proposer aux consommateurs des solutions alternatives aux sites et applications mobiles officiels, parfois difficiles d'accès ou affectés de carences ergonomiques ou technologiques.

La question de l'accès à ces données est compliquée par une certaine incertitude juridique concernant leur statut. La société CanalTP[34], filiale de Kéolis qui propose des solutions d'interconnexion logicielle (middleware) entre systèmes de gestion de flotte des opérateurs de transports et système de calcul d'itinéraires, édite le service en ligne NAViTiA qui dessert plus de 10 millions de voyageurs par mois. Elle explique que les différents acteurs publics expriment parfois une crainte dans la diffusion des données vers le marché individuel, car ils redoutent le piratage informatique et l'exploitation de données confidentielles qui pourraient fragiliser leur système d'information voyageurs.

Au-delà de ces craintes, les collectivités que nous avons rencontrées expliquent que le statut légal et l’accès technique aux données peut être particulièrement complexe dans le domaine du transport. Des droits de propriété croisés génèrent une incertitude sur le statut des données générées dans le cadre de l'exploitation des délégations de service public. Leur propriété est souvent revendiquée à la fois par les autorités organisatrices et les opérateurs.

Des droits de propriété clairs permettraient aux différents interlocuteurs de trouver des modalités d'accord, et in fine d'intégrer plus largement l'offre de transports publics à travers le territoire français aux grands sites d'information géographique en ligne. L'ouverture à la réutilisation et la clarification du statut des données produites dans ce cadre, notamment à travers les contrats d'objectifs et de moyens passés entre autorités organisatrices et opérateurs, entraîneraient une meilleure information multimodale et favoriseraient l'utilisation des transports en commun par le public, préférable à l’usage de la voiture.

L’information intermodale sur les transports en commun ouvre un champ nouveau pour le développement d’applications mobiles, tels le projet Locomote de la société Isokron évoqué plus haut. Du fait des limitations extrêmement strictes d’accès aux données de la RATP et de l’opérateur de la flotte Vélib, le projet devra cependant se limiter largement dans un premier temps à des temps de trajets moyens dans Paris. Cela réduit l’intérêt de l’application, et donc ses chances d’atteindre une échelle qui lui permettrait de faire bénéficier le grand public d’une consommation plus intelligente des transports publics.

Au-delà des seuls transports publics, le thème des mobilités douces[35] et des villes digitales[36] est un sujet de recherche de pointe, notamment au sein des universités américaines (MIT Media Lab[37]) et des grandes écoles françaises (École des Ponts ParisTech[38]). Le pôle de compétitivité sur la ville durable Advancity[39] peut jouer un rôle important dans le développement et la commercialisation des produits de ces recherches, dont beaucoup bénéficieraient de la mise à disposition la plus large des données publiques.

(iii) Favoriser les consommations intelligentes et l'efficacité énergétique.

À grande échelle, les consommations intelligentes passent aussi par la capacité de calculer les choix les plus efficaces pour les consommateurs ou les investissements des sociétés.

Dans le domaine de la consommation énergétique, des solutions de calcul de l’efficacité énergétique d’une maison ont vu le jour, par exemple au Danemark[40], grâce à la mise à disposition de données environnementales.

Pour l’électricité en particulier, les réseaux intelligents (smart grids) reposent en grande partie sur une communication approfondie entre l’ensemble des nœuds du réseau. Aux États-Unis, l’équipe de Data.gov a par exemple permis la création d’un site d’information énergétique ouvert, Open Energy Information[41], qui propose des mashups didactiques[42] basés sur l’information énergétique en temps réel.

Le site de RTE (la société de transport d’électricité française) fournit aussi une visualisation[43] en temps réel de la consommation électrique en France, de la répartition de la production par source énergétique, ainsi que des émissions de CO2 qui y sont liées. Ce type d’applications permettra à terme d’adapter en temps réel l’état du réseau électrique.

Dans le domaine du numérique, le mouvement du « green IT », ou technologies informatiques vertes, cherche à réduire la part considérable de la consommation énergétique qui revient aux centres de calcul, soulignant que les applications des données publiques peuvent elles-mêmes être hébergées et mises en oeuvre d’une façon respectueuse de l’environnement[44].

(iv.) Aménagement durable et surveillance de l'environnement.

Le développement durable passe aussi par l’aménagement du territoire. En Australie, en application d’une loi de 2007 sur l’information sur l’eau, un sujet éminemment sensible dans un pays aride, le Bureau of Meteorology a annoncé l’ouverture d’un système intégré d’information sur l’eau au niveau national[45], agrégeant des centaines de ressources issues des administrations nationales et locales.

Face aux déchaînements malheureux de la nature, un système robuste et complet de données peut jouer un rôle de prévention (limites de zones inondables, prévisions météorologiques) ou aider immensément l’effort de secours aux populations sinistrées, dans le contexte de pays développés comme dans des pays en voie de développement[46].

L’accès aux données publiques et les nouveaux services que leur réutilisation pourrait permettre de créer sont donc un élément d’encouragement et de soutien substantiel au développement durable de notre économie.

Exemple : un avantage comparatif pour le développement des PME

La France possède un avantage comparatif dans la production de données publiques. L’État ayant historiquement un rôle fort dans l’économie de la nation, il a développé une capacité de production de données de qualité dans de nombreux domaines de l’économie et de l’action publique.

De plus, certaines données françaises répondent à une demande commerciale forte à l’international. Dans le domaine de la culture, la reconnaissance dont bénéficient les œuvres françaises se traduit par des fréquentations en ligne très importantes. Par exemple, avec plus de 2 millions de téléchargements dont 60 % en provenance des États-Unis[47], l’application « Musée du Louvre » est la plus téléchargée parmi les lauréats de l’appel à projet Proxima Mobile.

Développer cet avantage comparatif est particulièrement intéressant pour deux raisons. Il permet d’une part, en soutenant le développement d’entreprises qui nécessitent une expertise locale forte, de créer des emplois difficiles à délocaliser[48], car tributaires d’une connaissance fine du contexte français, culturel en l’espèce.

D’autre part, il permet de soutenir un secteur, l’économie numérique, dont les entreprises à succès ont structurellement tendance à travers le monde à croître au-delà de la catégorie des Petites et Moyennes Entreprises, pour devenir des Entreprises de Taille Intermédiaire[49].

L’économie française pèche tout particulièrement dans cette catégorie, et toute opportunité d’améliorer cette situation doit être agressivement mise en œuvre.


Comme d’autres secteurs stratégiques pour l’avenir de notre économie, le développement durable et l’encouragement à la croissance des PME sont donc une priorité de l’action publique, en faveur de laquelle l’ouverture des données publiques et leur réutilisation peuvent jouer un rôle décisif.

Un nouveau mode d’action publique

Les implications de l’ouverture des données publiques à la réutilisation s’apprécient mieux à la lumière de l’histoire économique des technologies de l’information.

Deux analogies techniques sont particulièrement riches d’enseignements pour mieux comprendre les nouveaux modes d’action publique à l’ère numérique : la notion d’ « infrastructure informationnelle », transposée immatérielle de l’infrastructure bâtie du monde réel, d’une part ; et le paradigme de l’État repensé comme une plateforme logicielle (“government as a platform”), d’autre part.

Une infrastructure cognitive pour l'économie de l'information

La mise en ligne des données publiques n’est pas qu’un service fourni aux administrés parmi d’autres : elle constitue pour l’économie de l’information une forme d’infrastructure, « informationnelle » ou « cognitive[50] ».

Rufus Pollock, économiste à l’Université de Cambridge et membre fondateur de l’Open Knowledge Foundation, en propose une définition métaphorique[51] :

« L’importance potentielle des données publiques se mesure (…) à l’aune d’une analogie simple mais forte de sens : de même que la mise en place d’une infrastructure matérielle fondamentale (réseaux d’électricité, de transports, de télécommunications) est essentielle à l’économie traditionnelle, la mise en place d’une « infrastructure » informationnelle et cognitive fondamentale (ensembles de données dans les secteurs critiques : géographie, météorologie, transport, etc.) est essentielle à l’économie de l’« information »[52].

Dans ce sens, les données publiques sont cruciales comme socle d’un nouveau mode d’action publique, et comme infrastructure fondamentale pour le développement de la société numérique.

La régulation des monopoles informationnels

À la mission de fournisseur de données s’ajoute désormais pour l’État celle de régulateur d’un genre nouveau, en charge d’un champ de responsabilité analogue et symétrique à celui qu’il assure dans le domaine de la concurrence.

Il s’agit de s’assurer que les données, ressources essentielles au bon fonctionnement de l’économie numérique, ne sont pas accaparées, ni par le secteur privé (se reporter à ce sujet au scénario « Capture » du chapitre VIII), ni par la puissance publique dans l’hypothèse où la réutilisation des données se ferait dans des conditions légales et tarifaires discriminatoires.[53]

La révolution industrielle avait conduit les États à développer des politiques et un droit de la concurrence, comme les lois antitrust établies au début du XXe siècle en réponse au développement des premiers monopoles naturels de réseaux : réseau de raffinage avec la Standard Oil, réseaux de transports avec les chemins de fer, mais aussi déjà réseaux d’information avec le télégramme et téléphone.

La révolution informatique doit conduire l’État à assurer une forme de régulation dans la sphère de l’information. La mise à disposition de données permet de donner corps à de nouvelles offres de services et de nouveaux marchés, et est donc un outil essentiel d’action de l’État en faveur de l’économie numérique.

Cette évolution, en réponse aux ruptures technologiques et sociologiques fortes issues du numérique, est finalement assez naturelle. Le rôle de garant de l’efficience sociale est constitutif de l’action publique et de l’administration, qui doit se préoccuper certes d’efficacité interne, mais aussi et surtout d’efficience sociale[54].

Le modèle de l'État comme plateforme numérique (« Government as a platform  »)

L’un des enjeux majeurs de la troisième révolution industrielle pour l’administration est de s’approprier les modèles économiques et les formes d’action caractéristiques du numérique.

« [Nous aimerions voir] des politiques publiques [adopter une certaine] sérénité dans leur rapport au numérique, ni fascinant ni menaçant, simplement un outil précieux, dont les logiques profondes recèlent de nouveaux mécanismes de pensée et d’action, et qu’il faut savoir utiliser à sa juste place[55] » explique Henri Verdier, Président du pôle de compétitivité Cap Digital.

Pour ce faire, l’État peut s’inspirer des leçons tirées de l’émergence des grandes plateformes informatiques, caractéristiques de la révolution numérique.

On entend par plateforme tout système informatique qui agit comme un socle, permettant le développement d’extensions et d’applications tierces qui proposent de nouveaux services en son sein.

Internet, système décentralisé d’échange de documents sur lequel des suites logicielles entières ont été portées et même inventées, est une plateforme. Le système d’exploitation Windows, couplé au standard informatique IBM/PC, mais aussi plus récemment, les couples Android/Android Market de Google et iPhone/App Store d’Apple, à partir desquels des milliards d’applications mobiles ont été téléchargées, sont d’autres exemples.

Tim O’Reilly, philosophe, éditeur d’ouvrages techniques à succès, investisseur en capital-risque et expert reconnu de la société de l’information, tire[56] sept leçons de l’histoire de l’informatique, dont les politiques d’e-administration au niveau territorial et national pourraient s’inspirer.

(i) Les standards ouverts génèrent l'innovation et la croissance.

Les standards ouverts (structuration des données selon des normes de format communes et non propriétaires) permettent l’interopérabilité. Ils lubrifient figurativement les rouages de l’échange numérique, de la même manière qu’à la Révolution l’instauration du système métrique (exemple éminent d’infrastructure cognitive) a permis de sécuriser et développer le commerce au sein de la République naissante.

(ii) Construire un système simple et le laisser évoluer.

La propension des maîtres d’ouvrage de systèmes d’information dans le secteur public à consacrer des mois voire des années entières à spécifier l’ensemble des fonctionnalités de leurs projets (en partie due à la lourdeur des processus de marchés publics) retarde chroniquement le développement de nouvelles solutions, forçant les agents à fonctionner dans l’entre deux et le provisoire, avec des solutions techniques en retard de phase sur les attentes des citoyens.

Il serait bien plus judicieux d’adopter l’approche incrémentale popularisée par les méthodes de développement agile, prévalant aujourd’hui en Silicon Valley et dans les équipes d’ingénieurs travaillant à l’état de l’art. L’administration doit prendre en compte la valeur d’option[57] inhérente à la capacité d’évolution rapide que cette approche rend possible, et la possibilité qu’elle offre d’incorporer plus facilement les retours de futurs utilisateurs confrontés aux premières versions de test, afin d’améliorer substantiellement le logiciel jusqu’à un stade avancé du développement.

(iii) Concevoir et planifier en se préoccupant de la participation.

Une leçon majeure du Web 2.0 est que la notion de participation et d’interaction sociale autour et au sein d’un service en ligne ne saurait être ajoutée après coup en extension d’un projet préexistant, mais doit au contraire être intégrée dès sa conception.

Dans le domaine de la mise en ligne des données, il est important d’intégrer la capacité à commenter, référencer et échanger de l’information autour des jeux de données dès les premières phases des projets de portails Open Data, et de prendre en compte les attentes de la communauté des réutilisateurs.

(iv) Apprendre en observant les utilisateurs les plus en pointe.

Eric von Hippel, professeur au MIT, parle d’utilisateurs « en pointe » (lead users) pour désigner les quelques utilisateurs les plus avancés d’un service en ligne, qui pointent souvent vers ses futures évolutions possibles et révèlent les idées de fonctionnalités dont l’intérêt n’est pas encore apparent à tous.

L’exemple de l’API Google Map, facteur majeur du succès de ce produit, mais qui n’a été exposée officiellement au public qu’après avoir observé un utilisateur qui avait développé son propre système de placement d’objets sur les cartes Google, est édifiant à cet égard.

Au lieu de lui intimer l’ordre de cesser cette utilisation imprévue et non conforme de l’outil technique, l’entreprise embaucha l’ingénieur en question pour développer une version commerciale de ce système de placement d’objets géographiques sur carte en ligne. Sa qualité et sa facilité d’utilisation sont à l’origine du succès de Google Maps, hégémonique dans le domaine de la cartographie en ligne.

L’administration doit de même s’inspirer des utilisations originales qui seront faites de ses données, les encourager, et même les reprendre à son compte.

(v) Collecter des données d'usage pour mieux profiter de l'ouverture des données.

Il est important de mesurer la fréquentation et l’utilisation qui est faite des sites de l’administration (c’est par ailleurs un type de donnée publique qui est encore rarement accessible).

Le comportement des utilisateurs sur un site ou une application est de fait un type implicite de participation à l’évolution d’un système, qu’il faut utiliser à bon escient pour mieux répondre aux attentes implicites et aux besoins latents.

(vi) Abaisser les barrières à l'expérimentation.

La capacité pour les acteurs de la société et de l’économie numérique d’expérimenter facilement est une condition nécessaire et d’importance cruciale pour l’émergence de nouvelles applications originales et utiles aux citoyens.

L’État et les producteurs de données publiques doivent donc s’attacher à abaisser le plus possible les barrières et les cloisons artificielles qui pourraient s’opposer au développement de services innovants à partir des données publiques.

Il lui faudra notamment clarifier les conditions légales de réutilisation, mettre en place les modèles économiques permettant la réutilisation la plus large possible, et encourager l’expérimentation par les entrepreneurs, les startups et les acteurs innovants de l’économie numérique.

(vii) Dirigier en montrant l'exemple.

En conclusion, il s’agit pour l’État de s’approprier les leçons des évolutions technologiques et économiques de nos sociétés, et de devenir un acteur de la diffusion de ces nouveaux modes de pensée au sein de la société, en menant le mouvement par l’exemple.

Les données publiques sont un outil de la démocratie exemplaire et contribuent au renforcement de la transparence de l’action de l’État. Leur réutilisation soutient l’innovation, encourage la recherche et favorise l’émergence de l’Internet de demain. La communauté des développeurs et des entrepreneurs peut les réutiliser pour inventer de nouveaux usages et créer de nouveaux services aux citoyens.

Elles forment une infrastructure informationnelle fondamentale pour la société numérique. Le rôle de garant de l’efficience sociale de leur réutilisation est une extension naturelle du rôle de la puissance publique, qu’elle doit saisir avec ambition et détermination.



Notes originales

  1. Allocution de David Cameron, 19 novembre 2010, durant la conférence de presse à l’occasion de la mise en ligne des entrées de 25,000 livres et plus du budget de fonctionnement de l’État britannique.
    < http://www.guardian.co.uk/politics/blog/2010/nov/19/government-spending-files-live-blog?intcmp=239 >
    Voir aussi l’allocution de Francis Maude, Ministre du Cabinet Office :
    < http://www.guardian.co.uk/commentisfree/2010/nov/19/francis-maude-government-data-published?intcmp=239 >
  2. < http://www.guardian.co.uk/data >
  3. < http://www.guardian.co.uk/news/datablog/2010/oct/18/government-spending-department-2009-10 >
  4. < http://www.regardscitoyens.org/nosdeputes-fr/ >
  5. < http://www.regardscitoyens.org/redecoupage/ >
  6. Communication lors de l’Open Government Data Camp à Londres le 18 novembre 2010 : dans le cas des données publiques locales en Grande Bretagne, une étude a montré que 70% des achats de données (en volume monétaire) provenaient d’autres gouvernements ou institutions gouvernementales (locales ou nationales).
  7. < http://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9orie_de_l%27agence >
  8. Proposition 22 du rapport du groupe d’experts du numérique sur l’amélioration du rapport numérique de l’administration à l’usager :
    < http://www.modernisation.gouv.fr/fileadmin/Mes_fichiers/pdf/RapportGroupeExpertsNumeriques.pdf >
  9. M. le Président de la République, 2011, « Discours à l’occasion de l’installation du Conseil National du Numérique le 27 avril 2011 ».
    < http://www.elysee.fr/president/lesactualites/discours/2011/discours-sur-internet-et-leconomie-numerique.11256.html >
  10. Dekkers, M. et al. 2006. Measuring Public Sector Information Resources : Final Report of Study on Exploitation of public sector information.
    < http://ec.europa.eu/information_society/policy/psi/docs/pdfs/mepsir/final_report.pdf >
  11. Pettifer, R. 25 août 2009. « Europe loses 300 million Euro in taxation per year. » ePSI Platform.
    < http://www.epsiplatform.eu/guest_blogs/europe_looses_300_million_euro_per_year_in_taxation >
  12. Groupement Français des Industries de l’Information. 20 mai 2010. « L’ouverture des données publiques : un enjeu pour le développement de l’économie numérique. » Colloque tenu à la Maison de l’Europe.
    < http://www.gfii.asso.fr/article.php3?id_article=3226 >
  13. Groupement Français des Industries de l’Information. Juillet 2010. PSI Reuse in France : Overview and Recent Developments.
    < http://www.gfii.asso.fr/article.php3?id_article=3315 >
  14. Billaut, J-M. 26 novembre 2010. « Connaissez-vous Eduardo Larrain from Paris ? KelQuartier, premier utilisateur d’open data ? »
    < http://billaut.typepad.com/jm/2010/11/connaissez-vouseduardo-larrain-from-paris-.html >
  15. LexisNexis, Inc.
    < http://lexisnexis.com >
  16. Caselex, Inc.
    < http://caselex.com >
  17. TechCrunch, 1er décembre 2010, « Boom ! 5 Million Users Check-In to Foursquare » .
    < http://techcrunch.com/2010/12/01/foursquare-hits-5-million-users/ >
  18. DisMoiOu. 11 juin 2010. « Développeurs, découvrez l’API DisMoiOu ! ».
    < http://blog.dismoiou.fr/2010/06/developpeurs-decouvrezlapi-dismoiou.html >
  19. GigaOm. 19 novembre 2010. « MyCityWay Dives Into Data Comes Up With Gold ».
    < http://gigaom.com/2010/11/19/mycityway-dives-into-datacomes-up-with-gold/ >
  20. TechCrunch, 8 décembre 2010, « Marissa Mayer’s Next Big Thing : ‘Contextual Discovery’ – Google Results Without Search ».
    < http://techcrunch.com/2010/12/08/googles-next-big-thing/ >
  21. McKinsey & Company, 2011, « Impact d’Internet sur l’économie française : Comment Internet transforme notre pays ».
  22. Conseil d’Analyse Stratégique, « Rapport thématique France 2025 : Production et emploi ». Gilbert Cette, Président de groupe.
    < http://www.strategie.gouv.fr/IMG/pdf/4Productionetemploi.pdf >
  23. TechCrunch. 20 août 2010. « Smartphone App Market Reached More Than $2.2 Billion in the First Half of 2010 ».
    < http://techcrunch.com/2010/08/20/smartphoneapplications-market-size/ >
  24. TechCrunch. 5 mars 2010. « Global Smartphone App Download Market Could Reach $15 Billion by 2013 : Report ».
    < http://techcrunch.com/2010/03/05/globalsmartphone-app-download-market-could-reach-15-billionby-2013-report/ >
  25. GigaOm. 28 mai 2010. « GeoLocal : The Rise of Consumer Location-Based Services ».
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  26. Chambre professionnelle des Sociétés de Conseil et de Services Informatiques, des Éditeurs de Logiciels et des Sociétés de Conseil en Technologies.
  27. New England Journal of Medecine. 2007, Public Reporting and Pay for Performance in Hospital Quality Improvement. January 26, 2007. 356:486-496
    < http://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMsa064964#t=articleBackground >
  28. New York Times, 23 avril 2011. « Show Us The Data (It’s Ours After All) ». Richard H. Thaler.
    < http://www.nytimes.com/2011/04/24/business/24view.htm >
  29. Data Portability Project.
    < http://portabilitypolicy.org/index.html >
  30. Alain Juppé, Michel Rocard, 2009, « Investir pour l’Avenir : Priorités stratégiques d’investissement et emprunt national ».
    < http://www.commissioninvestissement.fr/IMG/pdf/Rapport_191109.pdf >
  31. Tester, J.W., Drake, E.M., Driscoll, M.J., Golay, M.W. and Peters, W.A. 2005. Sustainable Energy : Choosing Among Options. MIT Press, Cambridge, MA.
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  32. U.S. National Renewable Energy Lab. International Solar Resource Data.
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  33. European Union Joint Research Center. Photovoltaic Geographical Information System Interactive Maps.
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  34. CanalTP.
    < http://www.canaltp.fr/ >
  35. Fioretti, M. 23 octobre 2009. « Walkabitily : Check It Before Choosing Your Next Home »
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  37. Senseable City Lab, MIT Media Lab.
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  38. Antoine Picon, chercheur associé au LATTS.
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  39. Pôle de compétitivité Advancity.
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  40. HusetsWeb Danemark.
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  42. Open Energy Information Mashathon 2010.
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  43. éCO2mix : Consommation, Production et Contenu CO2 de l’Électricité Française.
    < http://www.rte-france.com/fr/developpementdurable/maitriser-sa-consommation-electrique/eco2mixconsommation-production-et-contenu-co2-de-l-electricitefrancaise >
  44. Pascal Faure, Vice Président du Conseil Général de l’Industrie, de l’Energie et des Technologies, explique l’importance du « green IT » aux assises du numérique 2009.
    < http://www.dailymotion.com/video/xaov8c_pascalfaure-assises-du-numerique-2_news >
  45. < http://creativecommons.org.au/weblog/entry/269 >
  46. OWNI.fr. 12 décembre 2010. « Partage des Données pour Mieux Réagir Face aux Catastrophes Naturelles ».
    < http://owni.fr/2010/12/12/partager-des-donnees-pourmieux-reagir-face-aux-catastrophes-naturelles/ >
  47. Source Proxima Mobile et entretien avec Bernard Benhamou les 8 octobre, 16 novembre et 14 décembre 2010.
  48. Entretien avec Bernard Benhamou les 8 octobre, 16 novembre et 14 décembre 2010.
  49. Benhamou, B., 2010, « Eléments pour une stratégie numérique européenne », Délégation aux Usages de l’Internet, 15 mars 2010.
  50. Henri Verdier. 24 février 2009. « Stimulus package : les américains construisent une infrastructure cognitive ».
    < http://www.henriverdier.com/2009/11/stimulus-packageles-americains.html >
  51. Rufus Pollock. 2 décembre 2008. « The Economics of Public Sector Information. » University of Cambridge Department of Economics.
    < http://www.rufuspollock.org/economics/papers/economics_of_psi.pdf >
  52. Texte original (traduction des auteurs) :
    “The potential importance of (public sector) information can also be gauged from a simple but significant analogy: just as the supply of basic physical infrastructure (power, transport, telecommunications) is essential to the traditional economy, so the supply of basic information `infrastructure’ (core datasets in the major areas of geography, weather, transport etc) is essential to the `information’ economy.”
  53. 108 Rufus Pollock, 2008, « The Economics of Public Sector Information. »
  54. Jean-Claude Thoenig, 4 septembre 2010, conférence donnée aux élèves du corps des Ponts, Eaux et Forêts.
  55. Henri Verdier, 24 février 2009, « Stimulus package : les américains construisent une infrastructure cognitive».
    < http://www.henriverdier.com/2009/11/stimulus-packageles-americains.html >
  56. Tim O’Reilly, 2010, « Government As A Platform. » Chap. 1 dans Open Government. O’Reilly éditions.
    < http://opengovernment.labs.oreilly.com/ >
  57. < http://fr.wikipedia.org/wiki/Analyse_par_les_options_r%C3%A9elles >