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Pour une politique ambitieuse des données publiques (2011) chapitre 7

De Wicri France
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Pour une politique ambitieuse des données publiques :
Les données publiques au service de l’innovation et de la transparence


Partie 3 - Comment favoriser la réutilisation des données publiques ?
Chapitre VII. Prospective : Trois scénarios pour l’avenir
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Nous proposons dans ce chapitre trois scénarios schématiques, correspondant à trois directions d’évolution possibles de la réutilisation des données publiques.

Le premier scénario dessine un monde dans lequel le développement de l’offre de données publiques se développe sans accélération notable de sa dynamique historique, en retrait des évolutions technologiques rapides actuelles.

Le second scénario verrait l’offre privée accélérer et dépasser l’offre publique de donnés. Les monopoles informationnels et les grandes entreprises du numérique s’accapareraient alors largement l’espace occupé aujourd’hui par la puissance publique. Le troisième scénario correspond à une action concertée de la part de la puissance publique pour catalyser l’émergence d’un écosystème dans lequel producteurs, réutilisateurs et médiateurs collaboreraient efficacement dans un cercle vertueux.

Sommaire

 

« Inertie » : Développement de l’offre de données publiques à son rythme historique

Le passé est un miroir tendu à l’avenir ; un premier scénario logique pour le développement futur de la mise en ligne des données publiques se construit en extrapolant son rythme historique.

Les grandes directions historiques de cette politique, jusqu’à la mise en place récente de la mission Etalab, étaient basées sur un remplissage graduel et mal coordonné des Répertoires d’Information Publique plutôt que sur impulsion centrale cohérente, et sur la recherche de revenus pour l’État et ses différentes institutions à partir des données publiques.

Ces orientations permettent de dessiner les contours et les risques d’un futur ou cette tendance historique passée se poursuivrait.

Mise en ligne progressive des données au rythme historique

La politique des données publiques telle qu’elle a été menée depuis la directive européenne de 2003 et jusqu’à récemment a permis de mettre en ligne une première masse critique de données. Elle a cependant maintenu jusqu’à présent l’essentiel des sources de revenus liées à la vente de données publiques, avec pour conséquence un manque de succès en termes de réutilisations innovantes.

On peut donc imaginer dans le futur une lente montée en puissance de la diffusion de la donnée publique en ligne, et le développement plus appuyé de tentatives de génération de revenus par l’État sur les marchés de la donnée.

Les tentatives de génération de revenus rendent l’expérimentation et donc l’innovation difficiles. Il n’est donc pas certain, dans un tel scénario, que la vague de fond de l’Internet mobile et des nouveaux usages puisse suffire à provoquer l’implication grandissante des différents échelons de la puissance publique dans la mise en ligne des données.

Résolution progressive et consensuelle des blocages

Cette dynamique, si elle était maintenue sur le long terme, présenterait plusieurs avantages liés à la résolution des blocages observés.

L’initiative d’ouverture des données a historiquement été laissée à chaque administration productrice, lui permettant de concentrer ses efforts sur les enjeux qui lui sont propres. Une approche graduelle permet de ne pas ajouter à la complexité dans une situation déjà mouvante pour les administrations. Enfin, le maintient des recettes de la commercialisation de certaines données facilite le financement de cette transition par les institutions publiques.

Si cette politique se poursuivait à ce rythme historique, on peut imaginer voir d’ici 3 à 5 ans une quantité plus importante de données mises en ligne. Le renforcement de l’approche patrimoniale de la donnée publique vue comme source de revenus directs risquerait cependant de mettre à mal les bénéfices attendus de la politique de réutilisation des données, en rendant cette réutilisation difficile pour les acteurs innovants.

Risque fort de manquer les opportunités stratégiques de l'ouverture des données publiques

Le scénario de l’inertie et du développement graduel mais lent d’une offre de données publiques au rythme historique présente des risques pour l’État et la société.

Perdre du temps vis-à-vis de tous nos partenaires

L’avancée de nos partenaires sur le sujet risquerait de réduire le poids de la France lors des discussions sur l’éventuelle révision de la directive PSI.

Les entreprises, organes de presse et acteurs technologiques de nos partenaires internationaux bénéficieraient de plus d’une avance leur permettant d’accumuler le savoir-faire et d’identifier les marchés et besoins émergents dans le domaine des données publiques, mettant par ailleurs en danger notre secteur du numérique.

Manquer une opportunité de moderniser l'État et les outils de l'administration

L’occasion d’insuffler une dimension nouvelle à la mission de l’administration est une opportunité managériale unique pour les dirigeants de notre administration, politiques comme hauts fonctionnaires.

La manquer serait non seulement une décision contre-productive à moyen terme en ces temps de recherche de réductions des dépenses publiques. Ce serait aussi se résoudre à ne pas profiter de nouvelles opportunités de services au public, créateurs de richesse et de bien-être, dont les coûts (la production des données) sont déjà supportés par l’administration dans le cadre de sa mission de services publics.

Soumettre l'ouverture de données aux seules prédictions de rentabilité

Ne pas pousser fortement pour une ouverture rapide des données, ce serait laisser les administrations ne donner accès qu’aux jeux de données dont elles peuvent percevoir l’intérêt le plus direct. Cette approche est potentiellement dommageable d’un point de vue démocratique, en cela qu’elle peut conduire à favoriser les minorités bruyantes à l’intérêt latent et moins fortement exprimé d’une majorité.

Surtout, la valorisation des données passe le plus souvent par le croisement statistique entre différents ensembles de données, ce qui resterait impossible à moins d’une large ouverture des données.

Se restreindre à ouvrir les jeux de données intéressants a priori, c’est risquer de manquer des opportunités majeures de réutilisations innovantes par la société civile et les réutilisateurs.

Manquer l'évolution des technologies contextuelles

Les nouveaux services contextuels ont besoin de données urbaines et locales pour se développer. Ne pas développer leur mise en ligne, c’est ajouter une contrainte au développement de cette industrie durant la période décisive où les futurs acteurs dominants sont encore en gestation.

Le risque est fort de désavantager les acteurs français de ce marché face aux assauts de compétiteurs mieux armés et plus expérimentés, comme ce fut le cas dans le domaine de la micro-informatique, des moteurs de recherche sur le Web, et plus récemment des réseaux sociaux. La puissance publique dispose cependant dans ce cas d’un outil stratégique puissant, qu’elle se doit de saisir.

Limiter le potentiel économique lié aux données publiques

La poursuite d’un objectif de rentabilité et de création de revenus directs pour l’État, via l’établissement de redevances pour réutilisation des données, risque en outre de défavoriser la création de nouvelles entreprises, car les droits de licences commerciales rendent l’expérimentation trop risquée.

Cela signifie in fine un déficit potentiel d’innovation dans le domaine des produits et services, dont la taxation à la valeur ajoutée et aux bénéfices pourrait élargir l’assiette fiscale et apporter des revenus potentiellement plus importants à l’État. Ces nouvelles activités pourraient par ailleurs créer des emplois et favoriser la croissance.

Fragiliser les institutions productrices de données

La frustration de citoyens et consommateurs face à la difficulté d’accès à des données qui leur importent pourrait les pousser à développer leurs propres solutions ad hoc, par exemple de manière collaborative.

Bien que louable si ces solutions évoluent vers une relation public-privé efficace, ce développement comporte une part de risques, notamment celui de la perte de légitimité des institutions qui historiquement ont produit des données importantes pour les citoyens. Le risque serait alors grand de voir s’effriter un tissu d’expertises utiles, et la qualité des services aux citoyens pourrait en souffrir.

On voit donc ici se dessiner les contours d’un scénario plus sombre, qui mettrait à mal l’intérêt public et dessaisirait la puissance publique de la production et de l’ouverture à la réutilisation des données publiques.

Poussée à son terme, cette logique conduit au scénario suivant.

« Capture » : Des monopoles informationnels se substituent à la puissance publique

Le travail de préparation de ce rapport a mis à jour de façon répétée la difficulté de dialogue entre l’entreprenariat en nouvelles technologies et l’administration, des mondes qui agissent dans des temporalités différentes.

À l’inverse du scénario précédent, dans lequel on imaginait voir ces tensions se résoudre graduellement, on peut aussi esquisser en négatif un futur alternatif, où les carences de l’État deviennent un véritable attentisme qui laisse le champ libre à la capture[1] de l’espace citoyen des données</ref> publiques par le monopole et l’intérêt privé.

L'offre privée dépasse l'offre publique

Dans un scénario du cercle vicieux, la demande privée dépasse les moyens de soutien à l’offre de la puissance publique. Devant des conditions de réutilisation jugées comme discriminatoire, le public expert se tournerait vers les solutions alternatives, soit collectives (de type Open Street Map), soit privées.

La possibilité d’accéder à des applications basées sur les données à caractère public mais collectées en nom privé créerait auprès du public la perception d’un retard de plus en plus flagrant de l’administration. La pression pour l’accès à ces nouveaux services augmentant, elle risquerait de soutenir le développement de monopoles et d’accords exclusifs anticompétitifs.

Les contrats d'exclusivité renforcent les monopoles informationnels privés

Face à cette forte demande du public, et dans un contexte où l’expertise accumulée serait majoritairement captée par les monopoles informationnels et les grandes entreprises dominantes du Web, il deviendrait difficile pour les entités publiques d’éviter les contrats privilégiés et les accords exclusifs pour subvenir à la mise en ligne de données encore non accessibles.

Ces contrats renforceraient la tendance, endémique aux marchés de l’information, à l’apparition de monopoles[2]. Bien que la position dominante de ce type d’acteurs ne soit pas nécessairement dommageable au grand public dans le cas où leurs services sont ouverts à tous mais rémunérés par la publicité, ils n’en demeurent pas moins un problème pour le développement éventuel d’une industrie domestique.

Les contentieux se multiplient

Surtout, une telle situation verrait la multiplication des contentieux, soit administratifs dans le cas où des concurrents s’estimeraient lésés, soit civils dans le cas où une entreprise contractuelle considérerait que ses droits sont lésés par un autre réutilisateur.

Le climat d’incertitude juridique pourrait avoir un effet négatif sur l’innovation et la réutilisation du fait des trop grands risques perçus que des investissements dans des programmes de réutilisation présenteraient.

L'initiative privée contourne les institutions publiques

Un avantage de l’apparition des contentieux est bien sûr qu’ils permettraient in fine de créer la jurisprudence, et de clarifier les droits et devoirs des acteurs du marché.

De plus, face au manque perçu de réactivité de la puissance publique dans le domaine de la mise en ligne des données, et les contraintes créées d’autre part par les contrats d’exclusivités qui viendraient à se multiplier, le grand public pourrait s’organiser pour collecter ses propres données, sur le modèle du « crowdsourcing », ce qui peut être un modèle efficace de production auto-organisée.

En parallèle, des entreprises privées se positionneraient pour offrir, qui de nouveaux modes de collecte de données (par exemple à travers les données résiduelles de géolocalisation collectées par les opérateurs[3] ou par des services applicatifs ad hoc[4]), qui de nouveaux services. Ce scénario présenterait donc des avantages certains.

Valoriser les données au détriment de l'intérêt public à long terme

Cependant, le climat conflictuel dans lequel ce futur hypothétique se déroulerait tendrait à exacerber les problèmes potentiels que pouvait poser le scénario ‘Inertie’ et poserait un défi majeur à la puissance publique.

Manquer une opportunité de moderniser l'administration

Dans ce scénario, la puissance publique laisserait échapper une occasion de moderniser le travail de l’administration. Le risque n’est donc plus seulement de passer à côté d’une occasion d’insuffler une dimension nouvelle à la mission du service public, mais bien de renforcer les rigidités dont il peut parfois faire preuve, et de voir se dégrader durablement ses relations avec ses usagers et l’écosystème de l’innovation digitale.

Fragiliser les institutions productrices de données

Le climat de défiance dans lequel un développement rapide de ce type se déroulerait pourrait ainsi avoir des conséquences fortement négatives sur le lien numérique entre l’administration et les citoyens.

Si cette politique se poursuivait, on peut imaginer l’apparition dans les 3 à 5 ans d’une véritable fracture numérique, cette fois entre l’État et les administrés. Cela mènerait à la fragilisation des institutions publiques liées à la collecte de données, ce qui pourrait déboucher sur un problème de légitimité pour l’action de l’État, dans un contexte[5] (appels à la transparence, montée en force du débat public) où celle-ci est parfois déjà remise en question.

Surcharger dangereusement les capacités de la CADA

Le risque est fort qu’une augmentation sensible des contentieux vienne grever les services de la Commission d’une charge de travail supérieure à ses ressources actuelles. Outre un retard mécanique des développements autour de la réutilisation des données, ceci pourrait mettre en danger le droit des citoyens à accéder aux documents administratifs.

Soumettre l'ouverture des données aux exigences de rentabilité des grandes entreprises de l'information

Un défi spécifique que poserait ce scénario est la montée en puissance des seules entreprises privées dans le champ de la diffusion des données publiques.

Dans un monde numérique, la communication et la réutilisation des données ont une portée politique qui participe au « vivre ensemble » entre citoyens. Si l’État ne remplissait pas, ou pas assez rapidement aux yeux du public, le rôle de producteur et distributeur de données qui permettraient de développer les services attendus par les citoyens, la sphère privée remplirait seule ce rôle de décisionnaire quant aux données qui ont vocation à être collectées et mises à disposition.

Cela impliquerait un recul des options stratégiques disponibles à la puissance publique d’une part, et d’autre part pourrait créer des difficultés pour les citoyens ou pour d’autres entreprises, notamment les startups et entreprises de croissance, qui risqueraient de ne pas avoir accès aux données qui leur sont nécessaires dans des conditions aussi faciles que les entreprises établies productrices de ces données.

Surtout, cela risquerait de revenir à concéder les marchés porteurs, et les emplois qualifiés et souvent difficiles à délocaliser que ces nouvelles activités sont à même de créer, aux acteurs issus de marchés où l’accès plus facile aux données publiques leur aurait donné un avantage concurrentiel initial.

La prolifération des licences pourrait bloquer le développement de la réutilisation

Le statut juridique de certains ensembles de données est souvent compliqué par l’implication d’acteurs de droit privé en parallèle à l’administration (par exemple dans le cas où un contrat de service public ne délimite pas clairement les droits liés aux données générées par un opérateur privé de réseaux publics).

Si ce type de situation se multipliait, il serait à craindre que cela ne mette en danger la capacité des entreprises à innover dans le domaine des données publiques.

De même que l’on observe dans le domaine des biotechnologies que la prolifération de brevets croisés sur certaines molécules et ses applications empêche parfois l’innovation de prendre place par peur pour les nouveaux entrants de ne pouvoir en valoriser les résultats sans passer par un contentieux coûteux[6], on risquerait de voir des applications utiles au public perçues comme des investissements trop risqués du simple fait du manque de clarté quant aux conditions sous lesquelles les données sous-jacentes pourraient être réutilisées.

Focaliser sur les échecs et frustrations

Un scénario dans lequel la mise en ligne des données publiques et leur valorisation se feraient dans la douleur mettrait de plus l’accent de façon exagérée sur les ratés inévitables, les contentieux qui émergeraient sans doute et les frustrations des différents acteurs face à telle ou telle décision politique ou administrative.

Cela risquerait de mettre à mal la légitimité de cette politique tout entière, et de repousser les bonnes volontés en cristallisant les quelques problèmes qui viendront naturellement à se poser.

Même si ce scénario avait l’avantage d’accélérer dans un premier temps l’apparition de certains services utiles aux citoyens, il serait probablement néfaste à moyen et long terme.

« Symbiose » : Catalyser le développement d’un écosystème

Au contraire des deux scénarios précédents, on peut s’inspirer des expériences les plus réussies jusqu’à présent, à l’étranger comme sur le territoire national, pour tracer les lignes d’un scénario dans lequel l’État accompagnerait avec succès les collectivités locales, les institutions publiques et les acteurs privés ou citoyens dans la création d’un écosystème en développement harmonieux.

Un écosystème soutenu par une volonté politique forte

Dans un tel scénario, l’administration impliquerait et fédérerait les volontés existantes autour de la question de la réutilisation des données publiques comme projet de modernisation de la société.

Elle déploierait une volonté politique forte pour harmoniser et mettre en cohérence les politiques menées par les différentes institutions productrices de données.

Cela supposerait une communication accrue entre administration et réutilisateurs, et l’établissement de ponts et de points de contacts entre les différents types d’expertises.

En contrepartie de cet investissement modeste, les bénéfices attendus dans ce futur hypothétique sont une plus grande fluidité des échanges autour de la question des données, la circulation des meilleures pratiques, et une multiplication des applications utiles aux citoyens développées à partir de ces données.

Tous ces éléments pourraient concourir à accélérer le déploiement d’une politique nationale forte de réutilisation des données publiques, et la réalisation concrète de son potentiel.

L’exemple britannique est à ce titre édifiant. Lors de la conférence de presse à laquelle nous avons pu assister le 19 novembre 2010 à Londres, à l’occasion de la mise en ligne de nouvelles données de dépenses par l’État britannique (l’ensemble des données d’exécution des budgets nationaux détaillés dépense par dépense à partir de 25 000 livres, avec mise à jour mensuelle), les avantages d’une telle approche étaient manifestes : la richesse des réutilisations présentées, l’anticipation des besoins des utilisateurs, la coproduction mise en œuvre à cette occasion.

Nous pouvons en tirer trois leçons sur les éléments constitutifs d’un scénario de symbiose. Il nécessiterait une coopération technique rapprochée entre l’État, le privé et l’associatif. La production de services par la société civile à partir des données publiques deviendrait la norme. Elle pourrait jouer un rôle d’exemple, et inciterait à mutualiser des solutions techniques, accélérant plus encore la mise en ligne des données.

De plus, une symbiose réussie repose sur la coopération avec des journalistes formés aux techniques numériques. Le maniement des données, leur analyse et la présentation des résultats sont des compétences bien spécifiques et qui évoluent rapidement avec les nouvelles technologies. Cette coopération serait nécessaire pour réaliser pleinement l’objectif de transparence de l’action de l’État concernant le mouvement Open Data.

Enfin, la symbiose entre acteurs de l’écosystème permettrait d’intégrer avec confiance la mise en ligne des données publiques dans l’effort de pédagogie des administrations sur leur travail et dans leur stratégie de renforcement du lien numérique aux usagers.

Nouveaux rôles et nouveaux risques pour l'administration

La mise en ligne des données afin de les voir réutilisées dans le cadre du développement de services innovants est une stratégie qui reste encore très novatrice. Le travail de fédération des initiatives que l’État mènerait dans ce scénario doit être l’occasion de prendre en compte les risques inhérents à une telle approche.

Il est important notamment d’éviter l’écueil qui consisterait à abandonner entièrement la mission de réutilisation des données publiques à la société civile. La production d’information synthétique ou de services à destination des citoyens est une activité légitime de l’administration.

De plus, l’accélération de la mise en ligne des données pose des problèmes spécifiques par rapport aux autres scénarios. En particulier, une certaine anarchie dans les données disponibles à la mise en ligne risque d’apparaître initialement, ce qui suppose un effort particulier d’indexation et la mise en ligne d’un portail identifié d’accès aux données publiques.

Mise à la disposition rapide et à faible coût de la majorité des données publiques

En regard de l’effort de soutien politique nécessaire au développement d’un tel scénario, les avantages qu’il pourrait présenter sont nombreux et particulièrement attractifs.

Demande peu de moyens et peut être mis en œuvre rapidement

La clé d’un tel scénario passe avant tout par la clarification des attentes des réutilisateurs auprès des administrations, et la mise en communication de ces différents acteurs.

Cela suppose certes un investissement dans l’analyse et la compréhension des enjeux, mais l’expertise qui s’est portée sur le sujet est déjà forte, notamment dans le monde associatif (Regards Citoyens, LiberTIC, FING), institutionnel (Délégation aux Usages de l’Internet, APIE, Ministère de la Justice, collectivités locales, Commission Européenne) et privé (Cap Digital). La création récente de la mission Etalab pourrait permettre la fédération de ces énergies et expertises.

Les moyens nécessaires à mettre en œuvre pourront être mobilisés par la réorientation de l’effort qui portaient jusqu’ici sur la tarification de la diffusion.

Catalyse les énergies et les bonnes volontés

L’implication proactive de l’État dans un réseau d’acteurs d’origines différentes valorise fortement l’activité de chacun. Par opposition aux scénarios précédents qui reposaient sur une tension forte entre demande de réutilisation et offre de données, les frictions éventuelles seraient ici fortement tempérées par la reconnaissance des bonnes volontés de part et d’autre de l’écosystème.

Favorise l'expérimentation

Dans ce scénario, l’expérimentation serait facilitée par la mise en cohérence des conditions tarifaires, juridiques et techniques conditionnant la réutilisation d’une grande partie des données publiques. Il est raisonnable d’imaginer un cercle vertueux par lequel les innovations à succès attirent l’attention d’autres scientifiques, ingénieurs ou entrepreneurs, et encouragent à leur tour encore plus d’innovation.

Facilite la modernisation de l'administration et promet des économies de fonctionnement

Contrairement aux scénarios précédents dont l’un des risques majeurs était de ne pas profiter de l’opportunité de modernisation de l’État que représente la mise en ligne des données publiques, une évolution en symbiose permettrait d’accompagner plus efficacement l’adaptation de l’administration à un monde où la mise en ligne des données de fonctionnement des institutions serait la norme.

En utilisant des outils standards de mise en ligne comme des plateformes mutualisées basées sur des logiciels libres, la puissance publique effectuerait des économies substantielles. Elle pourrait par ailleurs favoriser l’émergence de nouveaux outils et standards d’interopérabilité, repris par l’ensemble de la communauté.

Facilite la circulation de l'information technique et juridique

Un aspect malheureux mais inévitable de la réutilisation des données publiques est la complexité des sujets que le thème recoupe. La nouveauté même du concept et son émergence récente, du fait de développements technologiques qui commencent seulement à s’esquisser aux yeux du grand public, entraînent une certaine difficulté à communiquer les enjeux en question.

En particulier, la question de la réutilisation des données suppose des connaissances étendues et fréquemment réactualisées en informatique, en finances publiques, en droit des documents administratifs, et en droit de la propriété intellectuelle. Il est probablement illusoire de compter sur l’apprentissage exhaustif de ces pratiques par l’ensemble des acteurs publics concernés par ces questions.

Le développement d’un réseau informel d’acteurs en relation fréquente permettrait à l’inverse aux compétences de chacun de se renforcer mutuellement.

Permet de communiquer l'importance du sujet aux administrations et collectivités

L’implication de l’État dans un processus de collaboration avec la communauté a comme effet direct de souligner l’importance du sujet aux administrés ainsi qu’aux agents de l’État et des collectivités. C’est donc à la fois un outil politique et un outil de gestion puissant.

Un nouvel outil de communication pour l'État

Enfin, l’émergence d’un tel écosystème autour de la mise en ligne des données publiques pourrait permettre à des journalistes experts en maniement, interprétation et visualisation des données de travailler directement sur les données issues des administrations et des collectivités.

Cela ouvrirait de nouvelles possibilités pour éclairer le débat public, et de nouvelles techniques journalistiques utiles à la fois pour expliquer les politiques qui sont menées et en débattre, pour mettre en valeur le travail de l’administration et pour souligner les enjeux des arbitrages réalisés au niveau national ou territorial.

Tableau récapitulatif

Les caractéristiques propres à chaque scénario sont synthétisées dans le tableau ci-dessous.

Sur la base de l’état des lieux et des trois scénarios étudiés dans ce chapitre, nous proposons au chapitre suivant une série de 16 propositions pour une politique ambitieuse des données publiques, qui pourraient permettre de concrétiser les bénéfices de la réutilisation des données publiques.

scénarios
critères Inertie Capture Symbiose
Répondre à la demande Rapidité - + +
Saisir l’opportunité des nouvelles technologies -- - ++
Valorisation des données -- - ++
Mise en œuvre Moyens nécessaires ++ ++ ++
Facilité ++ + -
Impact sur l’administration Renforcer le rôle l’administration - -- +
Modernisation de l’administration - -- ++
Valorisation de l’action de l’administration - -- +
Intérêt public Court terme -- + ++
Long terme - -- ++



Notes originales

  1. Kaplan, D., 2010, « Les données publiques : et après ? », Internet Actu, 9 novembre 2010
    http://www.Internetactu.net/2010/11/09/louverture-desdonnees-publiques-et-apres/
  2. Wu, T., 2010, « The Master Switch : Rise and Fall of Information Empires ».
  3. Urban Mobs, 2009, projet de visualisation géographique du trafic cellulaire mené conjointement par Orange et FaberNovel
    < http://www.urbanmobs.fr/fr/france/ >
  4. Waze, Inc.
    < http://world.waze.com/guided_tour/ >
  5. Landier, A. et Thesmar, D., 2010, « La Société Translucide : Pour en Finir avec le Mythe de l’État Bienveillant »
  6. Kenneth A. Oye and Rachel Wellhausen, “The Intellectual Commons and Property in Synthetic Biology,” in Markus Schmidt et al (eds), Synthetic Biology: The Technoscience and its Societal Consequences, Springer, 2009, pp 121-140.