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Les nouvelles frontières de la connaissance (2014) CSRT, conclusion

De Wicri France


Conclusion, quelques messages

Cette page contient la cnoclusion du rapport « Les nouvelles frontières de la connaissance» rédigé en 2014 par le Conseil supérieur de la recherche et de la technologie (CSRT)

 


Conclusion, quelques messages

Aborder la question des Nouvelles Frontières de la Connaissance pouvait apparaître comme une entreprise démesurée dans son ambition, inutile dans ses objectifs, hors des possibilités réelles du Conseil Supérieur de la Recherche et de la Technologie et peut être de ses missions classiques.

Pourtant, au terme d’un cheminement de plusieurs mois jalonné par des lectures, des auditions, des contributions et des débats, l’objectif fixé a été globalement atteint. Non par la publication d’une somme encyclopédique sur la Connaissance contemporaine, mais la formulation de questions et un début de clarifications issues d’une réflexion collective dans laquelle se sont engagés de nombreux membres du CSRT, riches de leurs expériences diverses et de leurs visions personnelles.

Le Conseil a choisi de construire la conclusion du présent rapport non comme un simple résumé des constats, des analyses et des propositions ponctuelles qui constituent la chair de ses trois grandes parties constitutives, mais par une série de points de focalisation qui marquent les points forts de cette réflexion.


Une société en mutation

Un premier constat constitue le point d’ancrage de la progression de la réflexion : la « crise » n’est pas ce que l’on croit ni ce que l’on dit. Plus précisément, elle n’est pas réduite à la seule réalité financière retenue par le discours dominant. Elle est plus, et autre chose. Plus, parce qu’elle affecte les multiples champs de la société, de la politique, de la culture, de l’économie, et, bien entendu, de l’environnement. Autre chose parce qu’elle traduit non une simple panne ou un dysfonctionnement du système, mais une mutation globale. L’Histoire a connu à plusieurs reprises de tels bouleversements qui en constituent les jalons et les moteurs de la révolution néolithique à l’ère industrielle. Ce qui est nouveau et spécifique aujourd’hui, c’est à la fois la simultanéité, l’ampleur, la globalité et la rapidité des mutations qui sont vécues non comme de simples évolutions normales mais comme des ruptures brutales et destructrices. Cette « autre lecture » de la crise n’est pas le seul fait du CSRT, s’appuyant sur ses auditions et ses échanges internes. Elle s’exprime depuis quelques mois dans de nombreuses publications et bénéficie du soutien de signatures illustres. Surtout, elle permet de sortir du tunnel conceptuel fabriqué par la lecture classique qui conduit à la sclérose et l’immobilisme, elle dégage de nouvelles perspectives, appelle au volontarisme et au sursaut.


La connaissance est l'une des réponses aux mutations

Le second constat, c’est que l’un des instruments de sortie de crise, ou, plus exactement, l’un des outils pour s’adapter aux mutations qui s’imposent, est la Connaissance. Toutes les grandes ruptures de l’histoire des civilisations n’ont pas nécessairement conduit à une solution « par le haut » construite sur l’adaptation, comme en témoigne quelques exemples comme ceux des Mayas victimes de l’effondrement de leur civilisation ; de plus, on connaît de nombreux cas historiques où les facteurs d’implosion ont été des bouleversements religieux ou militaires, voire démographiques. Il semble pourtant établi que l’adaptation aux mutations par la Connaissance est l’un des processus les plus fréquemment constatés dans l’Histoire. On retiendra l’exemple symbolique, sans doute caricatural, de la Renaissance occidentale. Singulièrement, dans la grande mutation contemporaine, la Connaissance apparaît comme l’un des instruments, non pas unique, mais incontournable, pour préparer l’émergence du monde nouveau. D’où l’intérêt concret à s’intéresser à l’univers de la connaissance, non par simple curiosité intellectuelle, mais par pragmatisme, en puisant dans cette approche des raisons de renouer avec la confiance dans l’avenir et la volonté d’agir.


La connaissance n'est pas à l'origine de la crise mais elle n'a pu l'éviter

Ces deux constats débouchent sur une interrogation : quelques sont les liens entre la crise actuelle et la connaissance ? La réponse apportée par le CSRT est double : la connaissance n’est pas à l’origine de la crise, mais elle n’a pu éviter son développement. Elle n’est pas à l’origine de la crise car elle-même n’est pas en crise « classique ». Jamais, dans son histoire, l’humanité n’a engagé autant de moyens financiers, humains, matériels, à la production de connaissance. Jamais les sciences et technologies, toutes disciplines confondues, n’ont produit autant de connaissances. Rarement les découvertes dans les domaines de la matière, de l’univers, de la vie, des diverses sciences humaines, n’ont ouvert des perspectives aussi vertigineuses. Mieux, au coeur même de la grande phase de mutation actuelle, la connaissance apporte à l’humanité des outils nécessaires à des avancées spectaculaires face aux grands enjeux de l’époque, qu’il s’agisse d’environnement, de santé, de mobilité ou d’information. Mais il est vrai que cette accumulation de connaissance n’a pas pu éviter la crise et qu’elle n’offre pas actuellement de réponse claire à sa résolution. Elle a peu ou mal prévenu les citoyens des risques générés par le système. Elle n’a pas su ou pu convaincre les décideurs de trouver un autre chemin.


La connaissance : un concept à préciser

Ce début d’exploration de la Connaissance contemporaine initiée par le présent rapport appelle à un approfondissement et à une clarification du concept même de connaissance, de ses contours, de son contenu de ses enjeux. La société est aujourd’hui plus informée et plus éduquée qu’elle ne l’a jamais été. Elle est submergée par l’explosion de l’information. Elle est en partie structurée par la communication, celle des institutions comme celle des entreprises. Elle est plongée dans la révolution numérique dont on commence à mesurer l’ampleur. Dans ce contexte de massification de la diffusion et d’accélération du temps de la production, la place et le contenu de la connaissance doivent être reprécisés. La nature de la connaissance doit être, sinon redéfinie, en tout cas réaffirmée. Ses fondamentaux conceptuels doivent être consolidés. Mais l’horizon de cette connaissance, en ce début de XXIe siècle, doit être élargi à d’autres sources, d’autres champs, d’autres temps et d’autres civilisations que le seul cadre occidental. Cet enrichissement, auquel les sciences humaines et sociales apporteront une contribution déterminante, se fera dans le cadre maintenu d’une approche rationnelle.


Améliorer la production de la connaissance

Cette réappropriation conceptuelle de la connaissance, qui convoquera en particulier la philosophie, ne dispense pas d’une remise à plat du dispositif de production et de diffusion de la connaissance. Celle-ci demeure, plus que jamais dans les circonstances actuelles, l’une des réponses les plus adaptées aux mutations de notre temps. Le maintien, voire la consolidation des moyens mis à la disposition de la production de connaissance est donc affirmé parce qu’il est nécessaire. Mais cet effet n’est pas suffisant. Une adaptation de l’appareil de production doit être engagée, tenant compte des nouvelles données globales (mondialisation accélérée, révolution numérique…) de l’émergence de nouvelles pistes de recherche, des attentes, des besoins et des impératifs de la société. Les pays de tradition scientifique ancienne, comme la France, ne doivent pas craindre la réforme de leur dispositif de recherche, non pour répondre aux impératifs de la rentabilité financière immédiate mais pour prendre place dans le mouvement contemporain de la recherche, caractérisé par la massification, par l’internationalisation et par l’accélération du temps de production de connaissance. La simplification du dispositif général, le renforcement des liens internationaux et singulièrement européens, doivent être amplifiés. Par exemple, la construction d’outils nouveaux répondant aux enjeux de la compétition internationale, à l’image de la réussite d’Airbus dans le domaine industriel, pourrait être envisagée avec l’Allemagne.


Partager la connaissance

Précisément, l’une des leçons de l’histoire, esquissée dans le survol de ce rapport, c’est qu’une connaissance, ni partagée ni portée par la société, est inefficace, donc inutile, voire dévoyée et dangereuse. Une plus grande appropriation de la connaissance par la société est nécessaire. A la fois par recherche d’efficacité et souci d’équité. Cela signifie une reconnaissance claire des apports théoriques et pratiques des sciences humaines, l’affirmation de leur positionnement central dans la stratégie de mobilisation des forces de l’intelligence face aux mutations. Cela signifie aussi une revalorisation de la Connaissance au sein de la société, dans ses valeurs, dans ses repères, dans son organisation, par une réorientation du système éducatif, par une nouvelle approche de la culture intégrant pleinement la dimension scientifique, par une initiation des citoyens et des décideurs aux apports de la connaissance. Cela passe enfin par une révision du droit de la connaissance, la mise au point et la diffusion de nouvelles méthodes de production de la connaissance fondées sur la mutualisation et l’engagement collectif plus que sur la concurrence et la compétition, au plan national comme international.


Rééquilibrer les disciplines scientifiques et construire l'interdisciplinarité

L’esquisse de la problématique crise/connaissance qui constitue la trame de ce rapport, la réflexion qui a précédé sa rédaction, conduisent à quelques préconisations qui semblent peu contestables. La première, c’est le maintien, voire le renforcement de la recherche dans les sciences « dures » aussi bien fondamentales qu’appliquées. Le repositionnement et l’affirmation des sciences humaines et sociales au coeur du dispositif, comme on vient de le souligner, est aussi indispensable. Mais la mobilisation générale en vue de l’amélioration globale du dispositif de production de connaissance passe par les progrès de l’interdisciplinarité, souvent invoquée, rarement concrétisée. A l’évidence, de grandes avancées de la connaissance sont possibles dans les territoires non explorés et dans les champs d’investigation masqués par le chevauchement des disciplines. Elles résulteront également de la mise en commun des outils conceptuels, expérimentaux et matériels des différentes disciplines et par la construction de la démarche pluridisciplinaire dans le cursus des formations, dans la constitution des équipes et des programmes de recherche, dans l’organisation même et le fonctionnement des systèmes de production de la connaissance.


Positionner la connaissance dans le champ politique

Ces quelques pages de rapport résument plusieurs mois d’auditions, d’échanges et de débats au sein du CSRT. Elles consolident globalement l’intuition initiale d’une place singulière et centrale de la Connaissance dans le contexte contemporain de mutations. Mais elles renvoient à la nécessité de portage par la politique, à plusieurs niveaux.

D’abord, au plan opérationnel, par l’affirmation de la volonté de l’Etat de jouer son rôle pilote dans la mise en oeuvre d’une grande politique de la Connaissance par la dévolution de moyens, par la reconnaissance du Ministère de la Recherche Scientifique et de la Technologie dans l’organisation gouvernementale, par la consolidation de dispositifs d’orientation stratégique comme la SNRI.

En second lieu, au plan théorique, par l’intégration dans le discours public des apports de la Connaissance, base de la reconstruction d’un sentiment collectif d’espoir et de confiance dans le futur porté par l’affirmation de valeurs et de principes répondant aux véritables enjeux de l’avenir de l’humanité. Il ne s’agit nullement de nier ici la pertinence des approches financières, économiques et sociales. Mais, au-delà des réponses qui doivent être en effet apportées à ces questions réelles, le discours politique doit ouvrir des perspectives plus larges, éclairer l’horizon, donner à la société des raisons d’espérer et d’entreprendre. La Connaissance doit être au centre de ce discours anticipateur et volontaire. Ce portage par les acteurs politiques de la problématique de la Connaissance leur permettra aussi de répondre à l’un des enjeux les plus lourds de la vie collective actuelle, la crise démocratique qui génère le déficit de confiance et bloque les initiatives. Le modèle démocratique occidental actuel se heurte à des limites évidentes face au choc des mutations. Dans une civilisation largement structurée par les avancées de la science et de la technologie, l’articulation de la société et du monde du savoir devient un enjeu déterminant qui implique les citoyens et leurs représentants mais aussi des acteurs de la Connaissance. Savants et citoyens doivent cheminer ensemble, dans la transparence, dans le débat et dans la clarté de leurs responsabilités respectives. C’est donc aussi et d’abord à eux que s’adresse cet appel continuer à explorer les « Nouvelles Frontières de la Connaissance ».