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Les nouvelles frontières de la connaissance (2014) CSRT, partie 1, section C

De Wicri France

Cette page contient la troisième section (C) de la première partie du rapport « Les nouvelles frontières de la connaissance» rédigé en 2014 par le Conseil supérieur de la recherche et de la technologie (CSRT)

 
C (32)


La double lecture des frontières

C1 (32)

Les nouveaux horizons de la connaissance

La nouveauté est risque d'illusions. Un instantané de l'état de la connaissance peut conduire à une appréciation fausse de la réalité. Seul le recul du regard de l'historien peut apporter sinon des certitudes, du moins un approche solide des faits. Ce qui signifie que le choix d'explorer les nouvelles frontières de la connaissance est en lui-même hasardeux et que les conclusions d'un simple rapport devront être confrontées à des approches plus rigoureuses.

Pour autant, la décision de porter le regard sur de « nouvelles frontières » est significative en cette période de perte de repère et de doutes sur l'avenir. Elle repose sur un a priori qu'il convient de vérifier : même en ces temps de marasme économique et financier, la connaissance progresse. C'est en effet ce que semble vérifier un survol des principaux champs de la science éclairés ces derniers temps par une actualité de quelques découvertes.

  • Les sciences de l'univers ont marqué des points significatifs ces derniers temps, Elles ont consolidé la pertinence des grandes théoriques classiques de la cosmogonie, en particulier sur la création et l'expansion de l'univers. Et elles mettent en évidence plus clairement les incohérences entre l'application de la théorie de la relativité et des observations astronomiques de plus en plus précises, avec l'identification de la matière noire. On ne dispose donc pas aujourd'hui d'une vision aboutie de la réalité de l'univers mais on assure certains acquis antérieurs et on cerne mieux les nouvelles problématiques, permettant d'entrevoir de nouvelles découvertes pour les prochaines décennies. Si l'on ajoute à ce constat les avancées qui constituent des ruptures conceptuelles avec les exo-planètes fondées sur des observations multiples, on mesure combien l'astronomie contemporaine précise et renouvelle notre connaissance de l'univers.
  • La connaissance de la matière, si liée par ailleurs à celle de l'univers, progresse également. Elle consolide, elle aussi l'approche de la physique fondamentale de la matière issue des grandes avancées du début du XX° siècle. La confirmation récente du boson de Higgs au terme de quelques mois de fonctionnement du nouvel équipement du CERN, le LHC, prouve la vitalité de la physique fondamentale. Par ailleurs, dans le champ des sciences appliquées, les progrès des nano sciences et des nanotechnologies ouvrent les portes d'une nouvelle maîtrise de la matière avec des applications multiples.
  • Les sciences de la vie apportent elles aussi la preuve de leur dynamisme par la poursuite des découvertes liées à l'approche génétique comme par la meilleure connaissance des mécanismes fondamentaux des cellules vivantes. Les biotechnologies, par leurs applications concrètes, promettent des réponses aux questions de l'environnement et de l'alimentation de l'humanité. On ouvre même aujourd'hui l'hypothèse de nouvelles formes de vie, radicalement différentes que celles issues de la biologie classique, avec l'esquisse de nouvelles réponses à la question de l'origine de la vie, issue des profondeurs océaniques, du coeur de la planète ou d'un ensemencement galactique. L'application concrète de certaines découvertes des sciences de la vie ouvre, quant à elle des perspectives à la fois positives mais vertigineuses au travers de la médecine. Illusion ou perspective réaliste, l'idée de la disparition des maladies, voire du recul de la mort, est évoquée à partir de certains travaux sur les cellules souches. On mesure ici à la fois l'importance des opportunités et celle des enjeux éthiques que ces nouvelles connaissances ouvrent.
  • Il en va de même dans le domaine, plus nouveau, des neurosciences. Elles associent la physique permettant une lecture de plus en plus précise du fonctionnement cérébral par l'imagerie médicale, la biologie par la compréhension du fonctionnement des cellules nerveuses, des mathématiques par la modélisation des connexions. Les premiers pas sur la connaissance de la production de la pensée sont esquissés. Ils témoignent d'une vitalité incontestable de cette nouvelle discipline mais posent aussi clairement la question des implications éthiques.
  • Ce qui conduit au domaine des sciences humaines et sociales. Le présent rapport affirme avec force quelles ont, elles aussi, au cours de la dernière décennie, produit des avancées majeures sur les fondamentaux de l’humanité, de son histoire, du fonctionnement de ses sociétés, de l’évolution de ses civilisations. On peut même considérer que certaines découvertes récentes introduisent de véritables ruptures dans le corpus traditionnel et ouvrent des perspectives considérables aux futures recherches des sciences humaines. Par médiatisation insuffisante de leur fait ou curiosité moindre de notre société, les SHS diffusent insuffisamment les résultats de leurs travaux et ne bénéficient pas du regard attentif et émerveillé de nos concitoyens pour les travaux des sciences « dures ». Les sciences humaines ne manquent pourtant par d’arguments pour faire reconnaître leurs contributions à la Connaissance. Ainsi, dans le domaine de l'anthropologie, à la fois par des découvertes nouvelles comme celle de Toumaï au Tchad, et l'utilisation des techniques de la génétique, elles apportent une confirmation globale de l'origine africaine de l'humanité et une datation revisitée de l'occupation de la planète par l'espèce humaine. L'une des perspectives les plus radicales dans le domaine est la remise en cause des relations entre néanderthaliens et hommes de Cro-Magnon dont on sait maintenant qu'ils ont durablement coexisté et qu'ils se sont croisés. Ces observations ne remettent pas en cause l'impression d'un secteur de la connaissance dont le rythme de progression semble moindre que celui des autres domaines scientifiques alors même que les besoins d'accompagnement des sciences dures par les SHS est de plus en plus reconnu et attendu.

Globalement, ce qui l'emporte c'est donc bien une production massive des connaissances, à un rythme accéléré, dans un grand nombre de secteurs déterminants. La communauté scientifique continue donc à consolider les connaissances et explore réellement de nouvelles frontières. Mais en même temps, comme toujours, cette avancée se heurte à des résistances et à des obstacles.


C2 (34)

Les nouveaux obstacles de la connaissance

Si l'on résume le cheminement de l'argumentation, on constate que la crise, quelle que soit sa nature, s'est installée et développée alors même que la connaissance progressait. Ce qui conduit à cette question simple mais incontournable: pourquoi cette dernière, malgré sa dynamique et ses progrès sans précédent historique, n'a pas permis de prévenir ou d'enrayer la crise ? Cela tient à plusieurs causes : la discordance des temps, la fragmentation des savoirs, leur confinement dans des espaces sectoriels et géographiques insuffisamment ouverts, la dépendance de la production de connaissance soumise au court terme de la finance et de la politique, et enfin l'insuffisance du partage de la connaissance aussi bien au niveau géopolitique que social.


C2a (34)

La discordance des temps.

Elle est multiple. A l'évidence les différentes disciplines scientifiques progressent à des rythmes variables, en fonction des logiques internes spécifiques, des avancées provoquées par la mise à disposition de nouveaux outils d'investigation, des décisions liées au volontarisme politique ou au gré des circonstances extérieures comme des accidents ou des épidémies. A cette différence de rythme intrinsèque aux disciplines, s'ajoute, comme on vient de le voir une différence considérable entre les sciences « dures » et les sciences humaines et sociales, compliquant à l'évidence le dialogue nécessaire entre ces deux grands domaines de la connaissance.

La seconde discordance vient de l'écart de temps entre les découvertes fondamentales, dites de rupture, leur application technologique et leur diffusion économique, conduisant à des incompréhensions ou des frustrations de la société.

Enfin, la troisième discordance porte sur le temps scientifique et technologique, différent du temps biologique et social. Le rapport a rappelé plus haut que l'accélération du temps scientifique conduisait à intégrer en quelques années des ruptures qui s'étalaient auparavant sur des générations. Ce qui conduit à poser la question de la capacité de l'espèce humaine à s'adapter efficacement à ce nouveau rythme des mutations pour des raisons de limites biologiques, psychologiques ou sociales.


C2b (35)

La fragmentation des savoirs

L'accroissement global de la quantité de connaissances est avéré. Il est positif. Cet accroissement se fait dans deux dimensions, en largeur et en profondeur. En largeur, les connaissances sont de plus en plus extensives. Ainsi, en biologie, on répertorie de plus en plus d'espèces, en physique on connaît de plus en plus de matériaux. En profondeur, les connaissances sont de plus en plus intenses, se rapprochent des mécanismes fondamentaux de la matière et de la vie. Ce double mouvement d'élargissement et d'approfondissement des connaissances conduit aussi, par la spécialisation croissante et nécessaire des recherches, à la fragmentation du savoir. Les philosophes de l'antiquité pouvaient embrasser l'essentiel des connaissances de leur époque, géographiques, médicales, mathématiques, théologiques... Il en allait de même pour les penseurs humanistes de la renaissance et les « honnêtes hommes » du XVII° siècle. L'ambition d'un savoir global habitait encore les encyclopédistes. Cette capacité de couvrir un large éventail de savoirs est aujourd'hui impossible. La spécialisation et l'expertise conduisent à enfermer les savants dans leur discipline, avec leurs langages, leurs méthodes et leurs repères spécifiques. Elle complique les rencontres et les débats interdisciplinaires alors même que les avancées de la connaissance résultent précisément du choc des idées et de l'ouverture des concepts.


C2c (35)

Le confinement local

La mondialisation de la production de la connaissance est à la fois une réalité et une nécessité pour obtenir des résultats significatifs dans l'ensemble des domaines de la recherche. C'est d'ailleurs ainsi que se structure cette recherche, par des lieux d'échanges internationaux comme les congrès, par des outils de production commune comme les réseaux spécialisés, par la réalisation de grands équipements uniques à l'image des télescopes du Chili ou de l'accélérateur du CERN. Mais, dans le même temps, parce que la maîtrise du savoir est aussi un outil de pouvoir, y compris dans le champ international, la plus grande partie des moyens financiers, humains, matériels affectés à la connaissance opèrent au profit d'entreprises privées ou d'intérêts étroitement nationaux. L'incapacité de l'Europe, au-delà de quelques initiatives méritoires, à se constituer en espace unique de recherche illustre ces pesanteurs qui pénalisent, voire entravent les progrès de la recherche.


C2d (36)

L'asservissement aux pouvoirs

La finalité de la connaissance est ou devrait être la découverte de la vérité. La recherche devrait donc être déconnectée de toute influence extérieure à cette mission d'intérêt général. Dans les faits, parce que la recherche a besoin de financements publics ou privés, elle est asservie à des enjeux autres que ses propres finalités. Cet asservissement n'est pas nouveau. Il constitue l'une des constantes de la science moderne, dès la Renaissance, avec une pression extérieure de plus en plus lourde en raison de la croissance des moyens nécessaires à la recherche. Cette pression s'exerce sur les choix des programmes, ce qui détermine les résultats globaux de la science dans tel ou tel domaine. Mais elle impose aussi leur rythme aux recherches, visant à des résultats immédiats et concrets répondant aux attentes des actionnaires ou de l'opinion publique. La réflexion très récente d'un éminent dirigeant d'une puissance européenne de premier rang demandant aux équipes du CERN qui venaient de prouver l'existence du Boson de Higgs, « à quoi cela sert-il? » en dit long sur les pressions des décideurs, sur leur état d'esprit et l'espace de liberté des chercheurs. La mise en oeuvre, depuis quelques décennies, de procédures de financement public au travers de programme dédiés, outre les pesanteurs générées, illustre parfaitement cette culture du résultat immédiat et affecte négativement des recherches de rupture qui exigent du temps, de la liberté et des moyens pérennes. Ce constat renvoie à la force de résistance de l’éthique des chercheurs mais pose aussi la question des exigences engendrées par la pluralité des sources de financements et de leur impact sur l’espace de liberté du chercheur.


C2e (36)

Le partage inéquitable

La connaissance est aujourd'hui perçue comme l'une des voies du développement et du progrès. C'est d'ailleurs cette conviction largement partagées par les dirigeants de la planète, et singulièrement des grands pays économiques, anciens ou émergents, qui explique l'engagement massif de moyens financiers, eux aussi sans précédent historique tant en volume absolu qu'en pourcentage de la richesse planétaire. Si l'équation connaissance d'aujourd'hui = richesse de demain semble largement acceptée, les inégalités actuelles dans le partage de la connaissance annoncent de lourdes ruptures. Cela vaut pour la planète, avec des pays du Sud, dans l'incapacité de suivre le rythme de recherche de leurs riches voisins du Nord. Cela vaut pour nos sociétés qui, ne sachant partager en leur sein la connaissance, consolident les fractures sociales et bloquent tout portage collectif des grands projets proposés par la science.