Les nouvelles frontières de la connaissance (2014) CSRT, partie 3, section D
Le dialogue avec la société
Une composante de la démocratie
La vitesse du développement technologique actuel dépasse, semble-t-il, les capacités d’appropriation de la société. Les décideurs sont confrontés à cette réalité tout comme le simple citoyen, et ne sont parfois pas mieux armés que lui pour prendre des décisions. Ils ont donc besoin de légitimité pour que les décisions prises soient assumées par l’ensemble de la société. Certaines l’ont été, comme la priorité donnée dans les années 50 au développement du nucléaire militaire de dissuasion, qui est perçu aujourd’hui comme une sécurisation face aux conflits armés. Dans d’autres cas, comme le rejet majoritaire des OGM en Europe, ce sont les mouvements d’opinion qui ont précédé les choix politiques.
Consciente de leur besoin de légitimité sociétale, les instances dirigeantes cherchent à favoriser la participation des citoyens dans les choix qui engagent la société : on peut citer en France, le principe de participation inscrit dans la loi Barnier en 1990, ou l’initiative de concertation élargie du Grenelle de l’environnement (voir encadré ci-dessous).
Du côté de la société, on voit poindre des mouvements radicaux qui refusent le débat, au motif que « débattre, c’est accepter des innovations dont on ne veut pas pour la société ».
Ces blocages résultent d’un double décalage : un décalage temporel entre le développement effectif de l’innovation et le débat, qui arrive trop tard, et un décalage politique entre un principe de démocratie participative bien intériorisé dans nos sociétés et des prises de décision qui semblent s’affranchir de concertation. Pour exemple, le débat sur les nanotechnologies, confronté à ce type de blocage, peut être considéré comme trop tardif par rapport au développement effectif rapide des nanotechnologies dans de nombreux domaines de la vie quotidienne. A contrario, ce débat a parfois été jugé trop précoce par rapport à l’état de connaissance du public sur ces technologies. Ce constat pointe le besoin de comprendre des citoyens, et le rôle clé que doit jouer la recherche très en amont pour informer le citoyen. Aux côtés des composantes d’excellence et d’innovation, le dialogue avec la société doit faire partie intégrante des missions de la recherche.
Le Grenelle de l’environnement, imparfait ?
Le Grenelle de l’environnement peut être considéré comme une première tentative de coupler un débat élargi et une prise de décision effective. Organisé en 2007 par le gouvernement, il a réuni environ 240 acteurs répartis en cinq collèges : l’État, les collectivités locales, les ONG, les employeurs et les salariés. Le premier projet de loi (Grenelle I) a été adopté à l’unanimité à l’assemblée, mais ses modalités d’applications (Grenelle II) font l’objet de débat : bien qu’ayant initié des actions en faveur du développement durable, le Grenelle a été critiqué sur sa représentativité et sur la portée trop partielle des mesures effectives. |
Des pistes
La recherche proactive dans l’information du citoyen
- De nombreux programmes de recherche incluent maintenant des clauses de diffusion vers le public. Cependant, ce ne sont pas seulement les résultats a posteriori, mais bien les enjeux de ces recherches qui doivent être discutés avec le public dès l’engagement des programmes de recherche à fort impact sur la société. Cette communication doit être portée au niveau des organismes et pas seulement par les chercheurs individuellement.
- Le rôle de la recherche en tant que lanceur d’alerte doit être mis en valeur (climat, énergie). L’analyse des risques qui fait partie intégrante de certains programmes de recherche doit être portée à la connaissance du public.
- Une communication soutenue, permanente, doit permettre de suivre l’avancée de la science, en donnant les moyens de la réflexion par la contextualisation, la nuance, le partage des doutes et des incertitudes. Les missions d’expertises collectives développées par plusieurs Instituts permettent précisément de faire un état des lieux des acquis et incertitudes sur un sujet donné, et constituent un exemple à diffuser.
- Poursuivre des expériences qui ont fait leurs preuves, comme l’Université de tous les savoirs peut diffuser la connaissance scientifique de base avec une excellence intéressante
De nouvelles règles pour le débat public
Restaurer la confiance de la Société dans la connaissance impose aussi un changement dans les principes et les méthodologies du débat public, changement qui mériterait d’être clairement affiché.
Devant s’insérer entre les temporalités décalées de la Science, de l’information, et du développement technologique, confrontée à la complexité des cercles de décision, des conflits d’intérêts, l’organisation du débat public n’est pas spontanée et requiert une forte volonté politique. La prise en compte de l’opinion des populations, et des questions qu’ils suggèrent à la recherche, est pourtant plus que jamais nécessaire alors que se dessine une profonde modification de leurs conditions de vie.
Une réflexion de fond s’impose, qui peut se nourrir du bouillonnement de travaux sur le sujet auquel on assiste actuellement. La démocratie, comme la science, sont sans cesse à conquérir… et leurs relations toujours à recombiner. Cette dimension, autrefois inexistante, ou réservée à l’Etat, doit s’élargir pour devenir une composante intégrale de la politique scientifique, au même titre que l’excellence ou l’innovation.
Les suggestions qui suivent participent à cette réflexion de fond en s’appuyant sur l’existant.
Recommandations XI du Conseil Concernant les enjeux du dialogue avec la Société et du débat démocratique sur les connaissances scientifiques, le CSRT recommande :
• Que le débat soit « procédurisé », aboutisse à une analyse des consensus/dissensus et soit suivi d’une prise de responsabilité politique assumée. |
Recommandations XII du Conseil Concernant les méthodologies du débat public concernant les connaissances scientifiques, le CSRT recommande :
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