La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition populaire/1895/Partie 3/Bataille décisive

De Wicri Chanson de Roland
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Fig. 26. — Deux messagers se détachent du front de l'armée païenne, — Et au nom de l'Émir annoncent cette bataille à Charles. (Vers 2976, 2977.) (Composition de Zier.)
Les couplets (laisses) 
CCXXXIII, CCXXXIV,
CCXXXV, CCXXXVI, CCXXXVII, CCXXXVIII, CCXXXIX
CCXL, CCXLI, CCXLII, CCXLIII, CCXLIV,
CCXLV, CCXLVI, CCXLVII, CCXLVIII, CCXLIX,
CCL, CCLI, CCLII, CCLIII, CCLIV,
CCLV, CCLVI, CCLVII, CCLVIII, CCLIX,
CCLX, CCLXI, CCLXII, CCLXIII, CCLXIV,
CCLXV, CCLXVI, CCLXVII, CCLXVIII, CCLXIX,
CCLXX, CCLXXI, CCLXXII, CCLXXIII, CCLXXIV,
CCLXXV, CCLXXVI, CCLXXVII, CCLXXVIII, CCLXXIX,
CCLXXX, CCLXXXI, CCLXXXII, CCLXXXIII, CCLXXXIV,
CCLXXXV, CCLXXXVI, CCLXXXVII,
Notes originales
2910. A Laon,   2944. Grande est la douleur de Charles,
2969. Lavés avec du piment et du vin,   2973. Glaza
2974. L'Empereur Charlemagne se dispose à partir,   3019. Quinze mille Français,
3090. Escuz de multes conoisances,   3093. Oriflamme,   3095. Monjoie
3100. O vraie Paternité,   3217. Trente colonnes,   3221. A la tête énorme
3238. Chananéens,   3434. Cinq des lacs,   3435. Capelier
Facsimilés
Voir aussi

Les couplets (laisses)

Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 222.jpg

CCXXXIII

O. => CCIII
Dès la première blancheur de l'aube, au petit matin,
2845   S'est éveillé l'empereur Charlemagne.
Saint Gabriel, à qui Dieu l'a confié,
Lève la main, et fait sur lui le signe sacré.
Alors le Roi se lève, laisse là ses armes,
2850   Et tous ses chevaliers se désarment aussi,
Puis montent à cheval, et rapidement chevauchent
Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 223.jpg
Par ces larges routes, par ces longs chemins.
Et où vont-ils ainsi? Ils vont voir le grand désastre ;
Ils vont à Roncevaux, là où fut la bataille. Aoi.

CCXXXIV

O. => CCIV
2855   Charles est revenu à Roncevaux.
A cause des morts qu'il y trouve, commence à pleurer :
« Seigneurs, » dit-il aux Français, « allez le petit pas;
« Car il me faut marcher seul en avant,
« Pour mon neveu Roland que je voudrais trouver.
2860   « Un jour j'étais à Aix, à une fête annuelle ;
« Mes vaillants bacheliers se vantaient
« De leurs batailles, de leurs rudes et forts combats :
« Et Roland disait, je l'entendis,
« Que, s'il mourait jamais en pays étranger,
2865   « On trouverait son corps en avant de ceux de ses pairs et de ses hommes ;
« Qu'il aurait le visage tourné du côté du pays ennemi ;
Et qu'enfin, le brave, il mourrait en conquérant. »
Un peu plus loin que le jet d'un bâton,
Charles est allé devant ses compagnons et a gravi une colline. Aoi.

CCXXXV

2870   Comme l'Empereur va cherchant son neveu,
Il trouve le pré rempli d'herbes et de fleurs
Qui sont toutes vermeilles du sang de nos barons.
Et Charles en est tout ému; il ne peut s'empêcher de pleurer.
Enfin le Roi arrive en haut, sous les deux arbres;
2875   Sur les trois blocs de pierre il reconnaît les coups de Roland ;
Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 224.jpg
Il voit son neveu qui git sur l'herbe verte ;
Ce n'est point merveille si Charles en est navré de douleur.
Il descend de cheval, court sans s'arrêter.
Entre ses deux bras prend le corps de Roland,
2880   Et, de douleur, tombe sur lui sans connaissance. Aoi.

CCXXXVI

L'Empereur revient de sa pâmoison.
Le duc Naimes, le comte Acelin,
Geoffroi d'Anjou et Thierri, frère de Geoffroi ,
Prennent le Roi, le dressent contre un pin.
Il regarde à terre, il y voit le corps de son neveu,
Et si doucement se prend à le regretter :
« Ami Roland , que Dieu te prenne en pitié !
« Jamais on ne vit ici-bas pareil chevalier
« Pour ordonner, pour achever si grandes batailles.
2890   « Ah ! mon honneur tourne à déclin. »
Et l'empereur se pâme; il ne peut s'en empêcher. Aoi.

CCXXXVII

Le roi Charles revient de sa pâmoison ;
Quatre de ses barons le tiennent par les mains.
Il regarde à terre, et y voit le corps de son neveu :
2895   Roland a perdu toutes ses couleurs, mais il a encore l'air gaillard ;
Ses yeux sont retournés et sont remplis de ténèbres :
Et voici que Charles se met à le plaindre, en toute foi, en tout amour :
« Ami Roland que Dieu mette ton âme en saintes fleurs
« Au paradis , parmi ses glorieux !
2900   « Pourquoi faut -il que tu sois venu en Espagne!
Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 225.jpg
« Jamais plus je ne serai un seul jour sans souffrir à cause de toi.
« Et ma puissance, et ma joie, comme elles vont tomber maintenant !
« Qui sera le soutien de mon royaume ? Personne.
« Où sont mes amis sous le ciel ? Je n'en ai plus un seul.
2905   « Mes parents ? Il n'en est pas un de sa valeur. »
Charles s'arrache à deux mains les cheveux,
Et se pâme de nouveau sur son neveu, tant il est plein d'angoisse.
Cent mille Français en ont si grande douleur
Qu'il n'en est pas un qui ne pleure à chaudes larmes. Aoi.
Fig. 27. — Charlemagne trouvant, sur le champ de bataille de Roncevaux, le corps inanimé de Roland. — Scène centrale de tout le poème. (Composition de Zier.)

CCXXXVIII

Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 227.jpg
O. => CCVIII
« Ami Roland, je vais retourner en France;
2910  
« Et quand je serai dans ma ville de Laon,
« Des étrangers viendront de plusieurs royaumes
« Me demander où est le Comte capitaine. »
« Et je leur répondrai : « Il est mort en Espagne. »
« En grande douleur je tiendrai désormais mon royaume ;
2915   « Il ne sera point de jour que je n'en gémisse et n'en pleure. Aoi.

CCXXXIX

O. => CCIX
« Ami Roland, vaillant homme, belle jeunesse,
« Quand je serai à ma chapelle d'Aix,
« Des hommes viendront, qui me demanderont de tes nouvelles ;
Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 228.jpg
« Celles que je leur donnerai seront dures et cruelles:
2920   « Il est mort, mon cher neveu, celui qui m'a conquis tant de terres.
« Et voilà que les Saxons vont se révolter contre moi,
«. Les Hongrois, les Bulgares, et tant d'autres peuples,
« Les Romains avec ceux de la Pouille et de la Sicile,
« Ceux d'Afrique et de Califerne.
2925   « Mes souffrances augmenteront de jour en jour.
« Eh ! qui pourrait conduire mon armée avec une telle puissance,
« Quand il est mort, celui qui toujours était à notre tête?
«. Ah! douce France, te voilà orpheline!
« J'ai si grand deuil, que j'aimerais ne pas être. »
2930   Et alors il se prend à tirer sa barbe blanche,
De ses deux mains arrache les cheveux de sa tête :
Cent mille Français tombent à terre, pâmés. Aoi.

CCXL

O. => CCX
« Ami Roland, tu as donc perdu la vie :
« Que ton âme ait place au paradis !
2935   « Celui qui t'a tué a déshonoré la douce France :
« J'ai si grand deuil, que plus ne voudrais vivre.
« Ma maison, toute ma maison est morte à cause de moi.
« Fasse Dieu, le fils de sainte Marie,
« Avant que je vienne à l'entrée des défilés de Cizre,
2940   « Que mon âme soit aujourd'hui séparée de mon corps ;
« Qu'elle aille rejoindre leurs âmes,
« Tandis qu'on enfouira ma chair près de leur chair. »
L'Empereur pleure de ses yeux; il arrache sa barbe :
« Grande est la douleur de Charles, s'écrie le duc Naimes. Aoi.

CCXLI

O. => CCXI
2945   « Sire empereur, » a dit Geoffroi d'Anjou,
« Ne vous laissez point aller à tant de douleur,
« Mais commandez plutôt que, sur le champ de bataille, on cherche tous les nôtres,
« Qui ont été tués par les païens d'Espagne,
« Et que dans un charnier on les transporte. Donnez-en l'ordre.
2950   — Sonnez donc de votre cor, » répond le Roi. Aoi.

CCXLII

O. => CCXII
Geoffroi d'Anjou a sonné de son cor,
Et, sur l'ordre de Charles, les Français descendent de cheval.
Tous leurs amis, qu'ils ont trouvés là morts,
Dans un charnier sont transportés sur l'heure.
2955   II y avait dans l'armée une foule d'évêques et d'abbés,
De moines, de chanoines et de prêtres tonsurés.
Ils donnent aux morts l'absoute et la bénédiction au nom de Dieu.
On fait ensuite brûler de l'encens et de la myrrhe,
Et tous, avec amour, ont encensé les corps.
2960   On les enterre à grand honneur ;
Puis (que pourraient-ils faire de plus?) les Français les ont laissés. Aoi.

CCXLIII

O. => CCXIII
L'Empereur fait mettre à part et garder le corps de Roland,
D'Olivier et de l'archevêque Turpin. Il les fait ouvrir devant lui ;
2965   On dépose leurs cœurs dans une pièce de soie ;
Puis on les met dans des cercueils de marbre blanc.
Ensuite on prend les corps de trois barons,
Et on les enferme en des cuirs de cerf,
Après les avoir bien lavés avec du piment et du vin.
2970   Le roi donne l'ordre à Thibaut et à Gebouin,
Au comte Milon et à Othon le marquis,
De conduire ces trois corps sur trois voitures
Où ils sont recouverts par un drap de soie de Glaza. Aoi.

CCXLIV

Quand il a fait enterrer ses barons,
Sauf les trois qu'il voulait transporter jusqu'à Blaye,
L'empereur Charlemagne se dispose à partir,
O. => CCXIV
2975   Quand tout à coup apparaît à ses yeux l'avant-garde des païens.
Deux messagers se détachent du front de cette armée,
Et, au nom de l'Émir, annoncent la bataille à Charles :
« Roi orgueilleux, tu ne peux plus nous échapper.
« Baligant est là qui chevauche sur tes traces ;
2980   « L'armée qu'il amène d'Arabie est immense ;
« On va bien voir aujourd'hui si tu es vraiment un vaillant. »
Le roi Charles s'arrache la barbe
Au souvenir de sa douleur et du grand désastre
Qu'il a subi à Roncevaux dans la bataille';
Puis sur toute son armée il jette un regard fier,
2985   Et, d'une voix très haute et très forte, s'écrie :
« A cheval , barons français ; à cheval et aux armes ! » Aoi.

CCXLV

O. => CCXV
L'Empereur est le premier à s'armer :
Vite il endosse son haubert,
Lace son heaume et ceint Joyeuse, son épée,
2990   Dont la clarté lutte avec celle du soleil.
Puis à son cou il suspend un écu de Girone,
Saisit sa lance qui fut faite à Blandonne,
Et monte sur son bon cheval Tencendur,
Qu'il a conquis aux gués sous Marsonne ,
2995   Lorsqu'il fit tomber raide mort Malpalin de Narbonne.
Charles lui lâche les rênes, et l'éperonne vivement.
Devant cent mille hommes il fait un temps de galop,
Réclamant Dieu et l'Apôtre de Rome.
Après cette-prière , il n'a plus peur d'être vaincu,
Et tous les Français s'écrient : « Un tel homme est fait pour porter couronne. » Aoi.

CCXLVI

Dans toute la vallée , les Français sont descendus de cheval ,
3000   Et plus de cent mille hommes s'arment ensemble.
Comme leurs armures leur siéent bien !
Leurs chevaux sont rapides, leurs armes belles ;
Leurs gonfanons pendent jusque sur leurs heaumes.
Les voilà qui montent en selle, avec quelle habileté!
3005   S'ils trouvent l'armée païenne, certes, ils lui livreront bataille.
Quand Charles voit si belles contenances,
Il appelle Josseran de Provence,
Le duc Naimes et Anthelme de Mayence :
« En de tels soldats qui n'aurait confiance ?
3010   « Désespérer serait folie.
« A moins que les païens se retirent devant nous,
« Je leur ferai payer cher la mort de Roland.
« — Que Dieu le veuille ! » répond le duc Naimes . Aoi.

CCXLVII

Charles appelle Rabel et Guinemant :
3015   « Je veux, seigneurs, » leur dit le Roi,
« Que vous preniez la place d'Olivier et de Roland;
« L'un de vous portera l'épée, et l'autre l'olifant.
« En tête de toute l'armée, au premier rang, marchez,
« Et prenez avec vous quinze mille Français,
3020   « Tous jeunes, et de nos plus vaillants.
« Après ceux-là, il y en aura quinze mille autres,
« Que commanderont Gebouin et Laurent. »
Naimes le duc et le comte Josseran
Sur-le-champ disposent ces deux corps d'armée.
3025   S'ils rencontrent l'ennemi , quelle bataille !
Que de coups d'épées tranchantes ! Aoi.

CCXLVIII

Ce sont les Français qui composent les premières colonnes de l'armée.
Après ces deux premières on forme la troisième,
Où l'on fait entrer les barons de Bavière,
Qui sont environ trente mille chevaliers.
3030   Certes, ce ne seront point ceux-là qui laisseront la bataille ;
Car sous le ciel il n'est point de peuple que Charles aime autant,
Sauf ceux de France, qui sont les conquérants des royaumes.
Ce sera le comte Ogier le Danois, le brave combattant,
Qui commandera les gens de Bavière. Belle compagnie, en vérité ! Aoi.

CCXLIX

3035   L'empereur Charles a déjà trois corps d'armée ;
Naimes compose le quatrième
Avec des barons qui sont d'un grand courage :
Ce sont des Allemands, des marches d'Allemagne ,
Qui, au dire de tous les autres, ne sont pas moins de vingt mille.
3040   Leurs chevaux sont bons , et leurs armes sont bonnes ;
Plutôt que de quitter le champ, ils mourront.
Leur chef est Hermann, le duc de Thrace ;
Plutôt que de faire une lâcheté, il mourra. Aoi.

CCL

Le duc Naimes et le comte Josseran
3045   Ont fait la cinquième colonne avec les Normands ;
Ils sont vingt mille, au dire de toute l'armée.
Leurs armes sont belles, leurs chevaux sont bons et rapides.
Les Normands mourront, mais ne se rendront pas.
Il n'y a pas sur terre une race qui tienne mieux sur le champ de bataille.
3050   C'est le vieux Richard qui marchera à leur tête,
Et il donnera de bons coups de son épieu tranchant. Aoi.

CCLI

Le sixième corps d'armée est composé de Bretons ;
Ils sont bien quarante mille chevaliers.
Ils ont, à cheval, tous l'air de vrais barons
3055   Avec leurs lances hautes et leurs gonfanons au vent.
Leur seigneur s'appelle Eudes ,
Mais il leur donne pour chefs le comte Nivelon,
Thibaut de Reims et le marquis Othon :
« Conduisez mon peuple à la bataille ; je vous le confie. »
Et tous les trois de répondre : « Nous obéirons à votre ordre. » Aoi.

CCLII

3060   Voici donc six colonnes faites par l'Empereur :
Le duc Naimes forme la septième
Avec les Poitevins et les barons d'Auvergne ;
Ils peuvent bien être quarante mille.
Dieu ! les bons chevaux et les belles armes !
3065   Ils sont là, seuls, dans un vallon, sous un tertre,
Et Charles leur donne sa bénédiction de la main droite :
Leurs capitaines sont Josseran et Gauceline. Aoi.

CCLIII

Quant au huitième corps d'armée Naimes le compose
Avec les Flamands et les barons de Frise :
3070   Plus de quarante mille chevaliers.
Ceux-là, certes, n'abandonneront pas la bataille.
« Ils feront mon service, » dit le Roi.
Ce sera Raimbaud, avec Aimou de Galice,
Qui, par bonne chevalerie, les guidera au combat. Aoi.

CCLIV

3075   Naimes, aidé du comte Josseran,
Forme la neuvième colonne avec de vaillants hommes :
Ce sont ceux de Bourgogne et de Lorraine.
Ils sont bien cinquante mille chevaliers,
Avec leurs heaumes lacés et leurs hauberts.
Ils ont leurs épées au coté et leurs doubles targes au cou ;
3080   Leurs lances sont fortes, et le bois en est court.
Si les Arabes ne reculent point,
S'ils engagent le combat, Lorrains et Bourguignons donneront de fiers coups.
Leur chef est Thierry, le duc d'Argonne. Aoi.

CCLV

Les barons de France forment la dixième colonne.
3085   Ils sont cent mille de nos meilleurs capitaines ;
Ils ont le corps gaillard et fière la contenante,
La tête fleurie et la barbe toute blanche.
Ils ont revêtu leurs doubles broignes et leurs hauberts,
Ils ont ceint leurs épées de France ou d'Espagne ;
3090   Sur leurs écus sont mille signes divers qui les font reconnaître.
Leurs lances sont fortes, et dur en est l'acier ;
Jusqu'aux ongles ils sont armés de mailles de fer.
Ils montent à cheval : « La bataille ! la bataille ! » s'écrient-ils ;
Puis : « Monjoie ! » Charlemagne est avec eux.
Geoffroi d'Anjou porte l'oriflamme,
Qui jusque-là avait nom Romaine, parce qu'elle était l'enseigne de saint Pierre ;
3095   Mais alors même elle prit le nom de Monjoie. Aoi

CCLVI

L'Empereur descend de son cheval
Et se prosterne sur l'herbe verte ;
Puis, tournant ses yeux vers le soleil levant,
Il adresse, du fond de son cœur, une prière à Dieu;
3100   « O vraie Paternité, sois aujourd'hui ma défense.
« C'est toi qui as sauvé Jonas
« De la haleine qui l'avait englouti ;
« C'est toi qui as épargné le roi de Ninive
« Avec sa cité et tout son peuple ;
« C'est toi qui as délivré Daniel d'un horrible supplice ,
3105   « Quand on l'eut jeté dans la fosse aux lions ;
« C'est toi qui as préservé les trois enfants dans la fournaise.
« Eh bien ! que ton amour sur moi veille aujourd'hui ;
« Et, dans ta bonté, s'il te plaît, accorde-moi
« De pouvoir venger mon neveu Roland, »
3110   Charles a fini sa prière; il se relève,
Fait sur son front le signe qui a tant de puissance,
Puis monte sur son cheval courant.
Naimes et Josseran lui tiennent l'étrier.
Il saisit sa lance acérée, son écu.
3115   Son corps est beau, gaillard et avenant ;
Son visage est clair, et belle est sa contenance.
Très ferme sur son cheval, il s'avance.
Et les clairons de sonner par devant , par derrière ;
Le son de l'olifant domine tous les autres.
3120   Les Français ont pitié de Roland, et pleurent. Aoi.

CCLVII

L'Empereur chevauche bellement ;
Sur sa cuirasse il a étalé toute sa barbe,
Et, par amour pour lui, tous ses chevaliers font de même.
C'est le signe auquel on reconnaît les cent mille Français.
3125   Ils passent ces montagnes ; ils passent ces hautes roches ;
Ils traversent ces profondes vallées , ces défilés horribles.
Ils sortent enfin de ces passages, et les voilà hors de ce désert,
Les voilà dans la Marche d'Espagne.
Ils y font halte au milieu d'une plaine...
3130   Cependant Baligant voit revenir ses éclaireurs,
Et un Syrien lui rend compte de son message :
« Nous avons vu, » dit-il, « l'orgueilleux roi Charles :
« Ses hommes sont terribles et ne feront pas faute à leur roi.
« Vous allez avoir bataille : armez -vous.
3135   « - Bonne nouvelle pour les vaillants, » s'écrie Baligant :
« Sonnez les clairons, pour que mes païens le sachent. » Aoi.

CCLVIII

Alors dans tout le camp ils font retentir leurs tambours,
Leurs cors, leurs claires trompettes,
Et les païens commencent à s'armer.
3140   L’Émir ne se veut pas mettre en retard :
Il revêt un haubert dont les pans sont brodés ;
Il lace son heaume couvert de pierreries et d'or,
Et à son flanc gauche ceint son épée.
A cette épée, dans son orgueil, il a trouvé un nom :
3145   A cause de celle de Charlemagne, dont il a entendu parler,
La sienne s'appelle « Précieuse »,
Et ce mot même lui sert de cri d'armes dans la bataille :
Il fait pousser ce cri par tous ses chevaliers.
A son cou il pend un large et vaste écu :
3150   La boucle est d'or, et le bord en est garni de pierres précieuses ;
La guige est couverte d'un beau satin à rosace.
Puis Baligant saisit son épieu, qu'il appelle « Malte »,
Dont le bois est gros comme une massue,
Et dont le fer, à lui seul, ferait la charge d'un mulet.
3155   Baligant monte ensuite sur son destrier ;
Marcule d'outremer lui tient l'étrier.
L'Émir a l'enfourchure énorme,
Les flancs minces, les côtes larges,
La poitrine forte, le corps moulé et beau ,
3160   Les épaules vastes et le regard très clair,
Le visage fier et les cheveux bouclés ;
Il parait aussi blanc que fleur d'été.
Quant au courage, il en a donné mille preuves.
Dieu! s'il était chrétien, quel baron!
3165   II pique son cheval, et le sang sort tout clair des flancs de la bête ;
Il fait un temps de galop, et saute par-dessus un fossé.
Qui peut mesurer cinquante pieds :
« Celui-là, » s'écrient les païens, « saura défendre ses Marches.
« Le Français qui voudra jouter avec lui,
3170   « Bon gré, mal gré, y laissera sa vie.
« Charles est fou de ne pas lui avoir cédé la place ! » Aoi.

CCLIX

L'Émir a tout l'air d'un vrai baron.
Sa barbe est aussi blanche qu'une fleur;
C'est, parmi les païens, un homme sage
3175   Et qui dans la bataille est terrible et fier.
Son fils Malprime est aussi très chevaleresque ;
Il est grand, il est fort, il tient de ses ancêtres:
« En avant , » dit-il à son père , « en avant !
« Je me demande si nous allons voir Charles.
3180   « — Oui, » répond Baligant, « car c'est un vaillant.
« Dans mainte histoire on parle de lui avec un grand honneur.
« Mais il n'a plus son neveu Roland,
« Et devant nous ne pourra tenir pied. » Aoi.

CCLX

« Beau fils Malprime , » dit Baligant ,
3185   « Roland le bon vassal est mort hier,
« Avec Olivier le preux et le vaillant,
« Avec les douze Pairs qui étaient tant aimés de Charles ,
« Et vingt mille combattants de France.
« Quant à tous les autres, je ne les prise pas un gant.
3190   « Il est certain que l'Empereur est revenu, qu'il est là ;
« Mon messager, le Syrien , vient de me l'annoncer :
« Charles a formé dix corps d'armée immenses.
« Il est brave, celui qui fait retentir l'olifant.
« Et son compagnon aussi qui sonne d'une trompette claire ;
3195   « Tous deux chevauchent en tête de l'armée, devant le premier rang ;
« Quinze mille Français sont avec eux,
« De ces jeunes bacheliers que Charles appelle « enfants ».
« Et il y en a quinze mille autres derrière eux
« Qui très fièrement frapperont. »
3200   Malprime alors : « Je vous demande l'honneur du premier coup. » Aoi.

CCLXI

« — Beau fils Malprime, » dit Baligant,
« Tout ce que vous me demandez, je vous l'accorde,
« Donc allez sans plus tarder assaillir les Français.
« Emmenez avec vous Torleu, le roi de Perse,
3205   « Dapamort, le roi des Leutis.
« Si vous pouvez mater le grand orgueil de Charles
« Et empêcher l'olifant de résonner avec ce cri vainqueur,
« Je vous donnerai un pan de mon royaume,
« Tout le pays depuis Cheriant jusqu'au Val-Marquis.
« Merci, mon seigneur, » répond Malprime.
3210   II passe en avant, et reçoit la tradition symbolique de ce présent.
Or c'était la terre qui appartint jadis au roi Fleuri.
Mais jamais Malprime ne devait la voir;
Jamais Malprime n'en devait être investi ni saisi. Aoi.

CCLXII

A travers tous les rangs de son armée chevauche l'Émir;
3215   Son fils, qui a la taille d'un géant, le suit partout,
Avec le roi Torleu et le roi Dapamort.
Ils divisent alors leur armée en trente colonnes,
(Ils ont tant et tant de chevaliers !);
Le plus faible de ces corps d'armée n'aura pas moins de cinquante mille hommes.
3220   Le premier est composé des gens de Butentrot ;
Judas, qui livra Dieu pour de l'or, Judas était de ce pays.
Dans le second corps sont les Misnes à la tête énorme.
Au milieu du dos, leur échine
Est couverte de soies, tout comme sangliers.
La troisième colonne est formée de Nubiens et de Bios;
3225   La quatrième , de Bruns et d'Esclavons ;
La cinquième, de Sobres et de Sors ;
La sixième, de Mores et d'Arméniens.
Dans la septième sont ceux de Jéricho ;
Les Nègres forment la huitième, et les Gros la neuvième ;
3230   La dixième enfin est composée des chevaliers de Balide-la-Forte ;
C'est un peuple qui jamais ne voulut le bien.
L'Émir prend à témoin, par tous les serments possibles,
La puissance et le corps de Mahomet :
« Charles de France est fou de chevaucher ainsi ;
3235   « Nous allons avoir bataille, et, s'il ne la refuse point ,
« Il ne portera plus jamais couronne d'or en tête. » Aoi.

CCLXIII

Les païens forment ensuite dix autres corps d'armée :
Le premier est formé des Chananéens, horribles à voir;
Ils sont venus de Val-Fui, par le travers.
3240   Les Turcs composent la seconde colonne, et les Persans la troisième.
Dans la quatrième on voit encore des Persans, avec des Pinceneis;
La cinquième est formée de Soltras et d'Avares ;
La sixième , d'Ormalois et d'Euglès ;
La septième, de la gent Samuel ;
3245   Les hommes de Prusse composent la huitième, et les Esclavons la neuvième.
Quant à la dixième, on y voit la gent d'Occiant la déserte :
C'est une race qui ne sert pas le Seigneur Dieu,
Et vous n'entendrez jamais parler d'hommes plus félons.
Leur cuir est dur comme du fer :
3250   Pas n'ont besoin de heaume ni de haubert.
En la bataille, rien n'égale leur félonie et cruauté. Aoi.

CCLXIV

L'Émir lui-même a formé dix autres corps d'armée.
Dans le premier il a mis les géants de Malprouse ;
Dans le second les Huns, et dans le troisième les Hongrois ;
3255   Dans le quatrième, les gens de Baldise-la-Longue,
Et dans le cinquième, ceux de Val-Peineuse ;
Dans le sixième, ceux de Joie et de Maruse.
Dans le septième sont les Leus et les Thraces.
Les hommes d'Argoilles composent le huitième, et ceux de Clairbonne le neuvième ;
3260   Enfin les soldats barbus de Val-Fonde forment le
dixième et dernier corps d'armée :
C'est une race qui fut toujours l'ennemie de Dieu.
Tel est, d'après les Chroniques de France, le dénombrement de ces trente colonnes.
Elle est grande, cette armée où tant de clairons retentissent !
Voici que les païens s'avancent, et ils ont tous l'air de vaillants soldats... Aoi.

CCLXV

3265   L'Émir, — un très riche et très puissant homme, -
A fait devant lui porter le Dragon qui lui sert d'enseigne,
Avec l'étendard de Tervagan et de Mahomet,
Et une idole d'Apollon, ce méchant dieu.
Dix Chananéens chevauchent alentour,
3270   Et s'écrient d'une voix très haute ,
« Qui veut être préservé par nos dieux
« Le prie et serve à genoux. »
Païens alors de baisser la tête et le menton,
Et d'incliner leurs heaumes clairs.
3275   « Misérables ! » leur crient les Français, « voici l'heure de votre mort.
« Puissions-nous aujourd'hui vous voir honteusement vaincus !
« Que notre Dieu préserve Charlemagne,
« Et que cette bataille soit une victoire pour notre empereur ! » Aoi.

CCLXVI

L’Émir est un homme de grand savoir;
3280   II appelle son fils et les deux rois :
« Seigneurs barons, votre place est sur le front de l'armée,
« Et c'est vous qui conduirez toutes mes colonnes ;
« Je n'en garde avec moi que trois, mais des meilleures :
« L'une composée de Turcs, l'autre d'Ormalois,
3285   « La troisième des géants de Malprouse.
« Les gens d'Occiant resteront à mes côtés,
« Et je les mettrai aux prises avec Charles et les Français.
« Si l'Empereur veut lutter avec moi,
« Il aura la tête séparée du buste :
3290   « Qu'il en soit bien certain; il n'a droit qu'à cela. » Aoi.

CCLXVII

Les deux armées sont immenses, splendides les bataillons.
Entre les combattants il n'y a ni colline, ni tertre, ni vallée,
Ni forêt, ni bois ; rien qui les puisse cacher les uns aux autres.
C'est une vallée découverte où ils se voient à plein les uns les autres.
3295   « A cheval, » s'écrie Baligant, « armée païenne,
« A cheval, et engagez la bataille. »
C'est Amboire d'Oliferne qui porte l'enseigne des païens ;
Et ceux-ci de pousser leur cri : <r Précieuse! »
Et les Français de leur répondre : « Que Dieu vous perde aujourd'hui ! »
3300   Et de répéter cent fois d'une voix forte : «. Monjoie ! Monjoie ! »
L'Empereur fait alors sonner tous ses clairons,
Et surtout l'olifant, qui les domine tous.
« La gent de Charles est belle, » s'écrient les païens;
Ah ! nous aurons une rude et terrible bataille! » Aoi.

CCLXVIII

CCLXVIII[NDLR 1]
O. => CCXLIII
3305   Vaste est la plaine , vaste est le pays ,
Et grande est l'armée qui y est assemblée.
Voyez-vous luire ces heaumes couverts de pierreries et d'or?
Voyez-vous étinceler ces écus, ces broignes bordées d'orfroi,
Ces épieux et ces gonfanons au bout des lances?
Entendez-vous ces trompettes aux voix si claires?
3310   Entendez-vous surtout le son prolongé de l'olifant?
L'Émir appelle alors son frère,
Canabeu, le roi de Floredée,
Qui tient la terre jusqu'à Valsevrée.
Et Baligant lui montre les colonnes de Charles :
3315   s N'oyez l'orgueil de France la louée.
« Avec quelle fierté chevauche l'Empereur !
« Il est là-bas, tenez, au milieu de ces chevaliers barbus ;
« Ils ont étalé leur barbe sur leur haubert,
« Leur barbe aussi blanche que neige sur gelée.
3320   « Certes, ils frapperont bons coups de lances et d'épées,
« Et nous allons avoir une rude, une formidable bataille :
« Jamais on n'en aura vu de pareille, »
Alors, de plus loin que le jet d'un bâton,
Baligant dépasse les premiers rangs de son armée,
3325   Et lui fait cette petite harangue :
« En avant ! païens, en avant, je vous montre la route. »
Il brandit alors le bois de sa lance
Et en tourne le fer du côté de Charlemagne. Aoi.

CCLXIX

Charles le Grand, quand il aperçoit l'Émir,
3330   Le Dragon , l'enseigne et l'étendard ;
Quand il voit les Arabes en si grand nombre,
Quand il les voit couvrir toute la contrée
Hormis la place occupée par l'Empereur,
Le roi de France alors s'écrie à pleine voix :
3335   « Barons français, vous êtes de bons soldats.
« Combien de batailles n'avez-vous pas déjà livrées !
« Or voici les païens devant nous : ce sont des félons et des lâches,
« Et toute leur loi ne leur vaut un denier.
« Mais ils sont nombreux, direz-vous. Eh ! qu'importe?
3340   « Qui veut marcher me suive !
« Quant à moi, je les attaquerai quand même. »
Alors Charles pique son cheval ,
Et Tencendur fait quatre sauts.
« Comme le Roi est brave ! » disent les Français.
« Aucun de nous ne vous fait défaut, Sire : chevauchez. » Aoi.

CCLXX

3345   Le jour fut clair, brillant fut le soleil.
Les deux armées sont belles à voir, et leurs bataillons sont immenses.
Mais déjà les premières colonnes sont aux prises.
Le comte Rabel et le comte Guinemant
Ont lâché les rênes à leurs destriers rapides
3350   Et donnent vivement de l'éperon. Tous les Français se lancent au galop,
Et, de leurs épieux tranchants, commencent à donner de grands coups. Aoi.

CCLXXI

C'est un vaillant chevalier que le comte Rabel ;
Des éperons d'or fin il pique son cheval,
Et va frapper Torleu , le roi de Perse ;
3355   Pas d'écu, pas de haubert qui puisse résister à un tel coup.
Le fer doré est entré dans le corps du roi païen,
Et Rabel sur un buisson fleuri l'abat raide mort.
« Que le Seigneur Dieu nous vienne en aide ! » crient les Français ;
« Nous ne devons pas faire défaut à Charles, le droit est pour lui. » Aoi.

CCLXXII

3360   Guinemant, de son côté, joute avec le roi des Leutis;
Le bouclier du païen, orné de fleurs peintes, est en pièces,
Son haubert en lambeaux,
Et le gonfanon de Guinemant lui est tout entier entré dans le corps.
Qu'on en pleure ou qu'on en rie, le Français l'abat mort.
3365   Témoins de ce beau coup, tous les Français s'écrient :
« Pas de retard, barons, frappez.
« Charlemagne a pour lui le droit contre les païens ;
« Et c'est ici le véritable jugement de Dieu. » Aoi.

CCLXXIII

Sur un cheval tout blanc voici Malprime,
3370   Qui s'est lancé dans le milieu de l'armée française.
Il y frappe, il y refrappe de grands coups,
Et sur un mort abat un autre mort.
Baligant le premier s'écrie :
« mes barons, ô vous que j'ai si longtemps nourris,
3375   « Voyez mon fils, comme il cherche Charles,
« Et combien de barons il provoque au combat !
« Je ne saurais souhaiter meilleur soldat :
« Allez le secourir avec le fer de vos lances. »
A ces mots , les païens font un mouvement en avant ;
3380   Ils frappent de fiers coups ; la mêlée est rude ;
Pesante et merveilleuse est la bataille ;
Jamais, avant ce temps ni depuis, jamais il n'y en eut de pareille. Aoi.

CCLXXIV

Les armées sont immenses, fiers sont les bataillons;
Toutes les colonnes sont aux prises.
3385   Dieu ! quels coups frappent les païens !
Dieu ! que de lances brisées en deux tronçons !
Que de hauberts démaillés ! que d'écus en morceaux !
La terre est tellement jonchée de cadavres,
Que l'herbe des champs, l'herbe fine et verte,
3390   Est tout envermeillée par le sang.
L'Émir alors fait un nouvel appel aux siens :
« Frappez sur les chrétiens, frappez, barons. »
La bataille est rude, elle est acharnée.
Ni avant ce temps, ni depuis lors, on n'en vit jamais
d'aussi forte ni d'aussi fière :
3395   La mort seule pourra séparer les combattants. Aoi.

CCLXXV

L'Émir appelle les siens :
« Vous n'êtes venus que pour frapper, frappez.
« Je vous donnerai de belles femmes ;
« Vous aurez des biens, des fiefs, des terres
3400   « — Oui, notre devoir est de frapper, » lui répondent les païens.
A force d'assener de grands coups, ils perdent leurs lances,
Et alors cent mille épées sont tirées des fourreaux.
La mêlée est douloureuse, elle est horrible.
Ah ! ceux qui furent là virent une vraie bataille. Aoi.

CCLXXVI

3405   L'Empereur exhorte ses Français :
« Seigneurs barons, je vous aime et ai confiance en vous.
« Vous avez déjà livré pour moi tant de batailles,
« Conquis tant de royaumes, détrôné tant de rois !
« Je vous en dois le salaire, c'est vrai, je le reconnais.
3410   « Ce salaire, ce seront des terres, de l'argent, mon corps même, s'il le faut.
« Or donc, vengez vos fils, vos frères et vos hoirs,
« Qui l'autre jour sont morts à Roncevaux.
« Vous savez que le droit est pour moi contre les païens.
« — C'est la vérité, Sire, » répondent les Français.
3415   Charles en a vingt mille avec lui,
Qui d'une seule voix lui engagent leur foi.
Quelle que soit leur détresse, et même devant la mort, ils ne feront jamais défaut à l'Empereur.
Tous alors jouent de leur lance
Et frappent sans retard de l'épée.
3420   La bataille est pleine de merveilleuse angoisse. Aoi.

CCLXXVII

Malprime, le baron, chevauchait au milieu de la mêlée,
Et il y avait fait un grand massacre de Français ;
Mais voici que le duc Naimes lui lance un regard terrible ,
Et d'un très vigoureux coup va le frapper.
3425   II lui arrache le cuir qui recouvre le haut de son écu,
Lui enlève l'orfroi qui ornait les deux pans de son haubert,
Et lui enfonce dans le corps son gonfanon de couleur jaune.
Entre sept cents autres il l'abat raide mort. Aoi.

CCLXXVIII

Le roi Canabeu, le frère de l'Emir,
3430   Pique alors son cheval des éperons,
Tire son épée au pommeau de cristal,
Et en frappe Naimes sur le heaume princier :
Il en fracasse la moitié,
Et, du tranchant de l'acier, coupe cinq des lacs qui le retenaient.
3435   Le capelier ne saurait préserver le duc ;
La coiffe est tranchée jusqu'à la chair,
Et un lambeau en tombe à terre.
Le coup fut rude, et Naimes en fut abasourdi comme par la foudre ;
Il fût tombé sans l'aide de Dieu.
3440   II est là, qui se retient par le bras au cou de son cheval :
Si le païen frappe un second coup,
C'en est fait du noble vassal , il est mort !
Mais Charles de France arrive à son secours. Aoi.

CCLXXIX

Dieu ! dans quelle angoisse est le duc Naimes !
3445   Le païen va se hâter de le frapper encore !
« Misérable! ce coup te portera malheur, » dit alors la voix de Charles.
Et, très vaillamment, le roi s'élance sur le Sarrasin;
Il lui brise son écu, le lui fracasse contre le cœur,
Lui rompt la ventaille du haubert,
Lui passe sa grande lance à travers le corps,
3450   Et l'abat raide mort. La selle reste vide. Aoi.

CCLXXX

Grande fut la douleur du roi Gharlemagne ,
Quand il vit le duc Naimes blessé là , devant lui ,
Quand il vit courir le sang clair sur l'herbe verte.
Alors il lui a donné un bon conseil :
3455   « Beau sire Naimes, chevauchez tout près de moi.
« Quant au misérable qui vous a mis en cette détresse, il est mort;
« Je lui ai mis mon épieu dans le corps.
« — Je vous crois, Sire, » répond le duc,
« Et, si je vis, vous serez bien payé d'un tel service. »
3400   Lors ils vont l'un près de l'autre par amour et par foi.
Vingt mille Français marchent avec eux,
Qui tous donnent de rudes coups et se battent fièrement. Aoi.

CCLXXXI

A travers la bataille chevauche l'Émir,
Qui tient en son poing son grand épieu tranchant.
Il se jette sur le comte Guinemant,
3465   Contre le cœur lui fracasse l'écu blanc,
Met en pièces les pans du haubert,
Lui partage les côtes,
Et l'abat mort de son cheval rapide.
L'Émir ensuite tue Gebouin, Laurent,
3470   Et le vieux Richard, seigneur des Normands.
« La brave épée que Précieuse! » s'écrient alors les païens :
« Nous avons là un puissant champion. Frappez, barons, frappez, Aoi.

CCLXXXII

Il fait beau voir les chevaliers païens,
Ceux d'Occiant, ceux d'Argoilles et de Bascle
3785   Frapper dans la mêlée de beaux coups de lance ;
Mais les Français n'ont pas envie de leur céder le champ.
Il en meurt beaucoup des uns et des autres,
Et jusqu'au soir la bataille est très rude.
Les barons de France firent là de grandes pertes.
3480   Que de douleurs encore avant la fin de la journée Aoi.

CCLXXXIII

Français et Arabes frappent à qui mieux mieux ;
Le bois et l'acier fourbi des lances sont mis en pièces.
Ah ! qui eût vu tant d'écus en morceaux,
Qui eût entendu le heurt de ces blancs hauberts
3485   Et de ces heaumes qui grincent contre les boucliers ;
Qui eût alors vu tomber tous ces chevaliers,
Et les hommes pousser des hurlements de douleur et mourir à terre,
Celui-là saurait ce que c'est qu'une grande douleur!
La bataille est rude à supporter,
3490   Et l'Émir invoque Apollon,
Tervagan et Mahomet :
« Je vous ai bien servis, seigneurs mes dieux !
« Eh bien! je veux faire plus, et vous élèverai d'autres statues, tout en or fin,
« Si vous me secourez contre Charles. »
3495   En ce moment Gémallin, un ami de l'Émir, se présente à ses yeux ;
Il lui apporte de mauvaises nouvelles, et lui dit :
« La journée est mauvaise pour vous, sire Baligant.
« Vous avez perdu Malprime, votre fils,
« Et l'on vous a tué Canabeu, votre frère.
3500   « Deux Français ont eu l'heur de les vaincre ;
« L'un d'eux, je pense, est l'Empereur;
« II a le corps immense et tout l'air d'un marquis.
« Sa barbe est blanche comme fleur en avril. »
L'Émir alors baisse son heaume
3505   Et laisse tomber sa tête sur sa poitrine ;
Sa douleur est si grande, qu'il pense mourir sur l'heure...
Il appelle Jangleu d'outre-mer. Aoi.

CCLXXXIV

« Avancez, Jangleu, » dit l'Émir.
« Vous êtes preux, vous êtes de grand savoir,
3510   « Et j'ai toujours suivi votre conseil.
« Eh bien ! que vous semble des Arabes et des Français?
« Aurons-nous ou non la victoire?
« — Baligant, » répond Jangleu, « vous êtes un homme mort.
« N'espérez point le salut dans vos dieux :
3515   « Charles est fier, vaillants sont ses hommes,
« Et jamais je ne vis race mieux faite pour la bataille.
« Cependant appelez vos chevaliers d'Occiant ;
« Mettez en lignes Turcs et Entrons, Arabes et Géants,
« Et faites sans retard ce qu'il faut faire. » Aoi.

CCLXXXV

3520   L'Émir a étalé sa barbe sur sa cuirasse,
Sa barbe aussi blanche que fleur d'aubépine.
Quoi qu'il arrive, il ne se veut point cacher.
Il met à sa bouche une trompette claire,
Et clairement la sonne, si bien que ses païens l'entendent.
3525   Alors sur le champ de bataille il rallie toutes ses colonnes,
Et ceux d'Occiant de hennir et de braire,
Et ceux d'Argoilles d'aboyer et de glapir comme des chiens ,
Puis comme des fous furieux, ils cherchent les Français,
Se jettent au plus épais, rompent et coupent en deux l'armée de Charles,
3530   Et du coup jettent à terre sept mille morts. Aoi.

CCLXXXVI

Le comte Ogier ne sait ce qu'est la couardise;
Jamais meilleur soldat ne vêtit le haubert,
Quand il voit les colonnes françaises rompues et coupées,
Il appelle Thierry, le duc d'Argonne,
2535   Geoffroi d'Anjou et le comte Joceran.
Et adresse à Charles ce fier discours :
« Voyez comme les païens vous tuent vos hommes.
« A Dieu ne plaise que vous portiez encore couronne au front.
« Si vous ne frappez ici de rudes coups pour venger votre honte! »
3540   Personne ne répond un mot, personne;
Mais tous donnent avec fureur de l'éperon, et lâchent les rênes à leurs chevaux.
Partout où ils rencontrent les païens, ils vont les frapper... Aoi.

CCLXXXVII

Il frappe bien, le roi Gharleroagne ;
Ils frappent bien, le duc Naimes et Ogier le Danois ;
3545   Il frappe bien, Geoffroi d'Anjou, qui porte l'enseigne royale ;
Mais quelle prouesse surtout que celle de monseigneur Ogier !
Il pique son cheval, lui lâche les rênes,
Et se jette sur le païen qui tient le Dragon ;
Si bien que sur place il écrase à la fois
3550   Le Dragon et l'enseigne de l'Émir.
Baligant voit ainsi tomber son gonfanon ;
Il voit l'étendard de Mahomet rester sans défense.
L'Émir commence à s'apercevoir
Que le droit est du côté de Charles, que le tort est de son côté.
3555   Et déjà voici les païens qui montrent moins d'ardeur.
Et l'Empereur d'appeler ses Français :
« Dites, barons, pour Dieu, m'aiderez-vous?
« — Le demander serait une injure, répondent-ils.
« Maudit soit qui de tout cœur ne frappe ! » Aoi

Notes originales

2910. A Laon

2910.↑ A Laon. Ce couplet est fondé sur une légende du Xe siécle et le suivant, où il s'agit d'Aix, sur une tradition du VIIIe ou du IXe siècle.

2944. Grande est la douleur de Charles

2944.↑ Grande est la douleur de Charles On lit ici, dans la Karlamagnus Saga (ch. xxxix) et dans la Keiser Karl Magnus's kronike, un très curieux épisode qui ne se trouve nulle part ailleurs... Le roi envoie tour à tour plusieurs chevaliers pour prendre l'épée de Roland. Ils ne réussissent pas à l'arracher des mains du mort. Charles en envoie cinq autres a LA FOIS, « un pour chaque doigt. » Peines perdues.

L'Empereur s'aperçoit que, pour toucher à cette épée merveilleuse, il faut être aussi bon chevalier que Roland. Il se met à prier Dieu, puis s'approche de l'épée de son neveu, e1 s'en empare très facilement. Il en garda très précieusement le pommeau, qui était plein de reliques ; mais, quant à la lame, il la jeta dans l'eau, loin de la terre, «parce qu'il savait qu'il n'appartenait à personne de la porter après Roland. ».

2969. Lavés avec du piment et du vin

2969.↑ Lavés avec du piment et du vin. « D'autres poèmes, dit M. d'Avril, mentionnent l'opération qui consistait à laver les corps des défunts avec de l'eau, du vin et du piment. » Cf. notamment Raoul de Cambrai :

Le cors li levé de froide eau et de vin.
(Édition Le Glay, p. 329.)

Dans Garin le Loherain (trad. P. Paris, p. 249-253), on voit aussi que les corps étaient enfermés en des outres de cuir, etc.

2973. Glaza

2973.↑ Glaza. Le manuscrit nous donne: Palie Galazin. De Lajazzo, que Marco Polo appelle Glaza. (Cf. F. Michel, Étoffes de soie, d'or et d'argent, I, 329.)

2974. L'Empereur Charlemagne se dispose à partir

2974.↑ L'Empereur Charlemagne se dispose à partir, etc. La Karlamagnus Saga et la Keiser Karl Magnus's kronike omettent ici tout l'épisode de Baligant, pour en arriver immédiatement au récit des dernières funérailles des héros morts à Roncevaux et au jugement de Ganelon.

Le manuscrit de Lyon passe également sous silence tout l'épisode de Baligant et la grande bataille de Saragosse, pour raconter sur-le-champ la rentrée de l'Empereur en « douce France », et l'histoire du message près de Girart et de Gilles.

Cf. la note du vers 3680.


3019. Quinze mille Français

3019.↑ Quinze mille Français.

C'est ici que le manuscrit de Versailles met en scène les Parisiens, qu'il couvre d'éloges :

Ensemble o vos XX. M. Parisant,
— Tuit bacheler e nobile cunquerant.

Mais il est trop visible, à l'assonance, que le mot Parisant a été introduit de force.


3090. Escuz de multes conoisances

3090.↑ Escuz de multes conoisances. (Manuscrit d'Oxford.) Vers obscur. C'est la seule trace que nous trouvions, en notre poème, d'un ornement de l'écu qui, suivant quelques érudits, pourrait, de près ou de loin, ressembler à des armoiries. Or ce n'étaient en aucune façon de vraies armoiries ; mais un signe quelconque, ou plutôt une multitude de signes divers pour se reconnaître dans la bataille.

Dans Aspremont, les chevaliers de Charlemagne, que le poète assimile à des croisés,

a lor aunes vont la crois acousant :
— Por ce sera l'un l'autre conoisant.
(B. N. 2495, f° 125.)

Mais le Roland n'indique encore rien de semblable, et c'est une probabilité de plus en faveur de ceux qui le croient antérieur aux croisades.

3093. Oriflamme

3093.↑ Oriflamme.

Nous allons résumer, en quelques propositions , les derniers travaux sur les origines de l'oriflamme.

1° La plus ancienne représentation de l'oriflamme nous est offerte par les mosaïques du triclinium de Saint-Jean-de-Latran, à Rome (IXe siècle).
2° Sur l'une de ces deux mosaïques, on voit Charlemagne recevoir des mains de saint Pierre une bannière verte qui est l'étendard de la ville de Rome ou des papes. (Voir fig. a ci-contre et le Charlemagne d'Alphonse Vetaul. Marne, 1877, frontispice.)
Fig. a.
3° Dans la seconde mosaïque, le même Charlemagne reçoit des mains du Christ une bannière rouge qui est l'étendard de l'Empire. (Fig. b.)
Fig. b.
4° Mais il est arrivé que l'auteur du Roland et nos autres poètes ont confondu entre elles les deux bannières. Dans la bannière rouge, ils ont vu la bannière des papes, celle de saint Pierre, celle qui a nom Romaine.
5° Plus tard, vers la fin du XIe siècle, lorsque les rois capétiens furent devenus comtes du Vexin et avoués de l'abbaye de Saint-Denis, ils nouèrent le souvenir du vieil étendard rouge de Charlemagne avec le fait de cette oriflamme nouvelle qu'ils allaient prendre à Saint-Denis. Bref, il y eut fusion ou confusion entre l'oriflamme carlovingienne et l'oriflamme

capétienne. Et c'est ainsi que nous arrivons au xn e siècle, époque où la question cesse d'avoir pour nous un véritable intérêt.

Voir les Recherches sur les drapeaux français, de M. Gustave Desjardins, pp. 1-8, et le Drapeau de la France, de M. Marius Sepet, pp. 21 et suiv.

3095. Monjoie

3095.↑ Suivant M. Marius Sepet (Histoire du drapeau, pp. 25 et suiv.; 269 et suiv.), Montjoie, Mons gaudii, serait le nom de cette même colline au N.-O. do Rome, sur la rive droite du Tibre, vis-à-vis du Champ-de-Mars, qui est beaucoup plus célèbre sous le nom de « Vatican ».

Ce terme, Mons gaudii , se trouve dans plusieurs historiens : Dans Othon de Frissingen (De gestis Friderici, xxxii), dans la Chronique du Mont-Cassin (lib. IV, cap. xxxix ) et dans la Vie de Louis le Gros, par Suger. Le mot Montjoie est employé, avec le même sens, dans Amis et Amiles, etc. (C' est par celle colline que les Empereurs faisaient volontiers leur entréednans Rome , et c'est là que les pèlerins, après un long et pénible voyage, apercevaient pour la première fois la basilique des Saints-Apôtres. D'où peut-être ce nom caractéristique : Mons gaudii, dont l'origine serait ainsi toute chrétienne.

Or c'est probablement sur cette colline qu'en présence de l'année franke rangée sur le Champ-de-Mars, le pape Léon III remit à Charlemagne cette célèbre bannière dont la représentation se trouve au triclinium de Saint-Jean-de-Latran.


A cause de l'emplacement où avait eu lieu la remise de la bannière Romaine, cette bannière garda le nom de Monjoie, et le cri des Français fut Monjoie.

Plus tard, quand la bannière suprême fui l'étendard de Saint-Denys, il eût été naturel que le cri fût Saint-Denys ! Mais comme le cri antique et traditionnel depuis Charlemagne était Monjoie! les deux cris se joignirent en un seul, et l'on eut Monjoie Saint-Denys !

3100. O vraie Paternité

3100.↑ O vraie Paternité, etc. Les prières qui se trouvent dans le Roland sont d'une remarquable brièveté. Celles des poèmes postérieurs sont d'une longueur interminable, et c'est un signe de décadence poétique.

3217. Trente colonnes

3217.↑ Trente colonnes, etc. Ici commence l'énumération des différents peuples païens qui composent la grande armée de Baligant. Or. parmi ces peuples, les uns sont historiques, les autres imaginaires.

3221. A la tête énorme

3221.↑ A la tête énorme. Le moyen âge croyait à l'existence des monstres, qu'Honoré d'Autun , en son Imago mundi, décrit avec complaisance. Il nous parle des Macrobes, qui ont douze coudées de haut, et de certains pygmèes, qui, dans l'Inde, n'uni que deux coudées et s'occupent sans cesse à combattre les grues. « Il y a d'autres monstres dans l'Inde qui ont les pieds retournés, et huit doigts à chaque pied; d'autres n'ont qu'un œil; d'autres enfin n'ont qu'un pied, sur lequel ils peuvent courir avec une élégante rapidité, etc. etc. » Telles étaient les idées qui circulaient alors dans les écoles et parmi le peuple. La plupart venaient de l'antiquité.

3238. Chananéens

3238.↑ : c'esl ainsi que nous traduisons Canecius. Les Canelius, Chenelius ou Quenilius font souvent figure dans nos Chansons de geste (Roland, 3238 el 3269; Aïe d'Avignon, 1699; Jérusalem, éd. Hippeau, 7431, 8130; Chanson des Saismes; Girars de Roussillon, manuscrit de Paris, v. 3929, etc.)

L'étymologie évidente est Chananæus , comme l'a prouvé M. Paul Meyer (Romania, VII, p. 441).

Un seul des textes qu'il a cités suffisait à cette démonstration. ( C'es1 celui d'un « Abrégé d'Histoire sainte ») en provençal (Lespy cl Raymond, Récits d'Histoire sainte en béarnais, 1, 1876, p. 142), où les mots Chananæaeum el Amorrhæum sont exactement traduits par Caninieu et Amorieu.

3434. Cinq des lacs

3434.↑ Cinq des lacs. M. Viollet-le-Duc, en son Dictionnaire du mobilier, dit avoir vu , sur un heaume du XIIe siècle, plusieurs trous qui devaient servir à faire passer les lacs qui fixaient le heaume au capuchon de mailles.

3435. Capelier

3435.↑ C'était une petite plaque de fer que les chevaliers porlaieut sous le heaume et sous le capuchon de mailles pour mieux préserver leur crâne contre les coups d'épée.



Facsimilés

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Voir aussi

Notes de la rédaction
  1. La numérotation de cette laisse est erronée dans l'ouvrage
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