La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition populaire/1895/Partie 2/Mort d'Olivier : Différence entre versions

De Wicri Chanson de Roland
(Partie brute d'OCR)
(Les couplets (laisses))
 
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1940 'Les païens, quand ils s'aperçoivent qu'il y a si peu de
 
Français ,
 
En sont remplis d'orgueil et tout réconfortés entre
 
  
eux :  
+
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« Non, non, » disent-ils l'un à l'autre, <r le droit  
+
|-
 
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|1940&nbsp;&nbsp;
n'est pas pour l'Empereur. »  
+
| Les païens, quand ils s'aperçoivent qu'il y a si peu de Français,
Le Calife montait un cheval roux;  
+
|-
De ses éperons d'or il le pique ,  
+
|
1945 Frappe Olivier par derrière dans le milieu du dos,  
+
|En sont remplis d'orgueil et tout réconfortés entre eux :
Dans le corps même lui brise les mailles du blanc  
+
|-
 
+
|
haubert ,
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|« Non, non, » disent-ils l'un à l'autre, « le droit n'est pas pour l'Empereur. »
Et la lance du païen passe de l'autre côté de la poi-  
+
|-
trine :
+
|
« Voilà un rude coup pour vous, » lui dit-il;  
+
|Le Calife montait un cheval roux;
« Charles fut mal inspiré de vous laisser aux défilés.  
+
|-
1950 « L'Empereur nous fit tort, mais n'aura guère lieu  
+
|
de s'en louer;  
+
|De ses éperons d'or il le pique ,
« Car sur vous seul j'ai bien vengé tous les nôtres. »  
+
|-
 
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|1945&nbsp;&nbsp;
Aoi.
+
| Frappe Olivier par derrière dans le milieu du dos,
 +
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|Dans le corps même lui brise les mailles du blanc haubert ,
 +
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|Et la lance du païen passe de l'autre côté de la poitrine :
 +
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|« Voilà un rude coup pour vous, » lui dit-il;
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|« Charles fut mal inspiré de vous laisser aux défilés.
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|1950&nbsp;&nbsp;
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| « L'Empereur nous fit tort, mais n'aura guère lieu de s'en louer;
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|« Car sur vous seul j'ai bien vengé tous les nôtres. » Aoi.
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===<center>'''CLXXIII'''</center>===
 
===<center>'''CLXXIII'''</center>===
Olivier sent qu'il est blessé à mort,  
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{|
 
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Et plus ne veut tarder à se venger.  
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|
 
+
|Olivier sent qu'il est blessé à mort,
Dans son poing est Hauteclaire, dont l'acier fut  
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bruni :  
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|
 
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|Et plus ne veut tarder à se venger.
Il en frappe le Calife sur le heaume aigu couvert  
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d'or,  
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1955 Et il en fait tomber à terre les pierres et les cris-  
+
|Dans son poing est Hauteclaire, dont l'acier fut bruni :
taux ;
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|-
 
+
|
Il lui tranche la tête jusqu'aux dents;  
+
|Il en frappe le Calife sur le heaume aigu couvert d'or,
 
+
|-
Il brandit son coup, et l'abat raide mort :  
+
|1955&nbsp;&nbsp;
 
+
| Et il en fait tomber à terre les pierres et les cristaux ;
« Maudit sois-tu, païen! » lui dit-il ensuite.  
+
|-
« Je ne dis pas que Charles n'ait rien perdu ;  
+
|
1960 Mais, certes, ni à ta femme ni à aucune autre dame  
+
|Il lui tranche la tête jusqu'aux dents;
« Tu n'iras te vanter, dans le pays où tu es né,  
+
|-
« D'avoir pris à l'Empereur la valeur d'un denier,  
+
|
« Ni de lui avoir fait dommage soit de moi, soit  
+
|Il brandit son coup, et l'abat raide mort :
 
+
|-
d'autrui. »  
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|
Puis : « Roland! » s'écrie-t-il, « Roland! à mon  
+
|« Maudit sois-tu, païen! » lui dit-il ensuite.
secours! » Aoi.
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|« Je ne dis pas que Charles n'ait rien perdu ;
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|1960&nbsp;&nbsp;
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| « Mais, certes, ni à ta femme ni à aucune autre dame
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|« Tu n'iras te vanter, dans le pays où tu es né,
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|« D'avoir pris à l'Empereur la valeur d'un denier,
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|« Ni de lui avoir fait dommage soit de moi, soit d'autrui. »
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|Puis : « Roland! » s'écrie-t-il, « Roland! à mon secours! » Aoi.
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===<center>'''CLXXIV'''</center>===
 
===<center>'''CLXXIV'''</center>===
  
  
1965 Olivier sent qu'il est blessé à mort ;  
+
{|
Jamais il ne saurait assez se venger.  
+
|-
Aux païens il distribue grands coups de Haute-  
+
|1965&nbsp;&nbsp;
claire ,
+
| Olivier sent qu'il est blessé à mort ;
Dans la grand'presse frappe en baron,  
+
|-
Tranche les écus à boucles et les lances,  
+
|
Les pieds, les poings, les épaules et les flancs des  
+
|Jamais il ne saurait assez se venger.
cavaliers.  
+
|-
1970 Qui l'eût vu démembrer ainsi les Sarrasins ,  
+
|
Jeter par terre un mort sur l'autre,  
+
|''Aux païens il distribue grands coups de Hauteclaire'',
Celui-là eût eu l'idée d'un bon chevalier.  
+
|-
Mais Olivier ne veut pas oublier le cri de Charles :  
+
|
a Monjoie ! Monjoie! » répète-t-il d'une voix haute  
+
|Dans la grand'presse frappe en baron,
et claire.  
+
|-
1975 II appelle Roland, son ami et son pair :  
+
|
 
+
|Tranche les écus à boucles et les lances,
« Compagnon, venez vous mettre tout près de moi.  
+
|-
« C'est aujourd'hui le jour où nous seromT doulou-
+
|
reusement séparés ! »  
+
|Les pieds, les poings, les épaules et les flancs des cavaliers.
El l'un se prend à pleurer en pensant à l'autre. A.01.
+
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 +
|1970&nbsp;&nbsp;
 +
| Qui l'eût vu démembrer ainsi les Sarrasins,
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 +
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|Jeter par terre un mort sur l'autre,
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|Celui-là eût eu l'idée d'un bon chevalier.
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|Mais Olivier ne veut pas oublier le cri de Charles :
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Monjoie ! Monjoie! » répète-t-il d'une voix haute et claire.
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|1975&nbsp;&nbsp;
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| II appelle Roland, son ami et son pair :
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|
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|« Compagnon, venez vous mettre tout près de moi.
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|« C'est aujourd'hui le jour où nous serons douloureusement séparés ! »
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|''Et l'un se prend à pleurer en pensant à l'autre.''
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| Aoi.
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|}
  
 
===<center>'''CLXXV'''</center>===
 
===<center>'''CLXXV'''</center>===
...
 
  
Roland regarde Olivier au visage.
 
Il est pale, violet, décoloré, livide ;
 
1980 Son beau sang jaillit et coule tout clair de son corps r
 
  
 
+
{|
 
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174 LA CHANSON DE ROLAND
+
|
 
+
|Roland regarde Olivier au visage.
Les ruisseaux en tombent par terre :  
+
|-
 
+
|
« Dieu! » dit Roland, <r je ne sais maintenant que  
+
|Il est pale, violet, décoloré, livide ;
 
+
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faire.
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|1980&nbsp;&nbsp;
« Quel malheur, ami , pour votre courage !  
+
| Son beau sang jaillit et coule tout clair de son corps,
« Jamais plus on ne verra homme de votre valeur.  
+
|-
1985 « douce France ! tu vas donc être veuve  
+
|
 
+
|Les ruisseaux en tombent par terre :
« De tes meilleurs soldats; tu seras confondue, tu  
+
|-
 
+
|
tomberas.
+
|« Dieu! » dit Roland, « je ne sais maintenant que faire.
« L'Empereur en aura grand dommage. »  
+
|-
A ce mot, Roland sur son cheval se pâme. Aoi.
+
|
 +
|« Quel malheur, ami, pour votre courage !
 +
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 +
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 +
|« Jamais plus on ne verra homme de votre valeur.
 +
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|1985&nbsp;&nbsp;
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| « douce France ! tu vas donc être veuve
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|« De tes meilleurs soldats; tu seras confondue, tu tomberas.
 +
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|« L'Empereur en aura grand dommage. »
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|A ce mot, Roland sur son cheval se pâme.  
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|Aoi.
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===<center>'''CLXXVI'''</center>===
 
===<center>'''CLXXVI'''</center>===
...
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|
GLXXVI
+
|Voyez-vous Roland, là, pâmé sur son cheval,
 
+
|-
Voyez -vous Roland, là, pâmé sur son cheval,  
+
|1990&nbsp;&nbsp;
1990 Et Olivier qui est blessé à mort?  
+
| Et Olivier qui est blessé à mort?
 
+
|-
11 a tant saigné, que sa vue en est trouble;  
+
|
 
+
|Il a tant saigné, que sa vue en est trouble ;
Ni de près, ni de loin, ne voit plus assez clair  
+
|-
 
+
|
Pour reconnaître homme qui vive.  
+
|Ni de près, ni de loin, ne voit plus assez clair
 
+
|-
Le voilà qui rencontre son compagnon Roland ;  
+
|
1995 Sur le heaume orné de pierreries et d'or, il frappe  
+
|Pour reconnaître homme qui vive.
un coup terrible,  
+
|-
 
+
|
Qui le fend en deux jusqu'au nasal,  
+
|Le voilà qui rencontre son compagnon Roland ;
 
+
|-
Mais qui, par bonheur, ne pénètre pas en la tête.  
+
|1995&nbsp;&nbsp;
 
+
| Sur le heaume orné de pierreries et d'or, il frappe un coup terrible,
A ce coup, Roland l'a regardé,  
+
|-
 
+
|
Et doucement, doucement, lui fait cette demande :  
+
|Qui le fend en deux jusqu'au nasal,
2000 <a Mon compagnon, l'avez -vous fait exprès?  
+
|-
 
+
|
« Je suis Roland, celui qui tant vous aime.  
+
|Mais qui, par bonheur, ne pénètre pas en la tête.
 
+
|-
« Vous ne m'aviez point défié, que je sache.  
+
|
 
+
|A ce coup, Roland l'a regardé,
« — Je vous entends, » dit Olivier, «je vous entends  
+
|-
parler,  
+
|
 
+
|Et doucement, doucement, lui fait cette demande :
« Mais point ne vous vois : Dieu vous voie, ami.  
+
|-
2005 « Je vous ai frappé, pardonnez-le-moi.  
+
|2000&nbsp;&nbsp;
 
+
| « Mon compagnon, l'avez -vous fait exprès ?
<r — Je n'ai point de mal , répond Roland ;  
+
|-
 
+
|
« Je vous pardonne ici et devant Dieu. »  
+
|« Je suis Roland, celui qui tant vous aime.
 
+
|-
A ce mot, ils s'inclinent l'un devant l'autre.  
+
|
 
+
|« Vous ne m'aviez point défié, que je sache.
C'est ainsi, c'est avec cet amour que tous deux se  
+
|-
séparèrent. Aoi.
+
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 +
|« — Je vous entends, » dit Olivier, « je vous entends parler,
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|« Mais point ne vous vois : Dieu vous voie, ami.
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|2005&nbsp;&nbsp;
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| « Je vous ai frappé, pardonnez-le-moi.
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— Je n'ai point de mal, répond Roland ;
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|« Je vous pardonne ici et devant Dieu. »
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|A ce mot, ils s'inclinent l'un devant l'autre.
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|C'est ainsi, c'est avec cet amour que tous deux se séparèrent.
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| Aoi.
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|}
  
 
===<center>'''CLXXVII'''</center>===
 
===<center>'''CLXXVII'''</center>===
 
+
{|
 
+
|-
"2010 Olivier sent l'angoisse de la mort;  
+
|2010&nbsp;&nbsp;
 
+
| Olivier sent l'angoisse de la mort;
Ses deux yeux lui tournent dans la tête ;  
+
|-
 
+
|
Il perd l'ouïe, et tout à fait la vue,  
+
|Ses deux yeux lui tournent dans la tête ;
 
+
|-
Descend à pied, sur la terre se couche,  
+
|
 
+
|Il perd l'ouïe, et tout à fait la vue,
A haute voix fait son mea culpa,  
+
|-
2015 Joint ses deux mains et les tend vers le ciel ,  
+
|
 
+
|Descend à pied, sur la terre se couche,
Prie Dieu de lui donner son paradis,  
+
|-
 
+
|
De bénir Charlemagne , la douce France,  
+
|A haute voix fait son ''mea culpa'',
 
+
|-
Et son compagnon Roland par-dessus tous les hommes.  
+
|2015&nbsp;&nbsp;
 
+
| Joint ses deux mains et les tend vers le ciel,
Le cœur lui manque, sa tête s'incline :  
+
|-
2020 II tombe à terre, étendu tout de son long.  
+
|
 
+
|Prie Dieu de lui donner son paradis,
C'en est fait, le Comte est mort.  
+
|-
 
+
|
Et le baron Roland le regrette et pleure.  
+
|De bénir Charlemagne, la douce France,
 
+
|-
Jamais sur terre vous n'entendrez un homme plus  
+
|
dolent. Aoi.
+
|Et son compagnon Roland par-dessus tous les hommes.
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|-
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|Le cœur lui manque, sa tête s'incline :
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|2020&nbsp;&nbsp;
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| II tombe à terre, étendu tout de son long.
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|C'en est fait, le Comte est mort.
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|Et le baron Roland le regrette et pleure.
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|<span id="Vers 2023"></span>
 +
|[[#2023. Jamais sur terre|Jamais sur terre]] vous n'entendrez un homme plus dolent.  
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|Aoi.
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|-
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|}
  
 
===<center>'''CLXXVIII'''</center>===
 
===<center>'''CLXXVIII'''</center>===
  
Quand Roland voit que son ami est mort,  
+
{|
2<>25 Quand il le voit là, la face tournée vers l'Orient,  
+
|-
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|
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|Quand Roland voit que son ami est mort,
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|2025&nbsp;&nbsp;
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| Quand il le voit là, la face tournée vers l'Orient,
 +
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 +
|
 +
|Il ne peut retenir ses larmes et ses sanglots;
 +
|-
 +
|
 +
|Très doucement se prend à le regretter :
 +
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 +
|
 +
|« Mon compagnon, » dit-il, « quel malheur pour ta vaillance !
 +
|-
 +
|
 +
|« Bien des années, bien des jours, nous avons été ensemble.
 +
|-
 +
|
 +
|« Jamais tu ne me fis de mal, jamais je ne t'en fis;
 +
|-
 +
|2030&nbsp;&nbsp;
 +
| « Quand tu es mort, c'est douleur que je vive. »
 +
|-
 +
|
 +
|A ce mot, le Marquis se pâme
 +
|-
 +
|
 +
|Sur son cheval, qu'on appelle Veillantif :
 +
|-
 +
|
 +
|Mais il est retenu par ses étriers d'or fin :
 +
|-
 +
|
 +
|Où qu'il aille, il ne peut tomber.
 +
|Aoi.
 +
|-
 +
|}
  
II ne peut retenir ses larmes et ses sanglots;  
+
===<center>'''CLXXIX'''</center>===
 +
{|
 +
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 +
|2035&nbsp;&nbsp;
 +
| A peine Roland a-t-il repris ses sens,
 +
|-
 +
|
 +
|A peine est-il guéri et revenu de sa pâmoison,
 +
|-
 +
|
 +
|Qu'il s'aperçoit de la grandeur du désastre.
 +
|-
 +
|
 +
|Tous les Français sont morts, il les a tous perdus,
 +
|-
 +
|
 +
|Excepté deux, l'Archevêque et Gautier de l'Hum.
 +
|-
 +
|2040&nbsp;&nbsp;
 +
| Celui-ci est descendu de la montagne,
 +
|-
 +
|
 +
|Où il a livré un grand combat à ceux d'Espagne.
 +
|-
 +
|
 +
|Sous les coups des païens vainqueurs tous ses hommes sont morts :
 +
|-
 +
|
 +
|Bon gré, mal gré, il s'est enfui dans ses vallées,
 +
|-
 +
|
 +
|Et voilà qu'il appelle Roland : « A mon aide ! à mon aide!
 +
|-
 +
|2045&nbsp;&nbsp;
 +
| « Hé! » s'écrie-t-il, « noble comte, vaillant homme, où es -tu?
 +
|-
 +
|
 +
|« Dès que je te sentais là, je n'avais jamais peur.
 +
|-
 +
|
 +
|« C'est moi, c'est moi, Gautier, qui conquis Maëlgut;
 +
|-
 +
|
 +
|« C'est moi, le neveu du vieux Drouon, de Drouon le chenu ;
 +
|-
 +
|
 +
|« C'est moi que mon courage avait rendu digne d'être ton ami.
 +
|-
 +
|
 +
|« Je me suis tant battu contre les Sarrasins,
 +
|-
 +
|2050&nbsp;&nbsp;
 +
| « Que ma lance en est rompue et mon écu percé ;
 +
|-
 +
|
 +
|« Mon haubert est en lambeaux,
 +
|-
 +
|
 +
|« Et mon corps est criblé de coups de lance.
 +
|-
 +
|
 +
|« Je vais mourir, mais je me suis chèrement vendu. »
 +
|-
 +
|
 +
|A ce mot, Roland l' entendu;
 +
|-
 +
|2055&nbsp;&nbsp;
 +
| II pique son cheval et galope vers lui.
 +
|Aoi.
 +
|-
 +
|}
  
Très doucement se prend à le regretter :  
+
===<center>'''CLXXX'''</center>===
 +
:''« Sire Gautier, d lui dit le comte Roland, ''
 +
:''Vous avez eu grande bataille contre la gent païenne ; ''
 +
:''« Or vous étiez un brave et un vaillant ''
 +
:'' « Et m'aviez emmené mille bons chevaliers. ''
 +
:''« Ils étaient à moi, c'est pourquoi je vous les demande. ''
 +
:''« Rendez-les-moi, car j'en ai grand besoin. ''
 +
:''« — Morts, » répond Gautier. « Plus ne les verrez, ''
 +
:'' « Et j'ai laissé tous leurs corps sur le champ douloureux. ''
 +
:''« Nous avons là-haut trouvé tant de Sarrasins ! ''
 +
:''« II y avait des Chananéens, des Géants, des Arméniens et des Turcs, ''
 +
:''« Et ceux de Balise, qui sont leurs meilleurs soldats, ''
 +
:'' « Sur leurs chevaux arabes qui vont si vite. ''
 +
:''« Nous avons si rudement mené cette bataille,''
 +
:'' « Que pas un païen ne s'en vantera. ''
 +
:'' « Soixante mille sont morts et gisent à terre''
 +
:''« Ah! nous nous sommes bien vengés, à coups de nos épées d'acier, ''
 +
:''« Mais nous y avons perdu tous nos Français. ''
 +
:''« Les pans de mon haubert sont en pièces, ''
 +
:''« Et j'ai tant de blessures aux côtés et aux flancs, ''
 +
:''« Que le sang clair coule de toutes parts. ''
 +
:''« Tout mon corps va s' affaiblissant, ''
 +
:''« Et je sens bien que je vais mourir. ''
 +
:''« Je suis votre homme, Roland, et vous tiens pour mon seigneur et mon appui. ''
 +
:'' « Si je me suis enfui, ne m'en blâmez.  ''
 +
:''« — je n'en veux rien faire, » dit le comte Roland. ''
 +
:''« Mais, tant que vous vivrez, aidez-moi. » ''
 +
:''Roland est tout en sueur, de colère et de douleur. ''
 +
:''Il tranche en deux les pans de son bliaud ''
 +
:''Et se met à bander les flancs de Gautier.'' &nbsp; Aoi.
  
« Mon compagnon, » dit-il, « quel malheur pour ta
 
 
vaillance !
 
« Bien des années, bien des jours, nous avons été
 
 
ensemble.
 
« Jamais tu ne me fis de mal, jamais je ne t'en fis;
 
2030 « Quand tu es mort, c'est douleur que je vive. »
 
A ce mot, le Marquis se pâme
 
Sur son cheval, qu'on appelle Veillantif :
 
Mais il est retenu par ses étriers d'or fin :
 
Où qu'il aille, il ne peut tomber. Aoi.
 
 
===<center>'''CLXXIX'''</center>===
 
...
 
===<center>'''CLXXX'''</center>===
 
...
 
 
===<center>'''CLXXXI'''</center>===
 
===<center>'''CLXXXI'''</center>===
...
+
{|
 +
|-
 +
|
 +
|Roland est plein de douleur, Roland est plein de rage.
 +
|-
 +
|
 +
|Dans la grande mêlée, il commence à frapper;
 +
|-
 +
|
 +
|Il jette à terre vingt -cinq païens d'Espagne, raides morts.
 +
|-
 +
|
 +
|Gautier en tue six, l'Archevêque cinq.
 +
|-
 +
|2060&nbsp;&nbsp;
 +
| <r Quels terribles hommes! » s'écrient les païens.
 +
|-
 +
|
 +
|« Prenons garde qu'ils ne s'en aillent vivants :
 +
|-
 +
|
 +
|« Honte à qui n'ira pas les attaquer !
 +
|-
 +
|
 +
|« Honte surtout à qui les laisserait échapper ! »
 +
|-
 +
|
 +
|Alors recommencent les cris et les huées,
 +
|-
 +
|2065&nbsp;&nbsp;
 +
| Et de toutes parts les païens envahissent les trois Français.
 +
|-
 +
|
 +
|Que Dieu, qui jamais ne mentit, que Dieu vienne à leur aide !
 +
|Aoi.
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maniements de Paris et de Lyon nous  
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Les Remaniements de Paris et de Lyon nous  
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s'agit de la communion symbolique  
 
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d'Olivier, qui lui est administrée par  
 
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Roland : Trois poiz a pris de l'herbe  
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:''L'amne de lui emportent en chantant.'' (Lyon).
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Nous avons  
 
parlé ailleurs de ce singulier sacrement,  
 
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que l'on peu! rapprocher de ces confes-
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que l'on peut rapprocher de ces confessions faites à un laïque, dont nous avons  
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aussi plus d'un exemple dans nos Chansons de geste. Il s'agit de la communion  
aussi plus d'un exemple dans n<» Chan-
 
sons de geste. Il s'agit de la communion  
 
 
eucharistique reçue par les chevaliers  
 
eucharistique reçue par les chevaliers  
 
sous l'espèce de l'herbe ou de la verdure.  
 
sous l'espèce de l'herbe ou de la verdure.  
 
A défaut de prêtres, à défaut d'hosties  
 
A défaut de prêtres, à défaut d'hosties  
consaci ées, les chevaliers se < ommunient
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consacrées, les chevaliers se communient
 
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avec des feuilles d'arbre, avec des brins  
 
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d'herbe. Élie de Saint-Gilles rencontre  
 
 
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d'herbe. Élie de Saint -Gilles rencontre  
 
 
un chevalier mourant. Plein de charité,  
 
un chevalier mourant. Plein de charité,  
il s'élance vers lui : Entre ses bras le  
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il s'élance vers lui :  
prist , — Prist une fuelle d'erbe, à la  
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:''Entre ses bras le prist,''
bouce li tnist. — Dieu le fait aeonoistre
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:''Prist une fuelle d'erbe, à la bouce li mist. ''
et ses peciés ge/iir. — L'amne part.  
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:''Dieu le fait aconoistre et ses peciés gehir. ''
. B. N. anc. Lav. 80, f° 77.) Dans Raoul
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:''L'amne part.  
de Cambrai , Savari communie Bei uiei
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::(B. N. anc. Lav. 80, f° 77.)  
après l'avoir confessé : Trois fuelles
 
d'arbre maintenant li rotnpi ; — 77 les
 
receut per corpi s Domini. | IJIit. Le-
 
glay, p. 327.) Et, dan- le même poème,
 
on voit, avant la bataille, tous les che-
 
valiei s de l'ai mée se donner la com-
 
munion sous la même espèce : Cha-
 
cuns frans hon de la pitié plora ; —
 
Mains gentishon s't acumenia — De
 
trois pous d'erbe, qu'autre prestre n'ia .
 
  
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Dans ''Raoul de Cambrai'', Savari communie Bei uiei
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après l'avoir confessé :
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:-''Trois fuelles d'arbre maintenant li rompi'' ;
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:— ''Il les receut'' per corpus ''Domini''.
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:: (Edit. Leglay, p. 327.)
  
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Et, dans le même poème,  
 
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on voit, avant la bataille, tous les chevaliers de l'armée se donner la communion sous la même espèce :
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:''Chacuns frans hon de la pitié plora'' ; —
CLXXIX
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:''Mains gentishon s't acumenia''
 
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: — ''De trois pous d'erbe, qu'autre prestre n'ia ''.  
2035 A peine Roland a-t-il repris ses sens,  
+
::(''Ibid''., p. 95.)
 
 
A peine est-il guéri et revenu de sa pâmoison,  
 
Qu'il s'aperçoit de la grandeur du désastre.
 
Tous les Français sont morts, il les a tous perdus,
 
Excepté deux, l'Archevêque et Gautier de l'Hum.
 
 
 
2040 Celui-ci est descendu de la montagne,
 
 
 
Où il a livré un grand combat à ceux d'Espagne.  
 
Sous les coups des païens vainqueurs tous ses hommes
 
 
 
sont morts :  
 
Bon gré, mal gré, il s'est enfui dans ses vallées,  
 
Et voilà qu'il appelle Roland : « A mon aide ! à mon
 
aide!
 
 
 
  
 +
Dans ''Renaus de Montauban'', Richard s'écrie :
 +
:''Car descendons à terre et si nos confessons,''
 +
:— ''Et des peus de cette herbe nos acomenion. ''
 +
(Édit. Michelant, p. 181, vers 26, 27.)
  
(Ibid., p. 95.) Dans Renaus de Mon-
+
Dans ''Aliscans'', la communion de Vivien  
tauban, Richard s'écrie : Car descen-
 
dons à terre et si nos confessons, — Et
 
des peus de cette herbe nos acomenion.
 
(Édit. Michelant, p. 181, vers 26, 27.)
 
Dans Aliscans, la communion de Vivien  
 
 
est réellement sacramentelle : Guillaume,  
 
est réellement sacramentelle : Guillaume,  
 
par un étonnant privilège, a emporté  
 
par un étonnant privilège, a emporté  
 
avec lui une hostie consacrée, et c'est  
 
avec lui une hostie consacrée, et c'est  
avec cette hostie qu'il console et divi-
+
avec cette hostie qu'il console et divinise les derniers instants de son neveu.  
nise les derniers instants de son neveu.  
+
Quant à la communion par le feuillage,  
Quant à la communion parle feuillage,  
 
 
 
 
 
 
 
 
IL FAUT LA CONSIDERER UNIQUEMENT  
 
IL FAUT LA CONSIDERER UNIQUEMENT  
 
 
comme symbolique, et c"est ce que  
 
comme symbolique, et c"est ce que  
 
prouvent jusqu'à l'évidence les vers plus  
 
prouvent jusqu'à l'évidence les vers plus  
haut cités de Raoul de Cambrai : Trois  
+
haut cités de ''Raoul de Cambrai'' : ''Trois fuelles d'arbre receut'' {{Petites capitales|per corpus domini}}. Bref, on ne se confesse à un  
fuelles d'arbre receut per corpus do-
+
laïque {{Petites capitales|qu'a défaut de prêtre}}, on ne  
mini. Eref, on ne se confesse à un  
 
laïque qu'a défaut de prêtre, on ne  
 
 
communie avec des feuilles qu'a défaut  
 
communie avec des feuilles qu'a défaut  
 
d'hostie. De ces deux rites il n'existe  
 
d'hostie. De ces deux rites il n'existe  
aucune trace dans le Roland, dont l'au-
+
aucune trace dans le Roland, dont l'auteur nous paraît théologiquement plus  
teur nous paraît théologiquement plus  
 
 
exact que tous nos autres épiques.  
 
exact que tous nos autres épiques.  
 
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LA CHANSON DE ROLAND 177
 
 
 
2045 « Hé! ï s'écrie-t-il, « noble comte, vaillant homme,
 
 
 
où es -tu?
 
« Dès que je te sentais là, je n'avais jamais peur.
 
« C'est moi, c'est moi, Gautier, qui conquis Maëlgut;
 
« C'est moi, le neveu du vieux Drouon, de Drouon
 
 
 
le chenu ;
 
« C'est moi que mon courage avait rendu digne d'être
 
 
 
ton ami.
 
« Je me suis tant battu contre les Sarrasins,
 
2050 « Que ma lance en est rompue et mon écu percé ;
 
<r Mon haubert est en lambeaux,
 
« Et mon corps est criblé de coups de lance.
 
« Je vais mourir, mais je me suis chèrement vendu. »
 
A ce mot, Roland Ta entendu;
 
2055 II pique son cheval et galope vers lui. Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
CLXXX
 
 
 
 
 
 
 
« Sire Gautier, d lui dit le comte Roland,
 
 
 
 
 
 
 
«
 
 
 
 
 
 
 
Vous avez eu grande bataille contre la gent païenne ;
 
 
 
 
 
 
 
« Or vous étiez un brave et un vaillant
 
 
 
 
 
 
 
>< Et m'aviez emmené mille bons chevaliers.
 
 
 
« Ils étaient à moi, c'est pourquoi je vous les de-
 
mande.
 
 
 
« Rendez-les-moi, car j'en ai grand besoin.
 
 
 
« — Morts, •> répond Gautier. « Plus ne les verrez,
 
 
 
a. Et j'ai laissé tous leurs corps sur le champ dou-
 
loureux.
 
 
 
-( Nous avons là-haut trouvé tant de Sarrasins !
 
 
 
« II y avait des Chananéens, des Géants, des Armé-
 
niens et des Turcs,
 
 
 
« Et ceux de Ralise, qui sont leurs meilleurs soldais,
 
 
 
<( Sur leurs chevaux arabes qui vont si vite.
 
 
 
• Nous avons si rudement mené cette bataille,
 
Que pas un païen ne s'en vantera.
 
 
 
« Soixante mille sont morts et gisent à tcrr>\
 
 
 
12
 
 
 
 
 
 
 
178 LA CHANSON DE ROLAND
 
 
 
« Ah! nous nous sommes bien vengés, à coups de
 
 
 
nos épées d'acier,
 
« Mais nous y avons perdu tous nos Français.
 
« Les pans de mon haubert sont en pièces,
 
« Et j'ai tant de blessures aux côtés et aux flancs,
 
« Que le sang clair coule de toutes parts.
 
« Tout mon corps va s' affaiblissant ,
 
« Et je sens bien que je vais mourir.
 
« Je suis votre homme, Roland, et vous tiens pour
 
 
 
mon seigneur et mon appui.
 
« Si je me suis enfui, ne m'en blâmez.
 
« — j e n ' e n veux rien faire, » dit le comte Roland.
 
« Mais, tant que vous vivrez, aidez-moi. »
 
Roland est tout en sueur, de colère et de douleur.
 
Il tranche en deux les pans de son bliaud
 
Et se met à bander les flancs de Gautier. Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
CLXXXI
 
 
 
Roland est plein de douleur, Roland est plein de rage.
 
 
 
Dans la grande mêlée, il commence à frapper;
 
 
 
Il jette à terre vingt -cinq païens d'Espagne, raides
 
 
 
morts.
 
Gautier en tue six, l'Archevêque cinq.
 
20G0 <r Quels terribles hommes! » s'écrient les païens.
 
« Prenons garde qu'ils ne s'en aillent vivants :
 
« Honte à qui n'ira pas les attaquer !
 
« Honte surtout à qui les laisserait échapper ! »
 
Alors recommencent les cris et les huées,
 
2065 Et de toutes parts les païens envahissent les trois
 
Français.
 
Que Dieu, qui jamais ne mentit, que Dieu vienne à
 
leur aide ! Aoi.
 
  
 
==Voir aussi==
 
==Voir aussi==
 
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Version actuelle datée du 28 juillet 2022 à 14:03

Fig. 19. — « C'est aujourd'hui, » dit Roland à Olivier, « le jour où nous serons douloureusement séparés. »
( Vers 1977.) (Composition de Zier.)

Facsimilés

Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 171.jpg Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 172.jpg Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 173.jpg Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 174.jpg
Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 175.jpg Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 176.jpg Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 177.jpg Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 178.jpg
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Les couplets (laisses)

CLXXI

Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 171.jpg
O. => CXLIII
Quand Roland aperçoit la gent maudite
Qui est plus noire que de l'encre
Et n'a de blanc que les dents :
1935   « Je suis très certain, » dit Roland;
« Oui, je sais clairement que nous mourrons aujourd'hui.
« Frappez, Français; car pour moi, je vais recommencer la bataille. »
Et Olivier : « Malheur aux plus lents ! » s'écrie-t-il.
A ces mots, les Français se jettent dans le milieu même des ennemis. Aoi.

CLXXII

1940   Les païens, quand ils s'aperçoivent qu'il y a si peu de Français,
En sont remplis d'orgueil et tout réconfortés entre eux :
« Non, non, » disent-ils l'un à l'autre, « le droit n'est pas pour l'Empereur. »
Le Calife montait un cheval roux;
De ses éperons d'or il le pique ,
1945   Frappe Olivier par derrière dans le milieu du dos,
Dans le corps même lui brise les mailles du blanc haubert ,
Et la lance du païen passe de l'autre côté de la poitrine :
« Voilà un rude coup pour vous, » lui dit-il;
« Charles fut mal inspiré de vous laisser aux défilés.
1950   « L'Empereur nous fit tort, mais n'aura guère lieu de s'en louer;
« Car sur vous seul j'ai bien vengé tous les nôtres. » Aoi.

CLXXIII

Olivier sent qu'il est blessé à mort,
Et plus ne veut tarder à se venger.
Dans son poing est Hauteclaire, dont l'acier fut bruni :
Il en frappe le Calife sur le heaume aigu couvert d'or,
1955   Et il en fait tomber à terre les pierres et les cristaux ;
Il lui tranche la tête jusqu'aux dents;
Il brandit son coup, et l'abat raide mort :
« Maudit sois-tu, païen! » lui dit-il ensuite.
« Je ne dis pas que Charles n'ait rien perdu ;
1960   « Mais, certes, ni à ta femme ni à aucune autre dame
« Tu n'iras te vanter, dans le pays où tu es né,
« D'avoir pris à l'Empereur la valeur d'un denier,
« Ni de lui avoir fait dommage soit de moi, soit d'autrui. »
Puis : « Roland! » s'écrie-t-il, « Roland! à mon secours! » Aoi.

CLXXIV

1965   Olivier sent qu'il est blessé à mort ;
Jamais il ne saurait assez se venger.
Aux païens il distribue grands coups de Hauteclaire,
Dans la grand'presse frappe en baron,
Tranche les écus à boucles et les lances,
Les pieds, les poings, les épaules et les flancs des cavaliers.
1970   Qui l'eût vu démembrer ainsi les Sarrasins,
Jeter par terre un mort sur l'autre,
Celui-là eût eu l'idée d'un bon chevalier.
Mais Olivier ne veut pas oublier le cri de Charles :
« Monjoie ! Monjoie! » répète-t-il d'une voix haute et claire.
1975   II appelle Roland, son ami et son pair :
« Compagnon, venez vous mettre tout près de moi.
« C'est aujourd'hui le jour où nous serons douloureusement séparés ! »
Et l'un se prend à pleurer en pensant à l'autre. Aoi.

CLXXV

Roland regarde Olivier au visage.
Il est pale, violet, décoloré, livide ;
1980   Son beau sang jaillit et coule tout clair de son corps,
Les ruisseaux en tombent par terre :
« Dieu! » dit Roland, « je ne sais maintenant que faire.
« Quel malheur, ami, pour votre courage !
« Jamais plus on ne verra homme de votre valeur.
1985   « douce France ! tu vas donc être veuve
« De tes meilleurs soldats; tu seras confondue, tu tomberas.
« L'Empereur en aura grand dommage. »
A ce mot, Roland sur son cheval se pâme. Aoi.

CLXXVI

Voyez-vous Roland, là, pâmé sur son cheval,
1990   Et Olivier qui est blessé à mort?
Il a tant saigné, que sa vue en est trouble ;
Ni de près, ni de loin, ne voit plus assez clair
Pour reconnaître homme qui vive.
Le voilà qui rencontre son compagnon Roland ;
1995   Sur le heaume orné de pierreries et d'or, il frappe un coup terrible,
Qui le fend en deux jusqu'au nasal,
Mais qui, par bonheur, ne pénètre pas en la tête.
A ce coup, Roland l'a regardé,
Et doucement, doucement, lui fait cette demande :
2000   « Mon compagnon, l'avez -vous fait exprès ?
« Je suis Roland, celui qui tant vous aime.
« Vous ne m'aviez point défié, que je sache.
« — Je vous entends, » dit Olivier, « je vous entends parler,
« Mais point ne vous vois : Dieu vous voie, ami.
2005   « Je vous ai frappé, pardonnez-le-moi.
« — Je n'ai point de mal, répond Roland ;
« Je vous pardonne ici et devant Dieu. »
A ce mot, ils s'inclinent l'un devant l'autre.
C'est ainsi, c'est avec cet amour que tous deux se séparèrent. Aoi.

CLXXVII

2010   Olivier sent l'angoisse de la mort;
Ses deux yeux lui tournent dans la tête ;
Il perd l'ouïe, et tout à fait la vue,
Descend à pied, sur la terre se couche,
A haute voix fait son mea culpa,
2015   Joint ses deux mains et les tend vers le ciel,
Prie Dieu de lui donner son paradis,
De bénir Charlemagne, la douce France,
Et son compagnon Roland par-dessus tous les hommes.
Le cœur lui manque, sa tête s'incline :
2020   II tombe à terre, étendu tout de son long.
C'en est fait, le Comte est mort.
Et le baron Roland le regrette et pleure.
Jamais sur terre vous n'entendrez un homme plus dolent. Aoi.

CLXXVIII

Quand Roland voit que son ami est mort,
2025   Quand il le voit là, la face tournée vers l'Orient,
Il ne peut retenir ses larmes et ses sanglots;
Très doucement se prend à le regretter :
« Mon compagnon, » dit-il, « quel malheur pour ta vaillance !
« Bien des années, bien des jours, nous avons été ensemble.
« Jamais tu ne me fis de mal, jamais je ne t'en fis;
2030   « Quand tu es mort, c'est douleur que je vive. »
A ce mot, le Marquis se pâme
Sur son cheval, qu'on appelle Veillantif :
Mais il est retenu par ses étriers d'or fin :
Où qu'il aille, il ne peut tomber. Aoi.

CLXXIX

2035   A peine Roland a-t-il repris ses sens,
A peine est-il guéri et revenu de sa pâmoison,
Qu'il s'aperçoit de la grandeur du désastre.
Tous les Français sont morts, il les a tous perdus,
Excepté deux, l'Archevêque et Gautier de l'Hum.
2040   Celui-ci est descendu de la montagne,
Où il a livré un grand combat à ceux d'Espagne.
Sous les coups des païens vainqueurs tous ses hommes sont morts :
Bon gré, mal gré, il s'est enfui dans ses vallées,
Et voilà qu'il appelle Roland : « A mon aide ! à mon aide!
2045   « Hé! » s'écrie-t-il, « noble comte, vaillant homme, où es -tu?
« Dès que je te sentais là, je n'avais jamais peur.
« C'est moi, c'est moi, Gautier, qui conquis Maëlgut;
« C'est moi, le neveu du vieux Drouon, de Drouon le chenu ;
« C'est moi que mon courage avait rendu digne d'être ton ami.
« Je me suis tant battu contre les Sarrasins,
2050   « Que ma lance en est rompue et mon écu percé ;
« Mon haubert est en lambeaux,
« Et mon corps est criblé de coups de lance.
« Je vais mourir, mais je me suis chèrement vendu. »
A ce mot, Roland l' entendu;
2055   II pique son cheval et galope vers lui. Aoi.

CLXXX

« Sire Gautier, d lui dit le comte Roland,
Vous avez eu grande bataille contre la gent païenne ;
« Or vous étiez un brave et un vaillant
« Et m'aviez emmené mille bons chevaliers.
« Ils étaient à moi, c'est pourquoi je vous les demande.
« Rendez-les-moi, car j'en ai grand besoin.
« — Morts, » répond Gautier. « Plus ne les verrez,
« Et j'ai laissé tous leurs corps sur le champ douloureux.
« Nous avons là-haut trouvé tant de Sarrasins !
« II y avait des Chananéens, des Géants, des Arméniens et des Turcs,
« Et ceux de Balise, qui sont leurs meilleurs soldats,
« Sur leurs chevaux arabes qui vont si vite.
« Nous avons si rudement mené cette bataille,
« Que pas un païen ne s'en vantera.
« Soixante mille sont morts et gisent à terre
« Ah! nous nous sommes bien vengés, à coups de nos épées d'acier,
« Mais nous y avons perdu tous nos Français.
« Les pans de mon haubert sont en pièces,
« Et j'ai tant de blessures aux côtés et aux flancs,
« Que le sang clair coule de toutes parts.
« Tout mon corps va s' affaiblissant,
« Et je sens bien que je vais mourir.
« Je suis votre homme, Roland, et vous tiens pour mon seigneur et mon appui.
« Si je me suis enfui, ne m'en blâmez.
« — je n'en veux rien faire, » dit le comte Roland.
« Mais, tant que vous vivrez, aidez-moi. »
Roland est tout en sueur, de colère et de douleur.
Il tranche en deux les pans de son bliaud
Et se met à bander les flancs de Gautier.   Aoi.

CLXXXI

Roland est plein de douleur, Roland est plein de rage.
Dans la grande mêlée, il commence à frapper;
Il jette à terre vingt -cinq païens d'Espagne, raides morts.
Gautier en tue six, l'Archevêque cinq.
2060   <r Quels terribles hommes! » s'écrient les païens.
« Prenons garde qu'ils ne s'en aillent vivants :
« Honte à qui n'ira pas les attaquer !
« Honte surtout à qui les laisserait échapper ! »
Alors recommencent les cris et les huées,
2065   Et de toutes parts les païens envahissent les trois Français.
Que Dieu, qui jamais ne mentit, que Dieu vienne à leur aide ! Aoi.

Notes originales

2023. Jamais sur terre

2023.↑ Jamais sur terre, etc Les Remaniements de Paris et de Lyon nous offrent ici un incident qui n'était évidemment pas dans le texte primitif. Il s'agit de la communion symbolique d'Olivier, qui lui est administrée par Roland :

Trois poiz a pris de l'herbe verdoiant.
Li ange Dieu i descendent à tant;
L'amne de lui emportent en chantant. (Lyon).

Nous avons parlé ailleurs de ce singulier sacrement, que l'on peut rapprocher de ces confessions faites à un laïque, dont nous avons aussi plus d'un exemple dans nos Chansons de geste. Il s'agit de la communion eucharistique reçue par les chevaliers sous l'espèce de l'herbe ou de la verdure. A défaut de prêtres, à défaut d'hosties consacrées, les chevaliers se communient avec des feuilles d'arbre, avec des brins d'herbe. Élie de Saint-Gilles rencontre un chevalier mourant. Plein de charité, il s'élance vers lui :

Entre ses bras le prist,
Prist une fuelle d'erbe, à la bouce li mist.
Dieu le fait aconoistre et ses peciés gehir.
L'amne part.
(B. N. anc. Lav. 80, f° 77.)

Dans Raoul de Cambrai, Savari communie Bei uiei après l'avoir confessé :

-Trois fuelles d'arbre maintenant li rompi ;
Il les receut per corpus Domini.
(Edit. Leglay, p. 327.)

Et, dans le même poème, on voit, avant la bataille, tous les chevaliers de l'armée se donner la communion sous la même espèce :

Chacuns frans hon de la pitié plora ; —
Mains gentishon s't acumenia
De trois pous d'erbe, qu'autre prestre n'ia .
(Ibid., p. 95.)

Dans Renaus de Montauban, Richard s'écrie :

Car descendons à terre et si nos confessons,
Et des peus de cette herbe nos acomenion.

(Édit. Michelant, p. 181, vers 26, 27.)

Dans Aliscans, la communion de Vivien est réellement sacramentelle : Guillaume, par un étonnant privilège, a emporté avec lui une hostie consacrée, et c'est avec cette hostie qu'il console et divinise les derniers instants de son neveu. Quant à la communion par le feuillage, IL FAUT LA CONSIDERER UNIQUEMENT comme symbolique, et c"est ce que prouvent jusqu'à l'évidence les vers plus haut cités de Raoul de Cambrai : Trois fuelles d'arbre receut per corpus domini. Bref, on ne se confesse à un laïque qu'a défaut de prêtre, on ne communie avec des feuilles qu'a défaut d'hostie. De ces deux rites il n'existe aucune trace dans le Roland, dont l'auteur nous paraît théologiquement plus exact que tous nos autres épiques.


Voir aussi