La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition populaire/1895/Partie 2/La déroute
Sommaire
Facsimilés
Les couplets (laisses)
CLXV
Roland jette les yeux sur les monts, sur les landes : | ||
Que de Français il y voit étendus ! | ||
En noble chevalier il les pleure : | ||
« Seigneurs barons, que Dieu prenne pitié de vous ; | ||
1855 | « Qu'à toutes vos âmes il octroie le paradis ; | |
« Qu'il les fasse reposer en saintes fleurs ! | ||
« Meilleurs vassaux que vous, je n'en vis jamais. | ||
« Vous m'avez tant servi et durant tant d'années! | ||
« Vous avez fait de si vastes conquêtes pour Charlemagne ! | ||
1860 | « L'Empereur fut bien mal inspiré de vous nourrir ainsi ! | |
« terre de France, vous êtes un bien doux pays, | ||
« Mais vous voilà veuve aujourd'hui de vos meilleurs barons ! | ||
« C'est à cause de moi, barons, que je vous vois mourir, | ||
« Et je ne vous puis défendre, et je ne vous puis sauver! | ||
1865 | « Que Dieu vous aide, Celui qui jamais ne mentit. | |
« Olivier, frère Olivier , mon devoir est de ne te point quitter. | ||
« Si l'on ne me tue point ici , la douleur me tuera. | ||
« Allons ! sire compagnon , retournons frapper les païens. » | Aoi |
CLXVI
Roland jette un regard sur les montagnes et les vallées;
Quelle foule de païens il y découvre!
Il adresse alors ces paroles à Olivier :
« Compagnon frère, notre devoir est de mourir ici avec les Français. »
Le comte Roland change de couleur,
Pousse quatre fois le cri de : « Monjoie, »
Prend son cor et sonne la charge.
Puis très violemment éperonne Veillantif,
Et va frapper les païens du tranchant de l'épée. Aoi.
CLXVII
Le comte Roland rentre sur le champ de bataille ; | ||
1870 | Dans son poing est Durendal , et il s'en sert en brave. | |
Un de ses coups tranche en deux Faudron du Puy ; | ||
Puis il tue vingt-quatre païens, des plus vaillants. | ||
Jamais il n'y aura d'homme qui mette une telle ardeur à se venger. | ||
Comme le cerf s'enfuit devant les chiens, | ||
1875 | Ainsi s'enfuient les païens devant Roland. | |
« Voilà qui est bien, » lui dit l'Archevêque, | ||
« Et telle est la valeur qui convient à un chevalier | ||
« Portant de bonnes armes et assis sur un bon cheval. | ||
« Il faut qu'il soit fort et fier dans la bataille ; | ||
1880 | « Autrement il ne vaut pas quatre deniers. | |
« Qu'on en fasse alors un moine dans quelque moutier, | ||
« Où il priera toute sa vie pour nos péchés. | ||
« — Frappez, » répond Roland, « frappez, et pas de quartier! » | ||
A ces mots , nos Français recommencent la bataille ; | ||
1885 | Mais les chrétiens firent là de grandes pertes. | Aoi. |
CLXVIII
Quand il sait qu'on ne lui fera point de quartier, | |
L'homme dans la bataille se défend rudement ; | |
Et c'est pourquoi les Français sont fiers comme des lions. | |
Voici Marsile, qui a tout l'air d'un vrai baron, | |
1890 | Monté sur son cheval qu'il appelle Gaignon |
Et qui est plus rapide qu'un faucon : | |
Il l'éperonne vivement et va frapper Reuvon, | |
Sire de Reaune et de Dijon; | |
Il lui brise l'écu, lui rompt les mailles du haubert, | |
Et sans plus de façon l'abat raide mort. | |
1895 | Puis le roi sarrasin tua Ivoire et Ivon, |
Et avec eux Girard de Roussillon. | |
Le comte Roland n'était pas loin : | |
« Que le Seigneur Dieu te maudisse, » dit-il au païen , | |
« Puisque tu m'as, contre tout droit, tué mes compagnons, | |
1900 | « Tu vas, avant de nous séparer, le payer d'un rude coup |
« Et savoir aujourd'hui le nom de mon épée. » | |
Alors il va le frapper en vrai baron | |
Et lui tranche du coup le poing droit; | |
Puis il prend la tête de Jurfaleu le blond , | |
1905 | Qui était le propre fds du roi Marsile : |
« A l'aide! à l'aide! Mahomet! » s'écrient les païens. | |
« Vengez-nous de Charles, ô nos dieux. | |
« Quels félons il nous a laissés sur la terre d'Espagne ! | |
« Plutôt que de nous laisser le champ, ils mourront! » | |
1910 | « — Enfuyons-nous au plus vite! » se disent-ils l'un à l'autre. |
Et voilà que, sur ce mot, cent mille hommes tournent le dos. | |
Les rappeler? c'est inutile. Ils ne reviendront pas. Aoi. |
CLXIX
CLXX
...
Notes originales
1968.
Lacune comblée. Voir la note du vers 318.
1895. Ivoire et Ivon
D'après Gaufrey (v. 98), Ivon et Ivoire sont fils du roi Olhon, qui lui-même est le sixième fils de Doon de Mayence. Ils sont comptés au nombre des Pairs par la Chanson de Roland, Gui de Bourgogne, la Karlamagnus Saga. L'auteur de la Prise de Pampelune les regarde comme les fils de Naimes.
1912.
Lacune comblée. Voir la note du vers 318.
Fin de chapitre brut d'OCR
170 LA CHANSON DE ROLAND GLXX Mais , hélas ! à quoi bon ! si Marsile est en fuite , Son oncle le Calife est resté. 4915 Or c'est celui qui tenait Carthage, Alterne, Gar- maille Et l'Ethiopie , une terre maudite ; C'est celui qui était le chef de la race noire , Au nez énorme , aux larges oreilles : Et il y en a là plus de cinquante mille 1920 Qui chevauchent fièrement et en grande colère, Et qui jettent le cri d'armes païen. « C'est ici, » s'écrie alors Roland, « c'est ici que nous serons martyrs. « Maintenant, je sais bien que nous n'avons plus longtemps à vivre; « Mais maudit celui qui ne se vendra chèrement ! 1925 « Frappez, seigneurs, frappez de vos épées fourbies; « Disputez bien votre mort, votre vie, « Et surtout que France la douce ne soit pas désho- norée. « Quand Charles mon seigneur viendra sur ce champ de bataille , « Quand il verra le massacre des Sarrasins, 1930 « Quand pour un des nôtres il en trouvera quinze d'entre eux parmi les morts, « L'Empereur ne pourra pas ne point nous bénir. » Aoi.