La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition populaire/1895/Partie 2/Préludes : Différence entre versions

De Wicri Chanson de Roland
(Les couplets (laisses))
(Fin de chapitre brut d'OCR)
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LA CHANSON DE ROLAND
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1110 Quand Roland voit qu'il y aura bataille,
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Il se fait plus fier que lion ou léopard.
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Il interpelle les Français, puis Olivier :
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« Ne parle plus ainsi, ami et compagnon ;
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« L'Empereur, qui nous laissa ses Français,
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1115 « A mis à part ces vingt mille que voici.
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« Pas un lâche parmi eux, Charles le sait bien.
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« Pour son seigneur on doit souffrir grands maux,
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« Endurer le chaud et le froid ,
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« Perdre de son sang et de sa chair.
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1120 « Frappe de ta lance, Olivier, et moi, de Durendal,
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<r Ma bonne épée que me donna le Roi.
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« Et si je meurs, qui l'aura pourra dire :
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« C'était l'épée d'un noble vassal ! » Aoi.
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D'autre part est l'archevêque Turpin :
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1125 II pique son cheval, et monte sur une colline;
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Puis s'adresse aux Français , et leur fait ce sermon :
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« Seigneurs barons, Charles nous a laissés ici,
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« C'est notre roi : notre devoir est de mourir pour
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lui.
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« Chrétienté est en péril, maintenez -la.
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1130 « Il est certain que vous aurez bataille;
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« Car sous vos yeux, voici les Sarrasins.
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« Or donc, battez votre coulpe, et demandez à Dieu
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merci.
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« Pour guérir vos âmes, je vais vous absoudre.
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<s Si vous mourez, vous serez tous martyrs;
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1135 « Dans le grand paradis vos places sont toutes prêtes. »
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'1135. Dans le grand paradis. « Qu'est-
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ce que la mui'i laisse subsister chez les
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héros d'Homère? Une âme, une vaine
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image, qui, dès que la vie a abandonné
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lesossements, s'échappe e1 vu] lige comme
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un songe. » (Giguet, Essai d'encyclo-
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pédie homérique, p. 626.) L'auteur du
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Roland, au contraire, el lous les ailleurs
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LA CHANSON DE ROLAND \%\
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Français descendent de cheval, s'agenouillent à terre,
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Et l'Archevêque les bénit de par Dieu :
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« Pour votre pénitence, vous frapperez les païens. »
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Aoi.
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XCVI
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Français se redressent, se remettent en pied;
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1140 Les voilà absous et quittes de tous leurs péchés.
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L'Archevêque leur a donné sa bénédiction au nom
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de Dieu;
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Puis ils sont montés sur leurs destriers rapides.
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Ils sont armés en chevaliers
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Et tout disposés pour la bataille.
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1 1 i."> Le comte Roland appelle Olivier :
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« Sire compagnon, vous le savez,
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« C'est Ganelon qui nous a tous trahis ;
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« Il en a reçu bons deniers en argent et en or.
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« L'Empereur devrait bien nous venger.
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1150 « Quant au roi Marsile, il a fait marché de nous,
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« Mais c'est avec nos épées qu'il sera payé. » Aoi.
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XGVII
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Aux défilés d'Espagne passe Roland
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Sur Veillantif, son bon cheval courant.
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Ses armes lui sont très avenantes ;
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I d<> nos Chansons de geste possédaient
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V sur l'autre vie les notions très ne
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la doctrine chrétienne. Le paradis esl
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pour eux le lieu des âmes saintes, le
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lieu où elles contemplent Dieu, Partoul
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on voit, dans nos poèmes, les Anges
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emporter au ciel 1rs Aines des dus, el
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les démons traînei en enfi i les âmes
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des damnés. Il esl digne de remarque
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i|ue nus poêles oui loii.joiirs professé le
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dogme de l'éternité des peines : Diable
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emportent l'anme en enfer à tous dis.
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Quant aux images dont ils se servent
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pour peindre le paradis, elles ne sonl
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ni très variées ni très compliquées. La
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plus populaire esl celle-ci : « Les saintes
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lieu i s du paradis. » Se figurer le paradis
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comme un jardin plein de belles ûeui s!
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Celle conception est en véi ité toute
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militaire, el s'explique par la loi des
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contrastes. Tous les vieux soldats aimenl
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les lleurs. i L'idée religieuse dans les
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Chansons de geste, par L. <i.. p. 29.)
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1155 11 s'avance, le baron, avec sa lance au poing
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Dont le fer est tourné vers le ciel
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Et au bout de laquelle est lacé un gonfanon tout
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blanc.
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Les franges d'or lui descendent jusqu'aux mains.
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1100 Le corps de Roland est tout gaillard, son visage est
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clair et riant.
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Sur ses pas marche Olivier, son ami;
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Et ceux de France, le montrant : « Voilà notre cham-
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pion, » s'écrient -ils.
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Sur les Sarrasins il jette un regard fier,
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Mais humble et doux sur les Français;
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Puis leur a dit un mot courtois :
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1165 « Seigneurs barons, allez au petit pas :
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« Ces païens, en vérité, viennent ici chercher grand
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martyre.
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« Le beau butin que nous aurons aujourd'hui!
 +
« Aucun roi de France n'en fit jamais d'aussi riche. »
 +
A ces mots, les deux armées se rencontrent. Aoi.
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XGVIII
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1170 « Point n'ai souci de parler, dit alors Olivier.
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« Vous n'avez pas daigné sonner de votre cor,
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« Et voici que le secours de Charles vous fera dé-
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faut.
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« Certes, il n'est pas coupable; car il n'en sait mot,
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le baron ,
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« Et ceux qui sont là-bas ne sont point à blâmer.
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1175 « Maintenant chevauchez du mieux que vous pourrez,
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« Seigneurs barons, et ne reculez point.
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1187. Voilà Français et Sarrasins
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aux prises. Toutes les batailles racon-
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tées dans nos poèmes se ressemblent.
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Deux armées arrivent en présence Tune
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de l'autre ; les plus forts et les mieux-
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armés sortent des rangs et en viennent
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aux mains. Une bataille alors n'est
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qu'une série de duels, une partie de
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barres sanglante. « Suivant le bon ou le
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mauvais succès de ces engagements par-
 +
ticuliers, les masses avancent ou reculent
 +
jusqu'au moment où l'un des deux par-
 +
tis cède absolument le champ de bataille.
 +
Le lendemain on enterre les morts, et
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tout recommence de plus belle. » ( His-
 +
toire littéraire, xxn, 717.)
 +
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 +
LA CHANSON DE ROLAND 123
 +
 +
« Au nom de Dieu , ne pensez qu'à deux choses :
 +
 +
« A recevoir et à donner de bons coups.
 +
 +
« Et n'oublions pas la devise de Charles. »
 +
1180 A ce mot, les Français ne poussent qu'un seul cri :
 +
 +
« Monjoie! » Qui les eût entendus crier de la sorte,
 +
 +
Eût eu l'ide'e du courage.
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 +
Puis ils chevauchent, Dieu ! avec quelle fierté !
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 +
Pour aller plus rapidement donnent un fort coup
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d'éperon ,
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1185 Et (que feraient-ils autre chose?) se jettent sur
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l'ennemi.
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 +
Mais les païens n'ont pas peur :
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Voilà Français et Sarrasins aux prises... Aoi.
  
 
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Version du 19 mars 2022 à 00:19

Les préludes de la grande bataille et le fierté de Roland
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Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 115.jpg

Facsimilés

Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 116.jpg Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 117.jpg Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 118.jpg Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 119.jpg
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Les couplets (laisses)

LXXXVI

LXXXVII

LXXXVIII

LXXXIX

XC

XCI

XCII

XCIII

XCIV

...

Notes originales

1032. Hauberts brodés

Partie brute d'OCR

logo travaux Elle peut être utilisée en travaux pratiques

Le texte porte safret. On mêlait du fil d'archal atix mailles de fer du hauberl , et l'on pro- duisait par là une broderie grossière qui ornait surtout le bas de ce vêtement. Ce sont particulièrement les pans du hau- bert qui sont safrés (v. 3141). Dans la bataille, rien n'était plus aisé que de les désaffrer (v. 3426).


Fin de chapitre brut d'OCR

Fig. 15. — L'Archevêque les bénit 

de par Dieu : « Pour votre pénitence, 

| vous frapperez les païens. » (V. 1137, 1138. 

(Composition de Zier.) 



LES PRÉLUDES DE LA GRANDE RATAILLE 
ET LA FIERTÉ DE ROLAND 



LXXXVI 



Olivier monte sur une hauteur : 
Il regarde à droite parmi le val herbu, 
Et voit venir toute l'armée païenne. 
11 appelle son compagnon Roland : 
« Ah ! » dit-il, « du côté de l'Espagne, quel 
bruit j'entends venir ! 
■ Une de blancs hauberts! cpue de heaumes flam- 
boyants ! 




11G 



LA CHANSON DE ROLAND 



« Nos Français vont en avoir grande ire. 
y Cette trahison est l'œuvre de Ganelon, ce félon; 
1025 « C'est lui qui nous lit donner cette besogne par 
l'Empereur. 
« — Tais -toi, Olivier, » répond le comte Roland; 
« C'est mon beau-père, n'en sonne plus mot. » Aoi. 

LXXXVII 

Olivier est monté sur une colline élevée : 

De là il découvre le royaume d'Espagne 
4030 Et le grand assemblement des Sarrasins. 

Les heaumes luisent, tout couverts d'or et de pierre- 
ries , 

Et les écus, et les hauberts brodés, 

Et les épieux, et les gonlanons au bout des lances. 

Olivier ne peut compter les bataillons ; 
1035 II y en a tant, qu'il n'en sait la quantité ! 

En lui-même il en est tout égaré. 

Comme il a pu , est descendu de la colline , 

Est venu vers les Français, leur a tout raconté. Aoi. 



LXXXVIII 

Olivier dit : « J'ai vu tant de païens, 
1040 « Que nul homme n'en vit jamais plus sur la terre. 
« 11 y en a bien cent mille devant nous avec leurs 

écus, 
« Leurs heaumes lacés, leurs blancs hauberts, 







1042. Blancs hauberts. On a verni 
en diverses couleurs le métal du hau- 
berl. 11 y en eut de bleus, de verts, etc. 
(J. Quicherât, Histoire du costutne t 
p. 151.) Mais quand le métal n'élail pas 
vernissé en couleur, quand il ne subis- 
sait d'autre préparation que le polissage ( 
c'était le « blanc haubert ». 



LA CHANSON DE ROLAND 



117 



« Leurs lances droites, leurs blancs épieux luisants. 
« Vous aurez bataille, bataille comme il n'y en eut 
jamais. 
10i5 « Seigneurs Français, que Dieu vous donne sa force; 
<r Et tenez ferme pour n'être point vaincus. » 
Et les Français : « Maudit qui s'enfuira, » disent-ils. 
« Pas un ne vous fera défaut pour cette mort ! » Aoi. 

LXXXIX 

Olivier dit : « Païens ont grande force, 
1050 « Et nos Français, ce me semble, sont bien peu. 
<( Ami Roland, sonnez de votre cor : 
« Charles l'entendra, et fera retourner son armée. 
« — Je serais bien fou , » répond Roland ; 
« Dans la douce France, j'en perdrais ma gloire. 
1055 « Non, mais je frapperai grands coups de Durendal; 
g Le fer en sera sanglant jusqu'à l'or de la garde. 
« Nos Français y frapperont aussi, et avec quel 

élan ! 
« Félons païens furent mal inspirés de venir aux 

défilés : 
« Je vous jure que, tous, ils sont jugés à mort.» Aoi. 



XG 



« Ami Roland, sonnez votre olifant : 
1000 * Charles l'entendra, et fera retourner 
armée. 



la 



grande 



1059. L'olifant. Il faul établir une dis- 
tinction entre le cor que poi te chaque 
chevalier el ['olifant. Il y ;i soixante 
raille cors dans l'armée de Charles, mais 
il n'\ a qu'un olifant. Après la morl de 
Roland , Chai les dit à Babel el à Guine- 
in.ini : c Vous remplacerez aujourd'hui 
« Roland el < Hivier : l'un de vous por- 
« tera l'épée el l'autre L'olifant, o i V.3016, 
l!n|7.i Celui-ci esl d'ivoire, comme son 



nom l'indique, el la légende épique lui 




prête un son bien plus retentissanl qu'à 



118 



LA CHANSON DE ROLAND 



<( Le Roi et ses barons viendront à notre secours. 
« — A Dieu ne plaise, » répond Roland, 
«. Que mes parents jamais soient blâmés à cause de moi, 
« Ni que France la douce tombe jamais dans le dés- 
honneur ! 
1065 « Non, mais je frapperai grands coups de Durendal, 
« Ma bonne épée que j'ai ceinle à mon côté, 
« Vous en verrez tout le fer ensanglanté. 
« Félons païens se sont assemblés ici pour leur mal- 
heur : 
« Je vous jure qu'ils sont tous condamnés à mort. » 

Aoi. 



XGI 



1070 « Ami Roland , sonnez de votre olifant. 

« Le son en ira jusqu'à Charles, qui passe aux défilés, 
« Et les Français, je vous le jure, retourneront sur 

leurs pas. 
« — A Dieu ne plaise, » répond Roland, 
« Qu'il soit jamais dit par aucun homme vivant 

1075 « Que j'ai sonné mon cor à cause des païens ! 
« Je ne ferai pas aux miens ce déshonneur. 
« Mais quand je serai dans la grande bataille, 
« J'y frapperai mille et sept cents coups : 
« De Durendal vous verrez le fer tout sanglant. 

1080 « Français sont bons : ils frapperont en braves ; 

« Les Sarrasins ne peuvent échapper à la mort.» Aoi. 



XCII 



- Je ne vois pas où serait le déshonneur, » dit 
Olivier. 



tous les autres cors : Sur luz les astres 
bundist H olifant. (V. 3119. Cf. 3302.) 
= Les « olifants » avaient la forme d'une 
corne; ils étaient parfois très richemenl 



sculptés. Nous en reproduisons ici un 
des plus anciens modèles, il remonte 
au XII e siècle. (Voir Mélanges archéolo- 
giques du P. Cahier, t. II, p. 36.) 



LA CHANSON DE ROLAND 119 

« J'ai vu, j'ai vu les Sarrasins d'Espagne; 

« Les vallées , les montagnes en sont couvertes ; 
1085 « Et les landes aussi, et toutes les plaines. 

« Qu'elle est puissante, l'armée de la gent étrangère, 

« Et que petite est notre compagnie ! 

« — Tant mieux , » répond Roland , « mon ardeur 
s'en accroît. 

« Ne plaise à Dieu, ni à ses très saints anges, 
4090 « Que France, à cause de moi, perde de sa valeur! 

« Plutôt la mort que le déshonneur. 

« Plus nous frappons , plus l'Empereur nous aime ! » 

Aoi. 

XGIII 

Roland est preux , mais Olivier est sage ; 
Ils sont tous deux de merveilleux courage. 
1095 Puis d'ailleurs qu'ils sont à cheval et en armes, 

Ils aimeraient mieux mourir qu'esquiver la bataille. 
Les comtes ont l'àme bonne, et hautes sont leurs 

paroles... 
Félons païens chevauchent par grande ire. 
« Voyez un peu, Roland, » dit Olivier; 
1100 « Les voici près de nous, et Charles est trop loin. 
Ah ! vous n'avez pas voulu sonner de votre cor; 
« Le Roi serait ici, et nous ne serions pas en danger. 
■ Mais ceux qui sont là -bas ne méritent aucun 

blâme; 
6 Jetez les yeux là-haut vers les défilés d'Aspre : 
a Vous y verrez dolente arrière -garde. 
1105 " Tel s'y trouve aujourd'hui qui plus jamais ne sera 
dans une autre. 
« — Ne parlez pas aussi follement, répond Roland. 

Maudit soit qui porte un lâche cœur au ventre! 
« Nous tiendrons pied fortement sur la place; 
g De nous viendront les coups, et de nous la lui- 
taille ! >• Aoi. 



120 



LA CHANSON DE ROLAND 



XCIV 

1110 Quand Roland voit qu'il y aura bataille, 

Il se fait plus fier que lion ou léopard. 

Il interpelle les Français, puis Olivier : 

« Ne parle plus ainsi, ami et compagnon ; 

« L'Empereur, qui nous laissa ses Français, 
1115 « A mis à part ces vingt mille que voici. 

« Pas un lâche parmi eux, Charles le sait bien. 

« Pour son seigneur on doit souffrir grands maux, 

« Endurer le chaud et le froid , 

« Perdre de son sang et de sa chair. 
1120 « Frappe de ta lance, Olivier, et moi, de Durendal, 

<r Ma bonne épée que me donna le Roi. 

« Et si je meurs, qui l'aura pourra dire : 

« C'était l'épée d'un noble vassal ! » Aoi. 



xcv 



D'autre part est l'archevêque Turpin : 
1125 II pique son cheval, et monte sur une colline; 

Puis s'adresse aux Français , et leur fait ce sermon : 

« Seigneurs barons, Charles nous a laissés ici, 

« C'est notre roi : notre devoir est de mourir pour 
lui. 

« Chrétienté est en péril, maintenez -la. 
1130 « Il est certain que vous aurez bataille; 

« Car sous vos yeux, voici les Sarrasins. 

« Or donc, battez votre coulpe, et demandez à Dieu 
merci. 

« Pour guérir vos âmes, je vais vous absoudre. 

<s Si vous mourez, vous serez tous martyrs; 
1135 « Dans le grand paradis vos places sont toutes prêtes. » 



'1135. Dans le grand paradis. « Qu'est- 
ce que la mui'i laisse subsister chez les 
héros d'Homère? Une âme, une vaine 
image, qui, dès que la vie a abandonné 



lesossements, s'échappe e1 vu] lige comme 
un songe. » (Giguet, Essai d'encyclo- 
pédie homérique, p. 626.) L'auteur du 
Roland, au contraire, el lous les ailleurs 



LA CHANSON DE ROLAND \%\ 

Français descendent de cheval, s'agenouillent à terre, 
Et l'Archevêque les bénit de par Dieu : 
« Pour votre pénitence, vous frapperez les païens. » 

Aoi. 

XCVI 

Français se redressent, se remettent en pied; 
1140 Les voilà absous et quittes de tous leurs péchés. 

L'Archevêque leur a donné sa bénédiction au nom 
de Dieu; 

Puis ils sont montés sur leurs destriers rapides. 

Ils sont armés en chevaliers 

Et tout disposés pour la bataille. 
1 1 i."> Le comte Roland appelle Olivier : 

« Sire compagnon, vous le savez, 

« C'est Ganelon qui nous a tous trahis ; 

« Il en a reçu bons deniers en argent et en or. 

« L'Empereur devrait bien nous venger. 
1150 « Quant au roi Marsile, il a fait marché de nous, 

« Mais c'est avec nos épées qu'il sera payé. » Aoi. 



XGVII 

Aux défilés d'Espagne passe Roland 
Sur Veillantif, son bon cheval courant. 
Ses armes lui sont très avenantes ; 

I d<> nos Chansons de geste possédaient 
V sur l'autre vie les notions très ne 

la doctrine chrétienne. Le paradis esl 

pour eux le lieu des âmes saintes, le 

lieu où elles contemplent Dieu, Partoul 

on voit, dans nos poèmes, les Anges 

emporter au ciel 1rs Aines des dus, el 

les démons traînei en enfi i les âmes 

des damnés. Il esl digne de remarque 

i|ue nus poêles oui loii.joiirs professé le 

dogme de l'éternité des peines : Diable 

emportent l'anme en enfer à tous dis. 



Quant aux images dont ils se servent 
pour peindre le paradis, elles ne sonl 
ni très variées ni très compliquées. La 
plus populaire esl celle-ci : « Les saintes 
lieu i s du paradis. » Se figurer le paradis 
comme un jardin plein de belles ûeui s! 
Celle conception est en véi ité toute 
militaire, el s'explique par la loi des 
contrastes. Tous les vieux soldats aimenl 
les lleurs. i L'idée religieuse dans les 
Chansons de geste, par L. <i.. p. 29.) 



122 



LA CHANSON DE ROLAND 



1155 11 s'avance, le baron, avec sa lance au poing 
Dont le fer est tourné vers le ciel 
Et au bout de laquelle est lacé un gonfanon tout 

blanc. 
Les franges d'or lui descendent jusqu'aux mains. 
1100 Le corps de Roland est tout gaillard, son visage est 
clair et riant. 
Sur ses pas marche Olivier, son ami; 
Et ceux de France, le montrant : « Voilà notre cham- 
pion, » s'écrient -ils. 
Sur les Sarrasins il jette un regard fier, 
Mais humble et doux sur les Français; 
Puis leur a dit un mot courtois : 
1165 « Seigneurs barons, allez au petit pas : 

« Ces païens, en vérité, viennent ici chercher grand 

martyre. 
« Le beau butin que nous aurons aujourd'hui! 
« Aucun roi de France n'en fit jamais d'aussi riche. » 
A ces mots, les deux armées se rencontrent. Aoi. 

XGVIII 



1170 « Point n'ai souci de parler, dit alors Olivier. 
« Vous n'avez pas daigné sonner de votre cor, 
« Et voici que le secours de Charles vous fera dé- 
faut. 
« Certes, il n'est pas coupable; car il n'en sait mot, 

le baron , 
« Et ceux qui sont là-bas ne sont point à blâmer. 
1175 « Maintenant chevauchez du mieux que vous pourrez, 
« Seigneurs barons, et ne reculez point. 



1187. Voilà Français et Sarrasins 
aux prises. Toutes les batailles racon- 
tées dans nos poèmes se ressemblent. 
Deux armées arrivent en présence Tune 
de l'autre ; les plus forts et les mieux- 
armés sortent des rangs et en viennent 
aux mains. Une bataille alors n'est 
qu'une série de duels, une partie de 



barres sanglante. « Suivant le bon ou le 
mauvais succès de ces engagements par- 
ticuliers, les masses avancent ou reculent 
jusqu'au moment où l'un des deux par- 
tis cède absolument le champ de bataille. 
Le lendemain on enterre les morts, et 
tout recommence de plus belle. » ( His- 
toire littéraire, xxn, 717.) 



LA CHANSON DE ROLAND 123 

« Au nom de Dieu , ne pensez qu'à deux choses : 

« A recevoir et à donner de bons coups. 

« Et n'oublions pas la devise de Charles. » 
1180 A ce mot, les Français ne poussent qu'un seul cri : 

« Monjoie! » Qui les eût entendus crier de la sorte, 

Eût eu l'ide'e du courage. 

Puis ils chevauchent, Dieu ! avec quelle fierté ! 

Pour aller plus rapidement donnent un fort coup 
d'éperon , 
1185 Et (que feraient-ils autre chose?) se jettent sur 
l'ennemi. 

Mais les païens n'ont pas peur : 

Voilà Français et Sarrasins aux prises... Aoi.