De Wicri Chanson de Roland
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Fig. 21. — « O ma bonne Durendal , comme tu es claire et blanche! »
(Vers 2316.)
(Composition de Zier.)
Roland va mourir
Facsimilés
Les chapitres (laisses)
CXCVIII
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Roland lui-même sent que la mort lui est proche ;
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2260
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Sa cervelle s'en va par les oreilles.
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Le voilà qui prie pour ses pairs d'abord, afin que Dieu les appelle.
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Puis il se recommande à l'ange Gabriel.
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Il prend l'olifant d'une main (pour n'en pas avoir de reproche),
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Et de l'autre saisit Durendal, son épée.
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II s'avance plus loin qu'une portée d'arbalète ;
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Il s'avance sur la terre d'Espagne, entre un champ,
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Monte sur un tertre. Sous deux beaux arbres,
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Il y a là quatre perrons de marbre.
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Roland tombe à l'envers sur l'herbe verte
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Et se pâme, car la mort lui est proche. Aoi.
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CXCIX
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Les puys sont hauts, hauts sont les arbres.
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Il y a là quatre perrons, tout luisants de marbre.
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Sur l'herbe verte le comte Roland se pâme.
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Cependant un Sarrasin l'épie,
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2275
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Qui contrefait le mort et gît parmi les autres ;
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Il a couvert de sang son corps et son visage.
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Soudain il se redresse, il accourt.
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Il est fort, il est beau et de grande bravoure.
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Plein d'orgueil et de mortelle rage,
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Il saisit Roland, corps et armes,
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Et s'écrie : <s Vaincu, il est vaincu, le neveu do Charles !
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« Voilà son épée que je porterai en Arabie. »
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Il la prend en son poing et tire la barbe de Roland;
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Mais, comme il la tirait, Roland reprit un peu connaissance.
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Aoi.
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CC
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Roland sent bien qu'on lui enlève son épée ;
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II ouvre les yeux, ne dit qu'un mot :
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« Tu n'es pas des nôtres, que je sache! »
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De son olifant, qu'il ne voulut jamais lâcher,
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Il frappe un rude coup sur le heaume couvert de pierreries et d'or,
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Brise l'acier, la tête et les os du païen,
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Lui fait jaillir les deux yeux hors du chef
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Et le retourne mort à ses pieds :
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« Lâche, » dit-il, « qui t'a rendu si osé,
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« A tort ou à droit, de mettre la main sur Roland?
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« Qui le saura t'en estimera fou.
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« Le pavillon de mon olifant en est fendu ;
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« L'or et les pierreries en sont tombés. »
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Aoi.
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CCI
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Roland sent bien que la mort le presse;
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Il se lève et, tant qu'il peut, s'évertue :
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Las! son visage n'a plus de couleurs.
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Alors il prend, toute nue, son épée Durendal :
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Devant lui est une roche brune ;
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Par grande douleur et colère, il y assène dix forts coups ;
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L'acier de Duraudal grince, peint ne se rompt, point ne s'ébrèche.
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« Ah! sainte Marie, venez à mon aide. » dit le comte.
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« ma bonne Durendal, quel malheur!
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« A l'heure où je me sépare de vous, plus ne puis en avoir cure;
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« Avec vous j'ai tant gagné de batailles !
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« J'ai tant conquis de vastes royaumes
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« Que tient aujourd'hui Charles à la barbe chenue!
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« Ne vous ait pas qui fuie devant un autre!
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« Tant que je vivrai, vous ne me serez pas enlevée :
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2310
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« Car vous avez été longtemps au poing d'un bon vassal.
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« Tel qu'il n'y en aura jamais en France, la terre libre, »
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Aoi.
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CCII
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Roland frappe une seconde fois au perron de sardoine.
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L'acier grince : il ne se rompt pas, il ne s'ébrèche point.
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Quand le Comte s'aperçoit qu'il ne peut briser son épée,
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En dedans de lui-même il commence à la plaindre :
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« O ma bonne Durendal, comme tu es claire et blanche !
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« Comme tu luis et flamboies au soleil !
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« Je m'en souviens : Charles était aux vallons de Maurienne,
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« Quand Dieu, du haut du ciel, lui manda par son ange
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De te donner à un vaillant capitaine.
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« C'est alors que le grand , le noble roi la ceignit à mon côté...
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« Avec elle je lui conquis l'Anjou et la Bretagne;
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« Je lui conquis le Poitou et le Maine ;
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« Je lui conquis la libre Normandie ;
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« Je lui conquis Provence et Aquitaine,
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« La Lombardie et toute la Romagne;
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« Je lui conquis la Bavière et les Flandres,
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« Et la Bulgarie et toute la Pologne,
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« Constantinople qui lui rendit hommage,
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« Et la Saxe qui se soumit à son bon plaisir ;
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« Je lui conquis Ecosse, Galles, Irlande
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« Et l'Angleterre, son domaine privé.
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« En ai-je assez conquis, de pays et de terres,
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« Que tient Charles à la barbe chenue !
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Et maintenant j'ai grande douleur à cause de cette épée :
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« Plutôt mourir que de la laisser aux païens!
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« Que Dieu n'inflige point cette honte à la France! »
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Aoi.
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CCIII
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Pour la troisième fois, Roland trappe sur une pierre bise :
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Plus en. abat que je ne saurais dire.
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L'acier grince, il ne rompt pas :
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L'épée remonte en amont vers le ciel.
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Quand le Comte s'aperçoit qu'il ne la peut briser,
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Tout doucement il la plaint en lui-même :
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« Ma Durendal, comme tu es belle et sainte!
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« Dans ta garde dorée il y a bien des reliques :
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« Une dent de saint Pierre, du sang de saint Basile,
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« Des cheveux de monseigneur saint Denis,
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« Du vêtement de la Vierge Marie.
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« Non, non, ce n'est pas droit que païens te possèdent.
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« Tu ne dois être servie que par des mains chrétiennes.
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« Combien de batailles j'aurai par toi menées à fin,
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« Combien de terres j'aurai par toi conquises,
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« Que tient Charles à la barbe fleurie,
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« Et qui sont aujourd'hui la puissance et la richesse de l'Empereur !
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« Plaise à Dieu que tu ne tombes pas aux mains d'un lâche !
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« Que Dieu n'inflige point cette honte à la France ! »
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Aoi.
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