Les Problèmes bibliographiques et leurs solutions (1898) Funck-Brentano/Partie VI

De Histoire de l'IST

Les Problèmes bibliographiques et leurs solutions

Sur l'impression d'un catalogue d'une bibliothèque nationale


 
 

Frantz Funck-Brentano 02.jpg
   
Première conférence internationale de Bibliographie.jpg

Cette page introduit la sixième partie d'un article de Frantz Funck-Brentano paru dans la Revue des Deux Mondes en 1898.

Avant-propos

Sur l'impression d'un catalogue d'une bibliothèque nationale

VI

193

Nous avons deux questions à traiter. Sur la première on est généralement d’accord, et nous croyons qu’elle est en voie de trouver sa solution définitive.

Il faut distinguer dans tout livre deux choses, l’âme et le corps, s’il nous est permis de nous exprimer ainsi. Prenons, par exemple, une édition des Méditations de Lamartine. On peut l’envisager au point de vue matériel, considérer l’édition, le format du livre, la date et la qualité de l’impression, l’envisager avec les yeux d’un bibliophile. On peut, d’autre part, sans se préoccuper de l’aspect matériel, n’en considérer que le contenu, ne voir dans le livre que l’œuvre du poète. Ce sont deux ordres d’idées absolument dissemblables et qu’il faut se garder de confondre en bibliographie.

Prenons le premier aspect, le livre envisagé comme livre, au point de vue matériel. Le jour où nous aurons constitué un 194 catalogue général, fait d’une manière exacte, de tous les livres qui ont paru, catalogue où la production courante viendra se verser journellement, il est clair que cette partie du problème bibliographique sera résolue.

La question vient de faire un grand pas par l’impression du Catalogue général des imprimés de la Bibliothèque nationale, dont le premier volume a paru avec une remarquable introduction de M. Léopold Delisle. Nous renvoyons à cette introduction pour l’histoire de ce catalogue, car ce catalogue a toute une histoire. Il comprendra la notice de tous les ouvrages imprimés conservés à la Bibliothèque nationale, c’est-à-dire d’environ 2 millions de volumes. La Bibliothèque nationale est, comme on sait, la plus grande bibliothèque du monde.

Le catalogue est divisé en trois séries : 1° celle des ouvrages dont l’auteur est connu ; 2° celle des ouvrages anonymes ou émanés de collectivités ; 3° les groupes d’ouvrages spéciaux. On a adopté le classement le plus simple pour les noms d’auteurs et pour les titres des ouvrages anonymes : le classement alphabétique. Chaque page comprend une quarantaine de notices ; ce qui donne, par volume de 800 pages, 32 000 notices. L’ouvrage sera complet en 80 volumes environ, qui comprendront un ensemble de 2 500 000 notices. Le catalogue est terminé. Il en est, comme on sait, toujours ainsi. Quand paraît le premier volume d’un catalogue alphabétique, ou même la première feuille, le catalogue est terminé. L’ordre alphabétique peut faire rédiger, à la dernière heure, une notice qui sera imprimée à la première page. Bien que le catalogue des imprimés de la Bibliothèque nationale soit achevé, l’impression demandera un temps assez long. Que fera-t-on des ouvrages qui, pendant ce temps, entreront à la Bibliothèque ? Chaque feuille du catalogue porte la date, — mois et année, — du bon à mettre en pages. « La matière de chaque feuille sera complète à ce moment. Les additions seront arrêtées et les livres entrant à la Bibliothèque après ce moment seront réservés pour le supplément. » Ce supplément sera formé par le bulletin mensuel de toutes les publications qui entrent à la Bibliothèque nationale. Le découpage des volumes du catalogue général (en y ajoutant le découpage des bulletins mensuels formant le supplément) fournira le moyen de créer des répertoires méthodiques suivant les besoins du service de la Bibliothèque et des lecteurs. Ce découpage servira au même usage dans les 195 autres bibliothèques, ou dans les offices bibliographiques qui recevront le catalogue, et nous allons voir le parti que l’on en pourra tirer.

Remontons, pour un instant, de cent ans en arrière. « L’Assemblée constituante, disent MM. V. et Ch. Mortet, en réunissant au domaine de l’Etat les biens des corporations religieuses et laïques, avait amassé à Paris et dans les principales villes des départemens une immense quantité de livres imprimés et manuscrits. » On résolut d’en faire l’inventaire et l’on eut l’idée de faire servir ce gigantesque travail à un catalogue général de toutes les bibliothèques de France. Le vaste catalogue collectif que l’on espérait ainsi former, et que l’on qualifiait de « Bibliographie générale et raisonnée de la France », devait être imprimé en une cinquantaine de volumes in-folio, selon le calcul approximatif fait dès lors.

L’Assemblée législative et la Convention continuèrent de veiller sur l’œuvre entreprise. En 1794, Grégoire, évêque constitutionnel de Blois, présentait à la Convention son rapport sur la Bibliographie. 1 200 000 cartes, correspondant à 3 millions de volumes, étaient parvenues au comité. Ce chiffre représentait environ le tiers de l’ensemble général. Nous estimerions aujourd’hui que le travail marchait avec une rapidité merveilleuse ; les hommes de ce temps trouvaient qu’il n’avançait pas. Cependant Grégoire ne perdait pas espoir. De nouvelles instructions furent expédiées aux rédacteurs des catalogues. « Tous les titres des livres, dit Grégoire, se rectifient mutuellement par la confrontation ; toutes les cartes des catalogues partiels s’intercalent pour former un catalogue général. » Combien il est à regretter que cette œuvre, si bien et si pratiquement comprise, n’ait pu être exécutée à cause des désordres du temps !

Les conceptions des comités nommés par les assemblées révolutionnaires sont reprises aujourd’hui et elles seront sans aucun doute exécutées. « Une proposition plus étendue, dit M. Georges Picot dans son rapport sur le catalogue des imprimés de la Bibliothèque nationale, a été soumise à la commission. Il s’agissait de rattacher au catalogue celui des autres collections existant à Paris et de le transformer ainsi en un inventaire encyclopédique des richesses bibliographiques accumulées dans les bibliothèques de l’État. » M. Ferdinand Bonnange, qui s’est fait connaître par bien des idées ingénieuses aujourd’hui appliquées 196 dans nos bibliothèques, publiait, peu de temps après le rapport de M. Picot, une brochure intitulée : Projet d’un Catalogue général unique et perpétuel. Il développait un projet identique étendu à la France tout entière et fournissait des idées pratiques pour la réalisation. « Il suffirait de reproduire par l’autographie les notices du Catalogue de la Bibliothèque nationale aujourd’hui terminé. On en tirerait un nombre suffisant d’exemplaires pour en adresser à toutes les bibliothèques de l’État et aux bibliothèques municipales. Les administrations de ces bibliothèques retourneraient à l’administration du Catalogue général l’indication précise des ouvrages qu’elles posséderaient à l’exclusion de la Bibliothèque nationale. »

Ce projet a été écarté pour des raisons que nous ne connaissons pas. Elles ont dû être très sérieuses pour faire impression sur l’esprit d’un homme comme M. Léopold Delisle. Il serait d’autant plus regrettable que les projets soumis à la Commission ne fussent pas mis à exécution, que nous allons les voir appliqués par nos voisins.

En 1884, M. K. Dziatzko, alors bibliothécaire en chef de l’université de Breslau, appela l’attention de ses compatriotes sur l’utilité qu’il y aurait à dresser un catalogue commun à toutes les bibliothèques d’Allemagne. Ce catalogue devait s’appeler Thesaurus Germaniæ typographicus. Ce projet n’est plus seulement une idée juste et féconde, il est en voie d’exécution. On travaille actuellement, par les soins du ministère de l’instruction publique, à un catalogue commun à toutes les bibliothèques du royaume de Prusse. Sur l’initiative éclairée de l’illustre M. F. Van der Haeghen, le même plan sera mis à exécution pour les bibliothèques des royaumes de Belgique et de Hollande.

En imprimant son catalogue, la Bibliothèque nationale suit l’exemple de sa grande voisine de Londres. Le catalogue des livres conservés au British Museum est en cours d’impression depuis plusieurs années. 300 fascicules environ sont imprimés, comprenant la moitié des ouvrages de ce vaste établissement. On sait que le British Museum renferme la plus grande bibliothèque qui existe après la Bibliothèque nationale.

Comme bien on pense, quand ces deux catalogues, celui du British Museum et celui de la Bibliothèque nationale, seront terminés, ainsi que les catalogues généraux des bibliothèques de Belgique, de Hollande et du royaume de Prusse, on aura l’inventaire d’une 197 quantité de livres qui ne sera pas éloignée de la somme totale. Par le système des découpages, il sera facile de les fusionner dans l’ordre de matières que l’on préférera. Ce travail peut être fait dès à présent, à mesure que paraîtront les fragmens de catalogues. Les rares particuliers qui possèdent des livres dont aucune bibliothèque publique n’a d’exemplaire s’empresseront de les faire connaître. L’on aura ainsi, par le moyen le plus simple, le catalogue général de tous les livres imprimés. L’Office international de Bruxelles est tout désigné pour centraliser ce travail. C’est sur cette œuvre qu’il serait désirable qu’il concentrât ses efforts, en dehors de ceux qu’il doit consacrer tout d’abord à son répertoire général manuscrit.

Quant aux services que la fusion des catalogues, faite de la sorte, pourra rendre, ils sont nombreux. « La connaissance des ouvrages qui existent dans les autres bibliothèques de l’État à Paris, dit M. Léopold Delisle dans son introduction au Catalogue de la Bibliothèque nationale, et qui sont ainsi d’un accès facile au public, nous est indispensable pour nous guider dans le choix des livres qu’il convient d’acquérir. C’est aussi la fusion des catalogues qui permettra d’organiser un large système de prêt dont les savans des départemens retireront le plus grand profit. Quand on pourra s’assurer qu’un ouvrage existe dans d’autres bibliothèques parisiennes, quelle raison pourra empêcher de le confier temporairement à une bibliothèque de province ? » Voici d’ailleurs plus d’un siècle que Grégoire montrait tout ce qu’un catalogue général pourrait faire pour l’avancement de l’histoire, de la littérature et des sciences.


Voir aussi

Les Problèmes bibliographiques et leurs solutions, Sur l'impression d'un catalogue d'une bibliothèque nationale +