La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition populaire/1895/Partie 1/Saragosse

De Wicri Chanson de Roland

Cette page introduit le premier chapitre de la première partie de La chanson de Roland, édition populaire, publiée en 1895.

A Saragosse
Conseil tenu par le roi Marsile
Chanson de Roland Gautier 1895 page 45 fig.png

Les couplets (laisses)

I

Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 45.jpg
 
O. => I
Charles le roi, notre grand empereur,
Sept ans entiers est resté en Espagne ;
Jusqu’à la mer, il a conquis la haute terre.
Pas de château qui tienne devant lui,
 5    Pas de cité ni de mur qui reste encore debout.
Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 46.jpg
Hors Saragosse, qui est sur une montagne.
Le roi Marsile la tient, qui n’aime pas Dieu,
Qui sert Mahomet et prie Apollon ;
Mais le malheur va l’atteindre : il ne s’en peut garder.    [Aoi]
Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 47.jpg

II

 10 
O. => II
Le roi Marsile était à Saragosse.
Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 48.jpg
Il est allé dans un verger, à l'ombre;
Sur un perron de marbre bleu se couche ;
Autour de lui sont plus de vingt mille hommes.
Il adresse alors la parole à ses ducs, à ses comtes :
 15 « Oyez, seigneurs, » dit-il, « le mal qui nous accable :
« Charles, l'empereur de France la douce,
« Pour nous confondre est venu dans ce pays.
« Plus n'ai d'armée pour lui livrer bataille ;
« Plus n'ai de gent pour disperser la sienne.
 20 «Comme mes hommes sages, donnez- moi un conseil
« Et préservez-moi de la mort, de la honte. »
Pas un païen, pas un qui réponde un seul mot ,
Hors Blancandrin, du château de Val-Fonde.    [Aoi]

III

O. => III
Blancandrin, parmi les païens, était l'un des plus sages,
 25  Chevalier de grande vaillance,
Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 49.jpg
Homme de bon conseil pour aider son seigneur :
« Ne vous effrayez point, dit-il, au Roi.
« Envoyez un message à Charles, à ce fier, à cet orgueilleux ;
« Promettez-lui service fidèle et très grande amitié.
 30 « Faites-lui présent de lions, d'ours et de chiens,
« De sept cents chameaux, de mille autours qui aient mué ;
« Donnez-lui quatre cents mulets chargés d'or et d'argent ,
« Tout ce que cinquante chars peuvent porter.
C. => III (45)
« Bref, donnez-lui tant de besants d'or pur, [NDLR 1]
« Que le roi de France enfin puisse payer ses soldats.
 35 « Mais il a trop longtemps fait la guerre en ce pays
« Et n'a plus qu'à retourner en France, à Aix.
Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 50.jpg
« Vous l'y suivrez, — direz -vous, -- à la fête de saint Michel.
« Et là, vous vous convertirez à la foi chrétienne,
« Vous serez son homme en tout bien, tout honneur.
 40 « S'il exige des otages, eh bien! envoyez-en
« Dix ou vingt, pour avoir sa confiance.
« Oui, envoyons-lui les fils de nos femmes.
« Moi, tout le premier, je lui livrerai mon fils, dût-il y mourir.
« Mieux vaut qu'ils y perdent la tête
45 « Que de perdre, nous, notre seigneurie et notre terre ,
« Et d'être réduits à mendier. »
C. => III (57)
El les païens de répondre : « Nous vous l'accordons volontiers.[NDLR 1] » [Aoi].

IV

O. => IV
« Par ma main droite que voici, » dit Blancandrin,
« Et par cette barbe que le vent fait flotter sur ma poitrine,
« Vous verrez soudain les Français lever leur camp.
 40  Et s'en aller dans leurs pays, en France.
« Une fois qu'ils seront de retour en leur meilleur logis,
Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 51.jpg
« Charles, à sa chapelle d'Aix,
« Donnera, pour la Saint-Michel, une très grande fête
« Le jour où vous devrez venir arrivera, le terme passera ,
 55 Et Charles ne recevra plus de nos nouvelles.
« L'empereur est terrible , son cœur est implacable ;
« Il fera trancher la tête de nos otages.
« Mais il vaut mieux qu'ils y perdent la vie
« Que de perdre, nous, claire Espagne la belle,
 60 « Et de souffrir tant de maux et de douleurs.
« — Il en pourrait bien être ainsi, » s'écrient les païens.       Aoi.

V

O. => V
Le conseil de Marsile est terminé.
Le Roi mande alors Clarin de Balaguer,
Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 52.jpg
Avec Estramarin et son pair Eudropin ,
 65  Priamus avec Garlan le barbu,
Machiner avec son oncle Matthieu,
Joïmer avec Maubien d'outre-mer,
Et Blancandrin, pour leur exposer son dessein.
Il fait ainsi appel à dix païens , des plus félons :
 70  « Seigneurs barons, vous irez vers Charlemagne ,
« Qui est en ce moment au siège de la cité de Cordoue.
« Vous porterez dans vos mains des branches d'olivier,
« En signe de soumission et de paix.
« Si vous avez l'art de me réconcilier avec Charles ,
 75  Je vous donnerai or et argent ,
« Terres et fiefs autant que vous en voudrez. »
« — Notre Seigneur parle bien, [NDLR 2] » s'écrient les païens.       Aoi.

VI

O. => VI
Le conseil de Marsile est terminé.
« Seigneurs, » dit-il à ses hommes , « vous allez partir
80  « Avec des branches d'olivier dans vos mains.
« Dites de ma part au roi Charles
« Qu'au nom de son Dieu il ait pitié de moi :
« Avant qu'un seul mois soit passé,
« Je le suivrai avec mille de mes fidèles,
85  « Pour recevoir la loi chrétienne
Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 53.jpg
« Et devenir son homme par amour et par foi.
« S'il veut des otages, certes, il en aura.
« — Bien, » dit Blancandrin. « Vous aurez là un bon traité. Aoi

VII

O. => VII
Marsile fit alors amener dix mules blanches
 90  Que lui envoya jadis le roi de Sicile[NDLR 3].
Les freins sont d'or, les selles d'argent ;
Les dix messagers y sont montés,
Portant des branches d'olivier dans leurs mains
En signe de soumission et de paix. [NDLR 4].
Et voici qu'ils arrivent près du roi qui tient la France en son pouvoir.
 95 Charles a beau faire, ils le tromperont. Aoi.

Notes originales

1. Charles

1.↑ Charles. Au moment où s'ouvre l'action du Roland, le Charlemagne de la légende est maître de toute l'Espagne du nord : et c'est la seule que connaissent nos épiques. Un poème du commencement du XIVe siècle, mais qui a des racines dans la tradition, la Prise de Pampelune, nous raconte la prise de Pampelune par les français de cette ville, du Groïng (Logroño) et de la Stoille (Estella) puis celle de Tudèle, de Cordoue, de Charion, de Saint-Fagon, de Masele, de Léon et d'Astorga. Un autre poème (du XIIe siècle, mais moins traditionnel et qui n'a aucun lien avec le Roland), Gui de Bourgogne, nous fait assister à la conquête imaginaire de Carsaude, de Montorgueil, de Montesclair, de la tour d'Augorie, de Maudrane et de Luiserne. Bref, il ne reste alors devant Charlemagne qu'un seul adversaire en Espagne, c'est Marsile, et une seule ville à emporter, c'est Saragosse.

L'histoire est plus modeste que la légende. En 778, Charles conduisit, en effet, une expédition en Espagne. Il passa les Pyrénées, s'empara de Pampelune, mais échoua, semble-t-il, devant Saragosse. et conquit seulement le pays jusqu'à l'Èbre. C'est au retour de celle expédition qu'eut lieu le grand désastre de Roncevaux. (Éginhard, Vita Caroli, IX ; Annales faussement attribuées à Eginhard, année 778: l'Astronome limousin, Vita Hiudovici, dans les Scriptores de Pertz, III, 608, etc.)

1. Notre grand empereur

1.↑ Notre grand empereur.

Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 46.jpg

Charles est le fils de Pépin le Nain et de la bonne reine Berte au grand pié. Ses enfances furent douloureuses, et il lui forcé, par d'indignes usurpateurs, d'aller cacher sa jeune gloire chez les musulmans d'Espagne. C'est là qu'il devint l'époux de la belle Galienne, fille du roi sarrasin Galafre. A peine marié avec elle, il alla reconquérir son royaume de France contre les traîtres qui l'avaient usurpé, puis se précipita vers Rome à la défense du Pape, et, grâce au courage d'Ogier le Danois, rendit au Souverain Pontife la ville éternelle, que les païens avaient inutilement assiégée. (Berte au grand pié, XIIIe siècle; Mainet, XIIe siècle ; Charlemagne de Girard d'Amiens, XIVe e s.; Ogier de Danemarche, XIIe s.; Enfances d'Ogier, XIIIe e s.)


Durant toute sa vie, il ne cessa de guerroyer contre les Sarrasins, les Saxons et tous les païens; assista aux débuts de Roland sur le champ de bataille d'Aspremont, et y vainquit le terrible Agolant (Aspremont, XIIe - XIIIe s.) ; fut l'heureux témoin de la défaite des géants Fierabras et Otinel ; fit le grand voyage de Jérusalem et de Constantinople et étonna tout l'Orient par les splendeurs d'une gloire à son apogée ; prit le temps, entre deux expéditions contre les ennemis de Jésus-Christ, de triompher de ses vassaux rebelles, de Girart de Viane et d'Huon de Bordeaux, mais surtout d'Ogier le Danois et des quatre fils Aimon, et enleva vigoureusement la petite Bretagne aux envahissements des Sarrasins. (Fierabras, XIIIe s.; Otinel, XIIIe s.; Voyage à Jérusalem, commencement du XIIe s.; Girard de Viane, XIIe s.; Huon de Bordeaux, XIIe s.; Ogier le Danois, XIIe s. ; Renaut de Montauban,XIIIe s.; Acquin, fin du XIIe s.)

C'est ce même Charlemagne qui, sans cesse en communion avec le ciel, avec les anges, reçut du glorieux apôtre Jacques l'ordre d'aller reprendre l'Espagne aux profanateurs des saintes reliques; se dirigea, avec sa grande armée, vers les Pyrénées et fut le spectateur de la lutte héroïque entre Roland et le géant Ferragus ; qui mit énergiquement le siège devant Pampelune et s'empara de ce boulevard des païens; qui resta sept ans sur la terre d'Espagne; nue Gui de Bourgogne y vint rejoindre avec tous les jeunes chevaliers de fiance; qui reçut une ambassade du roi Marsile, se soumettant enfin aux armes de l'empereur à la barbe fleurie; qui fui lâchement trahi par Ganelon, ce Judas de la France ; qui connut l'horrible épreuve de survivre à la grande défaite de Roncevaux et au deuil cruel de la mort de Roland ; qui vengea son neveu dans la célèbre bataille de Saragosse et fil écarteler Ganelon, comme on le verra dans la suite de notre poème. (Entrée en Espagne, XIIIe s., XIVe s.; Prise de Pampelune, XIVe s.; Gui de Bourgogne, XIIe s.; Chanson de Roland, fin du XIe s.) Voyez, pour plus de détails, dans nos éditions classiques, l'Éclaircissement sur la légende de Charlemagne.

7. Marsile

Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 47.jpg

7.↑ Marsile.

Ce personnage n'a rien d'historique; mais son rôle est considérable dans la légende. Un Marsile figure dans le récit des « enfances » de Charlemagne ; c'est le frère de celte Galienne qui fui la première femme du grand empereur (Charlemagne de Girart d'Amiens, compilation du commencement du XIVe siècle, etc.). Dans le Karl de Sticker (poème allemand d'environ 1230), ce même Marsile nous est présenté, tout au contraire, comme l'allié du jeune Charles. Mais ce n'est point là le vrai Marsile, et les poètes du moyen âge ont usé, ici comme ailleurs, de ce procédé qui consiste à donner le même nom à des personnages de même physionomie.

Voici maintenant ce qui concerne réellement le héros païen du Roland... D'après l'Entrée en Espagne (poème du XIVe siècle, mais renfermant des fragments du XIIIe et qui copie ici le faux Turpin), c'est contre Marsile qu'est dirigée la grande expédition de Charles au delà des Pyrénées. Le fameux géant Ferragus, contre lequel luttent les douze Pairs et dont le seul Roland triomphe, n'est autre que le neveu de Marsile. Sous les murs de Pampelune, le roi de France trouve devant lui le même ennemi, et l'auteur de la Prise de Pampelune (commencement du XIVe siècle) nous fait assister à la fin de ce siège célèbre : c'est alors que Marsile ordonne la mort des deux ambassadeurs de Charles, Basin et Basile, et qu'il perd dix de ses meilleures villes.

C'est Marsile encore qui, dans Gui de Bourgogne (XIIe siècle), résiste aux armées chrétiennes. Quant à la chronique de Turpin (qui sauf les cinq premiers chapitres, a dû être rédigée vers 1109-1119), elle fait de Marsile un frère de Beligand, et nous les montre chargés tous deux par l'émir de Babylone de tenir tête aux français. Le récit latin rapporte, avec de grand détails, l'ambassade, le désastre de Roncevaux et la mort de Marsile, que Roland frappe d'un coup mortel quelques instants avant de mourir lui-même (cap. XXI-XXIII).

8. Mahomet

8.↑ Mahomet.

L'auteur du Roland ne connaissait pas l'islamisme et s'imaginait, avec nos autres poètes, que les Sarrasins adoraient des idoles, tout comme les Grecs et les Romains. Les trois principales idoles des infidèles auraient élé ; d'après nos Chansons de geste, Mahom (Mahomet), Apollin (Apollon), Tervagan (?); et c'est ainsi que nos pères mettaient sur le compte du mahométisme toutes les erreurs des paganismes anciens.

9. AOI

9.↑ AOI

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Cette notation est demeurée inexpliquée. Il est inadmissible qu‘aoi soit pour avoi, lequel viendrait d‘ad viam et signifierait: « Allons en route. ».

Il suffit, pour renverser cette opinion de M. Génin, de remarquer qu'ad viam aurait donné dans notre dialecte, non pas avoi, mais à veie.

C'est à tort que M. Michel a d'abord assimilé ce mot à notre euouae liturgique {saeculorum amen), et plus tard « au saxon abeg ou à 1'anglais away. exclamation du jongleur pour avertir le ménétrier que le couplet finit ».

M Alex, de Saint-Albin traduit AOI par « Dieu nous aide » et y voit (!) le verbe «adjuder » ; mais on trouve, dans la Chanson, que les formes ait et aiut venant du subjonctif adjuvet.

Une troisième opinion de M. Michel vaut mieux que les deux premières : « Aoi, suivant lui, serait un neume. Les neumes sont, comme on le sait la notation musicale qui a précédé la notation, sur portée ou notation guidonienne. Mais cette théorie n'a encore été appuyée d'aucune preuve.

Le mot aoi ne peut, suivant nous, être expliqué que comme une interjection analogue à notre ohé! Ahoy est encore eu usage dans la marine anglaise., où l'on dit : Boat ahoy, comme nous disons Ho, du canot.

14. À ses ducs, à ses comtes

14.↑ À ses ducs, à ses comtes

Nos poètes qui n'avaient aucune connaissance réelle des institutions des peuples musulmans, et qui d'ailleurs n'avaient pas le moindre sentiment de la couleur locale, prêtent aux infidèles la même organisation politique qu'aux chrétiens.

Ils leur attribuent les mêmes lois, les mêmes usages, les mêmes costumes, etc.

16. France la douce

16.↑ France la douce.

Voila bien l’épithète dite « homérique >>, qui est le résultat d'une constatation une fois faite mais que l'on généralise et que l'on applique universellement. « Alors même qu'Achille serait blessé ou paralysé, Homère l'appellerait encore Achille aux pieds légers. » Il en est ainsi dans nos Chansons de geste où fleurit l'épithète épique. La fiancée de Roland y est toujours appelée « Aude au vis cler » ; la France y est toujours « Fiance la douce» ; Charles « l'emperere magnes » ; toutes les villes sont qualifiées « fort cité » ou « cité antie » ; tous les héros ont la « chière hardie », etc. Ce n'est pas d'ailleurs le seul procédé homérique qu'on puisse constater dans nos anciens poèmes. On y trouve également le long discours des ambassadeurs ou des combattants, les répétitions littéraires d'un certain nombre de vers, les descriptions d'armures, etc. Cependant nos trouvères ne connaissaient pas Homère ; mais les allures de la poésie primitive sont partout les mêmes.

31. Mille auteurs qui aient mué

31.↑ Des faucons ont plus de prix après avoir fait leur mue, qui est une véritable maladie, parfois mortelle. Cf. Frédéric II, Liber de Venatione, xlvi , el Ducange . .m mol Muta.

36. En France à Aix

Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 49.jpg

Le nom de France est donné cent soixante dix fois, dans le Roland, à tout l'empire de Charlemagne, lequel, en dehors de la France proprement dite, renfermait, d'après notre Chanson, la Bavière, l'Allemagne, La Normandie, la Bretagne, le Poitou, l'Auvergne, la Flandre, la Frise, la Lorraine et la Bourgogne. C'est ainsi qu'Aix-la-Chapelle est en France, et qu'on se trouve également en France au sortir des Pyrénées. Il est vrai qu'en plusieurs autres passages de notre poème le même mol « France » est employé dans an sens plus restreint et pour désigner le pays qui correspondait au domaine royal avant Philippe-Auguste. ( Voir la nomenclature des dix corps d'armée de Charlemagne, vers 3014 et suivants. Mais il ne Tant pas perdre de vue le sens général, qui est, à beaucoup près, le plus usité. En résumé, le pays tant aimé par le neveu du grand empereur, c'est notre France du nord avec ses frontières naturelles du côté de l'est et ayant pour tributaire toute la France du midi. (L'idée politique dans les Chansons de geste, par L. G., p. 84.)

37. À la fête de saint Michel

37.↑

Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 49.jpg

À la fête de saint Michel. Saint Michel occupe dans le Roland une place dont il convient de tenir compte. C'est le jour de la Saint-Michel que Charles donne une grande fête à l'occasion de la soumission de Marsile et de la fin de la guerre. (V. 37 et 53.) Au moment où Roland va mourir, un tremblement do terre agite le sol de toute la France, et l'un des quatre points extrêmes que le poète indique est Saint-Michel-du-Péril. (V. 1428.) Enfin, quand Roland meurt, c'est saint Michel du Péril qui descend |aes de lui. (V. 2394.) Or Saint-Michel-du-Péril, c'est le mont Saint-MicheL, près d'Avranches, et la « feste seint Michel », dont il est ici question, tombe le 16 octobre. D'anciens Martyrologes attestent que l'on célébrait ce jour-là l'apparition, en 708", du glorieux archange a saint Aubert , évoque d'Avranches, et c'est cette apparition qui donna sujet à ce prélat de bâtir la fameuse abbaye dû mont Saint-Michel.

Cette fête du 16 octobre a été célébrée dans toutes les églises de la seconde Lyonnaise et jusqu'en Angleterre. (Synode d'Oxford, en 1222, Calendarium Exoniense, etc.) Quant au nom même de saint Michel du Péril , il est des plus populaires, et, dans les textes des XIe-XIIe siècles, on voit souvent figurer le récit de certains pèlerinages ad sancti Michaelis periculum ou ad montem sancti Michaelis de periciilo maris. = Quoi qu'il en soit , saint Michel du Péril et la fête du 10 octobre jouent dans le Roland un rôle trop important pour que notre poète n'ait pas, à tout le moins, connu très particulièrement l'abbaye normande et son pèlerinage.

52. À sa chapelle d'Aix

52.↑ D'après nos vieux poèmes, le palais d'Aix-la-Chapelle se composait de douze palais splendides, groupés autour d'un château plus magnifique encore. (Karlamagnús saga[NDLR 5], histoire islandaise de Charlemagne, XIIIe siècle, première branche, 12-20, et Richeri Historia, lib. III, §71.) Quant à la chapelle elle-même, l'architecte l'avait bâtie trop petite; mais Dieu fit un miracle et l'élargit surnaturellement. (Karlamagnùs Saga, i, 12, et Girarl d'Amiens, Charlemagne, commencement du xn e siècle, B. N. 778, f°105.) Devant le palais était ce fameux perron, celle masse d'acier sur laquelle les chevaliers essayaient leurs épées. La légende ajoute que c'était là l'antique résidence de Granus, père de Néron, et l'auteur de notre chanson racontera tout à l'heure que Dieu y lit jaillir une source d'eaux chaudes [tour en faire présent à Charlemagne.Cf. Philippe Mousket, Chronique rimée, v. 2410 et suiv., et surtout le faux Diplôme présenté par les chanoines d'Aix à Frédéric Barberousse.

58. La vie

58.↑ Tous les mots en italiques sont, comme nous l'avons dit, ajoutés ou suppléés par nous d'après le plus ancien manuscrit de Venise ou d'après les Remaniements. Nous ne répéterons plus cette observation.

62. Couplets similaires

62.↑ Les laisses V et VI peuvent passer puni- l'un des types les plus parfaits des a Couplets similaires ». Nous appelons de ce nom plusieurs strophes consécutives OÙ LES MÊMES IDÉES SONT RÉPÉTÉES A PEU PRÈS DANS LES MÊMES TERMES, MAIS SUR DES ASSONANCES DIFFÉRENTES. Il en existe au moins neuf exemples dans le Roland, el ces répétitions peuvent être doubles, triples, quadruples ou même quintuples. M. Fauriel ne les regarde que comme des leçons diverses d'un même passage, copiées à la suite l'une de l'autre par un scribe inintelligent. M. G. Paris les considère comme autant de versions remontant à des époques différentes, et cite à l'appui de son opinion le texte si précieux de l'Oraison funèbre de Roland ; dans une première laisse, l'Empereur dit : Quand je serai à Laon ; et dans une seconde : Quand je serai à Aix. Donc, le premier de ces couplets aurait sa source dans une tradition du Xe siècle, et le second, plus antique, remonterait à la tradition des VIIIe IXe siècles. Tout autre est l'opinion de M. Génin, qui voit dans ces répétitions « l'œuvre d'un artiste, d'un poète », ou, en d'autres termes, un effet littéraire, un moyen dramatique. C'esl également le sentiment de M. d'Avril. Nous avons montré ailleurs comment ou ne pouvait adopter d'une façon absolue aucun de ces systèmes (première édition du Ro- land, Introduction, p. i.vi et suiv.) Parmi les groupes de Couplets similaires, il en est où, comme ici, la répétition est presque littérale, el il faut, en ce cas, donner raison à la théorie de M. G. Paris ; mais il eu est d'autres où les laisses, loin de faire double emploi, se COMPLÈTENT L'UNE PAR L'AUTRE. (Voir les couplets XL, XLI, XLII etc.) Ce ne sont donc pas là ces variantes entre lesquelles on pouvait l'aire un choix ad libitum. Ici c'est Génin qui est dans le vrai , et nous avons vraiment affaire à un procédé artistique.

63. Balaguer

63.↑ Balaguer, en Catalogne (Ballegarium, Valagaria), à trois lieues de Lérida. C'est le point le plus lointain qu'aient atteint les armes de Roland. Roland se vante, en effet, dans un autre passage de notre poème (V. 200), d'avoir conquis celle ville à Charlemagne.

71. Cordoue

71.↑ Le texte original nous donne Cordres. Nous avions, dans nos précédentes éditions, partagé sur Cordres l'opinion de M. Gaston Paris, « il est certain, disions-nous, que la ville désignée par « Cordres » est près des Pyrénées. » Et, dans notre carte du Roland (première édition, t. II, frontispice), nous l'avions placée entre Valtierra et Tudela. Mais l'étude des anciennes cartes nous a fait changer d'avis. Nos pères du XIe siècle ne connaissaient que le nord de l'Espagne et ne supposaient pas que cette péninsule eût de la profondeur. Dans cette légère bande de terrain, au sud des Pyrénées, ils plaçaient toutes les villes qui avaient eu jadis quelque renommée : Cordoue, Séville, etc.

En somme, nos épiques avaient dans la mémoire un certain nombre de noms de lieux célèbres qu'ils déterraient un peu au hasard. L'auteur du Roland est à coup sur le plus sérieux de tous, et néanmoins il n'est pas incapable d'avoir complètement ignoré la situation de Cordoue, dont il ne savait que le nom, et qu'il se figurait sans doute au nord de l'Espagne.

Ajoutons enfin (et personne encore n'a fait celle remarque) qu'au commencement du XIIIe siècle on a fondé dans l'Albigeois une ville à laquelle on a voulu donner le nom de la célèbre ville espagnole, et qui s'est toujours appelée du nom de « Cordres ».

72. Branches d'olivier

72.↑ Branches d'olivier. Ces branches d'olivier sont un symbole de paix emprunté à l'antiquité. On les retrouve plus d'une fois aux mains des ambassadeurs dans nos autres Chansons de geste :

Portèrent rains d'olive : c'est senefîement
De pais, d'umilité, que il la vont querant.
(Renaus de Monlauban, édit. Michelant, p. 37.) Etc. etc.

Facsimilés

Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 45.jpg Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 46.jpg Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 47.jpg Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 48.jpg Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 49.jpg
Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 50.jpg Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 51.jpg Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 52.jpg Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 53.jpg

Voir aussi

Notes de la rédaction
  1. 1,0 et 1,1 Ce vers ne fait pas partie du manuscrit d'Oxford. Il figure en fait dans la laisse III du manuscrit de Châteauroux. Noter que ce vers n'est pas compté dans la numérotation des vers.
  2. Cette partie en italique est plutôt adaptée du manuscrit de Châteauroux.
  3. Le manuscrit de Châteauroux, laisse VII, dit simplement : un amiral courtois.
  4. Le manuscrit de Châteauroux, laisse VII, contient ce vers « Pais senefie entre païene lois. » . Noter qu'il n'est pas compté ici dans la numérotation.
  5. Nous avons retenu l'orthographe accentuée de ce titre.
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