La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition populaire/1895/Introduction/Le style : Différence entre versions

De Wicri Chanson de Roland
(Le style)
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Que notre poète ait été dominé par le souci du style, par la  
 
Que notre poète ait été dominé par le souci du style, par la  
 
préoccupation littéraire, c'est ce que nous ne croirons jamais,  
 
préoccupation littéraire, c'est ce que nous ne croirons jamais,  
malgré tous les efforts de M. Génin pour nous en convaincre.  
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malgré tous les efforts de [[A pour personnalité citée::François Génin|M. Génin]] pour nous en convaincre.  
 
L'auteur du ''Roland'' écrivait en toute simplicité, comme il pensait, et ne songeait pas à l'''effet''. Rien n'est plus spontané qu'une  
 
L'auteur du ''Roland'' écrivait en toute simplicité, comme il pensait, et ne songeait pas à l'''effet''. Rien n'est plus spontané qu'une  
telle poésie. Gela coule de source, très naturellement et placidement. C'est une sorte d'improvisation dont la sincérité est vraiment incomparable. Nulle étude du « mot de la fin », ni de l'épi-
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telle poésie. Cela coule de source, très naturellement et placidement. C'est une sorte d'improvisation dont la sincérité est vraiment incomparable. Nulle étude du « mot de la fin », ni de l'épithète, ni enfin de ce que les modernes appellent le style. Rien qui  
thète, ni enfin de ce que les modernes appellent le style. Rien qui  
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ressemble, même de très loin, aux procédés du [[A pour personnalité citée::Dante Alighieri|Dante]].  
ressemble, même de très loin, aux procédés du Dante.  
 
  
 
Notre épique, d'ailleurs, n'est pas un savant. Qu'il connaisse la  
 
Notre épique, d'ailleurs, n'est pas un savant. Qu'il connaisse la  
Rible, j'y consens, et le miracle du soleil arrêté par Charlemagne  
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Bible, j'y consens, et le miracle du soleil arrêté par Charlemagne  
ressemble trop à celui que Dieu fit pour Josué. Mais nous ne pou-
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ressemble trop à celui que Dieu fit pour [[A pour personnage cité::Josué]]. Mais nous ne pouvons nous persuader qu'il ait jamais lu Virgile ou Homère. S'il  
vons nous persuader qu'il ait jamais lu Virgile ou Homère. S'il  
 
 
est un trait qui rappelle dans sou œuvre le ''Dulces moriens reminiscitur Argos'' , c'est une de ces rencontres qui attestent seulement  
 
est un trait qui rappelle dans sou œuvre le ''Dulces moriens reminiscitur Argos'' , c'est une de ces rencontres qui attestent seulement  
 
la belle universalité de certains sentiments humains. L'épithète  
 
la belle universalité de certains sentiments humains. L'épithète  
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Roland, et que, tout au contraire, elle abonde dans nos poèmes  
 
Roland, et que, tout au contraire, elle abonde dans nos poèmes  
 
postérieurs, où elle tourne à la formule. En revanche, il est, dans  
 
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notre Chanson, cerlaines répétitions qui sont déjà consacrées par  
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notre Chanson, certaines répétitions qui sont déjà consacrées par  
 
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exemple, ne manquera jamais de répéter mot pour mot le dis-
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exemple, ne manquera jamais de répéter mot pour mot le discours que son roi lui a dicté. C'est encore là un trait primitif et  
cours que son roi lui a dicté. C'est encore là un trait primitif et  
 
 
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poète ne rit pas volontiers. Si par hasard le comique se montre,  
 
poète ne rit pas volontiers. Si par hasard le comique se montre,  
 
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c'est un comique de garnison, ce sont des plaisanteries de caserne.  
Tel est l'épisode de Ganelon livré aux cuisiniers de Gbarlemagne
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Tel est l'épisode de Ganelon [[../../Partie 3/Châtiment de Ganelon#CCC|livré aux cuisiniers de Charlemagne qui se jettent sur lui et le rouent de coups avec leurs gros poings]].  
qui se jettent sur lui et le rouent de coups avec leurs gros poings.  
 
 
Sur ce, nos pères riaient à pleines dents, et j'avoue que ce rire  
 
Sur ce, nos pères riaient à pleines dents, et j'avoue que ce rire  
 
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Malgré ces éclats grossiers, il y a dans le Roland une véritable  
 
Malgré ces éclats grossiers, il y a dans le Roland une véritable  
uniformité de ton : c'est une œuvre une à tous égards. Certains  
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uniformité de ton : c'est une œuvre ''une'' à tous égards. Certains  
critiques n'en conviennent pas. «Le poème, s'écrient- ils, devrait  
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critiques n'en conviennent pas. « Le poème, s'écrient-ils, devrait  
 
 
 
 
 
 
INTRODUCTION 27
 
 
 
 
se terminer à la mort de Roland. » Nous ne saurions partager cet  
 
se terminer à la mort de Roland. » Nous ne saurions partager cet  
 
avis, et ils se sont étrangement trompés ceux qui, par amour  
 
avis, et ils se sont étrangement trompés ceux qui, par amour  
 
pour l'unité, ont supprimé, dans leurs traductions, tout l'épisode  
 
pour l'unité, ont supprimé, dans leurs traductions, tout l'épisode  
 
de Baligant, toute la grande bataille de Saragosse, voire le procès  
 
de Baligant, toute la grande bataille de Saragosse, voire le procès  
de Ganelon. En vérité, Roland es1 une trilogie puissante. La tra-
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de Ganelon. En vérité, Roland es1 une trilogie puissante. La trahison de Ganelon en est le premier acte; la mort de Roland en  
hison de Ganelon en est le premier acte; la mort de Roland en  
 
 
est la péripétie ou le nœud; le châtiment des traîtres en est le  
 
est la péripétie ou le nœud; le châtiment des traîtres en est le  
dénouement. Est-ce que le chef-d'œuvre de Racine serait un sans  
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dénouement. Est-ce que le chef-d'œuvre de [[A pour personnalité citée::Jean Racine|Racine]] serait un sans  
 
la scène où est racontée la mort d'Athalie?  
 
la scène où est racontée la mort d'Athalie?  
  
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Notre auteur n'est pas un théologien, et, s'il faut dire ici toute  
 
Notre auteur n'est pas un théologien, et, s'il faut dire ici toute  
ma pensée, je ne crois même pas qu'il ait été clerc. Il ne sail guère  
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ma pensée, je ne crois même pas qu'il ait été clerc. Il ne sait guère  
que le catéchisme de son temps; il a lu les vitraux ou les bas-  
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que le catéchisme de son temps; il a ''lu'' les vitraux ou les bas-reliefs des portails, et c'est par eux sans doute qu'il connaît les « Histoires» de l'Ancien Testament. Mais ce catéchisme, qu'il  
reliefs des portails, et c'est par eux sans doute qu'il connaît les  
 
a Histoires» de l'Ancien Testament. Mais ce catéchisme, qu'il  
 
 
possède très profondément, vaut mieux que bien des subtilités,  
 
possède très profondément, vaut mieux que bien des subtilités,  
et même que bien des raisonnements. Roland est le premier des  
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et même que bien des raisonnements. ''Roland'' est le premier des  
 
poèmes populaires, parvenus jusqu'à nous, qui ont été écrits dans  
 
poèmes populaires, parvenus jusqu'à nous, qui ont été écrits dans  
le monde depuis l'avènement de Jésus -Christ. On peut juger par  
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le monde depuis l'avènement de Jésus-Christ. On peut juger par  
 
lui combien le Christianisme à grandi la nature humaine, et jus-  
 
lui combien le Christianisme à grandi la nature humaine, et jus-  
 
qu'à quel point nous lui devons la dilatation de la Vérité dans le  
 
qu'à quel point nous lui devons la dilatation de la Vérité dans le  
 
monde. L'unité d'un Dieu personnel est, pour l'auteur de notre  
 
monde. L'unité d'un Dieu personnel est, pour l'auteur de notre  
 
vieille Épopée, le plus élémentaire de tous les dogmes. Dieu est,  
 
vieille Épopée, le plus élémentaire de tous les dogmes. Dieu est,  
à ses yeux, tout -puissant, très saint, très juste, très bon, el le  
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à ses yeux, tout-puissant, très saint, très juste, très bon, et le  
titre que nos héros lui donnent le plus souvent est celui de père.  
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titre que nos héros lui donnent le plus souvent est celui de ''père''.  
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L'idée de la Providence se fait jour dans tous les vers de notre  
 
L'idée de la Providence se fait jour dans tous les vers de notre  
 
poète, et il se représente Dieu comme penché sur le genre humain  
 
poète, et il se représente Dieu comme penché sur le genre humain  
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aguets, toujours prêts à se dévorer : d'un côté, les chrétiens, qui  
 
aguets, toujours prêts à se dévorer : d'un côté, les chrétiens, qui  
 
sont les amis de Dieu; de l'autre, les ennemis mortels de son  
 
sont les amis de Dieu; de l'autre, les ennemis mortels de son  
nom, les païens. La vie ne parait pas avoir d'autre bul que cette  
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nom, les païens. La vie ne parait pas avoir d'autre but que cette  
 
lutte immortelle. La terre n'est qu'un champ de bataille où com-  
 
lutte immortelle. La terre n'est qu'un champ de bataille où com-  
battent, san> relâche .'I .-ans lrè\e, ceux que visitent le- \i
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battent, sans relâche et sans trêve, ceux que visitent les Anges
 
et ceux qui combattent à côté des Démons. Le Chef, le Sommet  
 
et ceux qui combattent à côté des Démons. Le Chef, le Sommet  
delà race chrétienne, c'est la France, c'est France la douce, ave*
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delà race chrétienne, c'est la France, c'est ''France la douce'', avec
 
son Empereur à la barbe tienne. A la tête des Sarrasins marche  
 
son Empereur à la barbe tienne. A la tête des Sarrasins marche  
 
l'émir de Babylone. Quand finira ce grand combat? Le poète ne  
 
l'émir de Babylone. Quand finira ce grand combat? Le poète ne  
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le Jugement suprême. L'existence humaine est une croisade.  
 
le Jugement suprême. L'existence humaine est une croisade.  
  
 
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L'homme que conduisent ici-bas les Anges et les Saints s'achemine, à travers cette lutte pour la croix, jusqu'au Paradis où  
28 INTRODUCTION
 
 
 
L'homme que conduisent ici -bas les Anges et les Saints s'ache-
 
mine, à travers cette lutte pour la croix, jusqu'au Paradis où  
 
 
règne le Crucifié. On voit que notre poète a une très haute idée  
 
règne le Crucifié. On voit que notre poète a une très haute idée  
 
de l'homme. Sans doute, ce n'est pas un observateur, et il ne  
 
de l'homme. Sans doute, ce n'est pas un observateur, et il ne  
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héros, si rudes qu'il nous les montre et si farouches, il les croit  
 
héros, si rudes qu'il nous les montre et si farouches, il les croit  
 
capables de fléchir, capables de tomber, capables de pleurer :  
 
capables de fléchir, capables de tomber, capables de pleurer :  
voilà de quoi nous le remercions. Il nous a bien connus, puis-
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voilà de quoi nous le remercions. Il nous a bien connus, puisqu'il fait fondre en larmes les plus fiers, les plus forts d'entre  
qu'il fait fondre en larmes les plus fiers, les plus forts d'entre  
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nous, et Charlemagne lui-même. Ses héros sont naturels et sincères : leurs chutes, leurs pâmoisons, leurs sanglots m'enchantent.  
nous, et Charlemagne lui-même. Ses héros sont naturels et sin-
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cères : leurs chutes, leurs pâmoisons, leurs sanglots m'enchantent.  
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Ils nous ressemblent donc, ils sont donc ''humains''. J'avais craint  
Ils nous ressemblent donc, ils sont donc humains. J'avais craint  
 
 
un instant qu'ils ne fussent des mannequins de fer; mais non,  
 
un instant qu'ils ne fussent des mannequins de fer; mais non,  
 
j'entends leur cœur, un vrai cœur et qui bat fort, et sous le  
 
j'entends leur cœur, un vrai cœur et qui bat fort, et sous le  
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Roland qui prononce ce nom : c'est Olivier, et il parle de sa sœur  
 
Roland qui prononce ce nom : c'est Olivier, et il parle de sa sœur  
 
avec une certaine brutalité de soldat. Roland, lui, est trop occupé;  
 
avec une certaine brutalité de soldat. Roland, lui, est trop occupé;  
Roland est trop envermeillé de son sang et du sang des Sarrasins;  
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Roland est trop ''envermeillé'' de son sang et du sang des Sarrasins ;  
Roland coupe trop de têtes païennes! S'il est vainqueur, il pen-
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Roland coupe trop de têtes païennes ! S'il est vainqueur, il pensera à Aude, peut-être. D'ailleurs il a d'autres amours : la France  
sera à Aude, peut-être. D'ailleurs il a d'autres amours : la France  
 
 
d'abord, et Charlemagne après la France. Pantelant, expirant,  
 
d'abord, et Charlemagne après la France. Pantelant, expirant,  
 
râlant, c'est à la France qu'il songe; c'est vers la France qu'il  
 
râlant, c'est à la France qu'il songe; c'est vers la France qu'il  
 
porte les regards de son souvenir. Jamais, jamais on n'a tant aimé  
 
porte les regards de son souvenir. Jamais, jamais on n'a tant aimé  
 
son pays. S'il est des Allemands qui lisent ces pages, je les invite  
 
son pays. S'il est des Allemands qui lisent ces pages, je les invite  
à bien peser les mots que je vais dire : « Il est ici question du  
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à bien peser les mots que je vais dire : « {{Petites capitales|Il est ici question du  
xi g siècle. » A ceux qui menacent aujourd'hui ma pauvre France,  
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{{XIe}} siècle.}} » A ceux qui menacent aujourd'hui ma pauvre France,  
 
j'ai bien le droit de montrer combien déjà elle était grande il y a  
 
j'ai bien le droit de montrer combien déjà elle était grande il y a  
environ huit cents ans. Et, puisqu'ils parlent de ressusciter l'em-
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environ huit cents ans. Et, puisqu'ils parlent de ressusciter l'empire de Charlemagne, j'ajouterai volontiers que jamais il n'y eut  
pire de Charlemagne, j'ajouterai volontiers que jamais il n'y eut  
 
 
une conception de Charlemagne comparable à celle de notre poète  
 
une conception de Charlemagne comparable à celle de notre poète  
français. Ceux d'outre -Rhin ont imaginé sur lui quelques fables  
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français. Ceux d'outre-Rhin ont imaginé sur lui quelques fables  
 
creuses, oui, je ne sais quelles rêvasseries sans solidité et sans  
 
creuses, oui, je ne sais quelles rêvasseries sans solidité et sans  
 
grandeur. Mais le type complet, le véritable type, le voilà. C'est  
 
grandeur. Mais le type complet, le véritable type, le voilà. C'est  
 
ce Roi presque surnaturel, marchant sans cesse à la tête d'une  
 
ce Roi presque surnaturel, marchant sans cesse à la tête d'une  
 
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armée de croisés, sa barbe blanche étalée sur son haubert élincelant, le regard jeune et fier malgré ses deux cents ans.  
 
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{{Lien page gauche avec icône|Lachansonderoland Gautier 1895 page 30.jpeg}} Un Ange  
 
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ne le quitte pas et se penche souvent à son oreille pour lui conseiller le bien, pour lui donner l'horreur du mal. Autour de lui  
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se pressent vingt peuples, Bavarois, Normands, Bretons, Allemands, Lorrains, Frisons ; mais c'est sur les Français qu'il jette  
 
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son regard le plus tendre. Il les aime ; il ne veut, il ne peut rien  
 
 
 
 
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armée de croisés, sa barbe blanche étalée sur son haubert élince-
 
lant, le regard jeune et fier malgré ses deux cents ans. Un Ange  
 
ne le quitte pas et se penche souvent à son oreille pour lui con-
 
seiller le bien, pour lui donner l'horreur du mal. Autour de lui  
 
se pressent vingt peuples, Bavarois, Normands, Bretons, Alle-
 
mands, Lorrains, frisons; mais c'est sur les Français qu'il jette  
 
son regard le plus tendre. Il les aime; il ne veut, il ne peut rien  
 
 
faire sans eux. Cet homme qui pourrait se croire tant de droits  
 
faire sans eux. Cet homme qui pourrait se croire tant de droits  
 
à commander despotiquement, voyez-le : il consulte ses barons,  
 
à commander despotiquement, voyez-le : il consulte ses barons,  
 
il écoute et recueille leurs avis ; il est humble, il hésite, il attend.  
 
il écoute et recueille leurs avis ; il est humble, il hésite, il attend.  
C'est encore le Kœnig germain, c'est déjà l'Empereur catholique.  
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C'est encore le ''Kœnig'' germain, c'est déjà l'Empereur catholique.  
  
Les héros qui entourent Charlemagne représentent tous les sen-
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Les héros qui entourent Charlemagne représentent tous les sentiments, toutes les forces de l'âme humaine. Roland est le courage  
timents, toutes les forces de l'âme humaine. Roland est le courage  
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indiscipliné, téméraire, superbe, et, pour tout dire en un mot, français . Olivier, c'est le courage réfléchi et qui devient sublime  
indiscipliné, téméraire, superbe, et, pour tout dire en un mot,  
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à force d'être modéré. Naimes, c'est la vieillesse sage et conseillère : c'est Nestor. Ganelon, c'est le traître, mais non pas le  
f rançais . Olivier, c'est le courage réfléchi et qui devient sublime  
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traître-né, le traître-formule de nos derniers romans, le traître  
à force d'être modéré. Xaimes, c'est la vieillesse sage et con-
 
seillère : c'est Nestor. Ganelon, c'est le traître, mais non pas le  
 
traître-né, le traître- formule de nos derniers romans, le traître  
 
 
forcé et à perpétuité : non, c'est l'homme tombé, qui a été d'abord  
 
forcé et à perpétuité : non, c'est l'homme tombé, qui a été d'abord  
 
courageux et loyal, et que les passions ont un jour terrassé.  
 
courageux et loyal, et que les passions ont un jour terrassé.  
Turpin , c'est le type brillant , mais déplorable, de l'évêque féodal .
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Turpin , c'est le type brillant , mais déplorable, de l'évêque féodal  
 
qui préfère l'épée à la crosse el le sang au chrême... Je veux bien  
 
qui préfère l'épée à la crosse el le sang au chrême... Je veux bien  
admettre que tous ces personnages ne sont pas encore assez, dis-
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admettre que tous ces personnages ne sont pas encore assez, distincts l'un de l'autre, et que « la faiblesse de la caractéristique est  
tincts l'un de l'autre, et que « la faiblesse de la caractérisque est  
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sensible dans l'Épopée française <ref>Ces paroles sont de M. [[A pour auteur cité::Gaston Paris]], en son ''[[A pour ouvrage cité::Histoire poétique de Charlemagne (1865) Paris|Histoire poétique de Charlemagne]]''.</ref> ». Et cependant quelle variété  
sensible dans l'Épopée française 1 ». Et cependant quelle variété  
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dans celle unité! il est vrai que la fin des héros est la même ;  
dans celle unité! il est vrai que la fin des héros esl la même;  
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mais ce n'est point là de la monotonie. Tous s'acheminent vers la  
mais ce n'est point là de la monotonie. Tous s'acheminenl vers la  
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région des martyrs et des innocents. Les Anges s'abattent autour  
région des martyrs el <\r+ innocents. Les Anges s'abattent autour  
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d'eux sur le champ de bataille ensanglanté, et viennent recueillir  
d'eux sur le champ de bataille ensanglanté, el viennent recueillir  
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les âmes des chrétiens pour les conduire doucement vers les
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« saintes fleurs » du paradis...
  
les âmes <\r+ chrétiens i • les conduire doucemenl vers les
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Telle est la beauté de la ''Chanson de Roland''.
  
e saintes fleurs o du paradis...
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Telle est la beauté de la Chanson lie Roland.  
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==Voir aussi==
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;Sur Internet Archive:
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* https://archive.org/details/lachansonderolan00gautuoft/page/26/mode/1up
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[[Catégorie:Pages utilisables pour des travaux pratiques (OCR)]]
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Le texte original

Le style

Lachansonderoland Gautier 1895 page 26.jpeg

Que notre poète ait été dominé par le souci du style, par la préoccupation littéraire, c'est ce que nous ne croirons jamais, malgré tous les efforts de M. Génin pour nous en convaincre. L'auteur du Roland écrivait en toute simplicité, comme il pensait, et ne songeait pas à l'effet. Rien n'est plus spontané qu'une telle poésie. Cela coule de source, très naturellement et placidement. C'est une sorte d'improvisation dont la sincérité est vraiment incomparable. Nulle étude du « mot de la fin », ni de l'épithète, ni enfin de ce que les modernes appellent le style. Rien qui ressemble, même de très loin, aux procédés du Dante.

Notre épique, d'ailleurs, n'est pas un savant. Qu'il connaisse la Bible, j'y consens, et le miracle du soleil arrêté par Charlemagne ressemble trop à celui que Dieu fit pour Josué. Mais nous ne pouvons nous persuader qu'il ait jamais lu Virgile ou Homère. S'il est un trait qui rappelle dans sou œuvre le Dulces moriens reminiscitur Argos , c'est une de ces rencontres qui attestent seulement la belle universalité de certains sentiments humains. L'épithète homérique est également un procédé commun à toutes les poésies qui commencent. On n'a pas remarqué nous en donnerons ailleurs la raison) que cette épithète fleurit assez peu dans le Roland, et que, tout au contraire, elle abonde dans nos poèmes postérieurs, où elle tourne à la formule. En revanche, il est, dans notre Chanson, certaines répétitions qui sont déjà consacrées par l'usage, et, pour ainsi dire, classiques. Un ambassadeur, par exemple, ne manquera jamais de répéter mot pour mot le discours que son roi lui a dicté. C'est encore là un trait primitif et presque enfantin.

Tout est grave, du reste, en cette poésie d'enfant sublime, et le poète ne rit pas volontiers. Si par hasard le comique se montre, c'est un comique de garnison, ce sont des plaisanteries de caserne. Tel est l'épisode de Ganelon livré aux cuisiniers de Charlemagne qui se jettent sur lui et le rouent de coups avec leurs gros poings. Sur ce, nos pères riaient à pleines dents, et j'avoue que ce rire n'était aucunement attique.

Lachansonderoland Gautier 1895 page 27.jpeg

Malgré ces éclats grossiers, il y a dans le Roland une véritable uniformité de ton : c'est une œuvre une à tous égards. Certains critiques n'en conviennent pas. « Le poème, s'écrient-ils, devrait se terminer à la mort de Roland. » Nous ne saurions partager cet avis, et ils se sont étrangement trompés ceux qui, par amour pour l'unité, ont supprimé, dans leurs traductions, tout l'épisode de Baligant, toute la grande bataille de Saragosse, voire le procès de Ganelon. En vérité, Roland es1 une trilogie puissante. La trahison de Ganelon en est le premier acte; la mort de Roland en est la péripétie ou le nœud; le châtiment des traîtres en est le dénouement. Est-ce que le chef-d'œuvre de Racine serait un sans la scène où est racontée la mort d'Athalie?

Mais de la forme il tant passer au fond, et du style à l'idée.

Notre auteur n'est pas un théologien, et, s'il faut dire ici toute ma pensée, je ne crois même pas qu'il ait été clerc. Il ne sait guère que le catéchisme de son temps; il a lu les vitraux ou les bas-reliefs des portails, et c'est par eux sans doute qu'il connaît les « Histoires» de l'Ancien Testament. Mais ce catéchisme, qu'il possède très profondément, vaut mieux que bien des subtilités, et même que bien des raisonnements. Roland est le premier des poèmes populaires, parvenus jusqu'à nous, qui ont été écrits dans le monde depuis l'avènement de Jésus-Christ. On peut juger par lui combien le Christianisme à grandi la nature humaine, et jus- qu'à quel point nous lui devons la dilatation de la Vérité dans le monde. L'unité d'un Dieu personnel est, pour l'auteur de notre vieille Épopée, le plus élémentaire de tous les dogmes. Dieu est, à ses yeux, tout-puissant, très saint, très juste, très bon, et le titre que nos héros lui donnent le plus souvent est celui de père.

L'idée de la Providence se fait jour dans tous les vers de notre poète, et il se représente Dieu comme penché sur le genre humain et écoulant volontiers les prières des hommes de bonne volonté. Sous le grand iv-anl de ce Dieu qui veille à tout, la terre nous apparaît divisée en deux camps toujours armés, toujours aux aguets, toujours prêts à se dévorer : d'un côté, les chrétiens, qui sont les amis de Dieu; de l'autre, les ennemis mortels de son nom, les païens. La vie ne parait pas avoir d'autre but que cette lutte immortelle. La terre n'est qu'un champ de bataille où com- battent, sans relâche et sans trêve, ceux que visitent les Anges et ceux qui combattent à côté des Démons. Le Chef, le Sommet delà race chrétienne, c'est la France, c'est France la douce, avec son Empereur à la barbe tienne. A la tête des Sarrasins marche l'émir de Babylone. Quand finira ce grand combat? Le poète ne nous le dit point; mais il est à croire que ce sera seulement après le Jugement suprême. L'existence humaine est une croisade.

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L'homme que conduisent ici-bas les Anges et les Saints s'achemine, à travers cette lutte pour la croix, jusqu'au Paradis où règne le Crucifié. On voit que notre poète a une très haute idée de l'homme. Sans doute, ce n'est pas un observateur, et il ne connaît point les mille nuances très changeantes de l'âme humaine ; mais il croit l'homme capable d'aimer son Dieu et son pays, et de les aimer jusqu'à la mort. On n'a encore, ce nous semble, rien trouvé de mieux. Il va plus loin. Si bardés de fer que soient ses héros, si rudes qu'il nous les montre et si farouches, il les croit capables de fléchir, capables de tomber, capables de pleurer : voilà de quoi nous le remercions. Il nous a bien connus, puisqu'il fait fondre en larmes les plus fiers, les plus forts d'entre nous, et Charlemagne lui-même. Ses héros sont naturels et sincères : leurs chutes, leurs pâmoisons, leurs sanglots m'enchantent.

Ils nous ressemblent donc, ils sont donc humains. J'avais craint un instant qu'ils ne fussent des mannequins de fer; mais non, j'entends leur cœur, un vrai cœur et qui bat fort, et sous le heaume je vois leurs yeux trempés de larmes. Mais s'ils se pâment aussi aisément, ce n'est jamais pour de banales amourettes, ni même pour des amours efféminantes : la galanterie leur est, grâce à Dieu, tout à fait étrangère. Aude, la belle Aude, apparaît une fois à peine dans tout le drame de Roncevaux, et ce n'est pas Roland qui prononce ce nom : c'est Olivier, et il parle de sa sœur avec une certaine brutalité de soldat. Roland, lui, est trop occupé; Roland est trop envermeillé de son sang et du sang des Sarrasins ; Roland coupe trop de têtes païennes ! S'il est vainqueur, il pensera à Aude, peut-être. D'ailleurs il a d'autres amours : la France d'abord, et Charlemagne après la France. Pantelant, expirant, râlant, c'est à la France qu'il songe; c'est vers la France qu'il porte les regards de son souvenir. Jamais, jamais on n'a tant aimé son pays. S'il est des Allemands qui lisent ces pages, je les invite à bien peser les mots que je vais dire : « Il est ici question du XIe siècle. » A ceux qui menacent aujourd'hui ma pauvre France, j'ai bien le droit de montrer combien déjà elle était grande il y a environ huit cents ans. Et, puisqu'ils parlent de ressusciter l'empire de Charlemagne, j'ajouterai volontiers que jamais il n'y eut une conception de Charlemagne comparable à celle de notre poète français. Ceux d'outre-Rhin ont imaginé sur lui quelques fables creuses, oui, je ne sais quelles rêvasseries sans solidité et sans grandeur. Mais le type complet, le véritable type, le voilà. C'est ce Roi presque surnaturel, marchant sans cesse à la tête d'une armée de croisés, sa barbe blanche étalée sur son haubert élincelant, le regard jeune et fier malgré ses deux cents ans.

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Un Ange

ne le quitte pas et se penche souvent à son oreille pour lui conseiller le bien, pour lui donner l'horreur du mal. Autour de lui se pressent vingt peuples, Bavarois, Normands, Bretons, Allemands, Lorrains, Frisons ; mais c'est sur les Français qu'il jette son regard le plus tendre. Il les aime ; il ne veut, il ne peut rien faire sans eux. Cet homme qui pourrait se croire tant de droits à commander despotiquement, voyez-le : il consulte ses barons, il écoute et recueille leurs avis ; il est humble, il hésite, il attend. C'est encore le Kœnig germain, c'est déjà l'Empereur catholique.

Les héros qui entourent Charlemagne représentent tous les sentiments, toutes les forces de l'âme humaine. Roland est le courage indiscipliné, téméraire, superbe, et, pour tout dire en un mot, français . Olivier, c'est le courage réfléchi et qui devient sublime à force d'être modéré. Naimes, c'est la vieillesse sage et conseillère : c'est Nestor. Ganelon, c'est le traître, mais non pas le traître-né, le traître-formule de nos derniers romans, le traître forcé et à perpétuité : non, c'est l'homme tombé, qui a été d'abord courageux et loyal, et que les passions ont un jour terrassé. Turpin , c'est le type brillant , mais déplorable, de l'évêque féodal qui préfère l'épée à la crosse el le sang au chrême... Je veux bien admettre que tous ces personnages ne sont pas encore assez, distincts l'un de l'autre, et que « la faiblesse de la caractéristique est sensible dans l'Épopée française [1] ». Et cependant quelle variété dans celle unité! il est vrai que la fin des héros est la même ; mais ce n'est point là de la monotonie. Tous s'acheminent vers la région des martyrs et des innocents. Les Anges s'abattent autour d'eux sur le champ de bataille ensanglanté, et viennent recueillir les âmes des chrétiens pour les conduire doucement vers les « saintes fleurs » du paradis...

Telle est la beauté de la Chanson de Roland.

Notes de l'article

  1. Ces paroles sont de M. Gaston Paris, en son Histoire poétique de Charlemagne.

Facsimilé

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