Chanson de Roland/Manuscrit d'Oxford/Laisse III

De Wicri Chanson de Roland
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Révision datée du 6 mai 2023 à 22:47 par Jacques Ducloy (discussion | contributions) (Notes (version de Léon Gautier))

Dans le manuscrit

Cette laisse est « à cheval » sur les 2 pages du premier feuillet (recto et verso) du manuscrit d'Oxford.

Elle rassemble les vers 24 à 46.

Le haut du verso est légèrement effacé. Ceci induit des différences pour la transcription des vers 29 (voir plus bas) et 30.

 
feuillet 1 verso
feuillet 1 recto

Transcription et traduction par Léon Gautier

Cette laisse est transcrite et traduite sur les pages 4 et 5 de la version de Léon Gautier.


III

Blancandrins fut des plus saives païens : Blancandrin, parmi les païens, était l’un des plus sages,
25 De vasselage fut asez chevalers , Chevalier de grande vaillance,
Prozdom i out pur sun seignur aider. Homme de bon conseil pour aider son seigneur :
E dist al Rei : « Ore ne vus esmaiez. « Ne vous effrayez point, dit-il au Roi.
« Mandez Carlun, al orguillus e al fier,
« Envoyez un message à Charles, à ce fier, à cet orgueilleux ;
« Fedeilz servises e mult granz amistez : « Promettez-lui service fidèle et très-grande amitié.
30 « Vus li durrez urs e leuns e chens, « Faites-lui présent de lions, d’ ours et de chiens,
« Set cenz cameilz e mil hosturs muez, « De sept cents chameaux, de mille autours qui aient mué ;
« D’or e d’argent .iiii. c. muls cargez, « Donnez-lui quatre cents mulets chargés d’or et d’argent,
« Cinquante carres qu’en ferat carier : « Tout ce que cinquante chars peuvent porter :
« Ben en purrat luer ses soldeiers. « Le roi de France enfin pourra payer ses soldats.
35 « En ceste tere ad asez osteiet, « Mais assez longtemps il a campé dans ce pays.
« En France ad Ais s’en deit bien repairer. « Il est bien temps qu’il retourne en France, à Aix.
« Vus le siurez à la feste seint Michel :
« Vous l’y suivrez, — direz-vous, — à la fête de saint Michel ;
« Si receverez la lei de chrestiens, « Et là, vous vous convertirez à la foi chrétienne.
« Serez sis hom par honur e par ben. « Vous serez son homme en tout bien, tout honneur.
40 « S’en voelt ostages, e vus l’en enveiez « S’il exige des otages, eh bien ! vous lui en enverrez
« U dis u vint pur lui afiancier. « Dix ou vingt, pour avoir sa confiance.
« Enveiums i les filz de noz muillers ; « Oui, envoyons-lui les fils de nos femmes.
« Par num d’ocire i enveierai le men.
« Moi, tout le premier, je lui livrerai mon fils, dût-il y mourir.
« Asez est melz qu’il i perdent les chefs « Mieux vaut qu’ils y perdent la tête
45 « Que nus perdum l’honur ne la deintet, « Que de nous voir enlever nos biens et notre joie,
« Ne nus seium cunduit à mendeier. » Aoi. « Et d’être réduits à mendier !

Transcription commentée de Francisque Michel

Francisque Michel-02.png
Chanson de Roland (Francisque Michel 1869) Exemplaire annoté par Paul Meyer
Navigation dans le manuscrit d'Oxford
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Manuscrit d'Oxford Lettrine 1.png

III.
Blancandrins fut des plus saives* paiens,  *Sages.
De vasselage* fut asez chevaler,  *De bravoure.
Prozdom i out* pur sun seignur aider ;  *Prud'homme il y eut.
E dist al rei : « Ore ne vus esmaiez* ;  *Ne vous tourmentez.
Mandez Carlun*, al orguillus e al fier,  *A Charles.
Deuz* servises e mult granz amistez :  *Lisez : Beus, beaux.
[V]os li durrez* urs e léons e chens,  *Donnerez.
Set cenz camelz* e mil hosturs muers**,  *Chameaux. **Autours qui ont passé l'époque de la mue.
D'or e d'argent .iiii. c. muls* cargez,  *Quatre cents mulets.
Cinquante carre* qu'en ferat carier** :  *Chars. **Charrier.
Ben en purrat luer ses soldeiers ;  *Pourra louer ses soldats.
En ceste tere ad asez osteiet*,  *Séjourné.
En France ad Ais s'en deit ben repairer*.  *A Aix s'en doit bien retourner.
Vos le siurez* à la feste seint Michel,  *Suivrez.
Si receverez* la lei de chretiens,  *Et vous recevrez.
Serez ses hom* par honur e par ben.  *Son homme.
S'en volt* ostages, e vos l'en enveiez  *S'il en veut.
U dis u vint, pur lui afiancer*,  *Ou dix ou vingt, pour lui donner confiance.
Enveiu[n]s-li les filz de noz muillers* ;  *Femmes.
Par nun d'ocire, i enveierai le men*.  *Au risque d'être tué, j'y enverrai le mien.
Asez est melz* qu'il i perdent le chefs,  *Il est bien mieux.
Que nus perduns l'onur ne la deintet*,  *Que si nous perdions la terre (la seigneurerie) et le revenu.
Ne nus seiuns cunduiz à mendeier. » AOI

.

 

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Version musicale de Gilles Mathieu



<<
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       Man -- dez Car -- lun!
       En ces -- te
       ter'  ad a -- sez os -- tei --
       et En
       France ad Ais s'en deit ben -- re -- pai -- 
       rer  Dis
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        Cun -- sei -- lez mei cu -- me
        me sa -- vi -- e hu -- me
        A -- -- -- -- -- -- -- --
        a -- -- -- -- -- -- -- --
        Dis
            }
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        d4 d8 (d8) ees c d4 d8 (d4) r8
        d4 d8 (d8) ees c d4 d8 (d4) r8
        d4 d8 (d8) ees c d4 d8 (d4) r8
        d2.\mf\( ees2.
        d2. (d4.)\) r4.
        d4.\( a4. c4. (c4) bes8
        a2. (a4.)\) r4 \f d8
               
  }  }
 \addlyrics { 
          Cun -- seil -- lez  mei cu -- me
          me  sa -- vi -- e hu -- me
         Cun -- seil -- lez  mei cu -- me
          me  sa -- vi -- e hu -- me
          A - -
          a - - - -
          Dis
            }

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>>

Notes (version de Léon Gautier)

logo travaux partie en cours de maquettage
Chanson de Roland (1872) Gautier, II, page 024.jpg
Vers 25.

Vers 25.Chevaler. O. Cf. le v. 3818, qui nous offre la leçon correcte.

Vers 27.
Al Rei.
Al Rei. Lire : à l’Rei. Cette correction s’applique également aux vers 28, 48, 71, 123, 162, 196, 207, 216, 232, 245, 253, 265, 269, 306, 339, 351, 369, 416, 427, 484, 487, 496, 510, 569, 635, 676, 732, 733, 776, 832, 880, 920, 962.....
Ore.
Or. Mu. C’est à tort que MM. Génin et Müller ont cru lire on dans le manuscrit, qui porte ore très-visiblement. Nous laissons ore, persuadé d’ailleurs que l’e muet ne se prononçait pas, mais voulant laisser intacte une forme très-française et très-étymologique. Nous aurons à constater mille fois que la prononciation, dans notre manuscrit, est en désaccord avec l’écriture.
Vers 28.
Carlun.
Carlun, cas oblique de Carles, par analogie, d’après Otes et Oton, Gui et Guion, etc.
Al orguillus, al fier
Mu. Nous laissons : e à l’fier, qui se trouve dans le manuscrit et prouve l’élision possible de l’e. Le manuscrit de Venise, n° IV, porte : Manda à Karll li orgoilos el fier. Le manuscrit n° VII : Mandez Karlon, à l’orgoillos e fier, — Foi e salut por vostre mesagier.
Vers 29.
Manus. Oxford 1v ligne 1 (vers29).png
C’est M. Müller qui a restitué [Fe]deilz. On ne peut, en effet, lire les deux premières lettres dans le manuscrit.
MM. F. Michel et Génin avaient imprimé Deuz.
Vers 30.
Vos
O. — V. la note sur vus et nus (v. 17). — Leons. O. La très-grande majorité, la presque totalité des Noms qui sont aujourd’hui terminés en on, sont, dans le manuscrit d’Oxford, terminés en un. Nous les avons tous écrits avec un u. C’est toujours, en effet, la grande règle de phonétique d’après laquelle l’o latin devient u. Mais tantôt ce changement soulève dans nos textes une question de prononciation (vus, nus, pur) ; tantôt il indique une simple variante d’écriture, comme dans barun, traïsun, etc.
Vers 31.
Camelz.
Camelz, O. — Pour cameilz, cf. v. 129, 645, 847. Trois fois sur quatre, ce mot se présente sous cette dernière forme.

Hosturs muez, c’est-à-dire « après la mue ». Génin (p. 343) cite un passage de Frédéric II, en son Art de la chasse : « Plumagium autem saurum seu non mutatum differt a mutato, in eo quod generaliter plumœ et pennœ post mutam sint meliores et alterius coloris. » (Cf. Ducange, au mot Saurus.)

Vers 33.
Chanson de Roland (1872) Gautier, II, page 025.jpg

Vers 33.Carre. O. ═ Carier, c’est « charroyer ». Le ms. de Venise

    1. 33 ##

n° VII porte : Cinqante chars li ferez charoier ; — Comblé seront de fins besanz d’or mer.

Vers 34.
Bien
O. J’ai relevé 47 fois la forme ben dans le texte d’Oxford, et 27 fois la forme bien. De plus, l’i est ici très-évidemment parasite. Pour ces deux raisons nous avons partout imprimé ben. Il est clair d’ailleurs que le scribe se servait au hasard de l’une ou de l’autre de ces formes, puisqu’il les emploie l’une et l’autre à quelques mots de distance (v. 34, 36, 1,653, 1,654). Il n’avait évidemment de préférence pour aucune, et nous avons le droit de choisir, pourvu que notre choix soit scientifique.
Vers 37.
Vos. O. — V. la note du v. 17, à laquelle désormais nous ne renverrons plus notre lecteur.

Siurez. Mu. Suirez. Mi. G.

A la feste seint Michel. (Cf. v. 152 : A la grant feste seint Michel del Peril.)

Chrestiens. Partout ce mot est écrit dans le texte d’Oxford avec le Xp (Χρ).

Vers 39.
Chanson de Roland (1872) Gautier, II, page 027.jpg

Vers 39.Ses. O. Les formes sis et ses, mis et mes peuvent être considérées comme également bonnes et correctes. À quelques mots d’intervalle, le scribe emploie l’une et l’autre (v. 504 et 505, 544 et 546, etc.), et n’en préfère ouvertement aucune. Nous avons choisi les formes sis et mis, qui sont plus employées et ont l’avantage de se distinguer plus nettement des formes plurielles mes et ses.

Vers 40.
Volt. O. Si nous avons partout adopté la forme voelt, ce n’est point parce qu’elle est la plus fréquemment employée dans notre manuscrit (21 fois, en y comprenant les formes voet et voel, qui se rencontrent, la première une, la seconde deux fois. Mais volt est employé vingt fois, et la différence n’est pas appréciable). Non ; si voelt nous a paru préférable à volt, si nous l’avons partout imprimé dans notre texte, c’est que la notation oe se retrouve à peu près uniquement dans la phonétique du même verbe. (La forme voel, voell ou voeill, pour volo, se rencontre quatorze fois dans notre ms., sans qu’aucune autre forme lui fasse concurrence ; voelent, quatre fois ; voellet ou voeillet, six fois.) Il semble qu’après cette constatation, nous n’avions plus à hésiter entre voelt et volt.
Vers 42.

Vers 42.Vos. O.

Enveius i. O. E nevus u. Mi. Enveiuns i. G. et Mu. Nous avons ici à établir la « Théorie des 1res personnes du pluriel » d’après le manuscrit de la Bodléienne. Le scribe est loin d’avoir partout employé le même système (en ce cas comme en tant d’autres), et nous pouvons, au contraire, constater dans le poëme d’Oxford les trois systèmes qui se sont partagé les textes du moyen âge. Le premier de ces trois systèmes, le plus ancien et le plus étymologique, est représenté par les formes suivantes : Recevrums (v. 1922) ; fuiums (v. 1910) ; durriums (v. 1805) ; poums (v. 1695), etc. Mais on ne tarda pas à s’écarter de ce premier système, en adoptant deux flexions moins étymologiques. Tantôt on supprima l’s finale qui rappelait si bien la terminaison latine, et l’on eut des formes telles que asaldrum (v. 947) ; metrum (v. 952) ; averum (v. 972) ; purum (v. 1007), etc. etc. D’autres fois, au contraire (et cela dans le même texte), on modifia autrement le premier système : l’s fut conservée et l’m moins fortement prononcée fut changée en n : de là, dans

    1. 42 ##

notre Chanson, lançuns (v. 2154) ; devuns (v. 1009) ; feruns (v. 1256). Même on ira, dans le Roland, jusqu’à trouver, par le changement de l’u en o, la forme qui l’a décidément emporté sur toutes les autres : avons (v. 1923). Or, de ces trois systèmes, qui se trouvent également dans notre manuscrit, lequel devions-nous adopter ? Celui qui est, de beaucoup, le plus fréquemment adopté, c’est-à-dire le second : asaldrum, avum, etc. ═ Si nous avons ici imprimé enveiums, l’s doit être uniquement considérée comme euphonique, et c’est la seule fois qu’on la trouvera dans notre texte.

    1. 44 ##

Vers 44.Le chefs. O. Erreur évidente.

Vers 45.
Perduns
O. Mi. G. Mu. V. la note du v. 42.
L’onur
O. Mi. G. Mu. Nous avons partout préféré la forme honur, parce qu’étant plus étymologique, et ayant été en outre conservée dans notre langue, elle est celle aussi qui est le plus souvent employée dans le manuscrit. L’h, d’ailleurs, n’est pas ici plus aspirée que dans helme : D’osbercs e de helmes e d’espées à or (v. 1798) et dans hom : Bataille funt nostre hum (v. 1,758), etc. Il est donc très-légitime d’écrire l’honur. — Nous l’avons traduit par terre. Honor signifie en général un bien, un domaine ; au nord de la France, il est, par extension, devenu synonyme de fief. On a renoncé à l’opinion qui représentait l’honor du midi de la France comme un bien d’une nature particulière, qui aurait joui des droits féodaux sans en supporter les charges.
La deintet
Ce mot, sur lequel on a discuté, vient de dominitatem, et signifie la seigneurie, le domaine, et par extension les biens.
Vers 46.
Seiuns
O. V. la note du vers 42. Nous n’y renverrons plus le lecteur.
Cunduiz
O. Pour la règle de l’s, il faut cunduit.

Concordances et compléments

Cette laisse est reprise dans :

Elle est alignée avec la laisse III du manuscrit de Châteauroux.

Voir aussi

Notes
  1. Version numérique copiée de WikiSource :

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