La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition populaire/1895/Introduction/Les remaniements : Différence entre versions

De Wicri Chanson de Roland
(Les remaniements)
 
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===Les remaniements===
 
===Les remaniements===
 
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Le jour vint où le Roland, tel que nous allons le publier, ni'
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répondit plus aux besoins des intelligences. Le jour vint où le
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'''XII - {{Petites capitales|Les remaniements}}'''<ref>Ces remaniements, que l'on connait
 
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généralement sous le nom de Roncevaux composent la seconde famille des manuscrits de ''Roland''.
 
 
 
 
1 ('..■- paroles sont de M. Gaston Pa
 
ris, en son Histoire poétique de Char-
 
lemagne.
 
 
 
 
 
 
 
- Ces remaniements, que l'on connail
 
généralement sous le nom de R
 
van < . composent la seconde famille des  
 
 
 
 
 
 
 
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INTRODUCTION
 
  
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Ils sont tous dérivés d'un prototype qui n'est point
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parvenu jusqu'à nous et qui se composait sans doute des éléments suivants :
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* « trois mille sept cents premiers vers, analogues à ceux d'Oxford et encore assonancés;
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* un dénouement nouveau en vers rimés, et qui se retrouve dans tous les ''[[rifacimenti]]''. »
  
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Les remaniements du Roland que nous possédons sont les suivants :
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* a. [[A pour manuscrit cité::Chanson de Roland/Manuscrit de Paris|Manuscrit de Paris]], B. N., fr. 860 ancien 7227 s (seconde moitié du {{XIIIe}} siècle). Il y manque environ les 80 premiers couplets.
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* b. Manuscrit de Versailles , {{XIIIe}} siècle ; — 8,330 vers. Il est aujourd'hui à la Bibliothèque de Châteauroux, et il en existe une copie moderne à la B. N. (fr.15, 108).
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* c. Manuscrit de Venise (Bibliothèque Saint-Mare, manuscrit français, n° VII 138 folios, 8,880 vers; exécuté vers 1250). Le texte, qui n'est pas italianisé, se rapproche beaucoup de celui de Versailles. —
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* d. Manuscrit de Lyon (n° 964, {{XIVe}} siècle).
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* e. Fragments d'un manuscrit lorrain, 351 vers du {{XIIIe}} siècle, publiés par Génin, Chanson de Roland, p. 491 et suiv.
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*f. Manuscrit de Cambridge (Trinity Collège, R. 3-32, xv e siècle).
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Ces remaniements peuvent se diviser en trois familles : a. Paris, Lyon, Lorrain, b. Versailles, Venise VIL c. Cambridge.
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Le jour vint où le Roland, tel que nous allons le publier, ne
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répondit plus aux besoins des intelligences. Le jour vint où le
 
public, s'adressant à certains poètes de bonne volonté, leur montra  
 
public, s'adressant à certains poètes de bonne volonté, leur montra  
notre vieille chanson, et leur dit : « Rajeunissez -la. »  
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notre vieille chanson, et leur dit : « Rajeunissez-la. »  
  
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Et ce jour fut celui-là même où l'assonance ne suffit plus aux  
 
Et ce jour fut celui-là même où l'assonance ne suffit plus aux  
 
auditeurs de nos Chansons de geste. Disons mieux : ce fut le jour  
 
auditeurs de nos Chansons de geste. Disons mieux : ce fut le jour  
 
où le Roland eut des lecteurs plutôt que des auditeurs. La rime  
 
où le Roland eut des lecteurs plutôt que des auditeurs. La rime  
 
alors dut s'emparer de toute ou de presque toute la dernière  
 
alors dut s'emparer de toute ou de presque toute la dernière  
syllabe : la rime, qui est une assonance perfectionnée, une asso-
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syllabe : la rime, qui est une assonance perfectionnée, une assonance pour les yeux.  
nance pour les yeux.  
 
  
Voilà le point de départ de tous nos rajeunisseurs. Voilà la rai-
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Voilà le point de départ de tous nos rajeunisseurs. Voilà la raison d'être et l'origine de tous les remaniements du ''Roland''. {{Petites capitales|Tout est sorti de là}}.  
son d'être et l'origine de tous les remaniements du Roland. Tout  
 
 
 
EST SORTI DE LA.  
 
  
 
Dès que le plus ancien des remanieurs eut, pour la première  
 
Dès que le plus ancien des remanieurs eut, pour la première  
fois, touché à une assonance du Roland dans le but de la trans-
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fois, touché à une assonance du ''Roland'' dans le but de la transformer en rime, ce jour-là tout fut perdu. Cette seule modification  
former en rime, ce jour-là tout fut perdu. Cette seule modification  
 
 
en entraîna cent autres, et toute la physionomie de notre vieille  
 
en entraîna cent autres, et toute la physionomie de notre vieille  
 
épopée fut irrémédiablement changée.  
 
épopée fut irrémédiablement changée.  
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Son second labeur a le vers pour objet. Il lui faut reprendre  
 
Son second labeur a le vers pour objet. Il lui faut reprendre  
en sous- oeuvre presque tous les vers de l'ancien couplet, et les  
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en sous-œuvre presque tous les vers de l'ancien couplet, et les  
 
refaire un à un pour leur donner la rime voulue. Longue, délicate  
 
refaire un à un pour leur donner la rime voulue. Longue, délicate  
 
et rude besogne !  
 
et rude besogne !  
  
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Mais il n'est pas toujours aisé de remplacer un vers assonance  
 
Mais il n'est pas toujours aisé de remplacer un vers assonance  
par un vers, par un seul vers rimé. Le renlanieur, en ce cas,  
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par {{Petites capitales|un vers}}, par un seul vers rimé. Le remanieur, en ce cas,  
 
écrit deux vers, et même trois, au lieu d'un seul. C'est là son  
 
écrit deux vers, et même trois, au lieu d'un seul. C'est là son  
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troisième travail et qui, comme les précédents, lui est commandé
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par une nécessité impérieuse<ref>'Voici par exemple, dans un couplet
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en ''on'' du Roland, voici ce vers : « Li ... li trenchat her le destre puign ;  ([[Chanson de Roland/Manuscrit d'Oxford/Vers 2701|vers 2701]]),
  
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Le rajeunisseur sent bien que les oreilles.
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ou plutôt que les yeux de ses contemporains supporteraient difficilement le son
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''uin'' dans une tirade en ''on''. Que fait-il?
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Il cherche un équivalent en un seul vers, et ne le trouve pas. Alors il se
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résout, sans trop de peine, à écrire ces
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deux vers :
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:Li cons Rollant , qi ait maleiçon ,
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:De son bras destre li a fait un tronçon.
  
 
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(Roncevaux, texte de Versailles.) </ref><ref group="NDLR">La laisse du manuscrit de Chateauroux est accessible ici
manuscrits de Roland. = Ils sont tous
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:[[Chanson de Roland/Manuscrit de Châteauroux/Laisse CCLXVI]] ( Vers [[Chanson de Roland/Manuscrit de Châteauroux/Laisse CCLXVI#Vers 27|27]]  )
dérivés d'un prototype qui n'est point
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</ref> .  
parvenu jusqu'à nous et qui se compo-
 
sail sans doute des éléments suivants :
 
u trois mille sept cents premiers vers,  
 
analogues à ceux d'Oxford el encore
 
assonances; un dénouement nouveau
 
en vers rimes, et qui se retrouve dans
 
tous les rifacimenti. » = Les remanie-
 
ments du Roland que nous possédons
 
sont les suivants : a. Manuscrit de Pa-
 
ris, B. N., fr. 860 ancien 7227 s (seconde
 
moitié du xm e siècle). Il y manque
 
environ les 80 premiers couplets. — b.
 
Manuscrit de Versailles , xm e siècle ; —
 
8,330 vers. Il est aujourd'hui à la Bi-
 
bliothèque de Châteauroux, et il en
 
 
 
 
 
 
 
existe une copie moderne à la B. N.
 
 
 
fr. I."), 108). — c. Manuscrit de Venise
 
(Bibliothèque Saint-Mare, manuscrit
 
 
 
français, n° vu. 138 folios, 8,880 vers;
 
exécuté vers 1250). Le texte, qui n'est  
 
pas italianisé, se rapproche beaucoup
 
de celui de Versailles. — d. Manuscrit  
 
de Lyon (n° 964, xiv e siècle). — e. Frag-
 
ments d*un manuscrit lorrain, 351 vers
 
du xiii" siècle, publiés par Génin, Chan-
 
son de Roland, p. 491 et suiv. — f. Ma-
 
nuscrit de Cambridge (Trinity Collège,
 
R. 3-32, xv e siècle). = Ces remanie-
 
ments peuvent se diviser en trois fa-
 
milles : a. Paris, Lyon, Lorrain, b. Ver-
 
sailles, Venise VIL c. Cambridge.
 
 
 
 
 
 
 
INTRODUCTION'
 
 
 
 
 
 
 
:i!
 
 
 
 
 
 
 
troisième travail et qui, comme les précédents, lui est commandé
 
par une nécessité impérieuse '.  
 
  
 
Une fois en si beau chemin, le rajeunisseur ne s'arrête plus.  
 
Une fois en si beau chemin, le rajeunisseur ne s'arrête plus.  
 
Il se donne fort gratuitement une quatrième mission. Alors même  
 
Il se donne fort gratuitement une quatrième mission. Alors même  
qu'il n'y est aucunement contraint, il remplace un vers de l'ori-
+
qu'il n'y est aucunement contraint, il remplace un vers de l'original par deux ou trois vers de la copie <ref>* L'auteur du ''Roland'' avait dit(v. 3.200) :
ginal par deux ou trois vers de la copie 2 . Hélas !  
+
« ''Ço dist Malprime : le colp vus en damant.'' » Le remanieur, sans aucune
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nécessité , écrit :
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: ''Ço dist Malprimes: « Mo- doterez notant.
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:Demein arez un eschac iss> grant.
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:Aine Sarrazins n'ot onques tant
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:Ds la bataille le premier colp déniant. >>
 +
(Roncevaux, texte de Versailles) Cf. ''nos Épopées françaises'' ,2» édition. pp.441-442 < </ref>. Hélas !  
  
11 est à peine utile d'ajouter que notre remanieur, habitué à  
+
Il est à peine utile d'ajouter que notre remanieur, habitué à  
 
tant de privautés avec. le texte original, n'hésite plus à changer  
 
tant de privautés avec. le texte original, n'hésite plus à changer  
 
tous les hémistiches qui lui déplaisent et tous les mots qui lui  
 
tous les hémistiches qui lui déplaisent et tous les mots qui lui  
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épisodes de leur composition, et rédigent à nouveau certaines  
 
épisodes de leur composition, et rédigent à nouveau certaines  
 
parties de l'ancien texte. Même ils adoptent des vers d'une autre  
 
parties de l'ancien texte. Même ils adoptent des vers d'une autre  
mesure, et voici que, dans l'épisode du procès rie Ganelon, le vers  
+
mesure, et voici que, dans l'épisode du procès de Ganelon, le vers  
 
alexandrin pénètre enfin dans notre Chanson, qui est décidément  
 
alexandrin pénètre enfin dans notre Chanson, qui est décidément  
 
trop remaniée et trop rajeunie.  
 
trop remaniée et trop rajeunie.  
  
 
Il ne reste plus qu'à modifier l'esprit général, de nos vieux  
 
Il ne reste plus qu'à modifier l'esprit général, de nos vieux  
poèmes, et c'est à quoi nos remanieurs s'entendent merveilleuse-
+
poèmes, et c'est à quoi nos remanieurs s'entendent merveilleusement. Dans la ''Chanson de Roland''', telle qu'on la pourra lire tout  
ment. Dans la Chanson de Roland , telle qu'on la pourra lire tout  
+
à l'heure, c'était l'esprit du {{XIe}} siècle qui frémissait dans nos  
à l'heure, c'était l'esprit du xi e siècle qui frémissait; dans nos  
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''[[rifacimenti]]'', c'est celui du {{XIIIe}}. Les âmes y sont moins mâles.  
rifacimenti, c'est celui du xm c . Les âmes y sont moins màîes.  
 
 
Tout s'alanguit, s'attiédit, s'effémine. La guerre n'est plus le seul  
 
Tout s'alanguit, s'attiédit, s'effémine. La guerre n'est plus le seul  
 
mobile, ni la pensée unique. Le coup de lance, bien donné ou  
 
mobile, ni la pensée unique. Le coup de lance, bien donné ou  
bien reçu, n'est plus le seul idéal. Ce n'est plus l'esprit des croi-
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bien reçu, n'est plus le seul idéal. Ce n'est plus l'esprit des croisades populaires et enthousiastes comme le fut [[A pour évènement cité::Première croisade|celle de 1096]] :
sades populaires et enthousiastes comme le fut celle de 10£o
+
c'est le temps des croisades à moitié politiques, et auxquelles il
c'est le temps des croisades à moitié politiques, etauxquell - '
+
faut un peu contraindre les meilleurs barons chrétiens. Rome
faut un peu contraindre les meilleurs barons chrétiens. Elom
+
moins aimée, et l'oriflamme de Saint-Denis fait un peu ou  
moins aimée, et l'oriflamme de Saint- Denis fait un peu ou  
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l'enseigne de saint Pierre. Charlemagne est déjà loin ; [[A pour personnalité citée::Philippe le Bel]] approche. <span id="PhilLeBel"></span>La royauté, plus puissante, est cependant moins  
 
 
 
 
 
 
'Voici par exemple, dans un couplet
 
en on du Roland, voici ce vers : Il li
 
tranchât 1er le destre pu'ujn (vers 2701 >,
 
Le rajeunisseur sent bien que les oreilles.
 
ou plutôt que les yeux de ses contempo-
 
rains supporteraient diffi< 1 rnent le son
 
uin dans une tirade en on. Que fait-il?
 
Il cherche un équivalent en un seul
 
vers, et ne le trouve pas. Alors il se
 
r ésout, sans trop de peine, à écrire ces
 
deux vers : Li cons Hollant , q'i ait nia-
 
leiçon , — De son bras destre li a fait
 
 
 
 
 
 
 
un tronçon. (Roncevauv, tciîu de Ver-
 
sailles.)
 
 
 
* L'auteurduJïofoniZav;iitdit(v. 3.200):
 
« Ç» dist yiaïprimcs : le colp • ■
 
damant. » Le rema lieur, sans ai
 
nécessité , écrit : • Malprimes:
 
 
 
« Mo- doterez notant. — Demein arez
 
un eschac iss> grant. — Aine Sarrazins
 
n'ot onques tant — Ds la
 
 
 
bataille le premier colp déniant. >> (llon-
 
cevaux, texte de Versaill* •■ Cf. noa Kpo-
 
p& i franc lise ,2» édition. ! <
 
 
 
 
 
 
 
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INTRODUCTION
 
 
 
 
 
 
 
l'enseigne de saint Pierre. Charlemagne est déjà loin; Philippe  
 
le Eel approche. La royauté, plus puissante, est cependant moins  
 
 
respectée. La taille du grand Empereur est rapetissée : ce n'est  
 
respectée. La taille du grand Empereur est rapetissée : ce n'est  
 
plus un géant de quinze pieds qui domine tous les autres héros  
 
plus un géant de quinze pieds qui domine tous les autres héros  
 
du poème et dont la gloire n'est pas effacée par celle même de  
 
du poème et dont la gloire n'est pas effacée par celle même de  
Roland. Des subtilités d'une théologie médiocre remplacent les  
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Roland.  
élans vigoureux d'une piété militaire. L'auteur se fait voir davan-
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tage dans ces œuvres trop personnelles. Plus de proportions;  
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Des subtilités d'une théologie médiocre remplacent les  
point de style, avec plus de prétentions. Des formules, des che-
+
élans vigoureux d'une piété militaire. L'auteur se fait voir davantage dans ces œuvres trop personnelles. Plus de proportions;  
villes, et, comme nous le dirions aujourd'hui, des « clichés »  
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point de style, avec plus de prétentions. Des formules, des chevilles, et, comme nous le dirions aujourd'hui, des « clichés »  
insupportables. Ces remaniements, nous les abandonnons volon-
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insupportables. Ces remaniements, nous les abandonnons volontiers à ceux qui nous accusent de trop aimer notre vieille poésie  
tiers à ceux qui nous accusent de trop aimer notre vieille poésie  
 
 
religieuse et nationale. De ces œuvres de rhéteurs ennuyeux,  
 
religieuse et nationale. De ces œuvres de rhéteurs ennuyeux,  
 
la Patrie et Dieu sont absents. Nous ne descendrons pas à les  
 
la Patrie et Dieu sont absents. Nous ne descendrons pas à les  
admirer 1 .  
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admirer <ref> Les remaniements ne sont pas cependant la foi me la plus méprisable
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qu'ait reçue la légende de Roland.' Après
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avoir médiocrement inspiré Philippe
 +
Mousket, en sa ''Chronique rimée'', au
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XIIIe siècle, et Girard d'Amiens, en son
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''Charlemagne'', au commencement du
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siècle .suivant, cette très glorieuse et
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très antique légende fut, six fois au
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moins, mise en prose : dans ''Galien ''
 +
(XVe siècle); dans les ''Conquestes de Charlemagne'', de [[A pour auteur cité::David Aubert]] (1458) ;
 +
dans ''Morgant le Géant'', imitation du
 +
''Morgante Maggiore, ''de Pulei (1519);
 +
dans le ''Charlemagne et Anseïs'' du manuscrit de l'Arsenal, anc. B. L. F. 214
 +
(xv e siècle) ; dans le ''Fierabras'' de 1478
 +
et dans ''la Conqueste du grand roi Charlemagne des Espaignes'' , qui en est une
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nouvelle forme (149S, etc.), et enfin
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dans les ''Guerin de Montglave'' incunables. Ces deux derniers romans et le
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Galien ont pénétré dans la « Bibliothèque
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bleue », et c'est par eux que Roland est
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encore aujourd'hui connu dans nos
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campagnes. </ref>.
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===Notes de l'article===
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==Voir aussi==
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;Notes de la rédaction:
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<references group="NDLR"/>
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;Sur Internet Archive:
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* https://archive.org/details/lachansonderolan00gautuoft/page/30/mode/1up
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[[Catégorie:Pages utilisables pour des travaux pratiques (OCR)]]
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Le texte original

Les remaniements

Lachansonderoland Gautier 1895 page 29.jpeg

XII - Les remaniements[1]

Le jour vint où le Roland, tel que nous allons le publier, ne répondit plus aux besoins des intelligences. Le jour vint où le public, s'adressant à certains poètes de bonne volonté, leur montra notre vieille chanson, et leur dit : « Rajeunissez-la. »

Lachansonderoland Gautier 1895 page 30.jpeg

Et ce jour fut celui-là même où l'assonance ne suffit plus aux auditeurs de nos Chansons de geste. Disons mieux : ce fut le jour où le Roland eut des lecteurs plutôt que des auditeurs. La rime alors dut s'emparer de toute ou de presque toute la dernière syllabe : la rime, qui est une assonance perfectionnée, une assonance pour les yeux.

Voilà le point de départ de tous nos rajeunisseurs. Voilà la raison d'être et l'origine de tous les remaniements du Roland. Tout est sorti de là.

Dès que le plus ancien des remanieurs eut, pour la première fois, touché à une assonance du Roland dans le but de la transformer en rime, ce jour-là tout fut perdu. Cette seule modification en entraîna cent autres, et toute la physionomie de notre vieille épopée fut irrémédiablement changée.

Le premier travail du rajeunisseur porte sur le couplet épique. Il consiste à en changer toutes les assonances et à faire choix, pour les remplacer, d'un système de rimes.

Son second labeur a le vers pour objet. Il lui faut reprendre en sous-œuvre presque tous les vers de l'ancien couplet, et les refaire un à un pour leur donner la rime voulue. Longue, délicate et rude besogne !

Lachansonderoland Gautier 1895 page 31.jpeg

Mais il n'est pas toujours aisé de remplacer un vers assonance par un vers, par un seul vers rimé. Le remanieur, en ce cas, écrit deux vers, et même trois, au lieu d'un seul. C'est là son troisième travail et qui, comme les précédents, lui est commandé par une nécessité impérieuse[2][NDLR 1] .

Une fois en si beau chemin, le rajeunisseur ne s'arrête plus. Il se donne fort gratuitement une quatrième mission. Alors même qu'il n'y est aucunement contraint, il remplace un vers de l'original par deux ou trois vers de la copie [3]. Hélas !

Il est à peine utile d'ajouter que notre remanieur, habitué à tant de privautés avec. le texte original, n'hésite plus à changer tous les hémistiches qui lui déplaisent et tous les mots qui lui semblent vieillis. Mais ce cinquième travail ne semble pas avoir été le plus malaisé.

Désormais, plus de gène. Les rajeunisseurs suppriment tels ou tels couplets qu'ils jugent inutiles, ou en ajoutent tels ou tels autres qui leur paraissent nécessaires. Ils intercalent certains épisodes de leur composition, et rédigent à nouveau certaines parties de l'ancien texte. Même ils adoptent des vers d'une autre mesure, et voici que, dans l'épisode du procès de Ganelon, le vers alexandrin pénètre enfin dans notre Chanson, qui est décidément trop remaniée et trop rajeunie.

Il ne reste plus qu'à modifier l'esprit général, de nos vieux poèmes, et c'est à quoi nos remanieurs s'entendent merveilleusement. Dans la Chanson de Roland', telle qu'on la pourra lire tout à l'heure, c'était l'esprit du XIe siècle qui frémissait dans nos rifacimenti, c'est celui du XIIIe. Les âmes y sont moins mâles. Tout s'alanguit, s'attiédit, s'effémine. La guerre n'est plus le seul mobile, ni la pensée unique. Le coup de lance, bien donné ou bien reçu, n'est plus le seul idéal. Ce n'est plus l'esprit des croisades populaires et enthousiastes comme le fut celle de 1096 : c'est le temps des croisades à moitié politiques, et auxquelles il faut un peu contraindre les meilleurs barons chrétiens. Rome moins aimée, et l'oriflamme de Saint-Denis fait un peu ou l'enseigne de saint Pierre. Charlemagne est déjà loin ; Philippe le Bel approche. La royauté, plus puissante, est cependant moins respectée. La taille du grand Empereur est rapetissée : ce n'est plus un géant de quinze pieds qui domine tous les autres héros du poème et dont la gloire n'est pas effacée par celle même de Roland.

Lachansonderoland Gautier 1895 page 32.jpeg

Des subtilités d'une théologie médiocre remplacent les élans vigoureux d'une piété militaire. L'auteur se fait voir davantage dans ces œuvres trop personnelles. Plus de proportions; point de style, avec plus de prétentions. Des formules, des chevilles, et, comme nous le dirions aujourd'hui, des « clichés » insupportables. Ces remaniements, nous les abandonnons volontiers à ceux qui nous accusent de trop aimer notre vieille poésie religieuse et nationale. De ces œuvres de rhéteurs ennuyeux, la Patrie et Dieu sont absents. Nous ne descendrons pas à les admirer [4].

Notes de l'article

  1. Ces remaniements, que l'on connait généralement sous le nom de Roncevaux composent la seconde famille des manuscrits de Roland. Ils sont tous dérivés d'un prototype qui n'est point parvenu jusqu'à nous et qui se composait sans doute des éléments suivants :
    • « trois mille sept cents premiers vers, analogues à ceux d'Oxford et encore assonancés;
    • un dénouement nouveau en vers rimés, et qui se retrouve dans tous les rifacimenti. »
    Lachansonderoland Gautier 1895 page 30.jpeg

    Les remaniements du Roland que nous possédons sont les suivants :

    • a. Manuscrit de Paris, B. N., fr. 860 ancien 7227 s (seconde moitié du XIIIe siècle). Il y manque environ les 80 premiers couplets.
    • b. Manuscrit de Versailles , XIIIe siècle ; — 8,330 vers. Il est aujourd'hui à la Bibliothèque de Châteauroux, et il en existe une copie moderne à la B. N. (fr.15, 108).
    • c. Manuscrit de Venise (Bibliothèque Saint-Mare, manuscrit français, n° VII 138 folios, 8,880 vers; exécuté vers 1250). Le texte, qui n'est pas italianisé, se rapproche beaucoup de celui de Versailles. —
    • d. Manuscrit de Lyon (n° 964, XIVe siècle).
    • e. Fragments d'un manuscrit lorrain, 351 vers du XIIIe siècle, publiés par Génin, Chanson de Roland, p. 491 et suiv.
    • f. Manuscrit de Cambridge (Trinity Collège, R. 3-32, xv e siècle).

    Ces remaniements peuvent se diviser en trois familles : a. Paris, Lyon, Lorrain, b. Versailles, Venise VIL c. Cambridge.

  2. 'Voici par exemple, dans un couplet en on du Roland, voici ce vers : « Li ... li trenchat her le destre puign ; (vers 2701), Le rajeunisseur sent bien que les oreilles. ou plutôt que les yeux de ses contemporains supporteraient difficilement le son uin dans une tirade en on. Que fait-il? Il cherche un équivalent en un seul vers, et ne le trouve pas. Alors il se résout, sans trop de peine, à écrire ces deux vers :
    Li cons Rollant , qi ait maleiçon ,
    De son bras destre li a fait un tronçon.
    (Roncevaux, texte de Versailles.)
  3. * L'auteur du Roland avait dit(v. 3.200) : « Ço dist Malprime : le colp vus en damant. » Le remanieur, sans aucune nécessité , écrit :
    Ço dist Malprimes: « Mo- doterez notant.
    Demein arez un eschac iss> grant.
    Aine Sarrazins n'ot onques tant
    Ds la bataille le premier colp déniant. >>
    (Roncevaux, texte de Versailles) Cf. nos Épopées françaises ,2» édition. pp.441-442 <
  4. Les remaniements ne sont pas cependant la foi me la plus méprisable qu'ait reçue la légende de Roland.' Après avoir médiocrement inspiré Philippe Mousket, en sa Chronique rimée, au XIIIe siècle, et Girard d'Amiens, en son Charlemagne, au commencement du siècle .suivant, cette très glorieuse et très antique légende fut, six fois au moins, mise en prose : dans Galien (XVe siècle); dans les Conquestes de Charlemagne, de David Aubert (1458) ; dans Morgant le Géant, imitation du Morgante Maggiore, de Pulei (1519); dans le Charlemagne et Anseïs du manuscrit de l'Arsenal, anc. B. L. F. 214 (xv e siècle) ; dans le Fierabras de 1478 et dans la Conqueste du grand roi Charlemagne des Espaignes , qui en est une nouvelle forme (149S, etc.), et enfin dans les Guerin de Montglave incunables. Ces deux derniers romans et le Galien ont pénétré dans la « Bibliothèque bleue », et c'est par eux que Roland est encore aujourd'hui connu dans nos campagnes.



Facsimilé

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Voir aussi

Notes de la rédaction
  1. La laisse du manuscrit de Chateauroux est accessible ici
    Chanson de Roland/Manuscrit de Châteauroux/Laisse CCLXVI ( Vers 27 )
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