La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition populaire/1895/Introduction/Les remaniements : Différence entre versions
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:De son bras destre li a fait un tronçon. | :De son bras destre li a fait un tronçon. | ||
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poèmes, et c'est à quoi nos remanieurs s'entendent merveilleusement. Dans la ''Chanson de Roland''', telle qu'on la pourra lire tout | poèmes, et c'est à quoi nos remanieurs s'entendent merveilleusement. Dans la ''Chanson de Roland''', telle qu'on la pourra lire tout | ||
à l'heure, c'était l'esprit du {{XIe}} siècle qui frémissait dans nos | à l'heure, c'était l'esprit du {{XIe}} siècle qui frémissait dans nos | ||
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Tout s'alanguit, s'attiédit, s'effémine. La guerre n'est plus le seul | Tout s'alanguit, s'attiédit, s'effémine. La guerre n'est plus le seul | ||
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Roland. Des subtilités d'une théologie médiocre remplacent les | Roland. Des subtilités d'une théologie médiocre remplacent les | ||
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XIIIe siècle, et Girard d'Amiens, en son | XIIIe siècle, et Girard d'Amiens, en son | ||
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siècle .suivant, cette très glorieuse et | siècle .suivant, cette très glorieuse et | ||
très antique légende fut, six fois au | très antique légende fut, six fois au | ||
− | moins, mise en prose : dans Galien | + | moins, mise en prose : dans ''Galien '' |
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− | Charlemagne, de David Aubère (1458) ; | + | dans ''Morgant le Géant'', imitation du |
− | dans | + | ''Morgante Maggiore, ''de Pulei (1519); |
− | Morgante Maggiore, de Pulei (1519); | + | dans le ''Charlemagne et Anseïs'' du manuscrit de l'Arsenal, anc. B. L. F. 214 |
− | dans le Charlemagne et Anseïs du | + | (xv e siècle) ; dans le ''Fierabras'' de 1478 |
− | + | et dans ''la Conqueste du grand roi Charlemagne des Espaignes'' , qui en est une | |
− | (xv e siècle) ; dans le Fierabras de 1478 | ||
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nouvelle forme (149S, etc.), et enfin | nouvelle forme (149S, etc.), et enfin | ||
− | dans les | + | dans les ''Guerin de Montglave'' incunables. Ces deux derniers romans et le |
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===Notes de l'article=== | ===Notes de l'article=== |
Version du 25 avril 2022 à 11:22
Facsimilé
Le texte original
Les remaniements
XII - Les remaniements[1]
Le jour vint où le Roland, tel que nous allons le publier, ni' répondit plus aux besoins des intelligences. Le jour vint où le public, s'adressant à certains poètes de bonne volonté, leur montra notre vieille chanson, et leur dit : « Rajeunissez-la. »
Et ce jour fut celui-là même où l'assonance ne suffit plus aux auditeurs de nos Chansons de geste. Disons mieux : ce fut le jour où le Roland eut des lecteurs plutôt que des auditeurs. La rime alors dut s'emparer de toute ou de presque toute la dernière syllabe : la rime, qui est une assonance perfectionnée, une assonance pour les yeux.
Voilà le point de départ de tous nos rajeunisseurs. Voilà la raison d'être et l'origine de tous les remaniements du Roland. Tout est sorti de là.
Dès que le plus ancien des remanieurs eut, pour la première fois, touché à une assonance du Roland dans le but de la transformer en rime, ce jour-là tout fut perdu. Cette seule modification en entraîna cent autres, et toute la physionomie de notre vieille épopée fut irrémédiablement changée.
Le premier travail du rajeunisseur porte sur le couplet épique. Il consiste à en changer toutes les assonances et à faire choix, pour les remplacer, d'un système de rimes.
Son second labeur a le vers pour objet. Il lui faut reprendre en sous-œuvre presque tous les vers de l'ancien couplet, et les refaire un à un pour leur donner la rime voulue. Longue, délicate et rude besogne !
Mais il n'est pas toujours aisé de remplacer un vers assonance par un vers, par un seul vers rimé. Le remanieur, en ce cas, écrit deux vers, et même trois, au lieu d'un seul. C'est là son troisième travail et qui, comme les précédents, lui est commandé par une nécessité impérieuse[2][NDLR 1] .
Une fois en si beau chemin, le rajeunisseur ne s'arrête plus. Il se donne fort gratuitement une quatrième mission. Alors même qu'il n'y est aucunement contraint, il remplace un vers de l'original par deux ou trois vers de la copie [3]. Hélas !
Il est à peine utile d'ajouter que notre remanieur, habitué à tant de privautés avec. le texte original, n'hésite plus à changer tous les hémistiches qui lui déplaisent et tous les mots qui lui semblent vieillis. Mais ce cinquième travail ne semble pas avoir été le plus malaisé.
Désormais, plus de gène. Les rajeunisseurs suppriment tels ou tels couplets qu'ils jugent inutiles, ou en ajoutent tels ou tels autres qui leur paraissent nécessaires. Ils intercalent certains épisodes de leur composition, et rédigent à nouveau certaines parties de l'ancien texte. Même ils adoptent des vers d'une autre mesure, et voici que, dans l'épisode du procès de Ganelon, le vers alexandrin pénètre enfin dans notre Chanson, qui est décidément trop remaniée et trop rajeunie.
Il ne reste plus qu'à modifier l'esprit général, de nos vieux poèmes, et c'est à quoi nos remanieurs s'entendent merveilleusement. Dans la Chanson de Roland', telle qu'on la pourra lire tout à l'heure, c'était l'esprit du XIe siècle qui frémissait dans nos rifacimenti, c'est celui du XIIIe. Les âmes y sont moins mâles. Tout s'alanguit, s'attiédit, s'effémine. La guerre n'est plus le seul mobile, ni la pensée unique. Le coup de lance, bien donné ou bien reçu, n'est plus le seul idéal. Ce n'est plus l'esprit des croisades populaires et enthousiastes comme le fut celle de 1096 : c'est le temps des croisades à moitié politiques, et auxquelles il faut un peu contraindre les meilleurs barons chrétiens. Rome moins aimée, et l'oriflamme de Saint-Denis fait un peu ou l'enseigne de saint Pierre. Charlemagne est déjà loin ; Philippe le Bel approche. La royauté, plus puissante, est cependant moins respectée. La taille du grand Empereur est rapetissée : ce n'est plus un géant de quinze pieds qui domine tous les autres héros du poème et dont la gloire n'est pas effacée par celle même de Roland. Des subtilités d'une théologie médiocre remplacent les élans vigoureux d'une piété militaire. L'auteur se fait voir davantage dans ces œuvres trop personnelles. Plus de proportions; point de style, avec plus de prétentions. Des formules, des chevilles, et, comme nous le dirions aujourd'hui, des « clichés » insupportables. Ces remaniements, nous les abandonnons volontiers à ceux qui nous accusent de trop aimer notre vieille poésie religieuse et nationale. De ces œuvres de rhéteurs ennuyeux, la Patrie et Dieu sont absents. Nous ne descendrons pas à les admirer [4].
Notes de l'article
- ↑ Ces remaniements, que l'on connait
généralement sous le nom de Roncevaux composent la seconde famille des manuscrits de Roland.
Ils sont tous dérivés d'un prototype qui n'est point
parvenu jusqu'à nous et qui se composait sans doute des éléments suivants :
- « trois mille sept cents premiers vers, analogues à ceux d'Oxford et encore assonancés;
- un dénouement nouveau en vers rimés, et qui se retrouve dans tous les rifacimenti. »
- a. Manuscrit de Paris, B. N., fr. 860 ancien 7227 s (seconde moitié du xm e siècle). Il y manque environ les 80 premiers couplets.
- b. Manuscrit de Versailles , XIIIe siècle ; — 8,330 vers. Il est aujourd'hui à la Bibliothèque de Châteauroux, et il en existe une copie moderne à la B. N. (fr.15, 108).
- c. Manuscrit de Venise (Bibliothèque Saint-Mare, manuscrit français, n° VII 138 folios, 8,880 vers; exécuté vers 1250). Le texte, qui n'est pas italianisé, se rapproche beaucoup de celui de Versailles. —
- d. Manuscrit de Lyon (n° 964, XIVe siècle).
- e. Fragments d'un manuscrit lorrain, 351 vers du XIIIe siècle, publiés par Génin, Chanson de Roland, p. 491 et suiv.
- f. Manuscrit de Cambridge (Trinity Collège, R. 3-32, xv e siècle).
- ↑ 'Voici par exemple, dans un couplet
en on du Roland, voici ce vers : « Li ... li trenchat her le destre puign ; (vers 2701),
Le rajeunisseur sent bien que les oreilles.
ou plutôt que les yeux de ses contemporains supporteraient difficilement le son
uin dans une tirade en on. Que fait-il?
Il cherche un équivalent en un seul vers, et ne le trouve pas. Alors il se
résout, sans trop de peine, à écrire ces
deux vers :
- Li cons Rollant , qi ait maleiçon ,
- De son bras destre li a fait un tronçon.
- ↑ * L'auteur du Roland avait dit(v. 3.200) :
« Ço dist Malprime : le colp vus en damant. » Le remanieur, sans aucune
nécessité , écrit :
- Ço dist Malprimes: « Mo- doterez notant.
- Demein arez un eschac iss> grant.
- Aine Sarrazins n'ot onques tant
- Ds la bataille le premier colp déniant. >>
- ↑ Les remaniements ne sont pas cependant la foi me la plus méprisable qu'ait reçue la légende de Roland.' Après avoir médiocrement inspiré Philippe Mousket, en sa Chronique rimée, au XIIIe siècle, et Girard d'Amiens, en son Charlemagne, au commencement du siècle .suivant, cette très glorieuse et très antique légende fut, six fois au moins, mise en prose : dans Galien (XVe siècle); dans les Conquestes de Charlemagne, de David Aubère (1458) ; dans Morgant le Géant, imitation du Morgante Maggiore, de Pulei (1519); dans le Charlemagne et Anseïs du manuscrit de l'Arsenal, anc. B. L. F. 214 (xv e siècle) ; dans le Fierabras de 1478 et dans la Conqueste du grand roi Charlemagne des Espaignes , qui en est une nouvelle forme (149S, etc.), et enfin dans les Guerin de Montglave incunables. Ces deux derniers romans et le Galien ont pénétré dans la « Bibliothèque bleue », et c'est par eux que Roland est encore aujourd'hui connu dans nos campagnes.
Voir aussi
- Notes de la rédaction
- ↑ La laisse du manuscrit de Chateauroux est accessible ici
- Sur Internet Archive