La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition populaire/1895/Introduction/La légende : Différence entre versions
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Version actuelle datée du 30 août 2022 à 17:23
Introduction - La légende
Cette page reprend le paragraphe « La légende » dans l'Introduction de la traduction de la Chanson de Roland, réalisée par Léon Gautier
Le texte original
La légende
Dès le lendemain de la catastrophe de Roncevaux, la Légende, — cette infatigable travailleuse et qui ne reste jamais les bras croisés, — se mit à travailler sur ce fait profondément épique. Et nous allons assister d'un œil curieux à ce long et multiple labeur.
Elle commença tout d'abord par exagérer les proportions de la défaite. Le souvenir de la grande invasion des Sarrasins en 793 et des deux révoltes des Gascons en 812 et 824 se mêlèrent vaguement, dans la mémoire du peuple, aux souvenirs de Roncevaux et accrurent l'importance du combat, déjà célèbre, où Roland avait succombé.
En second lieu, la Légende établit des rapports de parenté entre Charlemagne et ce Roland, dont elle fit décidément le centre de tout ce récit et le héros de tout ce drame.
Par un nouvel effort d'imagination, elle supposa alors que les Français avaient été trahis par un des leurs, et inventa un traître auquel fut un jour attaché le nom de Ganelon.
Ensuite elle perdit de vue les véritables vainqueurs, qui étaient les Gascons, pour mettre uniquement cette victoire sur le compte des Sarrasins, qui étaient peu à peu devenus les plus grands ennemis du nom chrétien.
Et enfin , ne pouvant s'imaginer qu'un tel crime fût demeuré impuni, la Légende raconta tour à tour les représailles de Charles contre les Sarrasins et contre Ganelon. Car, dans toute épopée comme dans tout drame, il faut, de toute nécessité, que l'Innocence soit récompensée et le Vice puni.
Tels sont les cinq premiers travaux de la Légende.
Mais il en est encore deux autres que nous ne saurions passer sous silence.
Dès la fin du IXe siècle, les mœurs et les idées féodales s'introduisirent fort naturellement dans notre récit légendaire, dont elles changèrent peu à peu la physionomie primitive.
Puis, vers la fin du Xe siècle, plusieurs personnages nouveaux firent leur apparition dans la tradition rolandienne. C'est alors, — pour plaire au comte d'Anjou Geoffroy et au duc de Normandie Richard[1], — c'est alors sans doute que les personnages de Geoffroy et de Richard furent imaginés par quelque poète adulateur.
Il est possible qu'une Chanson de Roland, antérieure à la nôtre, (elle serait de la fin du Xe ou du commencement du XIe siècle), ait eu pour auteur un Angevin, et c'est ce qui expliquerait le rôle considérable de Thierry l'Angevin à la fin de ce récit épique. Cette chanson est peut-être celle dont s'est servi le faux Turpin, et l'on peut, en effet, constater dans sa Chronique un état de la légende plus ancien que dans notre poème. Mais, dans l'état actuel de la science, ce ne sont là que des hypothèses.
Ce qu'il y a de certain, c'est qu'en ce qui concerne notre Roland, la Légende a modifié l'histoire à sept reprises et de sept façons différentes. Ce grand mouvement a commencé vers la fin du VIIIe siècle, et il était achevé au commencement du XIe.
C'est ce que nous appellerions volontiers les « sept travaux de la Légende ». Et nous venons de les faire successivement passer sous les yeux de nos lecteurs.
Notes de l'article
- ↑ Geoffroy Grise-Gonnelle mourut en 987. el Richard Sans-Peur en 996