La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition populaire/1895/Introduction/L'histoire
Cette page reprend le paragraphe « L'histoire » dans l'Introduction de la traduction de la Chanson de Roland, réalisée par Léon Gautier
Le texte original
Facsimilé
L'histoire
Le 15 août 778[1], au fond d'une petite vallée des Pyrénées qui est encore aujourd'hui connue sous le nom de Roncevaux, il se passa un drame terrible, dont le retentissement devait être incomparable, et qui allait, durant plusieurs siècles, inspirer les poètes de toutes les nations chrétiennes.
Le roi des Francs, Charles, revenait de cette expédition d'Espagne où il n'avait été qu'à moitié vainqueur. Attiré là-bas par les divisions des princes musulmans, il s'était généreusement proposé de délivrer l'Église du joug des Sarrasins; mais il n'avait point poussé au delà de l'Èbre. Il avait réussi devant Pampelune, mais échoué devant Saragosse. El il s'en revenait assez, tristement, ayant mille projets en tête.
Dans son arrière-garde se trouvaient Roland, le préfet de la Marche de Bretagne; Anselme, le comte du palais: Eggihard, le « prévôt de la table royale » : toute l'élite de sa cour, tous les chefs de son armée.
La grande armée avait passé sans encombre.
Mais tout à coup, au moment où l'arrière-garde arrivait en ce passage étroit de la montagne qu'indique la petite chapelle d'Ibagneta, un bruit formidable se fit entendre dans le bois épais dont cette partie des Pyrénées est encore couverte. Des milliers d'hommes en sortirent et se jetèrent sur les soldats de Charles. Ces agresseurs inattendus, c'étaient les Gascons, que tentait l'espoir d'un gros butin, et qui d'ailleurs, — comme tous les montagnards, — n'aimaient pas que l'on violât ainsi leurs montagnes. Ils précipitèrent les Francs dans le petit vallon qui est là tout près, afin de se donner la joie de les égorger tout à leur aise. Et, de fait, ils les égorgèrent jusqu'au dernier.
C'est ainsi que mourut Roland.
L'histoire ajoute que les Gascons se dispersèrent, que leur crime demeura impuni, et que Charles en ressentit une longue et cruelle douleur.
Tel est le fait que raconte Eginhard au chapitre neuvième de sa Vie de Charlemagne. On en trouve également le récit dans les célèbres Annales qui ont été si longtemps attribuées à ce même Eginhard, comme aussi dans les vers du Poète saxon et dans la chronique de l'Astronome limousin[2].
Malgré les réticences de tous ces narrateurs, il est aisé de voir que ce désastre fut considérable. L'intensité de la légende prouve assez clairement que les historiens ont atténué l'importance de la défaite : un simple accident d'arrière-garde n'aurait jamais produit un tel dégagement de poésie.
Quoi qu'il en soit, voilà le fait oui a donné lieu a toute notre légende ; voilà le fait qui en a été le germe.
Car toute légende a rigoureusement besoin d'un germe historique ;
Et la légende de Roland est sortie tout entière de ces huit mots d'Eginhard : In quo prœlio Hruodlandus, Britannici limitis prœfectus, interficitur.[NDLR 1] petits commencements d'une grande chose!
Les notes de l'article
- ↑ Cette date a été tout récemment établie. M. Dummler a découvert (dans le manuscrit latin de la Bibliothèque nationale 4841) l'épitaphe datée d'un des guerriers francs morts à Roncevaux, du sénéchal Eggihard.
- ↑ Nous avons publié ailleurs les textes
très importants sur lesquels s'appuie
toute notre Légende, et d'où notre
Chanson est sortie. Ce sont les suivants :
- 1° Eginnhard, Vita Karoli, IX.
- 2° Annales longtemps attribuées à Eginhard, et qui ont l'œuvre d'Angilbert, ann. 778, reproduites par le Poète saxon, Historiens de France, V, 142.
- 3° L'Astronome limousin, Vita Hludovici, dans Pertz, Scriptores, II, 608.
Voir aussi
- ↑ Dans quelle bataille Roland, le préfet de la frontière de la Bretagne, est tué