Histoire poétique de Charlemagne (1905) Paris/Livre premier/Chapitre IV : Différence entre versions
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+ | Nous avons déjà fourni les preuves de la persistance des tradi- | ||
+ | tions poétiques sur Charlemagne, et de l'existence ininterrompue | ||
+ | de chants consacrés à sa gloire depuis le neuvième siècle jusqu'au | ||
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+ | parates de ton, leurs différences d'inspiratio»^ , ^.ui variété chro- | ||
+ | nologique : perdre en un mot leur existence individuelle pour de- | ||
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+ | ont existé chez tous les peuples à l'état barbare ; mais chez la plu- | ||
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+ | tion supérieur, elles se sont perdues sans rien léguer à l'âge sui- | ||
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+ | Le couronnement fut, au quinzième siècle, le livre de Jean le | ||
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+ | mus,de Sam.othès, de Bavus, et autres rois gaulois, qui vont de pair | ||
+ | avec les rois bretons de GeoffroideMonmouth, les rois écossais de | ||
+ | Buchanan, et les rois suédois de Johannes Magnus. La naissance | ||
+ | de la science historique a empêché, depuis le dix-septième siècle, | ||
+ | de pareilles choses de se produire; mais le manque de critique, | ||
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+ | l'inspiration mondaine des poëmes ; on se renferma pendant long- | ||
+ | temps dans l'exploitation de l'Ancien et du Nouveau Testament ; | ||
+ | le théâtre n'était pas un plaisir, mais un exercice pieux, et on n'y | ||
+ | chercha qu'assez tard le simple amusement <ref>Le lecteur suppléera pour nous à ce qu'une appréciation aussi rapide a nécessairement d'incomplet, et nous dispensera de citer les exceptions apparentes à cette règle; elles n'en détruisent pas la justesse générale. </ref> ; ce n'est guère qu'au | ||
+ | quinzième siècle qu'on trouve des œuvres comme le ''Mystère de Troyes'', et à cette époque la vie populaire s'était retirée depuis | ||
+ | longtemps des chansons de gestes, qui étaient en train de subir | ||
+ | la transformation prosaïque dont nous avons parlé plus haut. | ||
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+ | Mais en outre les chansons de gestes, il faut en convenir, n'offraient pas de grandes ressources au théâtre. Leurs récits sont | ||
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+ | dramaturges d'Athènes. Des caractères peu distincts les uns des | ||
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+ | cesseurs, peut-être aurions-nous vu les anciens poëmes reprendre | ||
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Version actuelle datée du 18 janvier 2024 à 20:29
Histoire poétique de Charlemagne Édition de 1905
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Livre premier, chapitre IV
LA LÉGENDE DE CHARLEMAGNE EN FRANCE.
La nationalité française se constitua au neuvième siècle par la formation d'un royaume spécial pour une branche des Carolingiens, et reçut au siècle suivant le couronnement de la forme hiérarchique qu'elle avait revêtue par l'adoption d'une nouvelle dynastie royale. Au moment où. s'opérait ce grand travail, se forma aussi la langue française : si l'on compare entre eux les deux plus anciens monuments de notre idiome, les Serments de 842 et la cantilène de sainte Eulalie, séparés par un demi-siècle à peine, on est surpris des immenses progrès accomplis dans cet intervalle. « 11 semble, a dit M. Diez, que le dialecte français, de- venu langue nationale par le partage de l'empire, ait rapidement pris la conscience et l'initiative de son développement, à peine en germe dans les Serments [1] » L'art chrétien, qui devait arriver dans l'ancienne Neustrie à sa forme définitive^ se dégageait en même temps des liens de l'imitation dégénérée et s'acheminait par des tâtonnements successifs vers la belle période romane. Peu d'époques sont plus désolées et en apparence plus stériles que celle qui s'étend de Charles le Chauve aux croisades ; il en est peu cependant qui aient été plus fécondes, qui aient exercé sur les temps suivants une plus durable influence.
Ce fut aussi dans cette période que la poésie française sortit de l'état rudiraentaire oii nous l'ont montrée les cantilènes héroï- ques, et s'éleva à l'épopée. «Elle se constitua naturellement sur la base des souvenirs qui étaient alors les plus vivants dans les mas- ses, et que consacraient les chansons de l'âge précédent. Ces souvenirs étaient ceux qui se rattachaient à Charleraagne, qui retraçaient les splendeurs de son règne et la gloire de sa personne.
Ce n'est point ici que nous avons l'intention d'exposer les causes [68] qui se réunirent pour faire de Charlemagne le centre de la poésie traditionnelle des Français; nous voulons pour le moment nous borner à signaler les monuments les plus précieux de cette poésie dont il est le sujet, à examiner leurs dates respectives et leurs di- verses formes, et à en apprécier sommairement la valeur.
La première question qui se présente à nous est celle de l'an- tériorité qu'il convient d'attribuer, dans les origines de l'épopée, à la langue d'oïl ou à la langue d'oc, à la France du nord ou à la France du midi. On a répété presque identiquement, pour cette question, la discussion à laquelle avait donné lieu le problème si passionnément agité de la priorité respective des deux langues elles-mêmes. De môme que Raynouard voyait dans le provençal, qu'il appelait par excellence roman^ la source des langues néola- tines et spécialement du français, de même M. Fauriel crut pou- voir attribuer aux chansons de gestes françaises une forme pro- vençale, et ne voulut voir dans les récits en langue d'oïl que des imitations d'originaux en langue d'oc, soustraits à la comparaison par les injures du temps. L'hypothèse de Fauriel et celle de Ray- nouard, soutenues toutes deux avec talent, ont fini par avoir le même sort; elles sont tombées nécessairement devant les faits, devant l'étude désintéressée des textes et la plus juste apprécia- tion du génie des peuples. La langue et la poésie de la France du nord sont l'œuvre des populations qui l'ont habitée; elles sont à la fois l'instrument et l'expression de leur génie, de leurs tendan- ces, de leur idéal; elles ne reconnaissent d'autres sources que les éléments primordiaux qu'elles ont façonnés et marqués de leur empreinte. Personne ne songe plus à discuter cette vérité, qu'on pourrait presque affirmer à priori , si les faits ne la démontraient pas surabondamment.
Toutefois, dans le système de Fauriel comme dans celui de Raynouard, il y avait une part de vrai, et on a trop négligé au moins ce qu'en contenait le premier. L'évidence des arguments avec lesquels on a établi l'originalité des poëmes français a peut- être trop discrédité ceux que Fauriel avait employés pour prouver l'existence d'une épopée provençale perdue. La question a été à peu près abandonnée depuis la réfutation de cet ingénieux érudit, et cependant il y a, si nous ne nous trompons, quelque lumière encore à jeter sur ce point. Les faits qui nous ont déterminée revenir sur ce sujet, et à l'étudier à un point de vue quelque peu [69] nouveau , trouveront leur place plus loin ; ils nous ont amené à proposer pour le débat dont il s'agit la même solution que pour la question des langues; il y a eu dans les deux contrées, et simul- tanément, développement spontané d'une poésie épique nationale; une fois formées, les deux épopées, qui avaient en commun le su- jet, les héros et l'inspiration, se sont fait de nombreux emprunts; mais l'épopée du nord, plus riche, plus variée, plus populaire, a eu en outre sur sa rivale le grand avantage de se mieux con- server et de nous léguer des monuments infiniment plus nom- breux.
I. — Les Chansons de gestes françaises.
Nous avons déjà fourni les preuves de la persistance des tradi- tions poétiques sur Charlemagne, et de l'existence ininterrompue de chants consacrés à sa gloire depuis le neuvième siècle jusqu'au onzième. Les cantilènes primitives, qui célébraient des faits iso- lés, ne pouvaient se perpétuer longtemps sous leur première forme ; elles devaient ou disparaître entièrement ou se transfor- mer pour continuer à vivre; il leur fallait se rattacher entre elles par un centre commun, effacer dans une unité poétique leurs dis- parates de ton, leurs différences d'inspiratio»^ , ^.ui variété chro- nologique : perdre en un mot leur existence individuelle pour de- venir les membres d'un tout organique. Les cantilènes guerrières ont existé chez tous les peuples à l'état barbare ; mais chez la plu- part d'entre eux, quand ils se sont élevés à un degré de civilisa- tion supérieur, elles se sont perdues sans rien léguer à l'âge sui- vant; pour obtenir une épopée, il faut que les premières chansons subissent, au moment précis qui est le seul favorable, la méta- morphose que nous venons d'indiquer. En Franfce, les circons- tances se prêtèrent à ce changement ; les chansons de gestes rem- placèrent les cantilènes, et développèrent les germes d'épopée que celles-ci leur apportaient.
L'immense trésor épique de nos ancêtres ne nous est point parvenu dans son entier, et ce qui manque est précisément ce qui nous serait le plus précieux : ce sont les plus anciennes chansons de gestes qui ont disparu; ce fait n'a rien d'ailleurs que de natu- rel. Nées à une époque où la langue se transformait rapidement, elles vieillirent bien vite, et celles qui n'eurent pas la chance
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II. — L'Épopée provençale.
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III. — Les Romans en prose.
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V. — Les Chroniques.
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VL — La Poésie latine.
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VII. — Les traditions locales.
...
[109] niendax; d'ailleurs les Romains, si sévères en apparence pour ces contes, ne s'en sont pas fait faute, comme on ?ait, et la majeure partie des origines de leur histoire n'est plus même considérée comme reposant sur des poésies populaires : ce sont des inventions d'écrivains jaloux de ne pas rester au-dessous des Grecs. Si l'idée d'une origine asiatique se retrouve vaguement dans la conscience de tous les peuples aryens, il n'en est pas moins certain que toutes les généalogies troyennes, les fondations de royaumes et de villes par divers descendants de Priam, sont des fabrications très-étran- gères au sentiment populaire. Nous avons vu divers écrivains monastiques employer le même moyen pour établir l'authenticité des reliques de leur couvent, et Tinterpolateur saintongeais de Turpin l'appliquer sur une grande échelle à toutes les églises de son pays. Plus tardj cette détestable espèce de roman histo- rique devint une véritable manie ; elle sévit surtout dans le Bra- bant etleHainaut, et nous valut une masse d'ouvrages indigestes, moitié histoire, moitié fable, qui ont longtemps obscurci les ori- gines de la France et spécialement des provinces septentrionales. Le couronnement fut, au quinzième siècle, le livre de Jean le Maire de Belges, V Illustration des Gaules, ouvrage dont l'im- mense succès suscita une foule d'imitateurs et donna une sorte de popularité à toutes ces insipides rapsodies de Francus, de Re- mus,de Sam.othès, de Bavus, et autres rois gaulois, qui vont de pair avec les rois bretons de GeoffroideMonmouth, les rois écossais de Buchanan, et les rois suédois de Johannes Magnus. La naissance de la science historique a empêché, depuis le dix-septième siècle, de pareilles choses de se produire; mais le manque de critique, trop commun même chez d'illustres savants, s'est joint aiL\ pré- ventions patriotiques pour faire souvent enregistrer des traditions qui n'avaient aucune antiquité. Le Midi est particulièrement riche en légendes locales; quelques-unes sont anciennes et ont de la valeur, mais beaucoup d'autres sont des inventions relati- vement récentes, et la plupart ont été recueillies trop tardive- ment pour être acceptées sans méfiance.
VIII. — Le Théâtre.
L'épopée grecque se transforma en drame à un moment donné. Quand l'activité du génie national arriva à sa période dramatique, [110] il était encore tout imprégné des souvenirs épiques des temps précédents. Le drame, toujours et partout religieux à son origine, enfonçait ses racines dans la même antiquité que le poëme, et trouvait tout naturellement dans les personnages héroïques les représentants des idées qu'il voulait exprimer. 11 n'en fut pas ainsi en France : l'épopée ne se fit pas drame, les chansons de gestes ne se changèrent pas en mystères.
Cela tient à deux causes, dont la plus importante sans doute est le caractère purement religieux du théâtre en opposition avec l'inspiration mondaine des poëmes ; on se renferma pendant long- temps dans l'exploitation de l'Ancien et du Nouveau Testament ; le théâtre n'était pas un plaisir, mais un exercice pieux, et on n'y chercha qu'assez tard le simple amusement [2] ; ce n'est guère qu'au quinzième siècle qu'on trouve des œuvres comme le Mystère de Troyes, et à cette époque la vie populaire s'était retirée depuis longtemps des chansons de gestes, qui étaient en train de subir la transformation prosaïque dont nous avons parlé plus haut.
Mais en outre les chansons de gestes, il faut en convenir, n'offraient pas de grandes ressources au théâtre. Leurs récits sont loin d'être intéressants et variés comme ceux de la poésie grecque, oii les tragédies se présentaient pour ainsi dire toutes faites aux dramaturges d'Athènes. Des caractères peu distincts les uns des autres, un fond assez analogue aussi , des batailles perpétuelles, des épisodes impossibles à réduire en scènes, et surtout l'absence presque complète ou le rôle insignifiant des femmes, ce grand ressort de l'intérêt et des complications tragiques, tels étaient les obstacles à la dramatisation de la vieille matière épique. S'il s'était cependant rencontré plusieurs hommes comme Jean Bodel, ce poëte qui, dès la fin du douzième siècle, avait fait un efibrt au moins remarquable pour renouveler et soumettre à un art plus raffiné la forme épique ; qui avait donné à la poésie lyrique un caractère de personnalité presque poignant; et qui en même temps, par son œuvre, singulière mais puissante, du Jeu de saint Nicolas, avait du premier coup indiqué la voie oh pouvait marcher une drama- turgie nationale ; si ce génie chercheur et libre avait eu des si;c- cesseurs, peut-être aurions-nous vu les anciens poëmes reprendre
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IX. — Essais modernes.
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