Histoire poétique de Charlemagne (1905) Paris/Livre premier/Chapitre II

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Livre premier, chapitre II

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CHAPITRE II.

LES PREMIÈRES TRADITIONS POÉTIQUES SUR CHARLEMAGNE.

Au milieu du désordre et de la barbarie générale qu'avaient amenés les invasions et la rapide décadence des premières dynasties germaniques, l'apparition de Charlemagne frappa naturelle- ment d'admiration les peuples qui en furent les témoins. Pépin, dans un long règne fécond pour l'avenir, avait préparé le terrain à son successeur en mettant fin, provisoirement du moins, à la période des invasions, en déposant la dynastie mérovingienne, en proclamant , appuyé sur le pape, le principe d'autorité et d'unité qui venait se substituer pour quelque temps à l'anarchie en tout genre qui avait marqué l'époque antérieure. Forte de sa position en France, oi!l elle représentait la meilleure portion de la population germanique, de ses rapports avec l'Église qui l'avait consacrée, de ses victoires sur les Sarrasins, remportées au profit de l'Europe chrétienne, la dynastie de Charles-Martel semblait déjà aux hommes une race supérieure, prédestinée à la gloire et à la puissance. On put douter un instant de l'accomplissement des espérances qu'elle donnait quand les deux fils de Pépin offrirent après sa mort le spectacle de leurs querelles intestines  ; mais quand Charles fut resté seul maître du pouvoir, et qu'on vit se dérouler successivement les épisodes grandioses dont il avait com- posé le pian de sa \ie  ; quand il eut détruit en Italie , avec le royaume lombard, un des restes du régime de l'invasion, combattu et dompté en Saxe l'idolâtrie barbare du vieux monde germanique, et quand pour consécration suprême le représentant du germanisme renouvelé eut reçu des mains du vicaire de Jésus-Christ la couronne des empereurs d'Occident, les nations si diverses qu'il avait groupées dans son vaste empire ne purent plus voir en lui un homme ordinaire, et commencèrent à lui donner dans leurs récits tous les traits de l'idéal qu'il leur semblait réaliser.

Preuves que sa légende existait de son vivant

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L'histoire poétique de Charlemagne a commencé de son vivant; il n'en faut pas douter. Elle a commencé doublement  : d'abord par les récits que ses compagnons d'armes ou ceux qui l'avaient approché répétaient à leurs compatriotes avides de les entendre  ; ensuite par les chants contemporains qui célébraient ses grandes actions. On peut démontrer avec certitude ces deux ordres de faits.

Le premier n'a pas besoin de preuves  ; il se supposerait en toute sûreté quand même rien ne serait venu nous l'attester. Il n'y aurait pas besoin non plus d'insister longtemps pour établir que ces récits de soldats ou de prêtres étaient empreints d'une exagération qui les rendait en quelque sorte intermédiaires entre la poésie et les documents historiques. Mais le hasard nous à conservé de ce double fait deux preuves remarquables, qui ne permettent pas de le mettre en doute. On a souvent cité le passage où le biographe de Louis Ier très improprement connu sous le nom d'Astronome limousin, écrivain du milieu du neuvième siècle, après avoir raconté la défaite de Roncevaux, s'excuse de ne pas nommer ceux qui ont succombé dans ce désastre  : « Quorum, quia vulgata sunt, nomina dicere supersedi[1] [NW 1]» On a prétendu[2], il est vrai, que ce passage n'était qu'une allusion à celui où Eginhard, dans la Vie de Charlemagne , nomme trois des morts de Roncevaux -, mais, outre que l'excuse de l'historien serait alors très- insuffisante, le mot vulgata se refuse à cette interprétation, et il faut l'entendre par généralement répandu, trop connu pour qu'il soit nécessaire de le répéter. Or la bataille de Roncevaux eut lieu en 778  ; il est donc bien constant que depuis cette époque jus- qu'à celle où écrivait l'auteur cité, c'est-à-dire pendant trois quarts de siècle , les récits populaires n'avaient pas cessé de s'oc- cuper de ce funeste événement et de rappeler les noms de ceux qui y avaient trouvé la mort.

Le moine de Saint-Gall

Mais nous possédons un témoignage encore moins récusable, et d'autant plus précieux qu'il nous a conservé quelques-uns de ces récits contemporains eux-mêmes. Pendant un séjour que l'empereur Charles le Gros, très grand admirateur de son aïeul, fit au monastère de Saint-Gall en Suisse, il y trouva un vieux moine qui l'intéressa vivement en lui racontant sur Charlemagne une foule d'anecdotes plus ou moins curieuses dont la plupart étaient inconnues au prince.

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Ce moine avait passé son enfance avec un ancien soldat du duc Gerold, un des meilleurs serviteurs de Charlemagne [3]; revenu de ses campagnes, Adalbert se plaisait, comme tous les vieux soldats , à en faire le récit plus ou moins amplifié  ; bien souvent il attirait l'enfant sur ses genoux pour lui raconter l'histoire de la grande année dont il avait fait partie  ; le jeune garçon aurait parfois mieux aimé aller jouer avec ses camarades, mais, obligé de rester près d'Adalbert, il écoutait et il retenait. Plus tard, il se fit moine à Saint-Gall et se retrouva avec le fils de son vieil ami, Werimbert, qui de son côté lui conta mille choses curieuses sur les rapports de Charlemagne avec l'Église, sur sa piété, sur sa sagesse, sur sa science. Quand Charles le Gros quitta îe monastère de Saint-Gall, il demanda au moine, qui lui avait à son tour raconté ses vieilles réminiscences enfantines, de les écrire pour lui  ; celui-ci se conforma avec empressement à la demande impériale et écrivit son livre  ; Des gestes de Charlemagne[4].

Cet ouvrage est le premier document que nous ayons sur l'histoire poétique du grand empereur  ; il ouvre la série des innombrables productions que devait inspirer son souvenir. L'auteur avait l'intention de le diviser en trois livres, qui devaient rouler ; le premier, sur les rapports de Charlemagne avec l'Église et les clercs  ; le second, sur ses guerres  ; le troisième, sur sa vie privée. Nous n'avons conservé que le premier et une partie du second, et nous ne savons pas si l'ouvrage a été jamais achevé. S'il l'a été, on doit regretter très-vivement la perte de ce qui nous manque  ; nous y aurions probablement trouvé pour notre sujet un butin plus riche encore que dans la partie conservée. Toutefois, tel qu'il est, cet opuscule est un des plus précieux que nous puissions consulter, et mérite pour beaucoup de raisons que nous nous y arrêtions quelque peu.

L'auteur, comme nous l'avons dit plus haut, s'appuie sur des récits et non sur des documents écrits; ces récits n'émanent même pas toujours de témoins comme Adalbert ou Werimbert  ; certaines anecdotes n'ont évidemment d'autre base que les souvenirs populaires  ; telle est surtout l'histoire souvent citée du géant Eishere, qui portait sept ou huit Slaves embrochés à sa lance, «  murmurant je ne sais quoi.  »

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Or plus de trois quarts de siècle, écoulés depuis la mort du grand empereur, avaient suffi pour que ceux môme qui avaient été témoins de ses actions les eussent peu à peu exagérées en les racontant, et à plus forte raison pour que le peuple les eût singulièrement grossies et altérées. Le premier livre du moine de Saint-Gall, bien que fait sur les récits de Werimbert et très-souvent digne de confiance, contient déjà plusieurs traits qu'on peut à bon droit restituer à l'histoire légendaire. Nous ne parlons pas de certains miracles qui étaient alors trop généralement crus pour que leur présence dans un récit en fasse soupçonner l'authenticité  ; mais on peut hardiment ratta- cher à la légende la fin du chap. xxvn et l'anecdote rapportée dans le chap. XXIX, sans compter une foule de traits isolés dans le récita Dans le livre II, nous pouvons surtout revendiquer l'histoire des ennemis mesurés à l'épée (ch. xn), toute l'histoire de Pépin le Bossu, au moins dans la forme qu'elle a prise (ch. xii), celle déjà mentionnée d'Eishere (ch. xu), les larmes de Charlemagne à propos des Normands (ch. xiv), la fameuse lutte de Pépin avec le lion (ch. xv) , la conversation de Didier et Otkar sur les tours de Pavie et l'apparition de l'empereur de fer (ch. xvn), l'épreuve des épées (ch. xvni) , sans compter plusieurs autres détails. Un fait très-remarquable, à propos de cette collection de récits populaires que nous offre principalement le second livre du moine de Saint- Gall, c'est qu'ils ne se retrouvent pas ailleurs; à l'exception du combat de Pépin, qui est raconté, bien que d'une manière très- différente , dans Berte et autre part encore , toutes ces premières fables que le souvenir du grand empereur inspira aux peuples de ses royaumes ont disparu. Chose curieuse  ! la retraite à la cour de Didier du franc Otkar , la guerre de Lombardie qui suivit bientôt cette alliance de deux ennemis de Charles, a fait le sujet d'un de nos poëmes les plus anciens et les plus célèbres, et ce poëme ne nous a rien conservé de la scène si caractéristique que décrit le moine de Saint-Gall et qui, dans le fond du moins, est évidemment un récit (peut-être un chant) populaire. Pépin le Bossu et ses conjurations sont inconnus à la poésie postérieure, qui ne manque pas pourtant de variantes sur un thème analogue. Quelques légendes qui n'existent pas encore au neuvième siècle, mais dont un examen attentif du moine de Saint-Gall nous per- met de découvrir les germes, se développent plus tard avec luxe  : tel est le voyage de Charles à Jérusalem et à Constantinople , qui


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dans notre auteur n'est encore qu'à l'état de désir et de regret, et qui dès le siècle suivant est accepté comme réel par l'imagination populaire. Quoi qu'il en soit de ces diversités de la tradition, le livre du moine de Saint-Gall nous donne en partie les récits qui étaient les plus populaires en Suisse vers la fin du neuvième siècle; nous disons en partie, car l'état de mutilation ou d'imperfection de notre auteur ne nous permet pas de limiter ses connaissances en cette matière  ; il est fort probable, par exemple, que son récit de la guerre d'Espagne nous donnerait les renseignements les plus intéressants sur les traditions primitives qui aboutirent à la Chanson de Roland et à tout le cycle dont elle est le centre.

Extrêmement précieux pour l'historien, qui trouve dans ses récits une peinture des mœurs et de l'esprit du temps, de l'influence qu'exerça Charlemagne et de la façon dont on le comprit, bien plus riche que le tableau court, sec et privé à dessein de toute couleur du temps et des lieux que nous a laissé Eginhard, le livre du moine de Saint-Gall n'est donc pas moins intéressant pour l'historien de la poésie. Il est à regretter que l'auteur ait écrit dans un style aussi contourné, et se soit cru obligé, parce qu'il dédiait son ouvrage à un empereur, de chercher à grand renfort d'éloquence à se rendre digne d'un tel honneur. La rhétorique emphatique et maniérée qu'il emprunte au mauvais goût de son temps ne le rend pas seulement moins agréable à lire  ; elle trouble sou- vent la naïveté originelle de son discours et jette quelque soupçon sur la parfaite fidélité de sa transcription. L'épisode de Didier et Otkar, par exemple, est évidemment surchargé d'une ornementation fort éloignée de la simplicité primitive, et, bien que le fond de ce beau récit soit certainement populaire, nous ne pouvons en reconnaître la forme, comme on l'a fait, pour l'écho et même la traduction d'un chant tudesque[5] contemporain  ; la chanson n'a fourni au chroniqueur que le motif, à lui seul appartient la mise en œuvre.

Preuves de l'existence de chansons héroïques contemporaines, tudesques et romanes

Ainsi nous avons conservé et l'attestation et les restes mêmes des récits populaires qui s'étaient emparés dès le neuvième siècle de la personne et des actions de Gharlemagne. Nous n'avons pas été aussi heureux pour les chants qui le concernaient à cette époque presque contemporaine  ; mais nous avons cependant en faveur de leur existence des témoignages dont la probabilité touche à l'évidence.

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Les chansons de geste des siècles suivants suffiraient à la rigueur  ; les plus anciennes se réfèrent déjà à des autorités antérieures *  ; or, pour les faits fabuleux qu'elles rapportent, ces au- torités ne sauraient avoir été que des compositions poétiques. Elles attestent en outre l'usage de composer des chansons sur des événements contemporains. Roland dit par exemple  :

Que malveise cançun de nus chantet ne seit.
(LXXXNDLR : LXXVIII, 1014)
Maie chançun n'en deit estre cantée[6].
(CXIV, 1466)

On pourrait objecter toutefois que ces récits populaires ont pu se transmettre longtemps avant de revêtir la forme poétique, et que la Chanson de Roland n'est une autorité que pour les mœurs du siècle oîi elle a été rédigée; mais l'existence de chants contem- porains est attestée par des écrivains du neuvième siècle môme. Ermoldus Nigellus, qui a écrit en vers latins la Vie de Louis le Pieux f nous dit en parlant des exploits de ce prince  :

Haec canit orbis ovanslate, vulgoqne résultant; Plus populo résonant, quam canat arte melos.

(L. U,v. 191.)

Or cet usage n'a certainement pas commencé àLouis le Débon- naire; ses ancêtres avaient aussi été l'objet de chants populaires  ; le poëte saxon qui a versifié Eginhard nous dit,vers la fin du neu- vième siècle  :

Est quoque jam notum  : culgarîa carmina magnis

Laudibus ejus avos et proavos célébrant, Pippinos, Carolos, Hludovicos et Theodrlcos

Et Carlomannos Hlothariosqus canunt.

(L. V, V. H5.)

  • Il est escrit dans la geste francor. .. *

II est escrit en l'anciene geste. . . {Roi., CXIII, laS; CCLXXVll, 3742.) plus bas.


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Il ne cessa pas non plus avec les premiers successeurs de Charle- magne; le hasard nous a conservé un de ces chants contempo- rains, celui auquel donna lieu la bataille de Saucourt, gagnée le 5 août 882 par Louis III contre les Normands *, et il serait facile de rassembler un grand nombre d'allusions à ce sujet éparses dans les chroniqueurs de ce temps-là *. On est donc certain de ne se pas tromper en affirmant que la poésie populaire, habituée à célé- brer les événements ou les hommes qui frappaient l'imagination des masses, n'a pas manqué à sa coutume pendant le règne de Charlemagne, et qu'elle a au contraire redoublé ses chants devant les exploits et la personne du grand empereur.

On a beaucoup agité dans ces derniers temps une question qui se rattache trop étroitement à notre sujet pour que nous puissions nous dispenser de la traiter au moins sommairement  : ces pre- mières chansons, qu'on est convenu de désigner sous le nom de cantilènes^ étaient-elles en langue tudesque ou en langue ro- mane'?

Là première hypothèse semble d'abord la plus vraisemblable; de tous les peuples qui composaient originairement l'empire de Char- lemagne ou qui vinrent successivement s'y joindre, ceux qui de- vaient avoir pour lui le plus d'enthousiasme et être le plus portés à en faire un héros national, étaient évidemment les Francs austrasiens. C'est de l'Austrasie, qui avait incontestablement gardé à peu près intact son cachet germanique, que la race carolingienne était sortie  ; c'est elle qui avait vaincu la Neustrie avec Charles-Martel  ; c'est elle qui était la terre dominante, le pays souverain entre tous. Elle fournissait les ducs qu'on envoyait partout gouverner les provinces ou défendre les frontières  ; elle possédait la capitale, construite par Charlemagne dans son pays; sur son territoire se réunissaient les grandes assemblées oîi les ambassadeurs arrivaient de toutes parts rendre hommage au chef qu'elle regardait comme le sien. Les Francs austrasiens étaient devenus pour l'Europe du neuvième siècle ce qu'avaient été les Romains

• Publié souvent, entre autres dans ' Le germanisme a été soutenu par

V Etnonensia de Willems et Hoffmann. M. d'Héricault, dans son Essai sur l'ori-

' Voy. entre autres, sur ce point, E. du gine de l'épopée; AL Paul Meyer a soumis

Méril, Puésie Scandinave, p. 471, note 3, son argumentation à une critique inci-

et tout ce qui suit; Mélanges archéolo- sive et s'est prononcé pour l'opinion con-

giques, p. 297 et suiv.  ; Godeke, Mittel- traire dans la Bibliothèque de l'École des

alier, p. 21. chartes (5«  série, tome U, p. 84).


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au temps de leur puissance, une race supérieure et destinée à la suprématie sur toutes les autres *.

Il est donc naturel de penser que c'est ce peuple vainqueur, ce peuple si fier de ses exploits et de son courage, qui trois siècles auparavant s'exaltait si poétiquement dans le prologue de sa loi ', que c'est, disons-nous, ce peuple qui a le premier célébré avec enthousiasme le grand Karl, son chef et son plus illustre représen- tant. D'ailleurs, on a pu remarquer que les témoignages allégués plus hdut pour prouver l'existence de chants contemporains se rapportent tous à des chants franciques ou tudesques  : ce sont les Francs qui chantaient leurs héros après la victoire même  ; ce sont eux qui conservaient aussi depuis des siècles leurs vieilles épopées populaires que Gharlemagne fit recueillir ^  ; ce sont eux qui avaient célébré ses ancêtresou ses prédécesseurs. Enfin leur idiome,habitué depuis plusieurs siècles à la forme poétique, semble avoir dû se prêter merveilleusement à de nouvelles chansons; nous possédons un fragment épique écrit dans leur langue au huitième siècle *, et nous avons déjà mentionné le Ludwigslied de 872. Toutes ces raisons paraissent décisives, et acquièrent plus de poids encore si on soumet la Neustrie à une sorte d'enquête contradictoire. Pas- sant depuis longtemps de tyran en tyran, sans participation aux affaires, dépouillée du sentiment de nationalité romaine qui l'avait longtemps soutenue, la Gaule romane n'avait pas d'existence poli- tique avant le partage de l'empire. Sa langue, dont le plus ancien monument connu apparaît vingt-huit ans après la mort de Ghar- lemagne, semble dans ce texte encore bien informe et hésitante  ; elle s'est dégagée du latin sans avoir trouvé ses lois propres; elle n'a pas quelques-uns des caractères les plus essentiels du français ^;

  • Un passage du moine de Saint-Gall de l'Austrasie (1. I, c. x).

fait très- bien sentir cet état de- choses. Il ' «  Gens Francorum inclita, auctore

s'excuse de désigner sous le nom de Dei condita, fortis in armis, firma in pa-

France tout le pays en-deçà des Alpes cis fœdere, profunda in consilio, corpore

(Gaule, Suisse, Belgique, Allemagne), nobilis, incolumna candore, forma egre-

ce nom n'appartenant en réalité qu'à gia, audax, velox et aspera, etc.  » (Pro-

l'Austrasie. «  Mais, dit-il, en ce temps-là, logue de la loi Salique.)

à cause delà piiissance du glorieux Char- ' Eginhard, Vila Caroli Magni, c. 29.

les. Gaulois et Aquitains, Ëduens et Es- * Hiltibraht enti Hadhubrant (Hilde-

pagnols, Allemands et Bavarois ne se brand et Hadebrand). 11 suffit de rappe-

trouvaient pas peu honorés quand on 1er en outre le grand poëme d'Otfrid sur

voulait bien les désigner conmie des la vie du Christ, composé pour Louis le

Francs même sujets,  » par opposition Germanique,

aux Francs don!inateurs,qui étaient ceux ' Par exemple l'article manque.


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elle ne semble pas en état de supporter la poésie. Enfin aucun monument roman ne peut se placer à côté du Ludwigslied, aucun débris n'a subsisté d'une cantilène héroïque composée en langue française à ces époques reculées; le plus ancien texte poétique qu'elle ait à montrer n'est que du dixième siècle et est purement religieux.

Malgré ces arguments, que nous avons brièvement exposés, nous croyons pouvoir affirmer qu'il y a eu des chansons romanes contemporaines de Gharleraagne. La plus grande preuve que nous puissions en apporter est l'existence de l'épopée française à une époque assez rapprochée de celle-là. On s'accorde à la reculer au moins jusqu'au onzième siècle, et nous espérons montrer qu'elle était formée de toutes pièces dès le dixième. Mais, en s'en tenant à la Chanson de Roland, qui ne sent combien ce poëme, au premier coup d'œii si primitif, suppose de prédéces- seurs et de ramifications de la poésie  ? Il contient des allusions à de nombreux poëraes, perdus aujourd'hui pour la plupart, et ou- bliés déjà des chansons de gestes du douzième siècle  ; seul il est venu à nous d'une série de compositions dont rien ne limite le nombre et qui étaient incontestablement les unes avec les autres dans un rapport qui ne peut exister qu'après un assez long développement de l'épopée. Gomment d'ailleurs les Romans du dixième siècle, auxquels on fait d'habitude l'honneur d'avoir créé notre poésie épique, auraient-ils conservé da Gharlemagne un souvenir assez vivant et gardé à sa mémoire un culte assez ardent pour en faire le sujet de tous leurs poëmes? Ils étaient assurément incapables de concevoir l'idée toute moderne d'étudier les documents écrits et de construire des poëmes avec des matériaux historiques. Si, comme on le prétend, le génie et l'idiome de la France n'ont été qu'à cette époque mûrs pour la poésie épique, il est absolument certain que les premiers trouveurs auront chanté les événements et les hommes de leur temps  ; s'ils ne l'ont pas fait, s'ils ont au contraire ramené à Gharlemagne, centre de leurs compositions, les faits mêmes que leur transmettait la génération immédiatement précédente, c'est qu'un grand cycle épique, déjà formé autour de ce nom, leur avait été légué par leurs ancêtres, c'est que de- puis Gharlemagne la poésie romane n'avait pas cessé de repro- duire, en les modifiant suivant les changements de la langue et des mœurs, les primitives cantilènes qu'avait créées de son vivant


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l'enthoueiasme des Français. Pour échapper à cette rigoureuse conséquence, il n'y a qu'un moyen, c'est d'admettre que ce legs poétique fut fait aux poôtes du dixième siècle par la poésie fran- que expirante, et qu'à un moment donné, quand la langue fran- çaise fut assez développée, quand le génie français fut assez fort, les chants tudesques devinrent des chants romans. Cette solution est absolument inadmissible  ; il suffit d'y réfléchir un instant pour s'apercevoir combien elle est contraire aux lois de l'histoire et particulièrement à celles qui régissent les phénomènes popu- laires, la fusion de races longtemps étrangères l'une à l'autre. Il faut admettre une génération de Francs sachant le tiois et le ro- man, parfaitement au courant des vieilles cantilènes germaniques et consacrant leurs loisirs k les traduire en français. Gela est impos- sible ; la poésie et la langue des Francs ont insensiblement dis- paru, sans qu'ils pussent en transmettre rien au peuple qui les absorbait, excepté ce qu'il leur avait emprunté du temps de leur puissance. D'ailleurs eh Gaule les Francs se romanisèrent beau- coup plus tôt qu'on ne pense  ; les leudes de Charles le Chauve, qui entendirent et prêtèrent le serment de 842, étaient certainement des Francs d'origine et ne comprenaient plus l'allemand  : parmi eux,- il faut y songer, se trouvaient à coup sûr bien des guerriers qui avaient servi sous Charleraagne, et qui cherchaient sans doute les jouissances de leur orgueil et de leur sens poétique à chanter ou à entendre des vers qui le célébraient. Si les hom- mes du dixième siècle avaient été étrangers à toute tradition poétique sur Gharlemagne, qui donc les aurait portés à accueil- lir ces traductions de poëmes germaniques sur un héros qui ne les intéressait pas, et pourquoi auraient-ils édifié sur ce fondement étranger toute leur poésie nationale? Au reste, unel façon raisonnable d'expliquer historiquement le passage de l'é-j popée française du tudesque au roman est vraiment impossible! à trouver  ; il faut renoncer à cette supposition , qui d'ailleurs ne s'appuie sur rien *, et dès lors on est contraint d'admettre dès le neuvième siècle l'existence de chants en roman sur Gharlemagne.

Nous croyons l'avoir démontrée à posteriori; voyons si on ne serait pas conduit au niâme résultat par l'examen à priori. Nous

• M. d'Héricault s'appuie sur le Lud- rnond et Isembarf  ; mais voyez ce que lui wigslied, rapproché du poëme <ie Gor- a répondu M. Meyer.


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avons recueilli des témoignages sur l'existence de cantilènes fran- ciques ; n'en trouverons-nous pas d'analogues pour les cantilènes romanes? L'auteur de la Vie de saint Faron, qui écrivait au neuvième siècle *, rapporte qu'un des actes de la vie du saint fut rappelé dans une chanson qui se chantait, dit-il, dans les places et dans les carrefours, par les femmes et les enfants. Saint Faron était évêque de Meaux, en terre romane, comme on voit; il vivait au septième siècle, sous Clotaire II, en l'honneur duquel fut com- posée yt<j:/a rusticitatem la chanson dont il s'agit. Il est bien dif- ficile d'admettre que cette chanson fût en allemand, car assuré- ment on ne le comprenait déjà qu'assez peu dans la Brie  : elle était selon toute probabilité en roman  ; la question serait tranchée si, au lieu d'en donner sept vers d'un latin mauvais mais en somme latin, l'annaliste avait transcrit^ comme Nithard en 842, le texte même de la chanson. Toutefois ces quelques vers laissent trans- paraître le génie de la poésie et de la langue romanes, d'une façon qui s'explique beaucoup moins qu'elle ne se sent. On a pu en donner une traduction fidèle et aisée en langage du douzième siè- cle; nous ne croyons pas qu'il fût possible de la traduire en ancien allemand. Clotaire II aurait donc été chanté en roman  ; cette sup- position reçoit une grande vraisemblance quand on retrouve dans l'épopée française, reportés, il. est vrai, à Charlemagne, des récits qui certainement lui étaient primitivement consacrés *. Il en est de même de Dagobert, autour auquel semble s'être formé tout iin cycle auquel les Romans ne durent pas rester étrangers, puisque leur poésie postérieure en a gardé la trace '. La même conclusion s'applique, nous l'avons vu, à Charlemagne, avec bien plus de force encore  ; ici les preuves matérielles nous manquent  ; mais au siècle qui suivit le sien nous trouvons un fait qui démontre l'exis- tence de cantilènes romanes contemporaines des événements. Personne ne prétendra nier, après les derniers travaux de l'his- toire et de la philologie, que la Champagne et la Picardie ne fus- sent au dixième siècle des provinces romanes, dans lesquelles on ne parlait plus l'allemand. C'est dans ces provinces que se livra, vers 943, la bataille où périt Raoul de Cambrai. Nous possédons un poëme sur ce sujet, il n'a pu naître d'une chanson germani- que, et ce fait suffirait pour appuyer la thèse que nous soutenons  ;

  • C'est probablement Hildegarius , ' Voy. 1. Ilf, ch. n.

mort évêque de Meaux en 875. * Ibid.

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mais il y a plus, il est dit expressément dans le texte qui nous est parvenu que le poërae a pour hase une chanson composée par un témoin de la bataille, évidemment en français *  ; et un auteur du dixième siècle, Aimoin, nous montre des Bourguignons, c'est-à-dire des Français, se faisant précéder à la guerre par un jongleur qui chantait les exploits de leurs pères ( res fortiter gestas et priorum bella prœcineret) .

Il résulte de tout ce que nous avons dit que Gharlemagne a dû être célébré de son vivant même et immédiatement après sa mort, dans des chansons tudesques et romanes. Nous dirons ailleurs ce que devinrent ces deux grandes classes  ; il nous suffit d'indiquer ici ce qu'on peut conjecturer sur leur forme. Elle était sans doute rapide, brusque et concise; l'événement dont il s'agissait était brièvement raconté, et quelques détails seuls étaient traités avec une ampleur lyrique au moins autant qu'épique. Des tableaux saisissants et sans lien, des dialogues heurtés, des exclamations de joie, d'admiration ou de douleur, tels étaient leurs principaux élé- ments *. Il est probable que les vers se groupaient en strophes, alli- térantes pour les chants germaniques, assonantes pour les chants romans  ; dans ces derniers, il est permis de supposer que la divi- sion en strophes était rendue plus frappante par un refrain '. A cette époque, les chanteurs (jongleurs, ménestrels, etc.), ne sem- blent pas avoir encore formé une classe distincte  ; en tout cas la plupart des guerriers savaient eux-mêmes répéter ces rudes poé- .sies, et chantaient comme Achille les hauts faits des héros, xAéa ctvopSv. Ainsi arrivaient aux fils les chants qui avaient célébré les pères, et se formait la tradition poétique qui devait aboutir à l'é- popée carolingienne.

Gharlemagne avait en effet surexcité trop vivement Timagina- tion populaire pour que cette légende commencée de son vivant ne lui survécût pas. Dans toutes les parties de son vaste empire qui se détachèrent plus tard pour former des royaumes séparés,

• Moût par fu preus etsaigesBertolais; son populaire, et qu'il ne faille pas par

De la bataille vitot les greignors fais: conséquent juger les autres d'après lui.

Chançon en fist, n'oreis milor jamès; C'est l'œuvre d'un moine et non d'un

Puis a esté oie en maint palais. guerrier. (Voy. Gervinus_, I, 84  ; Godeke,

( Raoul de Cambrai, p. 96.) 21 .)

  • On en retrouve quelque chose dans ' Il en reste des traces dans Roland et

le Ludwigslied , bien que ce poëme ne dans Gonnond et Ispmbart. Voy. Wolf,

ssoit pas, à proprement parler, une chan- Ueber die Lais, p. 25.

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le souvenir du grand empereur se conserva pendant bien des siè- cles, modifié suivant les lieux et les temps. Peu à peu, dans les contrées où des causes que nous examinerons plus tard avaient dû le rendre particulièrement vivace, de toutes les traditions con- fuses et variées se formèrent quelques groupes de récits qui, réunis et centralisés, perpétuèrent dans la mémoire poétique des nations cette figure surhumaine  ; nous aurons plus tard à étudier chacun de ces épanouissements de la légende. Nous n'en trouve- rons pas d'antérieur au onzième siècle  ; soit qu'il ait fallu deux cents ans à la poésie pour prendre pleine conscience d'elle-même et transfoimer en épopée les fragments dont elle se composait, soit plutôt que le dixième siècle, époque barbare entre toutes, ait négligé de nous transmettre ses poèmes, nous n'avons pas de mo- numents, soit en roman, soit en allemand, plus anciens que la Chanson de Roland, dont on peut assigner la date à la fin du on- zième siècle *. Mais cet intervalle, stérile en apparence, ne fut pas plus perdu pour la poésie que ne l'est pour la plante la pé- riode obscure oii le germe se développe et s'attache de ses racines à la terre nourricière, tandis que sa tige naissante cherche l'air et le soleil. L'épopée de Gharlemagne germait aussi, s'enfonçant de plus en plus dans le souvenir populaire et jetant des pousses de tout côté. Les grands poëmes qui suivirent suffiraient à le démontrer; mais nous avons des preuves plus certaines encore de l'existence, dans ces temps obscurs, de légendes sur Gharlemagne. Les chro- niqueurs des neuvième, dixième et onzième siècles, gens peu poé- tiques en général, annalistes sans intelligence et sans intérêt, nous laissent parfois entrevoir, par quelque allusion passagère, par un récit épisodique, par un mot, qu'ils croyaient ou qu'on croyait au- tour d'eux à un Gharlemagne déjà bien poétisé, et qu'on lui attri- buait des actions dont il n'avait pas mérité la gloire. Nous cite- rons dans un autre endroit ces passages précieux, premiers linéaments des traditions futures, qui sont disséminés dans les historiographes d'alors; grâce à l'admirable recueil auquel M. Pertz a pour toujours attaché son nom, il nous a été possible de rassembler à peu près tous les documents de ce genre qui exis- tent. Leur indication serait inutile ici. Nous aimons mieux montrer par deux témoignages extrême-

• Nous essayerons de pronver l'existence de l'épopôe romane au dixième siècle.

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ment intéressants la durée, dans l'intervalle que nous avons déter- miné, des chants consacrés à Gharlemagne. Dans un manuscrit d'Eginhard, que M. Pertz et M. Teulet s'accordent à faire remon- ter au onzième siècle *, la Vita d'Eginhard est terminée par ce commentaire  : «  Reliqua actuum ejus (Garoli) gesta, seu ea quœ in carminibus vulgo canuntur de eo, non hic pleniter descripta, sed require in vita quam Alchuinus de eo scribit.  » Ce passage fait voir l'épopée carolingienne formée de bonne heure; il soulève en outre une question que nous retrouverons ailleurs, celle de la Vie de Gharlemagne attribuée à Alcuin.

Le fragment de La Haye

Le second document que nous voulons signaler est plus explicite et plus ancien. Il s'agit du précieux fragment que l'éditeur des Monumenta Germaniœ historica a découvert à la Haye, sur les derniers feuillets d'un manuscrit du dixième siècle[7], et publié dans sa collection '. C'est le débris d'unpoëme latin, dont le sujet était une guerre de Fempereur Charles contre les Sarrasins *. Dans le manuscrit de la Haye, les vers ont été réduits en prose, et, bien que l'auteur de ce travail se soit le plus souvent borné à changer l'ordre des mots, on ne peut pas toujours rétablir les hexamètres primitifs. Ce fragment est écrit dans le style ridicule- ment emphatique de certains ouvrages des neuvième et dixième siècles °  : il cherche à simuler la science avec des mots extraordi- naires, la poésie avec des tournures étranges, l'éloquence avec un pathos vide de sens qui tombe parfois dans le grotesque *. Le morceau conservé est un épisode d'un siège; les chrétiens don- nent l'assaut; Gharlemagne combat le roi païen  :

Concurrunt reges pariter, Martemque lacessunt Viribus emissis, quoniam bene creditur illis Unum posse diem totum largirier orbem,

Propositique sui redit unusquisque labori

Ast eccontra magis se continet induperator

Carolus, ut fortis, fixus pietate Tonantis,

Qaem sibi praBsentem semper largumque sciebat '.


' Ms. Bibl. Impér. 5354. Le manus- * Il rappelle un peu celui d'Abbon,

crit 4631, du quinzième siècle, en est l'auteur du poëme du Stég-e rfe Pam.

une copie. * Nous donnons le fragment dans son

  • entier à l'Appendice, n" I.
  • Pertz, SS. III, p. 708-710, en note. ' Nous n'avons pas ajouté un mot (sauf
  • Ils sont désignés par ces mots  : gens sibi an dernier vers et que au quatrième);

offensa supertio régi. nous n'avons retranché que que au pre-


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Le fragment ne nous apprend pas l'issue de la lutte  ; les noms qui y sont cités sont Ernoldus ou Emaldus, Bertrandus, qui est qualifié de Palatinus, Bernardus, Wibelinus et Borel; les quatre premiers sont certainement des chrétiens  ; le dernier paraît au contraire être un ennemi. On doit considérer ce document comme extrêmement précieux, non pas tant par ce qu'il contient que par le seul fait de son existence. On peut en effet affirmer, sans hési- tation, que le poëme dont il faisait partie a été traduit d'une lan- gue vulgaire  ; le moine quelconque qui l'a composé ne pouvait avoir les qualités d'invention nécessaires à un poëte original  ; on ne saurait même prêter à la versification latine de ce temps la faculté de faire un poëme d'après les récits populaires. Le sujet est d'ailleurs trop d'accord avec les poëmes en langue vulgaire, pour qu'on puisse se refuser à admettre que le versificateur a travaillé sur l'un d'eux. Ce fait n'a rien qui doive surprendre; on pourrait en produire de nombreux exemples. Nous nous bornerons à quel- ques-uns : le Waltharius *, poëme latin composé dans la pre- mière moitié du dixième siècle, par Gerald ou Eckehard dans le couvent de Saint-Gall, est certainement traduit de l'allemand, et sans doute d'un de ces chants même, appartenant au cycle des Nibelungen, qu'avait fait rassembler Gharlemagne; on peut at- tribuer la même origine au Ruodlieb *, écrit dans les premières années du onzième siècle par le moine de Tegernsee Fromond  ; dans la même abbaye, vers 1160, Metellus donne le résumé d'un des poëmes qui ont concouru à former la chanson à'Ogier le Da- nois ^ Plus tard, cet usage ne disparut pas  ; au douzième siècle on peut citer le poëme De Traditione Guenonis *, imité de notre Chanson de Roland, et au treizième un fragment de traduction du Willehalm de Wolfram d'Eschenbach ^ On est donc parfai- tement autorisé à regarder le fragment de la Haye comme traduit d'un poëme en langue vulgaire; c'est le plus ancien document que nous possédions en ce geuFe.

mier vers; nous n'avons eu besoin que * Griram et Schir^eller, Lateinische Ge-

de remettre les mots à leur place , et de dichte, p. 3 et suiv.

donner une forme archaïcpae aux deux ' Ibid., p. 129 et suiv,

mots largiri et imperator; de semblables * Voy. Canisius, Antiq. lect., l, p. 68-

recherches ne sont pas sans exemple à. 70 de l'appendice.

cette époque (cf. Bàhr, passim). La * F. Michel, La Chanson de Roland,

quantité conirà est fréquente dans les p. 228 et suiv.

poètes de ce temps  ; on trouve également * Wolfram von Eschenbach, p. p. Lach-

Càrolus et Càrolus. mann, p. xLii et suiv.


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Les recherches que nous venons de résumer nous permettent d'affirmer que Charlemagne a été dès sa \ie le sujet de récits poé- tiques et de chants populaires, en tiois et en roman  ; que ces chants et ces récits ont persisté après sa mort, et qu'aux dixième et onzième siècles il existait une épopée dont il était le centre. Il nous reste maintenant à indiquer, aussi complètement qu'il sera utile et possible de le faire, le développement de son histoire poé- tique chez les différents peuples qui l'ont créée ou accueillie. Mais avant de renoncer à embrasser dans nos recherches l'empire de Charlemagne tout entier, et de nous restreindre successivement aux divers pays qui le composaient, nous devons examiner un côté de la question par lequel elle est encore générale et indépendante, au moins dans une certaine mesure, des nationalités respectives  : c'est l'admission de Charlemagne au rang des saints et les récits qui se rattachent à cette sainteté plus ou moins bien établie.

notes originales

  1. Pertz, SS II, p. 607
  2. Pertz, SS II, p. 608
  3. Tué en 799 dans une expédition contre les Avares.
  4. De Gestis Karoli Magni, dans Pertz, SS. lî, p. 731-763.
  5. Le moine de Saint-Gall était Allemand et parlait tiois ; entre mille preuves que nous pourrions en apporter, il suffit de citer ce passage  : Apud nos autem, qui teutonice vel germanice loguimur (1. 1, c. x). (NDLR Mais avec nous, qui parlons teutonique ou allemand)
  6. Un passage plus significatif encore se trouve dans Raoul de Cambrai; voyez plus bas.
  7. Bibl. reg. 921.

Notes de la rédaction Wicri

  1. Pour atteindre la référence Pertz (Monumenta Germaniae Historica) https://www.dmgh.de/mgh_ss_2/index.htm#page/608/mode/1up