Histoire poétique de Charlemagne (1905) Paris/Livre premier/Chapitre X

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Histoire poetique Charlemagne 1905 Paris p 203.jpg

Cette page introduit le dixième chapitre du premier livre de la thèse de Gaston Paris.

La légende de Charlemagne en Espagne

Avant-propos

Livre premier, chapitre X

LA LEGENDE DE CHARLEMAGNE EN ESPAGNE.

Histoire poetique Charlemagne 1905 Paris p 203.jpg[203]

Absence de traditions nationales.

L'Espagne na pas eu d'épopée. D'habiles critiques ont démontré ce fait et en ont donné les raisons ; nous n'avons pas a y revenir ici[1]. A quelque époque que remontent en substance les romances qui représentent dans l'histoire de la poésie le génie épique de la péninsule, aucune ne nous est parvenue dans une forme antérieure au quinzième siècle. L'opinion qui en fait des fragments de grands poèmes perdus est abandonnée aujourd'hui par les savants les mieux autorisés et ne résiste pas à l'examen[2].

Imitations du français

De très bonne heure en revanche nos traditions et nos poèmes passèrent les Pyrénées. La preuve de la connaissance qu'on en avait des le douzième siècle en Espagne se trouve dans un poème latin composé à la louange du roi Alfonse VII peu de temps après la mort de ce prince (1167). L'auteur, louant un guerrier, dit de lui : « S'il avait vécu au temps de Roland, et qu'il eut fait le troisième avec lui et Olivier, je puis le dire, sans accuser ceux-ci, la nation des Sarrasins serait sous le joug des Français, et les fideles compagnons n'auraient pas trouvé la mort[3]. » On remarquera que cette allusion ne peut se rapporter qu'aux chansons de gestes : Turpin n'isole pas ainsi Roland et Olivier et nomme a peine le dernier dans son récit de Roncevaux. En outre ce passage nous montre, chez les Espagnols, une légende de Roncevaux tout a fait conforme à la notre dont elle est empruntée. Enfin cette allusion suffit peut-être a nous donner approximativement la date du passage de notre Chanson de Roncevaux en Espagne, si l'on ne trouve pas trop subtile la conclusion que nous en tirons. Elle appelle Histoire poetique Charlemagne 1905 Paris p 204.jpg[204] en effet Roland Roldanus ou Roldan, comme d'ailleurs les romances postérieures. Si les Espagnols avaient eu sous les yeux le mot français Roland, il semble peu probable qu'ils en eussent fait Roldan ; au contraire, l'interversion du d et de I'l est chez eux fréquente (tomaldo, mataldo, parilde, pour tomadlo, matadlo, paridle), et rien ne leur était plus naturel que de tirer Roldan de Rodlan. Or la forme Rodlan, évidemment la plus ancienne (Hruodlandus dans Eginhard), déja disparu du poème d'Oxford ; Raoul Tortaire, au onzième siecle, dit encore Rutlandus, et Turpin Rodlandus, du moins dans les plus anciens manuscrits; le provençal a conservé Rotlan : mais en français il n'existe plus au douzième siecle : ce serait donc au onzième siècle qu un poème analogue au notre, et ou Roland s'appelait Rodland, aurait été transporté en Espagne [4].

Les monuments nous font défaut jusqu'au treizième siècle, où nous voyons apparaitre dans la Cronica general d' Alfonse X le Savant plusieurs légendes relatives au cycle carolingien ; les unes se retrouvent dans nos poèmes, les autres leur sont étrangères, ou en diffèrent même absolument.

Constatons d'abord poémes francais, a cette époque, étaient connus et populaires en Espagne. Une preuve irrécusable s'en trouve dans T'expression souvent employée par Alfonse de cantares de gesta, chansons de gestes. Ce mot ne peut étre venu aux Espagnols que de France, car il n'a aucune histoire et aucune famille dans leur langue, tandis que le mot geste, en vieux francais, a pris les sens les plus divers et est la souche de divers autres vocables, tels que gester, ges- teur , etc. D'ailleurs, Alfonse renvoie a ces chansons de geste pour des récits dont on ne peut contester Porigine francaise. L'e- popée carolingienne avait done trouvé en Espagne comme une se- conde patrie, et les critiques sont unanimes a voir dans les jongleurs (juglares), si souvent mentionnés dans la Cronica general comme auteurs de ces chansons de gestes, des éleves et des imita- teurs des jongleurs frangais 1 car P'espa- fois pour toutes, pour les romances et la gnol intercale parfois le d aprés 1'? dévant poésie traditionnelle en Espagne, aux une voyelle (humilde, celda) ; cf. Diez, deux admirables écrits de M. Wolf : Grammatik, t. I, p. 359. Cependant Y'au- Veber die Romonzenpoesie der Spanier , tre explication de la forme Roldan nous dans les Studien (p. 304-555), et P'Intro- semble plus vraisemblable.

LIVRE PREMIER.


les

que

Nous ne pouvons que renvoyer une

duction au recueil de romances qu'il a

les juglares

La chronique d'Alfonse X

Romances

Histoire poetique Charlemagne 1905 Paris p 210.jpg[210] ont éte changés, et les événements seuls ont conserve les traits primitifs. Nous avons ajouté plus d'un rapprochement a ceux qu'on avait deja établis ; mais nous sommes obligé d'avouer que parmi les romances du cycle carolingien il en est plus dune en- core qui a défié nos recherches ½, Une grande difficulté était dans le discernement des romances anciennes et fondées traditionnel- lement sur des poémes francais, et de celles qu'au seizieme siecle des poetes artistiques imiterent des romans italiens. Heureuse- ment M. Wolf nous a débarrassé de ce travail de délicate critique: il n'a admis dans sa collection a la premiere série, et si quelques-unes des romances qu'il y a rap- portées doivent en etre exclues, aucune de celles qu'il a écartées ne mérite de réhabilitation. Nous ne sortirons donc pas pour cet exa- men de la Primavera y flor. Pour les romans, nous avons du nous rapporter presque aveuglément au catalogue de livres de chevale- rie Gaule : les livres dont il s'agit n'etant pas a notre disposition, nous n'avons pu que rarement controler le savant espagnol. Son catalo- gue, d'ailleurs, annule tous ceux qui P'ont précédé ; il est extreme- ment complet, et offre en outre plus de méthode qu'aucun autre. Quant au theatre espagnol, nous avons cru devoir nous en occu- per assez peu; nous n'avons indiqué que plus celebres, sans rechercher curieusement si des poétes secon- daires n'auraient pas traité quelque sujet carolingien ; nous savions d'avance les sources auxquelles ils auraient puisé, et le travestis- sement galant et bravache qu'ils auraient imposé a leur récit. 1° Ogier le Danois. Elles ont trés-probablement une del Danese (voyez ci-dessus, p. 171, source italienne; Charlot tue Baudouin 193).

que les romances qu'il a rattachées

que

M. de Gayangos a place en tete de son édition d' Amadis de

deux ou trois ceuvres

bien anciennes ?; elles in-

a la chasse, comme dans le ms. XIlI de Venise et le poéme intitule : Libro

4 Telles sont celles du Conde Dirlos, de Gaiferos, du Palmero, etc. 2


Ogier le Danois

M., Wolf a excellemment dit des romances sur le marquis de Mantoue ( n°s 165-7 de la Primavera) : « Il est clair que dans ces romances d'Urgero el Danes (le marquis de Mantoue) et de Valdovinos on a confondu les traditions françaises, conservées dans les chansons de gestes, d'Ogier de Danemarche, qui vengea la mort de son fils naturel Baudouinet, tué a coup d'échiquier par Charlot, et de Baudouin, frère de Roland et époux de Sibile, veuve de Guiteclin de Saxe (Primavera, II, 217). » Ajoutons que ces romances ne sont pas bien anciennes ; elles Histoire poetique Charlemagne 1905 Paris p 211.jpg[211] introduisent parmi les héros carolingiens les ducs de Bourgogne, de Bourbon, de Savoie et de Ferrare, Arnaud le grand bâtard, Montesinos, et surtout Durandarte, qui n'a pu être nommé que tardivement. En effet ce nom est certainement une bizarre personnification de l'épée de Roland, qu'un jongleur quelconque aura pris pour un nom d'homme, auquel il a ensuite bati toute une histoire (Primavera, 180-182)[5].

Guiteclin

II ne reste aucune trace de ce poéme, mais nous venons de voir des traits. Une romance isolée et ancienne nous montre aussi Baudouin comme P'époux de Sibile, de méme que dactions frangaises de ce poeme. 3° Renaud de Montauban. Nous cits espagnols qui se rapportent a ce héros P'opinion de M. Wolf: nous pensons que tous, sans exception, ont leur source dans les poémes italiens, et que les récits francais n'ont donné lieu en Es- pagne il n'est fait mention des Renaud, et tous les récits ou celui-ci joue un role isolé sont ita- liens, comme nous l'avons montré ailleurs. M. Wolf a écarté de sa collection plusieurs romances évidem- ment imitées des poémes de V'Italie ; il n'en a conserve que deux 3: or toutes les deux, si nous ne nous trompons, sont des imitations, fort altérées, il est vrai, du poéme italien de Leandra innamorata (voy. ci-dessus, p. 197). La premiere (n° 487) se rapporte a la fin du roman, si ce n'est que Roland joue ici le role que joue Renaud dans Pitalien; la seconde (n° 188 ) est abrégée des chants V et suivants tandis épouse Renaud. Ces différences et d'autres encore ne peuvent di- minuer la certitude des ressemblances aux yeux de ceux qui sont habitués a la liberté qu'ils traitent. Deux romans en prose espagnole s'occupent de Fenaud de Mon- 4 et formant la 3e partie de 2 Nous exceptons celles qui se rappor- tent a la Conquéte de Trebizonde, roman peut-étre francais (voy. p. 92), mais tres- Heldengedichte, p. 109 et suiv., suffit a moderne (Primavera,n° 189), traduitd'ail- établir la comparaison.


que les romances sur Ogier lui avaient emprunté

les diverses re-

les ré-

ne partageons pas sur

a aucune imitation 2. Remarquons d'abord que nulle part

de

quatre fils d'Aimon; il ne s'agit que

seulement Leandra meurt dans le poéme italien, dans la romance espagnole la princesse sarrasine que les romancistes prennent avec les sujets

que

Reynaldos de Montalvan (voy. ci-dessous). Plus celle sur Trébizonde. 4 L analyse donnée par Schmidt, Ital.

Les romances portugaises

Les romans en prose portugaise

Histoire poetique Charlemagne 1905 Paris p 217.jpg[217] Les Portugais au moyen age ont connu notre littérature romanesque, de même qu'a deux reprises ils ont imité notre poésie lyrique ; mais leur goût les portait beaucoup plus, a ce qu'il semble, vers les romans de la Table-Ronde que vers les chansons de gestes. Il existe un manuscrit où presque tout le cycle d'Arthur a passé en portugais, et si I' Amadis est né en Portugal, on ne peut méconnaitre qu'il a eu pour originaux le Lancelot et les Tristan. La seule contribution du Portugal à l'histoire fabuleuse de Charlemagne est des plus bizarres. La traduction espagnole des Conquestes de Charlemagne fut traduite elle-même en portugais, mais au dix-huitième siècle il en parut successivement a Lisbonne deux suites que l'on peut regarder comme les derniers romans carolingiens. L'auteur de la première de ces suites (1737), Jeronimo Moreira, est aussi le traducteur du livre espagnol : sa Segunda parte « ramène Charlemagne en Espagne et le fait combattre Abderraman pour secourir Galafre, et s'emparer enfin de Cordoue, capitale des Sarrasins » Quant à l'autre suite, Terceira parte (1745), l'auteur, qui se nomme Alexandro Caetano Gomez Flaviense, n'a guère mis de Charlemagne que le nom sur son titre :

vir de récréation et diversion au sommeil, a compilé tout ce qu'il a pu trouver dans les livres espagnols qui se rapportat a Bernard de Carpio, donnant commencement a son livre avec la création du monde, le deluge universel et la confusion des langues d la tour de Babel. II rapporte ensuite P'histoire fabuleuse de 1'Espagne, et, sans rien dire des Phéniciens, Carthaginois, Romains ou Goths, il saute d'un coup aux rois d'Asturie et de Léon, et a don Sancho, comte de Saldagne, et doña Chimene , infante de Léon, parents de Bernard. Il termine a la mort du héros , qui, renongant a la couronne de Catalogne, se fait moine a Aguilar de Campo 1 ceiro d'Almeida-Garret (t. I, Lisbonne, 1843 ; tomes II et III, 1851, in-12). Sur vrage de M. de Gayangos; car il est la littérature portugaise au moyen age, impossible de se procurer ces livres en voy. Wolf, Studien, p. 690 et suiv. NOTE ADDITIONNELLE. Nous n'avons prétendues sources de T'histoire poétique de Charlemagne, qui n'ont jamais existé que dans les ouvrages ou on a invoqué leur témoiguage ; nous avons réuni quelques détails a ce sujet dans I'Appendice, n° VIlI.


< L'auteur, qui dit avoir composé son ouvrage pour ser-

1 Nous empruntons ces résumés a Y'ou- France. pu parler dans ce livre de quelques

Notes originales de l'auteur

  1. [200 : 1]Voy. principalement Wolf, Studien, p. 405 ; Dozy, Recherches, Ire ed., p. 649 (ce passage a été modifie dans la seconde édition, t. 11, p. 215) Wolf, Primavera, I, p. xill et LXV.
  2. Voyez les auteurs déjà cités.
  3. Florez, España Sagrada, XXI, 405 ; cité dans Wolf, Studien, p. 497. Nous donnons tout le morceau a l'Appendice, n° VII,
  4. [204 1]Cette preuve n'est qu'une probabilité, et non des plus fortes :
  5. [211 : 1] Lope de Vega a tiré une pièce de ces leurs en espagnol romances : El Marques de Mantua.

Voir aussi