La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition populaire/1895/Partie 3/Duel : Différence entre versions
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Version du 15 avril 2022 à 17:29
fin de la grande bataille
Sommaire
Facsimilés
Les couplets (laisses)
CCLXXXVIII
3560 | Le jour passe, la vêprée s'avance ; |
Païens et Francs frappent de leurs épées. | |
Ceux qui rassemblèrent ces deux armées, | |
Charles et Baligant, sont des vaillants. | |
Toutefois ils n'oublient pas leurs cris d'armes. | |
3565 | « Précieuse! » crie l'Emir. |
« Monjoie! » réplique l'Empereur. | |
Ils se reconnaissent l'un l'autre à leurs voix claires et hautes; | |
Au milieu même du champ de bataille, tous deux se rencontrent. | |
Ils se jettent l'un sur l'autre, et s'entre-donnent de grands coups. | |
Frappant de leurs épieux sur leurs écus à rosaces | |
3570 | Ils les brisent au-dessous de la large boucle |
Et se déchirent les pans de leurs hauberts | |
Mais ils ne s'atteignent pas plus avant : | |
Les sangles de leurs chevaux sont brisées et leurs selles renversées : | |
Bref, les deux rois tombent, et les voilà par terre : | |
3575 | Vite ils se relèvent, et les voici debout. |
Très valeureusement ils tirent alors leurs épées | |
Ce duel ne peut désormais finir. | |
Il ne peut s'achever sans mort d'homme. |
CCLXXXIX
Il est vaillant le roi de douce France | ||
3580 | Mais l'Émir ne le craint ni le redoute. | |
« Tu as tué mon fils, dit alors Baligant, | ||
« Et fort injustement tu envahis ma terre; | ||
« Deviens mon homme, et je te la donne en fief. | ||
Tous deux ont à la main leurs épées toutes nues. | ||
Et s'en donnent de furieux coups sur leurs écus. | ||
Ils en tranchent le cuir et le bois, qui cependant est double ; | ||
Les clous en tombent, les boucles sont en pièces. | ||
35855 | Alors ils se frappent nu à nu sur leurs hauberts : | |
Des heaumes clairs jaillit le feu. | ||
Ce duel ne peut en rester là : | ||
Il faut que l'un ou l'autre reconnaisse son tort | Aoi |
CCXC
« Réfléchis bien. Charles. » dit l'Émir. | ||
3590 | « Et décide-toi à me demander pardon. | |
« Je sais que tu as tué mon fils. | ||
« Et fort injustement tu réclames ma terre : | ||
« Deviens mon homme et je te la donne en fief, | ||
« Si tu veux être mon vassal depuis l'Espagne jusqu'en Orient. | ||
3595 | « — Ce serait trop grande honte , » s'écrie Charles ; | |
« Je ne dois à un païen ni paix ni amour ; | ||
« Reçois la loi que Dieu nous donne à croire ; | ||
« Deviens chrétien, et sur l'heure je t'aimerai, | ||
« Si tu crois, si tu sers le roi omnipotent. | ||
3600 | « — Mauvaises paroles que tout cela » dit Baligant. | |
« J'aime mieux mourir de l'épée qui tranche. » | Aoi. |
CCXCI
L'Émir est d'une force terrible. | ||
Il frappe Charlemagne sur le heaume d'acier brun ; | ||
Il le lui fend et casse sur la tête. | ||
3605 | L'épée du païen tranche les cheveux, | |
Et de la chair enlève un morceau plus large que la paume de la main ; | ||
A cet endroit, l'os demeure tout nu. | ||
Charles chancelle ; un peu plus il serait tombé ; | ||
Mais qu'il meure ou qu'il soit vaincu, c'est ce que Dieu ne permet pas. | ||
3610 | Saint Gabriel descend de nouveau près de lui : | |
« Grand roi, » lui dit-il, » que fais- tu? » | Aoï. |
CCXCII
Quand Charles entend la sainte voix de l'ange, | ||
Il n'a plus peur, il ne craint plus de mourir; | ||
Les forces et le sentiment lui reviennent. | ||
3615 | De son épée de France il frappe l'Émir, | |
Brise le heaume où flamboient tant de pierres précieuses, | ||
Tranche la tête, d'où se répand la cervelle, | ||
Jusqu'à la barbe blanche met en deux morceaux le visage ; | ||
Bref, sans remède, l'abat raide mort. | ||
3620 | Puis, pour se faire reconnaître : « Monjoie ! » s'écrie-t-il. | |
A ce mot, le duc Naimes accourt; | ||
Il saisit Tencendur, et le grand roi y remonte. | ||
Quant aux païens, ils s'enfuient: Dieu ne veut pas qu'ils restent davantage, | ||
Et les Français enfin ont ce qu'ils demandent. | Aoi. |
CCXCIII
3625 | Dieu le veut , les païens s'enfuient ; |
L'Empereur et les Francs leur donnent la chasse ; | |
« Vengez- vous, » s'écrie le Roi, « vengez toutes vos souffrances ; | |
« Satisfaites vos désirs, soulagez vos cœurs; | |
« Car ce matin je vous ai vus pleurer de vos yeux. » | |
3630 | Et les Français de lui répondre : « Il le faut , il le faut ! » |
Et chacun de frapper les plus grands coups qu'il peut. | |
Ah! des païens qui furent là, il s'en échappa un bien petit nombre. Aoi. |
CCXCIV
P. => CCXLVI
|
La chaleur est grande, la poussière s'élève; | |
Les païens sont en fuite, et les Français les pressent angoisseusement ; | ||
3635 | Jusqu'à Saragosse dure cette poursuite. | |
Au haut de sa tour est montée Bramimonde, | ||
Avec ses chanoines et ses clercs, | ||
Ceux de la loi mauvaise et que Dieu n'aime point, | ||
Ceux qu'un sacrement n'a pas ordonnés, et qui ne portent pas la tonsure sur leurs têtes. | ||
3640 | Quand la Reine aperçoit la déroute des païens, | |
Elle accourt vers Marsile et lui annonce cette nouvelle : | ||
« Ah! noble roi, nos hommes sont vaincus; | ||
« L'Émir est mort honteusement. » | ||
Marsile l'entend, se tourne vers le mur, | ||
3645 | Se cache le visage et pleure de ses yeux, | |
Puis meurt de douleur. Et, comme il est sous le poids du péché, | ||
Les vifs diables s'emparent de son âme. | Aoi. |
CCXCV
Tous les païens sont morts ou en fuite; | ||
Charles a vaincu sa bataille. | ||
3650 | De Saragosse la porte est abattue, | |
Et l'Empereur sait bien qu'on ne défendra plus la ville. | ||
Il y entre avec son armée, il la prend, | ||
Et les vainqueurs y couchent cette nuit. | ||
Notre Roi à la barbe chenue, notre Roi est plein de fierté , | ||
3655 | Et Bramimonde lui a remis les tours de la ville , | |
Dix grandes et cinquante petites... | ||
Il travaille bien celui qui travaille avec l'aide de Dieu. | Aoi. |
CCXCVI
Le jour est passé, les ombres de la nuit tombent, | ||
La lune est claire, les étoiles flamboient, | ||
3660 | L'Empereur est maître de Saragosse, | |
Mille Français, sur son ordre, parcourent la ville en tous sens, | ||
Entrent dans les mosquées et les synagogues , | ||
Et, à coups de maillets de fer et de cognées, | ||
Mettent en pièces Mahomet, toutes les images, toutes les idoles. | ||
3665 | De sorcellerie, de mensonge, il ne reste plus de trace. | |
Le Roi croit en Dieu et veut faire le service de Dieu. | ||
Alors les évoques bénissent l'eau | ||
Et mènent les païens au baptistère. | ||
S'il en est un qui se refuse de faire la volonté de Charles, | ||
3670 | II le fait pendre, occire ou brûler. | |
Ainsi l'on en baptise plus de cent mille , | ||
Qui deviennent bons chrétiens. La Reine seule est mise à part. | ||
On la mènera captive en douce France, | ||
Et c'est par amour que l'Empereur veut la convertir. | Aoi. |
CCXCVII
à Dieu et à tous les noms divins.
3675 | La nuit passe, et le jour clair apparaît dans le ciel, | |
Charles garnit alors les tours de Saragosse | ||
Il y laisse mille chevaliers vaillants, | ||
Qui gardent la ville pour l'Empereur ; | ||
Puis, avec tous ses hommes, Charles remonte à cheval , | ||
3680 | Emmenant Bramimonde captive ; | |
Mais il ne veut lui faire que du bien... | ||
Les voilà qui s'en retournent pleins d'allégresse, pleins de fierté joyeuse. | ||
Vivement et en vainqueurs ils passent par Narbonne. | ||
Pais Charles arrive à Bordeaux, la grande et belle ville. | ||
3685 | C'est là que sur l'autel du baron saint Séverin | |
Charles dépose l'olifant, qu'il avait rempli d'or et de mangons ; | ||
Et c'est là que les pèlerins peuvent encore le voir. | ||
Sur de grandes nefs l'Empereur traverse la Gironde ; | ||
Il conduit jusqu'à Blaye le corps de son neveu, | ||
3690 | Celui d'Olivier, le noble compagnon de Roland, | |
Celui de l'Archevêque, qui fut si preux et si sage. | ||
On dépose les trois seigneurs en des tombeaux de marbre blanc, | ||
A Saint-Romain, où maintenant encore gisent les barons ; | ||
Et les Français les recommandent une dernière fois, | ||
3695 | Puis Charles chemine derechef à travers les vallées et les montagnes; | |
Plus ne s'arrête qu'à Aix. | ||
Si bien chevauche, qu'il descend à son perron. | ||
A peine est-il arrivé dans son haut palais, | ||
Que par ses messagers il mande tous les juges de sa cour, | ||
3700 | Saxons et Bavarois, Lorrains et Frisons, | |
Bourguignons et Allemands, | ||
Bretons, Normands et Poitevins, | ||
Et les plus sages de ceux de France. | ||
Alors commence le procès de Ganelon. | Aoi. |
Notes originales
3644. Vers le mur
3644. Vers le mur. Pareil, doit être traduit par « mur », en dépit du texte de Paris : Oit la Marsiles, vers la dame se tourne. Il est évident que l'auteur du Roland a pensé à ce célèbre passage d'Isaïe , où l'on voit le roi Ezéchias, frappé d'une maladie mortelle, se tourner vers la muraille pour prier Dieu et fondre en larmes : Et convertit Ezechias faciem suam ad parietem, et oravit ad Dominum. (Isaias, xxxviii, 2.)
3670. Il le fait pendre
3670. Il le fait pendre, etc. Toutes les fois que, dans nos chansons, une ville infidèle est conquise, l'Empereur Charles ou ses Pairs font baptiser de force tous les habitants : ceux qui refusent le baptême ont la tète coupée. (Roland, v. 102 et 3670; Gui de Bourgogne, v. 3003, 3071-74, 3436-38; Huon de Bordeaux, 6657-59, etc. etc.).
Nous avons ailleurs discuté très longuement ces textes, et montré qu'ils sont contraires à la véritable doctrine do l'Église, Un jour on fit au pape Nicolas I cette question : « Que faut-il faire à l'égard des païens qui ne veulent pas se faire chrétiens? » Et le Souverain Pontife répondit : « Quant à ceux qui refusent le bienfait de la foi chrétienne, qui immolent aux idoles et plient les genoux devant elles, nous n'avons rien à vous commander à leur sujet, si ce n'est de les convaincre de leurs erreurs par de bons avis, par des exhortations, PAR LA RAISON ENFIN PLUTÔT QUE PAR la force. » (Nicolai I responsa ad consulta Bulgarorum, cap. XLI ; Labbe, vin, 530. Le Pape est beaucoup plus sévère à l'égard des renégats.) Et nous avons également cité les paroles très précises de saint Augustin et de saint Thomas d'Aquin, qui se prononcent tous deux contre l'emploi de la force. Enfin les Pères du concile de Plaisance . en biSS, font cette proclamation solennelle : « La religion chrétienne ne doit pas rejeter les Juifs et les Sarrasins, parce qu'il est constant qu'ils ont en eux l'image de notre Créateur. » (Labbe, XI, 2074.) Il y a loin de là à la sanglante et abominable brutalité de nos héros épiques.
3680. Bramimonde
3683. Ils passent par Narbonne
Ils passent par Narbonne. Dans une carte du XIIe siècle qui se trouve en une Apocalypse appartenant à M. Didot, Narbonne est marquée tout près de Saragosse, sur le chemin de France. Voyez, dans notre 7° éd., l'Éclaircissement IV.
3692. On dépose les trois seigneurs en des tombeaux de marbre blanc
On dépose les trois seigneurs en des tombeaux de marbre blanc, etc.
Ces funérailles, d'après la Karlama- gnus Saga et le Kelser Karl Magnus's kronike, oui lieu à Ailes. = D'après la Chronique de Turpin (cap. xxix : De sepulchro Rolandi et cmterorurn qui apud Belinum et diversis locis sepulli aunt), Roland fut enterré à Blaye et Olivier à Belin. = Le mot beatus, qui précède ici celui de Roland, n'est pas fait pour nous étonner. Roland, en effet, a été longtemps révéré comme un martyr et représenté avec un nimbe. Son nom se trouve en plusieurs Mar- tyrologes, et les Rollandistes ont dû s'en occuper à diverses reprises (31 mai et 16 juin).
Compléments de la rédaction Wicri
Vers 3641
Ici Léon Gautier, au Lieu d'ajouter un vers, remplace celui du manuscrit d'Oxford par un autre.
Dans le manuscrit d'Oxford, Léon Gautier donne la version suivante :
- A halte voiz s’escrie : « Aïez nus, Mahume !
- « À l’aide, Mahomet ! s’écrie-t-elle d’une voix perçante
Dans ce manuscrit, Francisque Michel donne :
- A halte voiz s'escrie : « Aïez-nos*, Mahum[e]. * Aide-nous.
Dans le manuscrit de Paris, comme donné ici par Léon Gautier, la référence à Mahomet disparait :
Voir aussi
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