Histoire naturelle (Buffon)/Tome 6/Le chat
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Sommaire
Avant-propos
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Le début en facsimilé
Le chat (par Monsieur de Buffon)
[3]
Le Chat [L 1]est un domestique infidèle, qu’on ne garde
que par nécessité, pour l’opposer à un autre ennemi domestique encore plus incommode, et qu’on ne peut
chasser : car nous ne comptons pas les gens qui, ayant du goût pour toutes les bêtes, n’élèvent des
chats que pour s’en amuser ; l’un est l’usage, l’autre l’abus ; et quoique ces animaux, surtout
quand ils sont jeunes, aient de la gentillesse, ils ont en même temps une malice innée, un caractère faux,
un naturel
[4]
pervers, que l’âge augmente encore, et que l’éducation ne fait que masquer. De voleurs déterminés, ils
deviennent seulement, lorsqu’ils sont bien élevés, souples et flatteurs comme les fripons ; ils ont la
même adresse, la même subtilité, le même goût pour faire le mal, le même penchant à la petite rapine ;
comme eux ils savent couvrir leur marche, dissimuler leur dessein, épier les occasions, attendre, choisir,
saisir l’instant de faire leur coup, se dérober ensuite au châtiment, fuir et demeurer éloignés
jusqu’à ce qu’on les rappelle. Ils prennent aisément des habitudes de société, mais jamais des mœurs : ils n’ont que l’apparence de l’attachement ; on le voit à leurs mouvements obliques, à leurs yeux
équivoques ; ils ne regardent jamais en face la personne aimée ; soit défiance ou fausseté, ils prennent
des détours pour en approcher, pour chercher des caresses auxquelles ils ne sont sensibles que pour le
plaisir qu’elles leur font. Bien différent de cet animal fidèle, dont tous les sentiments se rapportent à
la personne de son maître, le chat paraît ne sentir que pour soi, n’aimer que sous condition, ne se
prêter au commerce que pour en abuser ; et par cette convenance de naturel, il est moins incompatible avec
l’homme, qu’avec le chien dans lequel tout est sincère[L 2].
La forme du corps et le tempérament sont
d’accord avec le naturel, le chat est joli, léger, adroit, propre et voluptueux ; il aime ses aises, il
cherche les meubles les plus mollets pour s’y reposer et s’ébattre : il est aussi
[5]
très-porté à l’amour, et, ce qui est rare dans les animaux, la femelle paraît être plus ardente que le
mâle ; elle l’invite, elle le cherche, elle l’appelle, elle annonce par de hauts cris la fureur de ses
desirs, ou plutôt l’excès de ses besoins, et lorsque le mâle la fuit ou la dédaigne, elle le poursuit,
le mord, et le force pour ainsi dire à la satisfaire, quoique les approches soient toujours accompagnées
d’une vive douleur[1]. La chaleur dure neuf ou dix jours, et n’arrive que dans des temps marqués ; c’est ordinairement deux fois par an, au printemps et en automne, et souvent aussi trois fois, et même
quatre. Les chattes portent cinquante-cinq ou cinquante-six jours ; elles ne produisent pas en aussi grand
nombre que les chiennes ; les portées ordinaires sont de quatre, de cinq ou de six. Comme les mâles sont
sujets à dévorer leur progéniture, les femelles se cachent pour mettre bas, et lorsqu’elles craignent
qu’on ne découvre ou qu’on n’enlève leurs petits, elles les transportent dans des trous et dans
d’autres lieux ignorés ou inaccessibles ; et après les avoir allaités pendant quelques semaines, elles
leur apportent des souris, de petits oiseaux, et les accoutument de bonne heure à manger de la chair ; mais
par une bizarrerie difficile à comprendre, ces mêmes mères, si soigneuses et si tendres, deviennent
quelquefois cruelles, dénaturées, et dévorent aussi leurs petits qui leur étaient si chers.
Les jeunes chats sont gais, vifs, jolis, et seraient
[6]
aussi très-propres à amuser les enfants si les coups de patte n’étaient pas à craindre ; mais leur
badinage, quoique toujours agréable et léger, n’est jamais innocent, et bientôt il se tourne en malice
habituelle ; et comme ils ne peuvent exercer ces talents avec quelque avantage que sur les plus petits animaux,
ils se mettent à l’affût près d’une cage, ils épient les oiseaux, les souris, les rats, et deviennent
d’eux-mêmes, et sans y être dressés, plus habiles à la chasse que les chiens les mieux instruits. Leur
naturel, ennemi de toute contrainte, les rend incapables d’une éducation suivie. On raconte néanmoins que
des moines grecs[2] de l’île de Chypre avoient dressé des chats à chasser, prendre et tuer les
serpents dont cette île était infestée, mais c’était plutôt par le goût général qu’ils ont pour la
destruction, que par obéissance qu’ils chassaient ; car ils se plaisent à épier, attaquer et détruire
assez indifféremment tous les animaux faibles, comme les oiseaux, les jeunes lapins, les levreaux, les rats,
les souris, les mulots, les chauve-souris, les taupes, les crapauds, les grenouilles, les lézards et les
serpents. Ils n’ont aucune docilité, ils manquent aussi de la finesse de l’odorat, qui dans le chien sont
deux qualités éminentes ; aussi ne poursuivent-ils pas les animaux qu’ils ne voient plus, ils ne les
chassent pas, mais ils les attendent, les attaquent par surprise, et après s’en être joués long-temps ils
les tuent sans aucune nécessité, lors même qu’ils
[7]
sont le mieux nourris et qu’ils n’ont aucun besoin de cette proie pour satisfaire leur appétit.
La cause
physique la plus immédiate de ce penchant qu’ils ont à épier et surprendre les autres animaux, vient de
l’avantage que leur donne la conformation particulière de leurs yeux. La pupille dans l’homme, comme dans
la plupart des animaux, est capable d’un certain degré de contraction et de dilatation ; elle s’élargit
un peu lorsque la lumière manque, et se rétrécit lorsqu’elle devient trop vive. Dans l’œil du chat et
des oiseaux de nuit, cette contraction et cette dilatation sont si considérables, que la pupille, qui dans
l’obscurité est ronde et large, devient au grand jour longue et étroite comme une ligne, et dès lors ces
animaux voient mieux la nuit que le jour, comme on le remarque dans les chouettes, les hiboux, etc. car la
forme de la pupille est toujours ronde dès qu’elle n’est pas contrainte. Il y a donc contraction
continuelle dans l’œil du chat pendant le jour, et ce n’est, pour ainsi dire, que par effort qu’il voit
à une grande lumière ; au lieu que dans le crépuscule, la pupille reprenant son état naturel, il voit
parfaitement, et profite de cet avantage pour reconnoître, attaquer et surprendre les autres animaux.
On ne peut pas dire que les chats, quoiqu’habitants de nos maisons, soient des animaux entièrement domestiques ;
ceux qui sont le mieux apprivoisés n’en sont pas plus asservis : on peut même dire qu’ils sont
entièrement libres, ils ne font que ce qu’ils veulent, et rien, au
[8]
monde ne serait capable de les retenir un instant de plus dans un lieu dont ils voudroient s’éloigner.
D’ailleurs la plupart sont à demi-sauvages, ne connoissent pas leurs maîtres, ne fréquentent que les
greniers et les toits, et quelquefois la cuisine et l’office, lorsque la faim les presse. Quoiqu’on en
élève plus que de chiens, comme on les rencontre rarement, ils ne font pas sensation pour le nombre, aussi
prennent ils moins d’attachement pour les personnes que pour les maisons : lorsqu’on les transporte à des
distances assez considérables, comme à une lieue ou deux, ils reviennent d’eux-mêmes à leur grenier, et
c’est apparemment parce qu’ils en connoissent toutes les retraites à souris, toutes les issues, tous les
passages, et que la peine du voyage est moindre que celle qu’il faudroit prendre pour acquérir les mêmes
facilités dans un nouveau pays. Ils craignent l’eau, le froid, et les mauvaises odeurs ; ils aiment à se
tenir au soleil, ils cherchent à se gîter dans les lieux les plus chauds, derrière les cheminées ou dans
les fours ; ils aiment aussi les parfums, et se laissent volontiers prendre et caresser par les personnes qui
en portent : l’odeur de cette plante que l’on appelle l’Herbe aux-chats[L 3], les remue si fortement
et si délicieusement, qu’ils en paraissent transportés de plaisir. On est obligé, pour conserver cette
plante dans les jardins, de l’entourer d’un treillage fermé ; les chats la sentent de loin, accourent
pour s’y frotter, passent et repassent si souvent par-dessus, qu’ils la détruisent en peu de temps.
[9]
A quinze ou dix-huit mois, ces animaux ont leur accroissement ; ils sont aussi en état d'engendrer avant l'âge d'un an, et peuvent s'accoupler pendant toute leur vie , qui ne s’étend guère au delà de neuf ou dix ans ; ils sont cependant très durs, très vivaces, et ont plus de nerf et de ressort que d'autres animaux qui vivent plus longtemps.
Les chats ne peuvent mâcher que lentement et difficilement, leurs dents font si courtes et si mal posées qu'elles ne leur servent qu'à déchirer et non pas à broyer les aliments ; aussi cherchent-ils de préférence les viandes les plus tendres, ils aiment le poisson et se mangent cuit ou cru ; ils boivent fréquemment ; leur sommeil est léger, et ils dorment moins qu'ils ne font semblant de dormir ; ils marchent légèrement, presque toujours en silence et sans faire aucun bruit ; ils se cachent et s'éloignent pour rendre leurs excréments et les recouvrent de terre. Comme ils sont propres et que leur robe est toujours sèche et lustrée, leur poil s'électrise aisément, et l'on en voit sortir des étincelles dans l'obscurité lorsqu'on le frotte avec la main : leurs yeux brillent aussi dans les ténèbres, à peu près comme les diamants, qui réfléchissent au dehors pendant la nuit la lumière dont ils se sont, pour ainsi dire, imbibés pendant le jour[L 4].
Chats sauvages, chats domestiques, variantes régionales
Le chat sauvage produit avec le chat domestique, et tous deux ne sont par conséquent qu'une seule et même espèce: il n'est pas rare
de voir des chats mâles
[10]
et femelles quitter les maisons dans le temps de la chaleur pour aller dans les bois chercher les chats sauvages, et revenir ensuite à leur habitation; c'est par cette raison que quelques-uns de nos chats domestiques ressemblent tout-à-fait aux chats sauvages; la différence la plus réelle est à l'intérieur [3],
le chat domestique a ordinairement les boyaux beaucoup plus longs que le chat sauvage,
cependant le chat sauvage est plus fort et plus gros que le chat domestique, il a toujours les lèvres noires , les
oreilles plus roides,
la queue plus grosse et les couleurs constantes. Dans ce climat on ne connait qu'une espèce de chat sauvage,
et il parait par le témoignage des
voyageurs que cette espèce se retrouve aussi dans presque tous les climats sans être sujette à de grandes variétés : il y en avait dans le continent du nouveau Monde avant qu on en eut fait la découverte ; un chasseur en porta un qu'il avait pris dans les bois, à Christophe Colomb [4], ce chat était d'une grosseur ordinaire, il avait le poil gris-brun, la queue très longue et très forte. Il y avoit aussi de ces chats sauvages au Pérou [5], quoiqu'il n'y en est point de domestiques; il en a en Canada [6], dans le pays des Illinois , etc. On en a vu dans plusieurs endroits de l'Afrique, comme en Guinée [7], à la Cote-d'or, à
[11]
Madagascar[8]où les naturels avaient même des chats domestiques,
au cap de Bonne-espérance [9]où Kolbe dit qu'il se trouve aussi des chats sauvages de couleur bleue, quoiqu'en petit nombre : ces chats bleus , ou plutôt couleur d'ardoise, se retrouvent en Asie.
- « Il y a en Perse , dit Pietro della Valle[10] une espece de chats qui sont proprement de la province du Chorazan ; leur grandeur et leur forme est comme celle du chat ordinaire ; leur beauté consiste dans leur couleur & dans leur poil, qui est gris sans aucune moucheture et sans nulle tâche, d'une même couleur par le corps, une si ce n'est qu'elle est un peu plus obscure sur le dos et sur la tête, et plus claire sur la poitrine et sur le ventre, qui va quelquefois jusqu'à la blancheur, avec ce tempérament agréable de clair-obscur, comme parlent les Peintres, qui mêlés l'un dans l'autre, font un merveilleux effet : de plus leur poil est délié fin, lustré, mollet, délicat comme la soie, et si long, que quoiqu'il ne soit pas hérissé, mais couché, il est annelé en quelques endroits et particulièrement sous la gorge. Ces chats sont entre les autres chats ce que les barbets sont entre les chiens : le plus beau de leur corps est la queue qui est fort longue et toute couverte de poils longs de cinq ou six doigts ; ils l'étendent et la renversent sur leur dos comme font les écureuils la pointe en haut en
[12] forme de panache; ils font fort prives: les Portugais en ont porté de Perfe jufqu'aux Indes. »
Pietro della Valle ajoute qu'il en avait quatre couples , qu'il comptait porter en Italie.
On voit par cette description que ces chats de Perse ressemblent nous appelons chats chartreux, et qu'à la couleur près ils ressemblent parfaitement a ceux que nous appelons chats d'Angora.
II est donc vraisemblable que les chats du Chorazan en Perse, le chat d'Angora en Syrie le chat chartreux ne sont qu'une même race, dont la beauté vient de l'influence particulière du climat de Syrie, comme les chats d'Espagne, qui font rouges, blancs et noirs, et dont le poil est aussi très doux et très lustré, doivent cette beauté a l'influence du climat de 1'Espagne.
On peut dire en général, que de tous les climats de la terre habitable, celui d'Espagne et celui de Syrie sont les plus favorables à ces belles variétés de la Nature : les moutons les chèvres, les chiens, les chats, les lapins, etc. ont en Espagne et en Syrie la plus belle laine, les plus beaux et les plus longs poils, les couleurs les plus agréables et les plus variées; il semble que ce climat adoucisse la nature et embellisse la forme de tous les animaux. Le chat sauvage a les couleurs dures et le poil un peu rude, comme la pluspart des autres animaux sauvages; devenu domestique , le poil s'est radouci, les couleurs ont varié, dans le climat favorable du Chorazan et de la Syrie le poil est devenu plus long, plus fin, plus fourni, et les couleurs se sont uniformément
[13]
adoucies, le noir et le roux sont devenus d’un brun-clair, le gris-brun est devenu gris-cendré, et en
comparant un chat sauvage de nos forêts avec un chat chartreux, on verra qu’ils ne diffèrent en effet que
par cette dégradation nuancée de couleurs ; ensuite, comme ces animaux ont plus ou moins de blanc sous le
ventre et aux côtés, on concevra aisément que pour avoir des chats tout blancs et à longs poils, tels que
ceux que nous appelons proprement chats d’Angora, il n’a fallu que choisir dans cette race adoucie
ceux qui avoient le plus de blanc aux côtés et sous le ventre, et qu’en les unissant ensemble on sera
parvenu à leur faire produire des chats entièrement blancs comme on l’a fait aussi pour avoir des lapins
blancs, des chiens blancs, des chèvres blanches, des cerfs blancs, des daims blancs, etc. Dans le chat
d’Espagne, qui n’est qu’une autre variété du chat sauvage, les couleurs, au lieu de s’être
affoiblies par nuances uniformes comme dans le chat de Syrie, se sont, pour ainsi dire, exaltées dans le
climat d’Espagne et sont devenues plus vives et plus tranchées, le roux est devenu presque rouge, le brun
est devenu noir, et le gris est devenu blanc. Ces chats, transportés aux îles de l’Amérique ont conservé
leurs belles couleurs et n’ont pas dégénéré :
- « il y a aux Antilles, dit le P. du Tertre, grand nombre de chats, qui vraisemblablement y ont été apportés par les Espagnols ; la plupart sont marqués de roux, de blanc et de noir : plusieurs de nos François, après en avoir mangé la chair, emportent les peaux en
[14]France pour les vendre. Ces chats, au commencement que nous fumes dans la Guadeloupe, étoient tellement accoutumés à se repaître de perdrix, de tourterelles, de grives et d’autres petits oiseaux, qu’ils ne daignoient pas regarder les rats ; mais le gibier étant actuellement fort diminué, ils ont rompu la trève avec les rats, ils leur font bonne guerre [11], etc. ».
En général les chats ne sont pas, comme les chiens, sujets à s’altérer et à dégénérer lorsqu’on les transporte dans les climats chauds.
- « Les chats d’Europe, dit Bosman, transportés en Guinée, ne sont pas sujets à changer comme les chiens, ils gardent la même figure[12], etc. »
Ils sont en effet d’une nature beaucoup plus constante, et
comme leur domesticité n’est ni aussi entière, ni aussi universelle, ni peut-être aussi ancienne que
celle du chien, il n’est pas surprenant qu’ils aient moins varié. Nos chats domestiques, quoique
différents les uns des autres par les couleurs, ne forment point de races distinctes et séparées ; les seuls
climats d’Espagne et de Syrie, ou du Chorazan, ont produit des variétés constantes et qui se sont
perpétuées : on pourroit encore y joindre le climat de la province de Pe-chi-ly à la Chine, où il y a des
chats à longs poils avec les oreilles pendantes, que les dames Chinoises aiment beaucoup[13] . Ces
chats domestiques
[15]
à oreilles pendantes, dont nous n’avons pas une plus ample description, sont sans doute encore plus
éloignés que les autres qui ont les oreilles droites, de la race du chat sauvage, qui néanmoins est la race
originaire et primitive de tous les chats.
Nous terminerons ici l’histoire du chat, et en même temps l’histoire des animaux domestiques. Le cheval, l’âne, le bœuf, la brebis, la chèvre, le cochon, le chien et le chat sont nos seuls animaux domestiques : nous n’y joignons pas le chameau, l’éléphant, le renne et les autres, qui, quoique domestiques ailleurs, n’en sont pas moins étrangers pour nous, et ce ne sera qu’après avoir donné l’histoire des animaux sauvages de notre climat que nous parlerons des animaux étrangers. D’ailleurs, comme le chat n’est, pour ainsi dire, qu’à demi-domestique, il fait la nuance entre les animaux domestiques et les animaux sauvages ; car on ne doit pas mettre au nombre des domestiques des voisins incommodes tels que les souris, les rats, les taupes, qui, quoiqu’habitans de nos maisons ou de nos jardins, n’en sont pas moins libres et sauvages, puisqu’au lieu d’être attachés et soumis à l’homme ils le fuient, et que dans leurs retraites obscures ils conservent leurs mœurs, leurs habitudes et leur liberté toute entière.
On a vu dans l’histoire de chaque animal domestique, combien l’éducation,
l’abri, le soin, la main de l’homme influent sur le naturel, sur les mœurs, et même sur la forme des
animaux. On a vu que ces causes, jointes à
[16]
l’influence du climat, modifient, altèrent et changent les espèces au point d’être différentes de ce
qu’elles étoient originairement, et rendent les individus si différens entr’eux, dans le même temps et
dans la même espèce, qu’on auroit raison de les regarder comme des animaux différens, s’ils ne
conservoient pas la faculté de produire ensemble des individus féconds, ce qui fait le caractère essentiel
et unique de l’espèce. On a vu que les différentes races de ces animaux domestiques suivent dans les
différens climats le même ordre à peu-près que les races humaines ; qu’ils sont, comme les hommes, plus
forts, plus grands et plus courageux dans les pays froids, plus civilisés, plus doux dans le climat
tempéré, plus lâches, plus foibles et plus laids dans les climats trop chauds ; que c’est encore dans les
climats tempérés et chez les peuples les plus policés que se trouvent la plus grande diversité, le plus
grand mélange et les plus nombreuses variétés dans chaque espèce ; et ce qui n’est pas moins digne de
remarque, c’est qu’il y a dans les animaux plusieurs signes évidens de l’ancienneté de leur esclavage : les oreilles pendantes, les couleurs variées, les poils longs et fins, sont autant d’effets produits par
le temps, ou plutôt par la longue durée de leur domesticité. Presque tous les animaux libres et sauvages
ont les oreilles droites ; le sanglier les a droites et roides, le cochon domestique les a inclinées et
demi-pendantes. Chez les Lappons, chez les Sauvages de l’Amérique, chez les Hottentots, chez les Nègres et
les autres peuples non
[17]
policés, tous les chiens ont les oreilles droites ; au lieu qu’en Espagne, en France, en Angleterre, en
Turquie, en Perse, à la Chine et dans tous les pays civilisés, la plupart les ont molles et pendantes. Les
chats domestiques n’ont pas les oreilles si roides que les chats sauvages, l’on voit qu’à la Chine, qui
est un empire très-anciennement policé et où le climat est fort doux, il y a des chats domestiques à
oreilles pendantes. C’est par cette même raison que la chèvre d’Angora, qui a les oreilles pendantes,
doit être regardée entre toutes les chèvres comme celle qui s’éloigne le plus de l’état de nature :
l’influence si générale et si marquée du climat de Syrie, jointe à la domesticité de ces animaux chez
un peuple très-anciennement policé, aura produit avec le temps cette variété, qui ne se maintiendroit pas
dans un autre climat. Les chèvres d’Angora nées en France n’ont pas les oreilles aussi longues ni aussi
pendantes qu’en Syrie, et reprendraient vraisemblablement les oreilles et le poil de nos chèvres après un
certain nombre de générations.
Notes de la partie rédigée par Buffon
- ↑ [page 5, note *] Voyez ci-après la description des parties de la génération du chat.
- ↑ [page 6, note *] Description des Isles de l’Archipel, par Dapper, page 51.
- ↑ [page 10, note a] Voyez ci-après la description des chats.
- ↑ [page 10, note b] Vie de Christophe Colomb, IIe partie. page 167.
- ↑ [page 10, note c] Histoire des Incas, tome II, page 121.
- ↑ [page 10, note d] Histoire de la nouvelle France, par le P. Charlevoix . tome III, page 407.
- ↑ [page 10, note e] Hiftoire générale des voyages, par M. 1'Abbé Prevot, tome IV, page 230.
- ↑ [page 11, note a] Relation de Francois Cauche. Paris, 1651, page 225.
- ↑ [page 11, note b] Description du Cap de Bonne-esperance, par Kolbe, page 49.
- ↑ [page 11, note c] Voyage de Pietro della Valle, tome V, pages 98, 99
- ↑ [page 14, note a]Hist. gén. des Antilles, par le P. du Tertre, tome II, page 306.
- ↑ [page 14, note b] Voyage de Guinée, par Bosman, page 2403.
- ↑ [page 14, note c] Histoire générale des voyages, par M. l’abbé Prevôt, tome VI, page 10.
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Description du chat (par Monsieur Daubenton)
Dans le Cabinet du Roi
Notes complémentaires
Dans l'édition de Jean-Marie de Lanessan :
- ↑ Le chat est un Carnivore digitigrade de la famille des Félides, caractérisée par des doigts armés de griffes recourbées, tranchantes, très rétractiles. Nos Chats domestiques (Félis domesticea L.) descendent très probablement du Felis maniculata de l'Afrique du Nord.
- ↑ Le tableau que Buffon trace du caractère du chat est beaucoup noirci. Le chat est beaucoup plus susceptible d'affection que ne le dit Buffon ; il connaît fort bien ses maîtres et les personnes qui lui donnent des soins, et il leur rend en caresses les services qu'il en reçoit.
- ↑ On donne le nom d'Herbe-aux-chats au Nepeta cataria L., dont l'odeur forte est recherchée des chats ; mais je crois que Buffon fait plutôt allusion ici à la Valériane, dont la souche et les racines provoquent chez les chats une très vive excitation.
- ↑ Ni les diamants ni les yeux des chats ne brillent dans l'obscurité complète; mais il suffit qu'une très faible lumière frappe les uns et le tapis des autres pour qu'ils la réfléchissent. Le tapis est une partie de la choroïde ou membrane vasculaire pigmentée qui tapisse l'oeil.
Dans les suppléments
Voir aussi
- Lien externes