Considérations générales sur l'état des sciences (1833) Sophie Germain/Notice Sophie Germain

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Théorème de Pythagore réédition diplomatique à partir de Gallica
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Cette page introduit une étude sur Sophie Germain réalisée par Guillaume Libri en 1836.

Texte intégral


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NOTICE

SUR

M"" SOPHIE GERMAIN.

Mademoiselle Sophie Germain, née à Paris le 1er avril 1776, et morte le 17 juin 1831, fut une de ces femmes destinées à montrer, par des travaux sévères, que l'intelligence de leur sexe ne cède en rien à celle du nôtre.

Dès sa plus tendre enfance, elle se voua à l'étude des mathématiques. Le motif qui détermina sa vocation mérite d'être raconté. Encore enfant, à l'age de treize ans, mademoiselle Germain fut frappée des approches d'une révolution, dont on l'entendit, dès le commencement, prédire l'étendue , et vers laquelle ses idées étaient continuellement ramenées par les conversations qui avaient lieu chez son père, membre de l'Assemblée Constituante. Elle sentait qu'une occupation forte et soutenue pourrait seule faire diversion à ses craintes, lorsque le hasard mit sous ses yeux l'Histoire des mathématiques de Montcula[NDLR 1], où elle lut la mort d'Archimède , que ni la prise de Syracuse, ni le glaive levé du soldat ennemi, n'avaient pu distraire de ses méditations géométriques. Aussitôt le choix de la jeune Sophie est arrêté pour une science dont elle connaît à peine le nom. Sans maître, sans autre guide qu'un Bezout[NDLR 2] trouvé dans la bibliothèque de son père; surmontant tous les obstacles par lesquels sa famille essaya d'abord d'entraver un goût extraordinaire pour son âge, non moins que pour son sexe ; se relevant la nuit par un froid tel que l'encre gela souvent dans son écritoire; travaillant enveloppée de couvertures,


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et a la lueur d'une lampe, quand, pour la forcer à reposer, ou ôtait de sa chambre le feu, les vêtements et les bougies; c'est ainsi qu'elle donna la première preuve d'une passion qu'on eut dès lors la sagesse de ne plus contrarier.

Nous l'avons souvent entendue parler du bonheur dont elle jouit, lorsque, après de longs efforts, elle put se persuader qu'elle comprenait le langage de l'analyse. Après Bezout, elle étudia le calcul différentiel de Cousin. Ce fut absorbée dans ces travaux qu'elle traversa la Terreur.

Lors de la création des Écoles normale et polytechnique, elle se procura des cahiers des leçons de divers professeurs. La chimie de Fourcroy et l'analyse de Lagrange fixèrent spécialement son attention. A cette époque, les professeurs, à la fin de leurs cours, avaient l'excellente habitude d'engager les élèves à leur présenter des observations par écrit. Mademoiselle Germain, sous le nom d'un élève de l'École polytechnique, envoya les siennes à Lagrange, qui en fit l'éloge , et qui, ayant ensuite appris le véritable nom de l'auteur, vint chez elle lui témoigner son étonnement dans les termes les plus flatteurs.

L'apparition d'une jeune géomètre fit beaucoup de bruit; et mademoiselle Germain ne tarda pas à voir venir chez elle des savatis d'un mérite supérieur, dont les conversations fournirent des aliments à son esprit.

Depuis la publication de l'ouvrage de M. Legendre sur la Théorie des nombres, en 1798, elle se livra avec une passion constante à l'étude de cette théorie. Plus tard, quand parurent les Recherches arithmétiques de M. Gauss, frappée de l'originalité des œuvres du célèbre professeur de Gœttitiguc, elle y trouva un nouveau stimulant vers ce genre d'analyse. Après de nombreuses recherches sur ce sujet, elle entra, encore sous le nom supposé d'un ancien élève de l'École polytechnique, en correspondance avec l'auteur, qui


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répondit au géomètre inconnu de la manière la plus honorable. Cette correspondance se continuait ainsi depuis plusieurs années, lorsque survint une circonstance qui fit découvrir la pseudonymie. Pendant la campagne d'Iéna, mademoiselle Germain recommanda M. Gauss à un ami de sa famille , M. le général Pernetty, qui coanmandait l'artillerie quand les Français occupèrent la ville de Brunswick , où résidait l'illustre auteur; et les explications qui s'ensuivirent entre le général et le savant apprirent à ce dernier le nom et le sexe de son correspondant. Nous avons vu la lettre que mademoiselle Germain reçut alors de M. Gauss : elle contient l'expression de la reconnaissance et de l'admiration la plus vive.

Jusque là mademoiselle Germain n'avait rien publié. Il se présenta une occasion remarquable qui la fit connaître comme auteur. Un physicien allemand, Chladni, vint à Paris répéter ses expériences curieuses sur les vibrations des lames élastiques. Elles firent sensation. Napoléon , devant qui elles eurent lieu, s'y intéressa vivement, regretta qu'elles ne fussent point soumises au calcul, et fit proposer, à cet effet, un prix extraordinaire à l'Institut. Mais les géomètres furent tous découragés par un mot de Lagrange, qui avait dit qu'il faudrait, pour la solution de cette question, un nouveau genre d'analyse. Mademoiselle Germain, malgré l'imposante autorité du géomètre de Turin , ne désespéra point du succès. Elle étudia les phénomènes de mille manières, y appliqua l'analyse, et envovi au concours un Mémoire, où elle donnait une équation du mouvement des surfaces élastiques.

Mais la manière dont elle avait appris l'analyse , en suivant son seul instinct, sans faire jamais un cours régulier et complet, ne lui permit pas , malgré toute sa sagacité, de résoudre complètement la question. Cependant elle avait


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ouvert le champ aux recherches et Lagrange tira du mémoire de mademoiselle Germain l'équation exacte. La classe reconnut que l'auteur ( anonyme ) avait fait preuve de beaucoup do mérite ; et, afin de l'encourager à tenter de nouveaux efforts, on reproduisit la question pour le concours suivant. Cette fois, mademoiselle Germain, sans remporter encore le prix, fut plus heureuse; elle obtint la mention honorable. Enfin, un troisième concours fut ouvert, où son Mémoire fut couronné, en 1816.

Ce fut un événement Important dans la science que la découverte des équations qui expriment la vibrations des surfaces élastiques. En 1824, à l'instigation de MM. Fourrier et Legendre, mademoiselle Germain publia les Recherches sur la théorie des surfaces élastiques où elle exposa les fondements de son analyse. En 1896, elle donna un nouveau Mémoire sur la nature, les bornes et l'étendue de la question des mêmes surfaces. Poursuivant en même temps ses travaux sur la théorie des nombres, elle avait essayé de démontrer le théorème de Fermat ; et, à cette occasion, elle trouva de beaux théorèmes numériques, qui ont mérité d'être insérés par M. Legendre dans un supplément à la seconde édition de sa Théorie des nombres.

En 1828, elle inséra dans les Annales de physique et de chimie un article où elle discutait les principes do son analyse sur les surfaces élastiques.

Quand éclata la révolution de Juillet, eUe ae réfugia dans son cabinet comme elle l'avait fait lors de celle de 89 ; et eu fut pendant la semaine de la bataille que, reprenant d'anciennes idées, elle composa son Mémoire sur la courbure des surfaces qui parut dans les Annales de M. Crelle, à Berlin.

Mais elle avait déjà ressenti, depuis quelque, temps, les atteintes d'un mal terrible, d'un cancer, qui devait la conduire


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au tombeau. Elle attendu et supporta la mort avec une rare constance. Sa philosophie et sa bonté ne se démentirent pas un seul instant, pendant cette longue et affreuse maladie, dans l'intervalle des crises de laquelle elle se livrait toujours à son étude chérie.

Mademoiselle Germain ne s'était pas seulement adonnée à la géométrie ; elle possédait encore une foule de connaissances qui eussent suffi à la réputation d'une autre femme. Elle était très versée dans les sciences naturelles. Elle avait, en outre, appris seule le latin ; non pas pour lui-même, car à ses yeux les langues n'étaient qu’instruments d'étude , mais afin de pouvoir entendre divers ouvrages, notamment ceux de Newton et d'Euler. On a, en outre, trouvé dans ses papiers des réflexions philosophiques très fines ; car elle s'était fort occupée de métaphysique : faisant, disait-elle , beaucoup de cas de l'esprit métaphysique, et fort peu des divers systèmes, qu'elle nommait les romans des intelligences supérieures.

Sa conversation avait un cachet tout particulier. Les caractères frappant en étaient un tact sûr pour saisir à l'instant l'idée-mère, et arriver à la conséquence finale, en franchissant les intermédiaires; une plaisanterie, dont la forme gracieuse et légère voilait toujours une pensée juste et profonde; une habitude, qui lui venait de la variété de ses études , de rapprochements constants entre l'ordre physique et l'ordre moral, qu'elle regardait comme assujettis aux mêmes lois. Si l'on y joint un sentiment coutume! de bienveillance, qui la faisait s'oublier toujours pour ne songer qu'aux autres, on sentira quel en devait être le charme.

Cet oubli d'elle-même, elle le portait dans tout. Elle le portait dans la science, qu'elle cultivait avec une entière abnégation personnelle, sans songer aux avantages que procurent les succès; l'applaudissant même de voir quelquefois ses


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idées fécondée» par d'autres personnes, qui t'en emparaient; répétant souvent que peu importe de qui vient une idée mais seulement jusqu'où elle peut aller; et heureuse, dès que les siennes donnaient leurs fruits pour la science, n'en retirât-elle aucun pour la réputation, qu'elle dédaignait, et nommait plaisamment la gloire des bourgeois, la petite place que nous occupons dans le cerveau d'autrui.

Elle le portait aussi, ce caractère noble, dans ses actions, toujours marquées au coin de la vertu, qu'elle aimait, disait-elle, comme une vérité géométrique. Car elle ne concevait pas qu'on pût aimer les idées d'ordre dans un genre sans les aimer dans un autre) et les idées de justice, de vertu, étaient, suivant ses expressions, des idées d'ordre, que l'esprit devrait adopter, même quand le cœur ue les ferait pas chérir.

Telle fut cette femme supérieure, qui de toutes a poussé le plus loin les études mathématiques : la seule, à notre avis, qui leur ait fait faire des progrès réels. La théorie du ton et l'analyse indéterminée feront long-temps vivre son nom.

Étranger à son pays, mais non à son affection et aux objets de ses travaux, j'ai cru devoir déposer sur la tombe de mademoiselle Germain l'hommage de mes profonds regrets et de mon admiration.

G. LIBRI
Membre de l'académie des sciences

Notes de la rédaction

  1. Nous avons conservé l'orthographe du patronyme
  2. En fait Étienne Bézout a écrit plusieurs ouvrages comme par exemple un Cours de mathématiques à l'usage des gardes du pavillon et de la marine, .

Voir aussi

Notes