Considérations générales sur l'état des sciences (1833) Sophie Germain/Avis éditeur

De Wicri Mathématiques
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Cette page contient une note rédigée par Armand Lherbette pour introduire une œuvre posthume de Sophie Germain.

Texte original


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AVIS DE L'ÉDITEUR.

Ces feuilles, trouvées dans les papiers de mademoiselle Germain, n'étaient pas destinées à l'impression. Elle les avait écrites dans les instans où les vives douleurs auxquelles elle a succombé ne lui permettaient pas de se livrer à l'étude des sciences mathématiques, qui l'ont illustrée. Uni à elle par les liens de l'affection, plus encore que par ceux d'une proche parenté, nous avons cru, en publiant cet opuscule, remplir un devoir pieux envers sa mémoire.

Il est à regretter que le temps lui ait manqué pour y mettre la dernière main. Elle en eût fait disparaître des négligences de style et quelques autres défauts, inséparables d'une production de premier jet. Les proportions entre les différentes parties de l'ouvrage eussent été mieux observées; et des divisions plus multipliées eussent offert des points de repos à l'attention du lecteur.

Il était facile de corriger ces légères imperfections. Mais, à moins que le besoin de clarté n'en fasse une loi impérieuse, l'éditeur doit respecter non seulement la nature et l'ordre des idées, mais encore jusqu'au plus simple arrangement de mots.


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Car les mots, pour qui sait sentir, penser et s'exprimer, se placent naturellement suivant leurs degrés d'importance : et, si une même phrase peut, indifféreanment pour le lecteur, être tournée de plusieurs manières, elle ne peut l'être que d'une seule pour offrir le calque des impressions de l'auteur. Que sont d'ailleurs de faibles taches dans une œuvre non moins remarquable par la profondeur de la pensée que par le charme d'un style qui sait à la fois revêtir d'élégance les déductions sévères de la logique et donner une précision mathématique à des objets de goût?

L'auteur, développant les principes féconds de l'analogie entre toutes les opérations de l'esprit, fait tomber la barrière élevée entre le domaine de l'imagination et celui de la raison. Elle montre que, dans nos conceptions les plus diverses, nous sommes toujours guidés par la prévision de certains résultats, vers lesquels tendent tous ses efforts : que dans tous les sujets d'étude, nos recherches, dirigées vers un même but, se font par des procédés qui sont aussi les mêmes, d'après une méthode constante : que toutes nos connaisances sont dominées par un sentiment commun, celui d'ordre et de proportions, régulateur de tout mouvement intellectuel, et s'enchaînent par des rapports, dont un seul, bien constaté, en annonce nécessairement beaucoup d'autres. C'est ainsi que,


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dans les lettres et les arts, se ressemblent les arrêts de la raison et les oracles du goût. C'est ainsi encore que sont unis, par les mêmes lois, l'ordre physique et l'ordre moral. De ce point de vue, on distingue comment, par l'analogie, l'esprit humain a été conduit à l'idée des dieux, de l'âme, des religions. Ses erreurs ont toujours un fond de vérité : parceque, pour lui, l'ordre, les proportions, la simplicité, ne cessent jamais d'être des nécessités; règles du bien dans les choses morales, sources du vrai dans les choses intellectuelles, caractères du beau dans les choses de pur agrément.

Des principes de l'auteur découle cette idée consolante que, toujours et dans tout, les forces perturbatrices sont fonctions du temps, et doivent, après un intervalle, généralement fort court, s'anéantir, pour faire place à la régularité, qui tend à s'établir dans tout système, de quelque nature qu'il soit. Alors la morale et la politique nont presque des sciences exactes, et la vertu devient une vérité géométrique.

A ces aperçus philosophiques succèdent des réflexions littéraires, où la justice, rendue à la tendance nouvelle, n'empêche pas d'apprécier les formes aimables de nos devanciers, que, dans notre prédilection pour le grave ét l'exact, nous dédaignons trop aujourd'hui; oubliant que la grâce a son positif, comme le positif a sa grâce.


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Enfin quelques coups de pinceau, largement jetés dans ce tableau, esquissent l'avenir de la littérature, où l'imagination, maîtrisée par la science, et échauffée par la vérité, comme elle le fut autrefois par l'erreur, au lieu de créer l'univers suivant les caprices de nos volontés, déploiera la richesse de ses couleurs pour le peindre tel qu'il est, dans sa réalité et dans son ensemble.

Cet opuscule est curieux aussi comme étude de la manière de l'auteur. Il fera mieux sentir le mérite de la notice nécrologique insérée par M. G. Libri dans le Journal des Débats du 18 mai 1832, et que noua avons cru devoir reproduire.

Les pages où mademoiselle Germain explique la marche du génie, qui s'élance au but eu franchissant les intermédiaires, et devine avant de pouvoir démontrer, sont le tracé de l'itinéraire qu'elle-même a suivi dans ses travaux. Elles sembleraient écrites de mémoire. Ainsi, dès que Chladni eut répété à Paria ses célèbres expériences dont la loi mathématique devint aussitôt l'objet des recherches, elle s'écria, en se frapppant le front : « je l'ai trouvée ; mais je ne puis encore l'expliquer. Elle est là; Il ne s'agit plus que de l'en faire sortir. a Et il en sortit effectivement une théorie, qui remporté le prix proposé par l'Institut

A ce sujet, mademoiselle Germain disait, en riant, qu'elle savait les mathématiques par sentiment


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comme une autre avait su le grec. Mais ce qui n'était qu'une plaisanterie pour un genre de connaissances conventionnelles comme les langues, n'est pas sans vérité pour ce qui tient ait raisonnement. C'est que, dans le fait, le sentiment n'est qu'un raisonnement non encore démélé ; c'est que le génie, quand il parait ne pas raisonner, a seulement raisonné trop vite pour être suivi, trop vite pour se suivre lui-même ; c'est que l'imagination et le raisonnement ne sont, comme elle le pensait, que la même faculté procédant avec plus ou moins de rapidité, et se rendant plus ou moins compte de ses opérations.

Lh...

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