La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition populaire/1895/Partie 3/Châtiment de Ganelon/Est dans la cité

De Wicri Chanson de Roland

La note

3736.↑ Est dans la cité, etc. Ici commence dans notre poème le jugement de Ganelon, et nous avons démontré ailleurs que, dans cette procédure, tout est d'origine germaine, tout est emprunté aus lois barbares et aux éléments germaniques de la législation féodale. (Voir notre première édition, II, p. 235 et suiv.)

Emprisonnement préventif et torture

Ganelon, tout d'abord, est soumis â l'emprisonnement préventif, à la torture. Et cette torture consiste en coups de bâton :

« Les serfs l'attachent à un poteau, lui lient les mains avec des courroies de cuir de cerf, et le battent à coups de bâton. »
(V. 3737 et suiv.)

Or ce même supplice se retrouve, comme pénalité, dans les lois de toutes les tribus barbares. Voir la loi des Bavarois (vm, ch. vi), des Burgundes (30 et 33, 2; 4, 4; 5, 6, 38, 63), des Francs Saliens (Constitution de Childebert), des Lombards (Liutprand, 6, 26, c; 6, 88; 6, 50), des Frisons (3, 7), des Wisigoths , etc. Les chiffres qui précèdent sont, comme les suivants, empruntés au recueil de Davoust-Oglou (Histoire de la législation des anciens Germains).

Le plait

Après l'emprisonnement préventif et la torture, s'ouvre le plait (v. 3742 et suiv.). Le tribunal dont il est question dans notre poème n'est autre que l'ancien Placilum palatii, lequel, sous la première race, était, en effet, présidé par le roi. assisté de leudes et d'évêques. Il est vrai qu'on ne voit pas intervenir ces derniers dans notre Chanson; mais toutes les parties du grand Empire y sont représentées par leur baron. Dans noire Chanson comme dans la législation barbare, l'Empereur n'a que le droit de présider le tribunal ou de le faire présider en sa place, et il n'a même pas voix délibérative : « Seigneurs, leur dit Charles, jugez-moi le droit de Ganelon. » (Y. 3751.) Rien ne nous donne ici l'idée d'un tribunal romain : c'est bien la procédure germanique.

Le jugement de Dieu

En troisième lieu, on arrive au jugement de Dieu, ou à l'ordalie (v. 3790 et suiv.). Ici encore, le doute n'est pas possible, ci nous sommes en pleine Germanie. Le campus ou duel esl, on effet, commun à toutes les tri- bus barbares. Voir la loi des Bavarois (17, 1 ; décret. Tass., cap. xi), des Ala- mans (44, 1, 84), des Burgundes (lit.. 80, 1-3), des Lombards (Roth., 164, 165, 166, 108, 203; Grimoald, t. VII), des Thuringiens (15), des Frisons (14, 7; 5, 1), des Saxons (16), des Anglo-Normands. (Guill. i, 1-3; m, 12, etc.)

Début du combat

Le quatrième acte de notre drame épique s'ouvre d'une façon imposante. Sur le point d'engager la lulte, les deux champions se confessent, reçoivent l'absolution, sont bénis par le prêtre, entendent la messe et y reçoivent la communion (v. 3858 et suiv.). Après quoi, le grand combat commence (v. 3862 et suiv.). Ces vers sont conformes à la réalité historique. Quand le champion allait entrer en lice, on célébrait, en effet, la messe de la Résurrection, ou celle de Saint-Etienne, ou celle de la Trinité. Et l'on chaulait ensuite devant lui le symbole de saint Athanase. (Voir le Cérémonial d'une épreuve judiciaire au XIIe siècle , publié par Léopold Delisle.) Et ce qui se passait encore au XIIe siècle, s'était exactement passé de la même façon sous nos deux premières races.

On connaît la fin du combat raconté dans noire poème : Thierri lue Pinabel, el les Ironie otages de Ganelon sont pendus (v. o!i77 el suiv.). 11 convient d'observer que ce terrible châtiment, infligé â la famille du traître et à ses otages, ne se retrouve pas dans les lois barbares; mais le principe de la solidarité de la famille est absolument germain, et la coutume des « pleiges » ou « garants » vient exactement de la même source. = Reste Ganelon ; son supplice est épouvantable (v. 3964 et suiv.), mais conforme â la rigueur du droit féodal , qui est issu du droit germanique. Les Assises de Jérusalem ne laissent aucun doute à cet égard : « Si la bataille est de choses qu'on a mort desservie , et si le garant est vaincu, il et celui pour qui il a fail la bataille seront pendus. » (xxxvn et xciv.) Quant au genre de supplice que l'on fail sublir au traître, c'est l'écartellement, qui n'est pas in- diqué dans les lois germaines, mais qui est le supplice réservé plus tard à tous les traîtres, à ceux qui livrenl leur pays, à ceux qui offensent la majesté du roi.

Les cinq actes de Ganelon

Tels sont les cinq actes de Ganelon, de ce drame épique, et l'on pourrait à ces cinq actes donner pour titres :

  • 1" La Torture.
  • 2° Le Plait.
  • 3° La messe du jugement.
  • 4° Le Duel.
  • 5° Le Supplice.

Nous tenions à suivre avec soin toute la marche de celle procédure criminelle, la plus ancienne que nous rencontrions dans nos Chansons de geste.