La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition classique/1881/Conseils

De Wicri Chanson de Roland
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QUELQUES CONSEILS PRATIQUES


POUR L’ENSEIGNEMENT DU ROLAND



I


Le Conseil supérieur de l’Instruction publique a eu l’heureuse hardiesse de placer enfin la Chanson de Roland au nombre des classiques de l’enseignement secondaire. Nous nous glorifierons toujours de n’avoir pas été étranger à cette réhabilitation de notre épopée nationale, et nous nous estimons suffisamment récompensé par là de plus de vingt années de travail. Mais, si joyeux que nous soyons de cette excellente innovation, il nous convient cependant de dire les choses toiles qu’elles sont, et force nous est d’avouer qu’à l’heure actuelle les professeurs ne sont pas préparés à l’enseignement philologique de la Chanson de Roland, ni, d’une façon plus générale, à la connaissance du vieux français. On ne saurait leur en faire un reproche.

D’un autre côté, le Roland, dont la forme primitive est loin d’offrir la pureté classique, est un de ces textes qu’il faut faire admirer à l’esprit et au cœur des jeunes gens, mais qu’on ne doit pas imposer à leur mémoire.

La meilleure façon d’enseigner notre vieux poème, ce serait, suivant nous, de le lire à haute voix devant les élèves ; ce serait de le lire en une traduction claire, colorée et chaude, au lieu d’aborder le texte original, dont l’accès est encore trop malaisé aux débutants.

Donc, le professeur divisera le Roland en un certain nombre d’épisodes qu’il lira l’un après l’autre et commentera oralement, en imposant seulement à ses élèves la tâche facile de rédiger une analyse sommaire de chacune de ses leçons. C’est le système qui est suivi dans l’enseignement de l’histoire, et il a toujours donné les meilleurs résultats.


II
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Le plus difficile pour le professeur comme pour l’élève, c’est le commentaire. Et c’est ici que, pour nous rendre vraiment utile, nous devons entrer dans le détail.

Ce commentaire oral du Roland devrait, à notre sens, offrir un triple caractère et être à la fois LITTÉRAIRE, HISTORIQUE, ARCHÉOLOGIQUE.


LITTÉRAIRE. Le professeur de seconde (c’est à cette classe que le Roland vient d’être officiellement destiné) connaît à fond son antiquité grecque et latine, et ne manquera pas de comparer le texte du poème français avec celui d’Homère et de Virgile. Il montrera aisément que la supériorité de la forme appartient aux modèles antiques, mais se fera sans doute un devoir d’ajouter que les plus grands génies du vieux monde n’ont pas surpassé notre vieux poète en tout ce qui touche à l’élévation de la pensée et à la beauté des âmes.

HISTORIQUE. Le professeur n’oubliera point que, si le Roland a été introduit dans les études classiques, c’est principalement pour donner aux jeunes gens la notion de la vieille France et pour leur en inspirer l’amour. Comme le disait récemment un critique allemand, « l’avenir même de la France ne peut être sûr et heureux que si l’on relève et fortifie la conscience nationale, en faisant le plus possible de l’ancienne langue et de l’ancienne littérature le lien commun de tous les esprits cultivés. » Et ce même érudit ajoutait, pour nous encourager dans ces études : « Que les Français considèrent combien, en Allemagne, l’étude de l’ancienne langue et de l’ancienne littérature germaniques a contribué à entretenir et à fortifier la conscience nationale. » En se plaçant à ce point de vue, il y a à tirer de la Chanson de Roland cent conclusions nouvelles sur la société française des XIe et XIIe siècles, sur la royauté féodale, sur la chevalerie, sur les idées religieuses et morales de nos pères. Même on pourra remonter jusqu’au Charlemagne de l’histoire, que l’on démêlera soigneusement de celui de la légende, et que l’on n’aura pas de peine à faire mieux connaître et plus admirer.

ARCHÉOLOGIQUE. Ce mot est peut-être prétentieux, et nous voulons seulement exprimer le vœu que le professeur fort élémentairement, puisse expliquer les costumes, les armes, les monuments figurés de l’époque chevaleresque, et en faire passer des représentations exactes sous les yeux de son jeune auditoire. Notre édition lui fournit tous ces éléments.


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Reste l’élément philologique et grammatical. J’ose à peine conseiller aux professeurs d’aborder un enseignement aussi spécial et auquel leur éducation ne les a pas encore préparés. Que si cependant ils se décidaient courageusement à essayer cette tâche un peu rude, je leur demanderais volontiers de se borner à faire faire à leurs élèves une traduction interlinéaire de quelques fragments de notre vieux poème. Nous avons eu soin de leur donner, en notre livre, un modèle de cet excellent exercice, et avons traduit de la sorte les cent premiers vers de l’antique chanson. Aller plus loin serait peut-être téméraire, et c’est dans les Écoles spéciales que les jeunes gens en apprendront plus long... s’ils le désirent.


III


Telles seraient les leçons « pratiques » sur la Chanson de Roland ; mais il semble qu’elles ne suffiraient pas et devraient être précédées ou suivies de quelques leçons « théoriques » sur la poésie épique du moyen âge français, sur la langue et la versification des XIe et XIIe siècles, et sur toute l’histoire externe du Roland. Rien n’est plus indispensable qu’un tel prologue. Pour en venir à bout sans trop de fatigue et de labeur, le professeur n’aurait à consulter que deux ou trois livres : l’Histoire poétique de Charlemagne de M. Gaston Paris et nos Épopées françaises. Nous demandons la permission de leur tracer ici le plan sommaire des vingt leçons (d’une heure chacune) qu’ils pourront sans doute consacrer à notre vieille épopée. Ils voudront bien se persuader que nous n’avons aucunement l’intention de les régenter, mais que nous voudrions seulement les faire profiter de notre expérience.


1re PARTIE. — LEÇONS THÉORIQUES.


1re LEÇON. — Petite histoire de la langue française. Ses origines et ses premiers développements. (Voyez plus loin, pp. 403 et suivantes)

2e LEÇON. — Grammaire très élémentaire de l’ancienne langue française. (Voy. plus loin, pp. 428 et suiv.)

3° LEÇON. — De l’ancienne versification française. (Voy. plus loin, pp. 481 et suiv. Épopées françaises, 2° édition, tome I, pp. 438 et suiv.) — Les plus anciens monuments de la poésie française. Lire à haute voix la traduction de la « Cantilène de sainte Eulalie » de la Passion, du Saint Léger et du Saint Alexis. (Voy. plus loin, pp. 407 et suiv.)

4° et 5° LEÇON. — Ce que c’est qu’une Chanson de geste. (Épopées françaises, 2e éd., t. I, pp. 178-191.) — Lire à haute voix quelques-uns des Morceaux choisis qui font partie de notre Chrestomathie épique. ( Ibid., pp. 479 et suiv.)

6e LEÇON. — La Chanson de Roland. L’histoire et la légende (Voy., plus loin, pp. XI et suiv.)

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7° LEÇON. — La Chanson de Roland (suite). Histoire du vieux poème. Les manuscrits, la langue, la versification ; la grandeur et la décadence. (Voy., plus loin, pp. XIX et suiv.)

8e LEÇON. — La Chanson de Roland ( suite et fin). Le style. ( Ibid., pp. XXX et suiv.)


2° PARTIE. — LEÇONS PRATIQUES (lecture et commentaire oral).


9° LEÇON. — « Le Conseil de Marsile » (vers 1-95). — Les ambassadeurs dans l’antiquité classique et au moyen âge.

10° LEÇON. — « Le Conseil de Charlemagne » (vers 96-865). — Comparer les caractères de l’Iliade avec ceux de Roland, Charlemagne avec Agamemnon, Roland avec Achille, Naimes avec Nestor, etc.

11e LEÇON. — « Le Crime de Ganelon » ( vers 366-702). — Le traître chez tous les peuples.

12e LEÇON. — « Les préludes de la grande bataille » (vers 1017-1187). — Une bataille dans Homère et dans Virgile ; parallèle.

13e LEÇON. — « Le cor » (vers 1091-1850).

14e LEÇON. — « La mort d’Olivier » (vers 1932-2065).

15e LEÇON. — « La dernière bénédiction de l’Archevêque » (vers 2164-2258). — Turpin comparé à Calchas, etc.

16e LEÇON. — « La mort de Roland » ( vers 2259-2396 ).

17e LEÇON. — « La grande douleur de Charlemagne » (vers 2845-2765 ).

18° LEÇON. — « Le châtiment de Ganelon » ( vers 3134-3974 ).

19e LEÇON. — « La mort de la belle Aude » (vers 3505-3733 )

20e LEÇON. — Exercices philologiques très élémentaires. — Traduction interlinéaire. (Voy., plus loin, pp. 587-594.)


Il ne nous reste plus qu’à nous mettre à la disposition de tous ceux qui voudront nous demander quelque direction ou quelques conseils. Rien ne nous coûtera quand nous pourrons être utile à des professeurs intelligents et dévoués, à des Français qui aimeront bientôt la Chanson de Roland autant que nous l’aimons nous-même.


Voir aussi

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