Travail scientifique, Mont des arts (1907)/Otlet

De Histoire de l'IST

L'organisation du travail scientifique au XXe siècle et le Mont des arts et des sciences

Discours de M. Paul Otlet


 
 

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Discours de Paul Otlet


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Discours de M. Paul Otlet,

Secrétaire général de l'Institut International de Bibliographie.
Monsieur le Ministre,
Mesdames,
Messieurs,

Vous nous faites le grand honneur d’assister à l’inauguration des nouvelles installations de la Bibliothèque Collective des Sociétés savantes. Notre première parole doit être pour remercier le gouvernement. C’est à lui que nous devons la jouissance de ces locaux et ces installations perfectionnées qu’y ont faites ses services des bâtiments civils et de l’électricité. Par là il a aidé puissamment à la réalisation d’une institution longtemps désirée : la Bibliothèque Collective des Sociétés savantes.

Qu’est-ce que cette Bibliothèque? C’est un organisme tout nouveau, de nature coopérative et fédérative. Son objet est de grouper les collections de livres et de périodiques appartenant aux associations scientifiques et aux rédactions des grands périodiques qui sont domiciliés à Bruxelles; de mettre ces collections à la disposition de tous les affiliés et d’en confier l’administration à l’Institut International de Bibliographie, agissant de concert avec un Comité de délégués.

Les groupes constituants

Vingt-cinq groupes ont constitué la nouvelle Bibliothèque et mis en commun l’usage d’environ 40,000 unités bibliographiques. Ce sont :

  • Société de Médecine mentale ;
  • Société belge d’Astronomie ;
  • Société belge de Neurologie;
  • Association internationale des Médecins-Experts des Compagnies d’Assurances ;
  • Associations médicales des Accidents du Travail;
  • Cercle belge de la Librairie;
  • Union de la Presse périodique belge;
  • Société belge d’Otologie, etc.;
  • Société centrale d’Agriculture;
  • Société de Médecine légale;
  • Société chimique de Belgique;

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  • Institut de Sociologie Solvay ;
  • Association internationale des Auteurs et Compositeurs;
  • Société belge delà Paix;
  • Club alpin belge ;
  • Journal des Brevets ;
  • Société royale belge de Géographie ;
  • Cercle belge des Collectionneurs de Journaux;
  • Syndicat des Agents de Brevets de Belgique;
  • Ligue belge du Droit des femmes;
  • Commission internationale de l’Enseignement agricole ;
  • L’Indépendance Belge;
  • Commission permanente de l’Association internationale du Congrès des Chemins de Fer;
  • Comité central du Travail industriel;
  • Ligue patriotique contre l’alcoolisme.

Les collections de livres de l’Institut International de Bibliographie sont jointes à la Bibliothèque Collective.

Partie 2, titre à définir

Une administration centralisée va permetre d’effectuer, dans de bonnes conditions, les opérations complexes que nécessite l’organi sation des collections de livres et faute desquelles les bibliothèques corporatives restent inutilisées ou ne s’accroissent point : c’est la possibilité de consulter des ouvrages à toute heure du jour dans des locaux chauffés, éclairés gardés, et spécialement aménagés pour les travailleurs, c’est l’inventaire et le cataloguage, l’envoi à domicile, la demande des ouvrages aux auteurs, la sollicitation continue des dons de livres et d’échanges de périodiques, de manière à constituer des ensembles bien systématiques et tenus à jour de la production contemporaine.

Les sociétés savantes possèdent en leurs Bulletins de puissants moyens d’accroitre sans frais leur bibliothèque à l’intervention du Service international des échanges, en les échangeant avec les bulle tins et périodiques similaires du monde entier. D’autre part, la publi cation régulière d’analyses et comptes-rendus bibliographiques, voire de simples listes classées d’ouvrages spéciaux, peut faire affluer l’envoi des nouveautés par les auteurs et les éditeurs.

Certaines des sociétés affiliées ont de longue date organisé leur service de bibliothèque. Elles peuvent être frères des résultats de leurs persévérants efforts. Avec l’organisation nouvelle il est à espérer qu’elles serviront d’exemple aux autres et qu’ainsi la Bibliothèque Collective ne se bornera pas seulement aux ouvrages actuellement réunis, mais qu’elle fonctionnera à l’avenir comme un organisme approprié à un collectionnement systématique des livres et des revues.

Partie 3, titre à définir

Envisagée au point de vue général, la Bibliothèque Collective est destinée à devenir l’utile complément et l’auxiliaire de la


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Bibliothèque Royale, laquelle fatalement ne peut pas pénétrer dans toutes les spécialités de la science moderne, tandis qu’il appartient aux sociétés savantes constituées de le faire. Pour former les vastes collections de livres nécessaires à notre époque, la coopération se présente comme la formule économique appropriée aux facultés des petits pays, dont les ressources sont nécessairement limitées. Anvers et Liège ont leurs associations amies de la Bibliothèque. Puisse la Bibliothèque Collective assurer le même rôle à l’égard de la Bibliothèque de Bruxelles.

Envisagée au point de vue des sociétés scientifiques, la Biblio thèque Collective est un essai de travail concerté qui ne peut man quer de porter ses fruits. Il répond, en effet, aux tendances de la science moderne d’organiser de plus en plus le travail et d’unifier les méthodes en vue de marcher plus rapidement dans la voie des décou vertes et du progrès. A l’œuvre toujours chanceuse des empiriques la science substitue l’action des collectivités compétentes et stu dieuses.

Envisagée au point de vue de l’Institut International de Biblio graphie, à qui elle fournit une source abondante de documents pour ses travaux, la Bibliothèque collective constitue une des des cinq sec tions de son organisation, laquelle comprend aussi, avec des degrés différents de développement, la Section bibliographique, la Section iconographique, la Section de la documentation et le Service central de renseignements relatifs aux institutions et collections belges concer nant les sciences, les lettres, le livre de l’enseignement.

Partie 4, titre à définir

Les livres de la Bibliothèque Collective ont fait l’objet d’une première mise en place. Ils ont été groupés par fonds dont ils pro viennent et les fonds se succèdent dans l’ordre de la Classification décimale d’après la matière à laquelle ils se rapportent et qui est celle-là même dont s’occupe chaque société affiliée. Ainsi apparaît nettement le caractère encyclopédique qui préside à notre œuvre et le but proposé aux efforts communs. La classification fait connaître à tout moment les branches non encore représentées et ce sera la tâche de demain de négocier de nouvelles affiliations ou de susciter la création de groupes nouveaux. Toutes les sciences ne sont-elles pas représentées en Belgique par des sociétés ou par des revues spé ciales et, s’il n’en était pas ainsi, n’y a-t-il pas à faire que cela devienne ?

Le catalogue — on a pu dire avec raison que le catalogue est à la Bibliothèque ce que le cerveau est aux organes — le catalogue des


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diverses collections réunies jusqu’à ce jour est en bonne voie d’éla boration. Il est dressé d’abord un inventaire des ouvrages de chaque société, et celui-ci constitue comme le relevé comptable de la prise en charge des collections. Il y a donc autant d’inventaires que de groupes affiliés. Quant au catalogue proprement dit, formé par duplicata de l’inventaire, il est commun à toutes les bibliothèques et comprend en une seule série les ouvrages de toutes les collections. Les lecteurs auxquels l’usage de tous les fonds est offert indistincte ment, n’auront donc à consulter qu’un seul guide. Ce catalogue est à double entrée, alphabétique par nom d’auteurs et décimal par ma tière. Il est établi sur fiches mobiles du format international, et à l’état de manuscrit. Il y a lieu d’espérer que chaque société aura à cœur de publier dans son Bulletin le catalogue de son propre fonds et d’en faire connaître par la même voie les accroissements. Une telle liste remplacera avantageusement les « accusés de réception » publiés déjà, sans grande méthode, dans maints bulletins.

Partie 5, titre à définir

Dans les locaux mêmes de la Bibliothèque Collective nous avons installé le nouveau Service de renseignements sur la Belgique scientifique, artistique et littéraire. A la suite d’une enquête étendue, l’Institut a réuni de nombreux documents sur presque tous les organismes nationaux en ce domaine. Ils ont été classés en des dossiers communicables. L’Institut a en outre commencé l’élaboration d’un Catalogue collectif des Bibliothèques de Belgique.

En créant cette organisation nouvelle, l’Institut a été guidé par cette idée : permettre aux membres des sociétés scientifiques de s’adresser ici dès le début de leurs recherches bibliographiques. Ils connaîtront par la consultation du catalogue de la Bibliothèque Collective si les ouvrages désirés existent ici, et en ce cas pour ront les consulter dans la salle de lecture; s’ils y font défaut, ils pourront connaître par la consultation du Catalogue collectif des Bibliothèques belges, dans quelle autre bibliothèque ils les trouveront. Ce catalogue comprend à cette heure environ 600,000 titres d’ouvrages possédés par 54 des grandes bibliothèques, tant de Bruxelles que de la province.

Le catalogue des grandes bibliothèques est complété par le Catalogue général des bibliothèques populaires de Belgique que nous avons entrepris à la demande de l’Administration des sciences et des lettres et dont nous la prions de prendre possession aujourd’hui même. Ce dernier catalogue comprend, lui, à ce jour environ un million de titres d’ouvrages déposés dans 800 bibliothèques populaires


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Il est destiné à servir de base aux envois de livres que leur fait le Gouvernement. Ces envois constituent un mode d’encouragement aux bibliothèques populaires réellement efficaces. Ils pourront à l’avenir s’effectuer d’une manière de plus en plus systématique.

Partie 6, titre à définir

Faute de place, pour les concentrer en un même bâtiment, les autres services et collections de l’Office demeureront momentanément au local n° i (rue du Musée) et au local n° 2 (Chapelle Saint-Georges, Montagne de la Cour). Par le téléphone on pourra, en partie, les utiliser d’ici même.

Ces services comprennent d’abord les Répertoires bibliographiques. Ceux-ci constituent comme le catalogue général de toutes les grandes bibliothèques du monde ou, encore, le catalogue de la bibliothèque idéale, réellement encyclopédique, mondiale et universelle, que formerait la réunion de tout ce qui a été imprimé depuis l’invention de l’imprimerie.

Les répertoires bibliographiques de l’Institut, établis sur fiches, sont actuellement riches de 8 millions de notices. Celles-ci sont ordonnées en trois séries, de manière à répondre directement à ces trois questions principales :

  • Qu’est-ce qui a été publié par tel auteur (Répertoire des auteurs) ?
  • Qu’est-ce qui a été publié sur telle question (Répertoire des matières) ?
  • Qu’est-ce qui a été publié, à telle époque, dans tel périodique (Répertoire chronologique des articles de Revues ou Table générale des Revues) ?

C’est une vaste collaboration internationale qui alimente ces répertoires : déjà, de par le monde, un million de notices ont été impri mées selons les méthodes unifiées de l'Institut.

Poursuivant donc leurs recherches, les membres des sociétés affiliées qui n’auront pas trouvé ce qu’ils désiraient dans la Bibliothèque Collective, ou qui auraient constaté que les ouvrages ne sont pas renseignés dans le catalogue des autres bibliothèques de Belgique, pourront être avertis de l’existence d’autres ouvrages en consultant les répertoires bibliographiques. Il leur sera toujours possible de se procurer les livres renseignés, soit en librairie, soit en demandant à nos bibliothèques de les obtenir en prêt de l’étranger. Grâce aux répertoires bibliographiques, qui comprennent non seulement l’inventaire des livres, mais encore celui des articles de revue, les travail leurs pourront aussi connaître le contenu des précieuses collections de périodiques possédé par nos bibliothèques. Ceci leur sera


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particulièrement utile, car il est au-dessus des forces catalographiques actuell es de n’importe quelle bibliothèque agissant isolément d’inclure les dépouillements de revues dans leurs catalogues ordinaires.

Partie 7, titre à définir

Nous avons dû nous attarder quelque peu à ces explications préli minaires à la visite. Elles nous ont paru indispensables pour com prendre que la Bibliothèque Collective, tout en ayant son existence autonome et en permettant à chaque société savante de conserver la propriété et la libre gestion de ses livres, ne constitue cependant pas une institution à part et sans lien avec les autres sections de l’Institut. Elle est, au contraire, étroitement rattachée à l’ensemble de son orga nisation et, d’autant plus naturellement, que celle-ci, en toutes ses parties, est elle-même l’œuvre d’une vaste coopération, à la fois belge et internationale. Bibliothèque collective est ainsi synonyme de groupe ment des sociétés savantes, travaillant de concert avec l’Institut au progrès de l’organisation documentaire et à la mise en commun de l’usage des collections.

C’est ce qui a permis l'affiliation de certaines institutions dont les livres doivent demeurer dans d’autres locaux, tels l’Institut de Sociologie Solvay, la Société de Géologie. C’est aussi ce qui permet d’énumérer parmi les membres qui font partie du corps moral de cette institution et ont adopté les méthodes communes, tous les groupes, services et bibliothèques qui publient des parties du Répertoire Bibliographique Universel, et dont la liste trop longue à énumérer figure en tête des annuaires de l’Institut.

Partie 8, titre à définir

Bibliothèque, Catalogue collectif et Répertoire bibliographique. Office de renseignements sur la Belgique intellectuelle, tous ces ser vices s’intégrent les uns les autres et constituent un outillage dont bénéficieront les travailleurs.

Cependant, il y a heu de les compléter d’une autre manière encore pour répondre aux vrais besoins de la documentation moderne et réaliser la conception du rôle que les imprimés peuvent jouer dans notre civilisation.

La production scientifique devient plus intense, les publications se multiplient, et chaque jour augmente le nombre des personnes qui peuvent ou qui doivent utiliser les informations contenues par milliers et par milliers dans les livres, les revues et les journaux.

Conséquence obligée : il faut rendre de mieux en mieux accessible au grand public ces masses énormes de documents.


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La consultation pour chaque question d’un dossier unique conte nant par extrait tout ce qui a paru sur la question et tenu rigoureuse ment à jour, la réunion en un ensemble systématique de tous les dos siers ainsi constitués, telapparaît ici l’idéal à poursuivre. Le caractère utopique de cet idéal disparaît dès que l’on considère qu’on peut procéder graduellement à la formation de semblables dossiers en s’attachant d’abord aux documents de l’époque actuelle ; qu’il existe de nombreux groupes intéressés à la constitution de semblables col lections et que l’exemple du Répertoire Bibliographique Universel, commencé depuis i8g5 seulement, est là pour stimuler les énergies créatrices. Aussi, l’ardeur de tous les groupes aidant, avec le concours de diri geants des sociétés scientifiques, de rédactions de revues, de direc teurs de journaux, avec l’aide de généreuses donations, l’Institut Inter national de Bibliographie a commencé le Répertoire Universel de Docu- mentation, c’est le nom donné à la collection systématique des dossiers comprenant deux parties, les textes dans l’une et les images photogra phiques dans l’autre. Après divers tâtonnements, la méthode a été arrêtée et elle est en corrélation étroite avec celle qui préside à l’orga nisation des autres travaux et spécialement de la Bibliothèque Col lective. L’élaboration d’un tel répertoire sera considérablement aidée, d’une part, par les procédés de reproduction photomicroscopique ; d’autre part par la réforme des publications documentaires. Celle-ci apparaît nettement comme le corollaire du répertoire : ce sont les publications documentaires qui devront à l’avenir alimenter de tels dossiers, qu’ils soient constitués en notre Office central ou ailleurs, par duplicata ou en corrélation. La caractéristique des nouvelles publications documentaires, livres ou revues, est l’impression sur fiches détachables portant chacune un seul élément, indexées en con cordance avec la classification internationale etparsuite directement et mécaniquement intercalables dans les dossiers de la question inté ressée.

La Société belge de Sociologie est entrée dans cette voie avec ses enquêtes et le succès a répondu à son initiative.

On peut, par la pensée, entrevoir le jour où les publications scien tifiques, grâce à l’unité de classement et à la divisibilité extrême de tous leurs éléments, se solidariseront de plus en plus les unes avec les autres. Alors chacune, dans sa forme, comme elle le sera dans sa substance même, ne formera plus qu’une partie, un chapitre, voire un simple paragraphe du Livre Universel. Celui-ci, formé au jour le jour, récapitulerait le savoir acquis et décrirait à tout moment l’état de la pensée mondiale dans tous les domaines. Ainsi, en un Office central étendant partout ses ramifications serait réalisé une


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vaste Encyclopédie documentaire coordonnant le travail éparpillé des intel ligences et établi à la taille de notre xx e siècle magnifique !

Partie 9 titre à définir

Telle est dans ses grands traits l’œuvre bibliographique que pour suit notre Institut et dont fait étroitement partie la Bibliothèque Col lective. Puisque des problèmes nouveaux sont posés de nos jours aux bibliographes, force leur est bien de demander à l’inventionet aux pro cédés techniques une solution que ne peuvent plus fournir les formes traditionnelles du livre. D’ailleurs en vertu de quel a priorisme se refuser d’essayer tout au moins? Alors que toutchange,se transforme et s’adapte autour de nous, pourquoi le livre seul échapperait-il à la loi générale, et cela au moment même où son influence et sa fonction sociale sont plus grandes qu’ils ne l’ont jamais été : Il se publie annuellement dans le monde i5o,ooo livres nouveaux et 20,000 pé riodiques formant à leur tour de 4 à 5oo,ooo articles. Le passé, lui, se chiffre au minimum par quelques dix millions de livres et quinze millions d’articles. Mare Magnum, disait déjà Marucelli, le savant bibliographe du xvn e siècle. Cosmos immense, dirons-nous à notre tour.

Les livres sont utilisés aujourd’hui dans toutes les classes de la société, car notre temps a reconnu combien « savoir, c’est pouvoir ». Les livres sont nos maîtres muets. Par eux nous sortons de l’isole ment intellectuel comme nous sortons de l’isolement économique par les routes et les chemins de fer. Ils ont enregistré au jour le jour, tout ce qui a été découvert, pensé, imaginé, projeté et ils continuent à le faire. Ils sont ainsi les organes par excellence de la conservation, de la concentration et de la diffusion de la pensée. En leur total, ils con stituent comme le corps matériel de nos sciences et de nos connais sances, comme la mémoire mondiale de l’humanité.

Par les livres les générations sont rattachées les une aux autres, et ainsi se réalise vraiment la pensée de Pascal qui voyait tous les hommes ne faire qu’un seul homme qui vivrait toujours et qui appren drait sans cesse.

Aussi s’explique-t-on l’effort qui a été tenté de toute part pour capter et distribuer l’énergie intellectuelle que renferment les livres, pour organiser la Documentation sur la base des grands services publics au profit de la science, du progrès social, de l’avenir du commerce et de l’industrie. Les immences bibliothèques de Paris, Londres, Berlin et Washington sont de superbes témoignages du culte que les modernes savent vouer aux livres. Ces bibliothèques


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possèdent chacune de 1 million et demi à 2 millions d’ouvrages. La bibliothèque de Washington, la dernière créée du groupe, un chef- d’œuvre d’ingéniosité technique, dispose d’un budget de trois millions et demi de francs. Elle se différencie des autres en ce qu’elle est net tement conçue comme centre bibliographique national d’où les livres peuvent être distribués vers toutes les directions et où les catalogues s’élaborent en une fois pour toutes les bibliothèques du pays. Ce centre national est en relations avec toutes les villes de l’Union. Grâce aux dons généreux de Carnegie — il distribue en ce moment son 800 e million — nous assistons à une véritable prolifération des bibliothèques américaines et à leur transformation. Dans la terre classique du trust, la coordination des bibliothèques est déjà fort avancée. Elle s’opère en fusionnant les magasins de livres, en uni fiant les services et en multipliant les postes de lecture : Ün compte iq3 postes dans la seule ville de Puttsburg ! D’ailleurs ces idées se généralisent. Voici que plus près de nous, en Norvège, nous voyons fonctionner l’admirable réseau des bibliothèques populaires orga nisé sur la base d’un service central, qui utilise la poste sur une très grande échelle et qui assimile partout la bibliothèque à l’école. En Allemagne, la Bihliothèque de Berlin est à la veille d’être installée dans ses nouveaux bâtiments, construits pour contenir 5 millions de volumes. Et le savant Hernach, le nouveau chef de cet établisse ment, s’écrie, en termes de programme : « Notre vocation nationale à nous, Allemands, c’est de nous assimiler le travail du monde entier, et de rendre au monde, en le doublant, ce que nous en avons reçu. Pour la réalisation d’une telle mission il faut que l’on puisse trouver sans peine, chez nous, tout ce qui a été pensé et écrit dans les autres pays ! »

Ces exemples de l’étranger sont évocatifs et doivent nous encoura ger à tenir en honneur les choses du Livre et à oser du neuf. La Bel gique d’ailleurs n’est pas restée en retard. Faut-il rappeler que la pro duction nationale des imprimés a augmenté de 3o p. c. en 25 ans ; que nos grandes bibliothèques de Bruxelles, renfermant ensemble plus d’un million de volumes ; que nos bibliothèques populaires tant officielles que celles dues à l’initiative privée, sont au nombre de plus de2,000. Faut-il citer le Musée Plantin, le Musée du Livre, les grandes compilations systématiques telles que les Acta Sanctorum, les 90 volumes des Pandectes belges, les 115 volumes delà Commission royale d’histoire, et, pour les travaux de bibliographie pure, la Bibliotheca Belgica, de Van der Haeghen, la Bibliographie et la Bibliographie Natio nale, la Bibliographie de Belgique ? Ce sont là, certes, de beaux joyaux pour notre couronne bibliographique.

Partie 10 titre à définir


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Mais jusqu’ici, chez nous, on coopérait peu, on s’ignorait trop les uns les autres. Volciqu’uneèrenouvelle est apparue. N’est-il pas d’hier l’avènement du Ministère des Sciences et des Arts? Ne se présente-t-il pas comme pouvant assumer cette tâche capitale, dans le domaine du Livre comme dans les autres qu’il a dans ses attributions : coordon ner les efforts trop isolés, aider les œuvres qui dépassent les forces des groupements particuliers, assurer un développement harmonique à notre outillage intellectuel. Agiter de telles idées devant le Chef du nouveau département ministériel, c’est l’entretenir de questions qui font l’objet de toutes ses préoccupations ; lui parler ici du Livre c’est parler au président fondateur de cet Institut Internatienal de Bibliographie qui s’est attaché chez nous à mettre en lumière quelques-uns des aspects fon damentaux de la documentation et à affirmer dans ce domaine la nécessité de la coopération, même internationale. Monsieur le Ministre, cher Président, voyez les étapes parcourues depuis l’année i8g5, où nous convoquons à l’hôtel Ravenstein la première conférence bibliographique internationale. Vous souvient-il de ces commencements modestes? Nous avions 40,000 fiches, mais nous étions sans bibliothèque, sans relations à l’étranger, sans pro tection du gouvernement, sans local, sans collaborateurs et sans budget.

Aujourd’hui nous avons tout cela. Laissez-nous avec vous nous en réjouir et à l’heure où vous quittez la commission administrative de notre Office, à raison des hautes fonctions que vous avez assumées, laissez-nous vous exprimer, très simplement, mais très profondément, la grande reconnaissance que vous doit notre Institution et dire aussi les sentiments de cordiale affection qu’a fait naître chez ceux qui étaient à vos côtés, votre longue et assidue collaboration.

Comme un témoignage de ce que ces sentiments demeureront vivants au milieu de nous, qu’il nous soit permis de vous offrir l’hom mage de cette dernière publication de l’Office : Y Annuaire de la Belgique artistique, scientifique et littéraire, sorti des presses ce matin même, est un recueil de notices documentaires relatives à toutes les institutions ou collections belges qui concernent les sciences, les lettres et les arts. Voyez-y un essai de documentation appliqué à votre vaste minis tère !

L’Office perd son Président. Ne doit-il pas se consoler en pensant qu’iLa gagné un ministre qui saura ajouter la puissance du pouvoir à ce que sa personne de travailleur intellectuel lui a donné jus qu’ici? La tâche à accomplir reste immense, puisqu’il faut faire une réalité de ces affirmations : que la documentation doit avoir son rôle et sa


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fonction éminente à côté de la recherche scientifique d’une part, de l’enseignement d’autre part ; qu’elle doit être organisée mondiale ment en toutes ses branches; qu’elle doit pouvoir fournir aux esprits, à quelque degré soient-ils de leur formation, les matériaux d’études qui totalisent l’expérience humaine de partout et de toujours ; qu’elle doit compléter ainsi dans les cas particuliers de recherches théoriques et pratiques, l’œuvre générale de l’enseignement, laquelle a pour tâche la formation graduelle des intelligences et l’œuvre de la science qui conquiert chaque jour de nouveaux domaines et laisse à d’autres le soin d’engranger et d’utiliser les riches moissons qu’elle a fait fructifier. Il nous faut matérialiser de plus en plus cet ensemble d’idées et développer simultanément ces quatre instruments de toute documen tation : la Bibliographie, la Bibliothèque, Y Iconographie et les Dossiers docu mentaires. Voici d’ailleurs que les circonstances, bien changées depuis douze ans, apparaissent extraordinairement favorables en une Belgique qui s’éveille partout aux choses de l’esprit et qui a décidé de les glorifier en construisant le Mont des Arts. Tous les espoirs sont désormais permis, puisque la Bibliothèque Collective est la première installée à front de ce kilomètre de façade qui en formera le tout. Nous sommes dans les premiers soubasse ments. Ne pourrions-nous pas nous élever en même temps que les murs? Les plans du nouveau Palais et les conclusions de la Commis sion ministérielle chargée d’étudier son organisation intérieure expri ment les réels besoins de l’heure présente. Si ces conclusions passent dans les faits, nul doute que nous ne possédions en réalité, et c’est ce qu’il faut, un véritable Mont des Sciences et des Arts, digne d’un pays renommé par son activité et dont toutesles énergies sont tendues vers l’expansion.

Là, près des collections de toute nature seront groupés les sièges des grandes institutions nationales dans l’ordre intellectuel. C’est dans ce milieu et avec toutes les facilités désirables, que l’Office pourra poursuivre son développement ultérieur et réaliser l’œuvre qui fait l’objet même de son activité : l’organisation d’un centre mondial de documentation.

Atout ce que nous possédons déjà —collections, méthodes, collaborations, coopération de sociétés scientifiques— voici que viennent s’ajouter de nouveaux concours : la coopération des Associations inter nationales qui ont leur siège en Belgique et qui elles aussi seront domi ciliées au Mont des Arts ; le Fonds de dotation auquel ont souscrit plu sieurs de nos généreux et éclairés patriotes, M. Ernest Solvay, l’ami


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d’avant la première heure, le baron Empain, M. Franz Philippson, la Société Générale de Belgique. La forme et les moyens d’action de 1896, appropriés aux besoins d’un organisme naissant, ne paraît plus convenir à l’organisme adulte qu’est devenu l’Office de Bibliographie. Pour accélérer la marche des travaux, encadrer ses sections nou velles, fixer les coopérations obtenues, recevoir les donations pro mises, consacrer le caractère international en harmonie avec les autres institutions mondiales dues à l’expansion de la Belgique actuelle, il faut à l’Office une forme nouvelle et adéquate des moyens appropriés à l’objet qu’il se propose. Puisse M. le Ministre des Sciences et des Arts écouter favorablement les suggestions que lui fera à cet égard le baron Descamps, qui demeure toujours de cœur et de pensée avec nous, puisqu’il accepte le titre que nous lui décernent nos suf frages de Président d’honneur de l’Institut International de Biblio graphie.

Conclusion

Tels nos pensées et nos espoirs. A l’étape où nous sommes nous les exprimons tout haut, redisant au-dedans de nous-mêmes ces mots d’Anatole France: « Pour que la vie soit grande et pleine, il faut y mettre le passé et l’avenir. Nos œuvres intellectuelles, il faut les accomplir en l’honneur des morts et dans la pensée de ceux qui naî tront. »